M. Jean Calais-Auloy, professeur émérite à l’Université de Montpellier I
Observations préalables :
1) Le concept de clause abusive est, en droit des contrats, distinct de celui de lésion. La lésion est un déséquilibre global entre l’objet et le prix. Une clause abusive révèle un déséquilibre inhérent à une clause particulière du contrat.
2) On trouve des clauses abusives dans toutes sortes de contrats, dès lors qu’une partie est en position de dicter sa volonté à l’autre. Mais c’est dans les contrats de consommation que la lutte contre les clauses abusives est organisée par la loi de la façon la plus systématique.
Mon propos se limitera au concept de clause abusive dans les contrats de consommation.
I. LA DÉFINITION DES CLAUSES ABUSIVES
A. La définition française
Article L. 132-1 (al.1er) du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Cette définition a été introduite dans le code de la consommation par une loi de 1995. Elle est différente, dans sa formulation, de la définition antérieure, qui datait de 1978, mais l’interprétation est restée fondamentalement la même.
La loi de 1995 a transposé en droit français la directive européenne de 1993 concernant les clauses abusives. La transposition, cependant, n’est pas une copie conforme.
B. L’écart entre la définition française et la définition européenne
Article 3-1 de la directive de 1993 : « Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».
On le voit, la loi française transpose fidèlement la notion de déséquilibre significatif, mais elle ne reprend pas deux éléments de la définition européenne : la négociation individuelle et l’exigence de bonne foi, ce qui conduit à élargir, au moins en théorie, le concept de clause abusive.
Le législateur français avait le droit, en 1995, d’élargir la définition, car la directive de 1993 opère une harmonisation « minimale ». Les choses pourraient changer, car une proposition de directive, déposée en 2008, prévoit une harmonisation « complète ». Si la nouvelle directive est adoptée, le législateur français devra probablement modifier la définition des clauses abusives. Mais ce sera une modification formelle, sans grande conséquence pratique.
C. L’élément essentiel des deux définitions : le déséquilibre significatif
Une clause est abusive quand elle crée, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif
Sur ce point, la loi française est en accord avec la directive de 1993 et avec la proposition de directive de 2008. La définition française antérieure (celle de 1978) se référait à l’avantage excessif, ce qui n’est pas fondamentalement différent du déséquilibre significatif.
La loi française, conformément à la directive, précise que le caractère abusif s’apprécie en se référant au contexte : circonstances ayant entouré la conclusion du contrat, autres clauses du contrat et même clauses d’un autre contrat quand les deux contrats sont liés l’un à l’autre.
Le mot « significatif » (comme auparavant le mot « excessif ») traduit l’idée que certains déséquilibres sont acceptables, qu’ils ne sont pas considérés comme abusifs. La frontière entre déséquilibre acceptable et déséquilibre non acceptable est évidemment difficile à tracer. D’où l’importance des procédures de détermination des clauses abusives.
II. LA DÉTERMINATION DES CLAUSES ABUSIVES
A. La constatation du caractère abusif
Trois organes sont chargés de constater le caractère abusif des clauses figurant dans les contrats de consommation : le pouvoir réglementaire (décrets), les tribunaux (jugements), la Commission des clauses abusives (avis et recommandations).
L’appréciation du « déséquilibre significatif » relève plus de l’esprit de finesse que de la géométrie. D’où la nécessité de confier le travail à des organes impartiaux (c’est pour cette raison que la Commission des clauses abusives comprend à parité des représentants des professionnels et des représentants des consommateurs).
L’appréciation doit être faite in concreto par le juge saisi d’un litige portant sur un contrat déjà conclu, in abstracto par celui saisi d’une demande en suppression de clause dans un type de contrat. Elle est nécessairement faite in abstracto par le pouvoir réglementaire et par la Commission des clauses abusives. Ainsi sont élaborées des listes de clauses abusives.
B. Les listes de clauses abusives
La matière a été profondément modifiée par la loi du 4 août 2008 « de modernisation de l’économie », modifiant les alinéas 2 et 3 de l’article L. 132-1 du code de la consommation. Il existe désormais deux listes établies par décret :
- une « liste noire » de clauses qui sont abusives en toutes circonstances ;
- une « liste grise » de clauses qui sont présumées abusives, la preuve de leur caractère non abusif incombant au professionnel.
A ces deux listes, il convient d’ajouter les « listes indicatives » de clauses dont la Commission des clauses abusives recommande la suppression ou la modification.
Les listes ne sont pas limitatives : les tribunaux peuvent toujours, en se référant au déséquilibre significatif, déclarer abusive une clause ne figurant sur aucune liste. La casuistique ne fait pas disparaître le concept.
CONCLUSION
L’élimination des clauses abusives dans les contrats de consommation déroge-t-elle au principe de l’autonomie de la volonté ?
On pourrait à première vue le penser, y voyant une atteinte à la liberté contractuelle et à la force obligatoire des contrats. Ce n’est pas mon opinion. J’observe, en effet :
- que l’exigence de bonne foi a toujours accompagné le principe de l’autonomie de la volonté ;
- que le consentement global du consommateur ne signifie pas que celui-ci connaît, comprend et accepte toutes les clauses du contrat.
Loin de déroger au principe de l’autonomie de la volonté, l’élimination des clauses abusives peut être considérée comme un développement de ce principe.