M. Olivier Remien, professeur à la Würzburg Juristische Fakultät
Vue de l’Allemagne, la prestigieuse CCA est typique du modèle français pour assurer la protection du consommateur contre les clauses abusives. Le modèle allemand poursuit le même but, mais, à bien des égards, est quand même différent – c’est ce que je vais essayer d’expliquer dans ma première partie ; dans ma deuxième partie, je vais essayer d’évaluer les expériences avec le système allemand.
En Allemagne, la notion clef n’est pas celle de clause abusive, mais de conditions générales d’affaires.
Cela veut dire que les clauses individuelles ou même négociées ne sont pas soumises à ce même contrôle, mais qu’il s’agit de savoir si des clauses générales d’affaires ont été incorporées dans le contrat, et enfin, si elles sont peut-être abusives où non. Le concept de conditions générales d’affaires est défini dans l’article 305 alinéa 1 du BGB, du Code civil allemand : “Les conditions générales d’affaires sont toutes les clauses contractuelles pré- formulées pour une multitude de contrats et qu’une partie (l’utilisateur) pose à l’autre partie du contrat lors de la conclusion d’un contrat”.
À un certain degré, cette approche s’explique par l’histoire du développement du contrôle des conditions générales d’affaires. Avec le temps, la jurisprudence commençait à développer un contrôle du contenu des conditions générales d’affaires – d’abord dans les années vingt du vingtième siècle en situation d’abus de monopole sur la base de l’article 138 BGB sur les bonnes mœurs, puis de façon plus générale sur la base de l’article 242 sur la bonne foi. Ce contrôle s’est généralisé pour les conditions générales d’affaires pré-formulées, tant pour la situation où le consommateur est confronté à des conditions générales d’affaires que pour la situation où une autre entreprise est confronté à des conditions générales d’affaires d’une entreprise. En 1976, le législateur a plus ou moins codifié ces règles jurisprudentielles et doctrinales. Il a introduit la “Loi portant réglementation du droit des conditions générales d’affaires”, puis il a un peu modifié ces règles afin de les mettre en conformité avec la directive 93/13 et enfin il a inclus le tout dans le BGB en 2002, où les règles figurent maintenant comme articles 305 et suivants.
On peut donc dire qu’en Allemagne, il s’agit d’un contrôle :
- de conditions générales d’affaires ;
- qui porte sur l’incorporation des conditions ;
- qui porte aussi sur leur abusivité ;
- qui profite non seulement au consommateur, mais à toute personne confrontée à des conditions générales d’affaires ;
- qui est surtout juridictionnel.
Le contrôle est donc, comparé à la situation française, en même temps :
- moins large, parce que les accords individuels ne sont contrôlés que selon les bonnes mœurs ou des lois de police, on notera la similarité de la directive 93/13 et du projet de 2008 ;
- plus large, parce que le contrôle n’est pas limité aux contrats B2C ;
- et moins administratif et plus juridictionnel.
On a déjà vu qu’en matière de contrôle de conditions générales d’affaires, le droit allemand distingue entre deux questions, premièrement, l’incorporation des conditions générales d’affaires dans le contrat et, deuxièmement, le contenu des clauses et leur validité ou abusivité. On parle de “contrôle d’incorporation” (Einbeziehungskontrolle) et “contrôle du contenu” (Inhaltskontrolle).
L’incorporation est réglée dans l’article 305 alinéa 2
L’article 31 (2) du projet de directive de 2008 apparaît donc assez familier pour le juriste allemand. Fait partie du contrôle d’intégration aussi la règle selon laquelle des clauses surprenantes ne sont pas incorporées au contrat, article 305c BGB. Cette règle peut être d’importance, mais est moins souvent appliquée.
Plus important est le contrôle du contenu.
Comme déjà dit, le contrôle est – par tradition et genèse – un contrôle juridictionnel. Avant l’introduction de la législation spéciale sur les CGA en 1976, le fondement avait été l’article 242 sur la bonne foi, donc une clause générale.
La législation a maintenu une clause générale – aujourd’hui l’article 307 BGB – et a introduit deux listes de clauses abusives – aujourd’hui les articles 308 et 309 du BGB. Les deux listes ont été développées sur la base de la jurisprudence déjà existante, on a quasiment codifié la jurisprudence. Les deux listes se distinguent par leur caractère gris ou noir. Les listes des articles 308 et 309 ne sont pas complètes, et à vrai dire la clause générale de l’article 307 en pratique est plus important.
Dans le projet de directive de 2008, la clause générale de l’article 32 (1) et la technique des articles 34 et 35 avec les deux annexes II et III ressemblent donc au style de la législation allemande – à première vue. Pourtant, le danger réside dans les détails et dans les compétences. Les listes des articles 308 et 309 BGB et des annexes II et III du projet de directive ne sont pas les mêmes. Mais il s’agit d’une proposition d’une directive d’harmonisation totale, sans clause d’harmonisation minimale.
Il y a donc un danger de recul de protection, mais probablement on peut toujours avoir recours à la clause générale pour déclarer une certaine clause abusive. Pour le contrôle du contenu, il faut encore préciser que le contrôle ne s’applique pas à la prestation principale même – objet, service, prix – mais seulement aux autres conditions. Ceci est en conformité avec la directive européenne. La clause générale d’abusivité se trouve dans l’article 307 BGB. A côté de cela, la jurisprudence a développé un devoir de transparence. Ce devoir est aujourd’hui codifié dans l’article 307, alinéa 1, phrase 2.
Le système que je viens de décrire peut être nommé contrôle incident. Mais ce n’est pas le seul système de contrôle en Allemagne. A côté du contrôle incident, il existe déjà, depuis la loi de 1976, une autre voie, à savoir l’action en cessation ou l’action collective des groupements. Cette action était une innovation de la loi de 1976. Aujourd’hui, elle est réglée dans une loi spéciale, la loi sur les actions en cessation de 2001, qui regroupe des dispositions sur différentes actions en cessation en matière de droit de la consommation et du droit économique et que transpose également la directive 98/27. A côté du contrôle incident et de l’action en cessation, on pourrait encore imaginer une troisième voie, l’action en concurrence déloyale.
Quelles sont les expériences avec le modèle allemand que je viens de décrire ?
Sur la réponse, il n’y a pas unanimité totale. Certes, le système n’a pas totalement pu éliminer des clauses abusives dans des CGA. Mais les CGA dans les grands secteurs transparents ont été « purifiées ».
Il y a des milliers de décisions jurisprudentielles sur les clauses abusives, cela veut dire que le contrôle fonctionne. La jurisprudence est extrêmement détaillée, elle porte sur tous les contrats et sur tous les genres de clauses.
Le système fonctionne et protège le consommateur. La voie de l’action en cessation a été créée afin d’assurer un contrôle préventif, en dehors du contrôle incident. Et il joue un rôle important. Il y a eu pas mal d’actions, mais il y a aussi des plaintes car les associations de consommateurs n’ont pas de moyens financiers suffisants. La loi de 1976 prévoyait dans son article 20 que de telles décisions étaient inscrites et publiées dans un registre tenu par l’Office fédéral de la concurrence.
Avec la modernisation du droit des obligations et la création de la loi spéciale sur les actions en cessation, le législateur de 2001 a aboli ce registre (cf. article 16 alinéa 2 UKlaG) parce qu’il ne serait plus nécessaire! Pour une évaluation solide à l’échelle européenne, il faudrait faire une grosse recherche comparative : Quelle est la réalité du contrat de location de bicyclette, de déménagement, d’entraînement au studio fitness etc. en Allemagne et dans les États membres B, C, D, E et F…?
Ceci évoque le motif européen. La directive 93/13 a ses mérites.
Tenant compte du projet de directive d’octobre 2008, il faut se pencher sur les listes noires et grises des articles 34 et 35 avec les annexes II et III. Selon l’expérience allemande, de telles listes sont utiles mais la clause générale est extrêmement importante et ne doit jamais être oubliée. C’est aussi l’approche de la directive dans son article 3 et également du projet de directive dans son article 32.
Mais le projet dit dans les phrases 2 des articles 34 et 35 que les listes ne peuvent être modifiées que par le processus prévu, donc par le législateur national. Mais pourquoi ne pas permettre au législateur national d’ajouter, en application de l’idée de la clause générale, telle ou telle clause spécifique à la liste ? Cela ajouterait à la protection du consommateur, à la sécurité juridique et enfin à l’effet utile de la directive.
En plus, la révision des listes par un Comité paraît douteux. Il faudrait des études comparatives sur les différents types de contrats dans les droits des États membres.
Je suis heureux et très reconnaissant que le 30ième anniversaire de la CCA soit une si belle étape dans cette voie à poursuivre en Europe pour protéger le consommateur contre les clauses abusives.