Avertissement :
L’inexorable passage du temps qui a permis aux intervenants antérieurs de passionnants développements a tant comprimé mon temps de parole, que j’en ai été réduit à esquisser oralement, en guise de synthèse, ce qui aurait pu constituer la conclusion d’un tel exercice. Les lecteurs de ces lignes voudront bien, je l’espère, me pardonner d’avoir ici rétabli ce que j’aurais alors peu ou prou développé, si le temps m’en avait été donné.
Le colloque qui vient de se dérouler a permis un retour toujours salutaire vers le passé, autorisé une sorte d’état des lieux et ouvert des perspectives. C’est autour de ces trois directions que j’ordonnerai ma synthèse.
Un regard vers le passé:
Ce fut dans un contexte de crise, suivant un temps d’expansion économique, où le développement du crédit avait été le “moteur” de la consommation, qu’a été perçue de manière plus aiguë l’inadéquation des théories classiques du contrat avec la situation nouvelle née de la généralisation des contrats d’adhésion.
M. l’Avocat général Jean-Paul Guénot nous a bien décrit le climat dans lequel s’est élaborée la notion de clause abusive et a été prise en compte l’interdépendance des contrats, climat qu’il a qualifié d’ambiance de “guerilla”.
Du double critère de l’imposition de la clause par un abus de la puissance économique du professionnel et de l’avantage excessif conféré par celle-ci à ce dernier, M. le Professeur Jean Calais-Auloy a rappelé que l’on était passé au critère unique du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel, sans toutefois que cette modification n’entraîne une casuistique dans l’application de la règle, étant rappelé que la nouvelle définition n’avait pas retenu les autres conditions prévues par la Directive de 1993 relatives à l’absence de négociation individuelle du contrat et à l’atteinte à l’exigence de bonne foi. L’éminent professeur nous a rappelé que le pouvoir réglementaire avait la possibilité d’édicter des listes de clauses abusives en toutes circonstances (liste « noire ») et des listes de clauses présumées abusives (liste « grise »), l’inscription d’une clause sur une telle liste opérant présomption et imposant au professionnel de justifier qu’en la circonstance, la clause n’était pas abusive, que les juridictions jouaient un rôle important, même si l’effet relatif des décisions judiciaires en limite la portée. Il a, enfin, insisté sur le travail accompli par la Commission des clauses abusives dont les avis et recommandations, certes dépourvus de force normative, constituent en réalité l’équivalent d’une liste indicative.
Toutefois, M. le Professeur Leveneur nous a brillamment montré que, si les recommandations et avis de la Commission des clauses abusives ne constituent pas une source formelle du droit, ils en sont une source réelle par l’influence qu’ils ont exercée et exercent tant sur le législateur, qui s’en est souvent très largement inspiré, que sur les juges qui explicitement s’y réfèrent, voire en font de fait application.
Un regard alentour:
M. Karim Kouri a montré que la jurisprudence communautaire s’ordonnait autour de deux grands principes, d’une part, le niveau d’harmonisation voulu par le législateur communautaire, avec l’objectif d’améliorer la concurrence, d’autre part, une attitude volontariste tendant à ce que soit assurée l’effectivité de la protection du consommateur par l’intervention du juge, au moyen d’un encadrement du principe de l’autonomie procédurale, sans immixtion dans la définition de la notion de clause abusive.
Mme la Présidente Béatrice Ponet a exposé le double fondement législatif de la protection des consommateurs en Belgique, par la loi sur les pratiques du commerce, l’information et la protection des consommateurs du 14 juillet 1991, d’une part, et la loi sur les professions libérales du 2 août 2002, d’autre part, soulignant la disparité résultant de cette double législation et les problèmes de cohérence qui en résultent. Elle a signalé l’existence d’une liste « noire » de 29 clauses et l’ouverture, par la loi du 15 mai 2007, de la possibilité de conclusion d’accords collectifs de consommation, soulignant les difficultés auxquelles pouvait donner lieu leur régime d’application. Elle a précisé que deux organes sont en charge de la protection des consommateurs, la Commission des clauses abusives, créée en 1993, qui émet des avis et recommandations, et le pouvoir exécutif qui peut prendre soit des arrêtés d’interdiction de certaines clauses, soit des arrêtés portant obligation d’en insérer d’autres.
M. le Professeur Olivier Remien a rappelé qu’en République fédérale allemande, la jurisprudence avait, depuis les années 1920, opéré un contrôle sur les conditions générales d’affaires préformulées, contrôle initialement fondé sur la notion de bonne foi, mais auquel échappaient les clauses ayant fait ou pu faire l’objet d’une négociation individuelle. Cette jurisprudence a donné lieu, en 1976, à la promulgation d’une loi qui a, ultérieurement, été intégrée dans le Bürgerlisches Gesetzbuch. Il nous a indiqué que le contrôle portait sur l’incorporation des conditions générales d’affaires dans le contrat, par exemple, par signalement spécial ou affichage, ainsi que sur le contenu même des conditions générales d’affaires, sur le fondement des notions de bonne foi et de désavantage inapproprié, précisant qu’existaient une liste « noire » de 13 clauses et une liste « grise » de 8 clauses. Ce contrôle juridictionnel est réalisé soit à l’occasion d’une action collective en cessation (contrôle principal), soit à l’occasion d’un litige individuel (contrôle incident), soit à l’occasion d’une action en concurrence déloyale, précision étant donnée que l’application du dispositif de protection n’est pas limité aux consommateurs. Il en résulte une protection large du consommateur que l’éminent professeur estime moyennement efficace.
M. le Professeur Simon Whittaker a indiqué qu’au Royaume uni de Grande-Bretagne, la protection des consommateurs avait un fondement législatif, à savoir la loi de 1977 relative aux clauses exonératrices ou limitatives de responsabilité, loi applicable aux personnes « agissant en consommateur », ainsi que les dispositions d’intégration de la directive de 1993. Il a précisé que la protection était fondée sur le caractère équitable et raisonnable des clauses. Selon lui, cette législation est complexe et insatisfaisante. Il a fait part de l’existence d’organes de régulation publics, comme privés, agissant en partenariat, mais a signalé le morcellement résultant de la multiplicité des organismes publics ayant une vocation limitée à un seul secteur d’activité. Il a mis en lumière le rôle des associations de consommateurs, jouant à la fois un rôle de conseil et d’information, mais exerçant également les actions en cessation dont la sanction efficace est constituée par le « contempt of court » qui ouvre au juge la possibilité d’infliger une forte amende. Il a enfin déclaré que les juridictions constituaient l’ultime recours, le plus souvent saisies par les régulateurs publics, selon une procédure simplifiée, mettant en oeuvre une interprétation ouvertement européenne.
Les perspectives d’avenir :
M. Jean-Jacques Berger, sous-directeur de la politique de la consommation et de la sécurité, représentant Bruno Parent, Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a fait part de la publication, ce jour, du décret du 18 mars 2009 portant application de l’article L.132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l’article 86 de la loi du 4 août 2008. Ce décret édicte une liste « noire » de 12 clauses irréfragablement présumées abusives et une liste « grise » de 10 clauses simplement présumées abusives, opérant inversion de la charge de la preuve au bénéfice du consommateur. Il précise que la mise en oeuvre du dispositif sera rendue plus efficace par une plus large utilisation de l’injonction administrative contre les clauses interdites.
M. Etienne Rigal, vice-président au tribunal de grande instance de Lyon, a insisté sur l’évolution de la définition de l’office du juge dans la mise en oeuvre de la protection des consommateurs, rappelant la position « classique » de la Cour de cassation qui fait application du principe dispositif et opère une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection, conférant au juge un office d’arbitre, laissant à la seule partie intéressée la possibilité d’invoquer les règles assurant sa protection. Il a montré comment la jurisprudence communautaire incitait à ce que soit assurée l’effectivité de la protection et comment le législateur, par la loi du 3 janvier 2008, avait ouvert au juge la possibilité de relever d’office toutes les dispositions du code de la consommation dans les litiges nés de son application, déplorant cependant, de l’ouverture d’une simple faculté, une sorte de « parcellisation » de l’office du juge. Il a estimé que, dans l’ensemble, les juges privilégiaient la recherche du caractère abusif de la clause et signalé que la saisine pour avis de la Commission des clauses abusives pouvait avoir pour objectif d’attirer publiquement l’attention sur la ou les clauses discutées.
M. Éric Jourde, délégué général de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication, président du groupe droit de la consommation du Mouvement des entreprises de France, a affirmé que les professionnels, attachés au principe de la liberté contractuelle, agissaient envers leurs clients dans une logique de fidélisation. Il a appelé à un changement de logique de comportement dans la relation des consommateurs et des professionnels, évoluant d’une attitude d’affrontement à la mise en oeuvre d’une politique de partenariat, dans un souci de prévention des conflits et d’abandon d’une logique d’affrontement judiciaire. Il a également indiqué que le MEDEF engageait une action pédagogique en matière de clauses abusives, par la diffusion d’un guide d’information à destination des entreprises.
Parlant au nom des consommateurs, M. Alain Bazot, président de l’association UFC Que choisir, puis M. Jérôme Franck, avocat au barreau de Paris, ont évoqué la double mission des associations de consommateurs consistant, d’une part, à porter la voix de ces derniers pour dénoncer les abus, d’autre part, à mener une action de police contractuelle par l’exercice d’actions en cessation. Ils ont souligné le rôle de proposition et d’inspiration joué par la Commission des clauses abusives, tout en déplorant les délais d’élaboration des recommandations ainsi que la frilosité de celle-ci dans sa recherche du compromis. Ils ont indiqué que la voie privilégiée de lutte contre les clauses abusives était juridictionnelle, en raison de son effet dissuasif, regrettant la lenteur des procédures judiciaires, l’effet relatif des décisions et les difficultés matérielles, mais critiqué les décisions ayant considéré comme sans objet une demande de suppression de clauses abandonnées avant l’introduction de l’instance, redoutant qu’il en procède une stratégie de défense des professionnels. Ils ont appelé à l’instauration d’une liste « noire », de nature à permettre l’engagement d’actions en référé, sur le fondement d’un trouble manifestement illicite, la mise en place de sanctions dissuasives, du type de celles existant en droit de la concurrence, ainsi qu’à l’attribution d’un statut normatif aux recommandations de la Commission des clauses abusives.
En guise de conclusion :
Si, il y a environ trente ans, une crise a pu jouer un certain rôle dans la mise en place de la protection des consommateurs en droit français, que peut-on attendre de la crise qui frappe actuellement la quasi-totalité des économies nationales?
Jusqu’à un passé récent, on a recherché la protection par un développement d’un formalisme contractuel qui a parfois suscité des contentieux opportunistes. Dans le domaine des clauses abusives, la Commission des clauses abusives a accompli un travail remarqué, tant par la qualité des avis et recommandations qu’elle a adoptés et qui ont été publiés, que par son fonctionnement d’institution semi-paritaire qui a privilégié une logique de discussion et de consensus, travail opérant par stratification, sans processus de consolidation, sauf par les recommandations dites de synthèse, ni d’élimination, risquant à terme d’en brouiller le message. Ne faudrait-il pas explorer d’autres voies ?
Par exemple l’adoption d’une liste plus étendue de clauses déclarées abusives en toutes circonstances. Nous avons appris, ce matin, qu’une liste « noire » de 12 clauses avait été édictée, en remplacement de la liste actuelle de 2 clauses. Cette évolution devrait être de nature à permettre des actions plus rapides en neutralisation de telles clauses.
- Ne pourrait-on envisager d’étendre le domaine de la protection contre les clauses abusives à l’ensemble des contrats « déséquilibrés » et pas seulement aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs ?
- La reconnaissance de la valeur de liste « grise » aux recommandations de la Commission des clauses abusives pourrait être envisagée, mais l’attribution d’un pouvoir réglementaire à cette instance supposera l’instauration de recours juridictionnels contre ses « décisions ».
- Un progrès a été accompli dans le sens de la protection des consommateurs, par l’extension de l’office du juge, mais l’instauration d’une simple faculté de relever d’office les dispositions du code de la consommation porte en elle les germes d’une inégalité de traitement entre les justiciables, selon que le juge saisi du litige décidera ou non de l’exercer, cet exercice étant à l’évidence laissé à sa discrétion. En dépit des risques que comporte, à mes yeux, une telle extension de l’office du juge, il serait plus logique qu’une obligation fût substituée à la simple faculté actuellement prévue par la loi.
- Un autre progrès pourrait être aisément accompli, si l’on consentait à se défaire du fantasme des arrêts de règlement, en conférant un effet général aux décisions rendues en matière de clauses abusives.
Un tel “inventaire à la Prévert” montre bien que toutes les voies n’ont pas été explorées et qu’il reste encore de beaux jours à la recherche d’une meilleure protection des consommateurs contre les clauses abusives.