Madame la Présidente,
Mesdames,
Messieurs,
Tout d’abord, je dois vous prier d’excuser M. Bruno Parent qui ne peut être présent cet après-midi et en est désolé. J’interviens donc aujourd’hui au nom de la DGCCRF, et c’est un plaisir pour moi de participer à la célébration des 30 ans de la Commission des clauses abusives.
En 30 ans, le dispositif de lutte contre les clauses abusives, comme cela a été rappelé ce matin par M. Mortureux, au nom du Ministre Luc Chatel, et par vous même, Madame la Présidente, a évolué pour accroître la protection des consommateurs ou, selon l’expression consacrée, « des non-professionnels et des consommateurs » contre la présence de clauses abusives dans les contrats conclus avec des professionnels.
De même, ont été rappelés l’action et le travail de votre Commission au cours de toute cette période.
Pour ma part, je vais traiter ici de la dernière réforme dont le décret publié aujourd’hui constitue l’aboutissement. Le volet législatif de cette réforme a été introduit par l’article 86 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). Ce texte modifie de manière substantielle l’article L. 132-1 du code de la consommation par un renforcement de la protection des consommateurs contre la présence des clauses abusives dans les contrats qu’ils signent avec les professionnels.
En effet, jusqu’alors, la loi mettait en œuvre deux voies normatives distinctes pour la reconnaissance du caractère abusif d’une clause, dont les effets juridiques étaient différents :
– soit les clauses étaient regardées comme abusives car reprises en tant que telles dans l’annexe visée au troisième alinéa de l’article L. 132-1. Cette annexe, à valeur législative, reprenait intégralement l’annexe de la directive 93/13/CE du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives. Les clauses qui figuraient dans cette annexe étaient des clauses qualifiées de « grises » (voire de « blanches » compte tenu du caractère illustratif et non exhaustif de cette annexe), pour lesquelles le consommateur devait apporter la preuve de leur caractère abusif.
– soit les clauses étaient interdites par des décrets en Conseil d’État sur la base du deuxième alinéa de l’article L. 132-1. C’étaient des clauses dites « noires » pour lesquelles évidemment le consommateur n’avait pas à apporter la preuve de leur caractère abusif. Mais comme cela a été rappelé ce matin, ces clauses noires étaient très peu nombreuses, en fait au nombre de trois.
De cette rédaction de l’article L. 132-1 du code de la consommation, il résultait un paradoxe juridique puisque la liste indicative de clauses pouvant, le cas échéant, être regardées comme abusives, avait valeur législative, alors même que l’interdiction des clauses relevait du domaine réglementaire. Il n’était donc pas possible de « noircir » par décret des clauses figurant dans l’annexe indicative puisque celle-ci avait valeur de loi. Cette situation devait donc être clarifiée et c’était l’objet même des dispositions introduites dans la LME.
L’article 86 de la LME a donc donné une meilleure cohérence juridique et, partant, plus d’efficacité au dispositif de lutte contre les clauses abusives, en reconnaissant désormais au seul pouvoir réglementaire le soin de déterminer, par décret en Conseil d’État, pris après avis de votre Commission, tant la liste des clauses « noires », regardées de manière irréfragable comme abusives et interdites à ce titre, que celle des clauses « grises », désormais présumées abusives.
Pour ces clauses grises, c’est maintenant au professionnel d’apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse. Ce point est très important pour la protection du consommateur (ou du non-professionnel) car il simplifie évidemment son action devant le juge.
I – Le nouveau décret n°2009-32 du 18 mars 2009
C’est donc sur une base renouvelée par l’article 86 de la loi LME qu’a pu être préparé le décret établissant une liste de 12 clauses « noires », abusives et interdites, et une liste de 10 clauses « grises » présumées abusives. Ce décret est publié au JO du 20 mars 2009.
A noter que les premiers travaux préparatoires de ce décret se sont appuyés sur un avis rendu par la CCA en 2001.
Comme vous l’avez rappelé ce matin, la CCA a été consultée sur ce projet, conformément à l’article L. 132-1 du code de la consommation et a rendu un avis le 13 novembre dernier. La Commission s’est fortement mobilisée sur l’examen du projet pour rendre son avis dans de très brefs délais. Je saisis cette occasion pour la remercier à nouveau aujourd’hui.
Je souligne d’ailleurs la qualité du rapport de la Commission qui a largement contribué à améliorer le texte initial. Ainsi, nombre d’observations et de propositions de modification ont été retenues et sont venues enrichir le texte préparé.
Sans entrer dans le détail, je présenterai rapidement l’architecture générale du nouveau décret.
1) Les clauses « noires » :
Le nouveau décret liste, dans son article 1er, douze clauses « noires ». Ces clauses sont, en application du 3ème alinéa de l’article L. 132-1, « des clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives ».
- Sur ces douze clauses, dix sont issues de l’annexe de la directive visée à l’article L. 132-1 du code de la consommation. Parmi celles-ci, on peut citer deux clauses qui ont été particulièrement stigmatisées par votre Commission. Il s’agit des clauses qui ont pour objet ou pour effet :
– de constater l’adhésion du non-professionnel ou du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l’écrit qu’il accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n’est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n’a pas eu connaissance avant sa conclusion (c’est le point 1 de l’article 1er) ;
– de restreindre l’obligation pour le professionnel de respecter les engagements pris par ses préposés ou ses mandataires (c’est le point 2 de l’article 1er).
- Par ailleurs, il est apparu utile d’ajouter à cette liste deux clauses dont le caractère abusif apparaît clair, lisible et incontestable, qui ne sont pas reprises à l’annexe de l’article L. 132-1 du code de la consommation, mais qui, de par leur effet, portent gravement atteinte aux intérêts des consommateurs. Il s’agit :
– dans les contrats à durée indéterminée, de la clause qui soumet le consommateur à un délai de préavis plus long que celui exigé du professionnel pour résilier le contrat (point 10 de l’article 1er) ;
– et de celle qui subordonne la résiliation par le consommateur au versement d’une indemnité au profit du professionnel (point 11 de l’article 1er). Ces deux clauses ont d’ailleurs été plusieurs fois dénoncées comme abusives par la Commission.
2) Les clauses « grises » :
Le décret liste également, en application du 2ème alinéa de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dix clauses « grises », c’est-à-dire présumées abusives, à charge, comme je l’ai indiqué précédemment, pour le professionnel en cas de litige d’apporter la preuve du caractère non abusif de ces clauses.
- Sur ces dix clauses, huit sont issues de l’annexe de la directive, visée à l’article L. 132-1 du code de la consommation. Parmi celles-ci, deux clauses ont été dénoncées dans plusieurs recommandations de la CCA. Il s’agit des clauses qui ont pour objet ou pour effet de :
– prévoir un engagement ferme du non-professionnel ou du consommateur, alors que l’exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté ;
– limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel ou du consommateur.
- Deux autres clauses, qui ne figurent pas dans l’annexe, ont été ajoutées afin de compléter le dispositif. Il s’agit :
– de la clause qui stipule une date indicative d’exécution du contrat, hors les cas où la loi l’autorise ;
– de la clause qui soumet la résiliation du contrat à des conditions ou des modalités plus rigoureuses pour le non-professionnel ou le consommateur que pour le professionnel.
Au total donc, le nouveau dispositif ainsi fondé et constitué devrait permettre une lutte plus efficace contre les clauses abusives qui posent encore trop souvent des problèmes récurrents et aigus dans les contrats de consommation.
II – Ce renforcement du dispositif législatif et réglementaire concernant les clauses abusives doit s’accompagner, pour être pleinement efficace, d’une plus grande effectivité dans sa mise en œuvre, s’agissant tout particulièrement de l’action des pouvoirs publics
Cette évolution est aujourd’hui rendue possible grâce aux dispositions de l’article L. 141-1 du code de la consommation issues de l’ordonnance du 1er septembre 2005, et qui dotent les agents de la DGCCRF de nouveaux pouvoirs en leur permettant :
- de prendre des injonctions administratives à l’encontre des professionnels pour faire cesser des agissements illicites ou abusifs,
- de demander au juge, et s’il y a lieu sous astreinte, la suppression des clauses illicites ou abusives dans les contrats destinés aux consommateurs.
Quelles conséquences aura le nouveau dispositif sur l’action de la DGCCRF ?
1) Les mesures d’injonction vont pouvoir être plus largement utilisées car elles ont vocation à s’appliquer aux seules clauses abusives interdites.
En effet, le caractère abusif d’une clause relève, hors les cas du décret, de la seule appréciation des juges du fond. Il n’appartient pas aux agents de la DGCCRF de juger a priori du caractère abusif d’une clause, même présumé, et d’enjoindre sa suppression au professionnel.
Ainsi, la liste des douze clauses interdites du décret constitue un champ nouveau pour l’exercice par l’administration de son pouvoir d’injonction en vue de contraindre les professionnels à retirer de telles clauses de leurs contrats.
2) Quant à l’action en cessation, qui permet à l’administration d’obtenir du juge la suppression d’une ou plusieurs clauses abusives ou illicites contenues dans un contrat proposé aux consommateurs, elle sera également facilitée.
En effet, l’administration pourra également s’appuyer sur les clauses reprises par le décret, en plus des recommandations de la CCA qui viennent utilement servir de support pour reconnaître le caractère abusif des clauses et en demander la suppression.
Ainsi, le décret, qui fixe les deux listes de clauses, offre donc aujourd’hui un champ d’intervention élargi des suites possibles pouvant être données à l’action de la DGCCRF dans le domaine de la lutte contre les clauses abusives dans les contrats de consommation.
Mais cette possibilité accrue d’action ne se limite pas à l’administration.
En effet, le nouveau dispositif sera également très utile aux associations de consommateurs pour mener les actions en cessation qui leur sont reconnues par l’article L. 421-6 du code de la consommation. Les associations de consommateurs disposent de ces pouvoirs, je le rappelle au passage, depuis bien plus longtemps que l’administration, puisque cette possibilité d’action en cessation n’a été reconnue aux agents de la DGCCRF qu’en septembre 2005. Cet article L 421-6 permet aux associations de consommateurs, par voie d’assignation, d’agir en suppression de clauses abusives ou illicites stipulées dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur.
Enfin, la possibilité récemment offerte au juge de soulever d’office toutes les dispositions du code de la consommation en application de l’article L.141-4 renforce l’effectivité du nouveau dispositif de lutte contre les clauses abusives. Cet article L. 141-4, introduit par la loi du 3 janvier 2008 – dite loi Chatel – énonce que « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».
La proposition de réforme à l’origine du texte de l’article L.141-4 part du constat selon lequel, en droit de la consommation, l’inégalité économique existant entre le professionnel et le consommateur est prolongée par une inégalité juridique et procédurale. Il s’agit donc d’une évolution très substantielle du droit : le juge peut désormais soulever d’office le non-respect de toutes les dispositions du code de la consommation, y compris celles afférentes aux clauses abusives. Je m’en tiendrai là sur ce sujet de l’office du juge puisqu’il a été traité en détail, et très savamment, au cours de l’intervention précédente, par M. Rigal.
En conclusion, on peut relever que le décret publié ce matin nous permet de rejoindre, dans le domaine de la lutte contre les clauses abusives, les dispositifs mis en place dans nombre de pays européens.
Il devrait pouvoir permettre à l’ensemble des parties prenantes d’y trouver un apport :
- la CCA elle-même, dont vous avez dit ce matin, Madame la Présidente, que l’activité n’est en rien remise en cause par le nouveau texte : au contraire, car son analyse des clauses et des secteurs, qui conserve toute son utilité, peut en outre contribuer à faire encore évoluer les textes ;
- les professionnels à qui le nouveau dispositif apporte des éléments de clarification, et notamment à leurs organisations pour faire de la pédagogie et de la prévention ;
- les associations au nom de la défense des consommateurs et l’administration au nom de la lutte contre les clauses abusives, en combinaison avec les pouvoirs d’action dont elles disposent actuellement ;
- le juge, enfin, avec son pouvoir de saisine d’office.
Ce jour marque donc une étape importante dans l’évolution du droit de la consommation.