La Commission des clauses abusives,
Vu les dispositions du Code de la Consommation et notamment les articles L.132-1 à L.132-5 ;
Vu les dispositions du Code des Assurances et notamment les articles L.127-1 à L.127-7 ;
Vu les dispositions du Code de la Mutualité et notamment les articles L.224-1 à L.224-7 ;
Vu les dispositions du Nouveau Code de procédure civile et notamment les articles 42 et suivants ;
Entendu les représentants des assureurs concernés ;
Considérant que l’assurance de protection juridique est de plus en plus souscrite, d’autant qu’elle a vocation à répondre aux problèmes juridiques engendrés par la société moderne ; que le contenu de ces contrats a été étudié par le Conseil National de la Consommation qui a souhaité, dans son avis du 21 décembre 2000 relatif à l’information du consommateur dans le secteur des honoraires des avocats (BOCCRF du 01/01/01), la saisine de la Commission des clauses abusives afin de vérifier si certains de ces contrats ne comportaient pas de clauses abusives au sens du code de la consommation ;
A) Sur les obligations de l’assuré concernant la déclaration du sinistre :
1 – Considérant que certains contrats laissent à l’appréciation de l’assureur le délai pendant lequel l’assuré est tenu de faire sa déclaration de sinistre sous peine de déchéance de la garantie, alors que l’article L.113-2 du code des assurances prévoit un délai minimum d’ordre public qui ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés ; qu’une telle clause, qui laisse à l’appréciation de l’assureur le délai pendant lequel l’assuré est tenu de faire sa déclaration, est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
B) Sur le point de départ du délai imposé à l’assuré pour déclarer le sinistre sous peine de déchéance :
2 – Considérant que, dans un contrat, le point de départ du délai imposé à l’assuré pour déclarer ce sinistre sous peine de déchéance de la garantie est » l’origine du sinistre » ; qu’une telle clause a pour effet de priver l’assuré du bénéfice de la garantie dans le cas où il n’aurait pas eu connaissance de la survenance du sinistre dès son origine ; qu’en outre, conformément à l’article L.113-2 du code des assurances, la déchéance ne peut être prononcée que si l’assureur prouve que le retard lui a causé un préjudice et si l’assuré ne se prévaut pas de la force majeure ; qu’en conséquence, cette clause crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
C ) Sur la déchéance de la garantie en cas de retard dans la déclaration de sinistre :
3 – Considérant que certains contrats qui stipulent, par exemple, que » vous devez respecter les obligations énumérées ci-après; à défaut vous perdrez le bénéfice des garanties de votre contrat ; vous devez déclarer à (votre assureur) les litiges dont vous avez connaissance dans les meilleurs délais et par écrit. Les déclarations tardives ou postérieures à la date de résiliation du contrat ne sont pas garanties « , laissent croire à l’assuré que la déchéance de la garantie est automatiquement encourue, même en l’absence de préjudice pour l’assureur et si l’assuré ne se prévaut pas de la force majeure, en contradiction avec les dispositions de l’article L.113-2 du code des assurances ; que ces clauses sont abusives ;
4 – Considérant qu’une majorité de contrats prévoient que l’assuré ne peut pas saisir d’avocat sans avoir préalablement soit déclaré le sinistre, soit consulté le spécialiste de l’assureur, à peine de déchéance de la garantie ; qu’une telle clause, qui stipule une déchéance de garantie automatique, sans que l’assureur ait à justifier d’un préjudice, crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
D) Sur le choix de l’avocat
5 – Considérant que :
- deux contrats prévoient que le choix de l’avocat appartient à l’assureur dès lors que plusieurs assurés ont des intérêts identiques dans le même différend ;
- un contrat prévoit que, si plusieurs assurés ont des intérêts identiques dans un même litige, l’assureur leur impose un avocat unique ;
que, par ailleurs, la liberté de choix de l’avocat par l’assuré est expressément prévue par l’article L.127-3 du code des assurances ; que de telles clauses sont illicites, et que, maintenues dans les contrats, elles sont abusives ;
6 – Considérant que :
- certains contrats prévoient que l’assuré ne peut pas choisir son avocat si les honoraires de celui-ci ne sont pas préalablement acceptés par l’assureur ;
- que le montant susceptible d’être accepté par l’assureur n’est pas toujours connu par l’assuré lors de la souscription du contrat ;
- que quelques contrats prévoient que la prise en charge par l’assureur des frais d’avocat est fondée sur une évaluation non connue par l’assuré lors de la formation du contrat ; qu’ainsi il est stipulé :
- que » les honoraires seront pris en charge dans la limite d’un montant évalué par référence aux honoraires moyens pratiqués par les confrères de barreau de cet avocat pour des litiges similaires et requérant les mêmes diligences » ;
- que » les frais d’avocat sont couverts dans la limite de ceux habituellement pratiqués dans les relations entre les sociétés d’assurance et les avocats en se référant, notamment, au barème établi annuellement par l’association des avocats des compagnies d’assurances » ;
- ou que » l’assureur remboursera ou prendra en charge les honoraires d’avocat dans la limite du barème librement négocié, à la vue du dossier, entre l’avocat et celui de l’assureur » ;
7- Considérant que certains contrats prévoient que si l’assuré choisit son avocat, il doit faire l’avance des frais et honoraires alors que les modalités et délai du remboursement de l’assuré ne sont pas précisés dans ces contrats ; que ces clauses, qui sont susceptibles de porter atteinte au libre choix de l’avocat, créent un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
E) Sur la portée des engagements de l’assureur :
8 – Considérant qu’une clause stipule :
- » Un ticket modérateur de 10% des débours (porté à 20% la première année du contrat et à 15% la deuxième année du contrat) sans pouvoir être inférieur à la somme indiquée sur les conditions particulières à la rubrique » compléments éventuels :sinistre » (291frs au 01/01/1988), ni supérieur à 10 fois la dernière cotisation annuelle du contrat. » ;
qu’une telle clause, qui n’est ni claire ni compréhensible, crée une ambiguïté sur la portée des engagements de l’assureur, notamment sur les conditions de prise en charge du sinistre et les frais qui resteront à la charge de l’assuré, si la garantie devait être mise en œuvre ; qu’une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
F) Sur le conflit d’intérêts
9 – Considérant que certains contrats prévoient que les litiges et différends opposant l’assuré à l’assureur ne sont pas garantis ; que ces contrats obligent toutefois l’assuré à communiquer à l’assureur les documents du dossier émanant de son conseil ; qu’une telle clause crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
G) Sur la subrogation
10 – Considérant que certains contrats prévoient que les sommes allouées au titre des frais et dépens (ex : article 700 du nouveau code de procédure civile, 475-1 du code de procédure pénale) sont acquises à la société dans la mesure où elle a supporté les frais de procédure ; qu’ainsi la société d’assurance peut recevoir à ce titre plus que les frais qu’elle a exposés, alors même que l’assuré peut avoir engagé des frais non pris en charge par l’assureur, qu’il ait ou non librement choisi son avocat ; que ces clauses créent un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
H) Sur la direction du procès
11 – Considérant qu’un contrat confère au seul assureur la direction du procès ; qu’une telle clause, qui ne réserve pas à l’assuré la possibilité d’intervenir pour faire valoir ses droits, s’il y a intérêt, est de nature à créer un déséquilibre significatif ;
I) Sur le paiement de la prime
12 –Considérant que quelques contrats prévoient que le paiement de la prime doit obligatoirement s’effectuer par prélèvement automatique ; que le retrait ou l’absence de cette autorisation rendrait la prime annuelle exigible immédiatement et en totalité, indépendamment du droit pour l’assureur de résilier le contrat ; que ces clauses, en ce qu’elles privent l’assuré de la faculté de se libérer par un autre moyen de paiement licite, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
J) Sur la faculté de résiliation, par l’assuré, des autres contrats d’assurance :
13 – Considérant que, conformément à l’article R.113-10 du code des assurances, d’une part, l’assuré peut, dans le délai d’un mois de la notification par l’assureur de la résiliation du contrat après sinistre, résilier les autres contrats d’assurance qu’il peut avoir souscrits auprès de lui ; que, d’autre part, le contrat doit reconnaître ce droit ; que certains contrats ne prévoient aucune clause informant l’assuré de ce droit ; que d’autres contrats peuvent contenir des clauses rédigées de telle façon qu’elles n’informent pas l’assuré sur son droit de résiliation ; que de telles clauses sont illicites, et que, maintenues dans les contrats, elles sont abusives ;
K) Sur la durée des contrats
14 – Considérant que dans un contrat, la résiliation ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de trois ans ; qu’une telle clause, qui ne permet pas à l’assuré de résilier le contrat à l’expiration du délai d’un an prévu par l’article L.113-12 du code des assurances est illicite, et que, maintenue dans les contrats, elle est abusive ;
L) Sur la compétence territoriale des tribunaux
15 -Considérant que quelques contrats font attribution de compétence au tribunal du siège de l’assureur ; que de telles clauses sont illicites ; que, maintenues dans les contrats, ces clauses sont abusives ;
Recommande que soient éliminées des contrats d’assurance de protection juridique les clauses ayant pour objet ou pour effet :
1 – De laisser croire au consommateur qu’il doit, à peine de déchéance, déclarer son sinistre dans un délai inférieur à celui de cinq jours prévu par la loi ;
2 – D’imposer, sous peine de déchéance automatique de la garantie, » l’origine du sinistre » comme point de départ du délai pour la déclaration de sinistre par l’assuré ;
3 – De laisser croire au consommateur que la déchéance de la garantie peut être automatique, sans que l’assureur ait à justifier d’un préjudice ;
4 – De déchoir de la garantie l’assuré qui a saisi un avocat, sans avoir préalablement déclaré le sinistre, soit consulté le spécialiste de l’assureur, sans que l’assureur ait à justifier d’un préjudice ;
5 – De limiter, de quelque manière que ce soit, la liberté de choix de l’avocat par l’assuré ;
6 – De refuser au consommateur le choix de son avocat :
- si ses honoraires ne sont pas préalablement acceptés par l’assureur ;
- en considération d’un plafond d’honoraires dont le montant n’est pas déterminé ;
7 – De porter atteinte au libre choix de l’avocat en ne précisant pas les délais et modalités de remboursement de l’assuré qui fait l’avance des frais et honoraires ;
8 – De créer une ambiguïté sur la portée des engagements de l’assureur, les conditions de prise en charge du sinistre et les frais qui resteront à la charge de l’assuré, si la garantie devait être mise en œuvre ;
9 – D’obliger le consommateur à communiquer à l’assureur, auquel l’oppose un différend, les documents émanant de son propre conseil ;
10 – De prévoir que les sommes allouées au titre des frais et dépens seront affectées au remboursement des seuls frais exposés par l’assureur, sans couvrir prioritairement le remboursement des frais exposés par l’assuré ;
11 – D’empêcher l’assuré de participer à la direction du procès ;
12 – D’imposer le prélèvement automatique sur compte bancaire comme unique moyen de paiement ;
13 – De prévoir pour l’assureur une faculté de résiliation après sinistre, sans indiquer la faculté consécutive pour l’assuré de résilier, dans le délai d’un mois, les autres contrats qu’il peut avoir souscrits auprès de cet assureur ;
14 – D’interdire au consommateur de résilier le contrat chaque année, conformément à l’article L.113-12 du code des assurances ;
15 – De déroger aux règles légales de compétence territoriale.
(Texte adopté le 21 février 2002 sur le rapport de Mme Corinne Solal)
Voir également :
Jurisprudence relative aux clauses abusives dans le secteur de l’assurance