La Commission des clauses abusives,
Vu les dispositions du Code de la Consommation et notamment les articles L. 132-1 à L. 132-5 et L. 312-1 à L. 313-16 ;
Vu les dispositions du Nouveau Code de procédure civile et notamment les articles 42 et suivants ;
Entendu les représentants des établissements bancaires et organisation professionnelle concernés ;
Considérant que les contrats proposés par les établissements de crédit ont conduit une association de consommateurs à saisir la Commission des clauses abusives sur les clauses de variation de taux insérées dans les contrats de prêts immobiliers ; que la Commission a décidé d’étendre sa saisine aux contrats de prêt immobilier dans leur entier ;
A) Sur les obligations de l’emprunteur concernant le paiement de frais divers et sur le droit de visite du prêteur
1-Considérant qu’un contrat stipule : » (…) A tout moment, le prêteur aura le droit d’accès à la propriété, afin de contrôler l’observation de cette clause, et l’emprunteur devra supporter les frais occasionnés par la visite des lieux. Tous les frais des présentes et leurs suites sont à la charge de l’emprunteur, de même que tous les frais occasionnés par la constitution et éventuellement le renouvellement des garanties (…) » ; qu’une telle clause, qui permet au prêteur de réclamer de façon discrétionnaire, sans avoir à en justifier la nécessité ou le montant, le remboursement de certains frais, est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L.132-1 du code de la consommation ;
2 Considérant qu’en outre ce même contrat prévoit : « ( …) A tout moment, le prêteur aura le droit d’accès à la propriété, afin de contrôler l’observation de cette clause (…) » ; qu’une telle clause, en ce qu’elle permet au prêteur de visiter à tout moment les biens financés sans préciser les modalités de ce droit de visite, apparaît contraire à l’article 9 du Code civil, que maintenue dans les contrats, cette clause est abusive ;
3- Considérant que :
-un contrat stipule : » (…) L’emprunteur s’oblige à rembourser au prêteur, avec intérêts au taux du prêt alors en vigueur à partir du jour de l’avance, tous les frais et débours qu’il plaira au prêteur de faire pour assurer la garantie et le remboursement des sommes dues, pour l’assurance contre l’incendie et autres risques et pour la conservation des biens financés en bon état, ainsi que pour la délivrance des pièces justificatives à cet égard (…) » ;
-un autre contrat prévoit qu’en cas de modification législative ou réglementaire de l’indice choisi pour le prêt, il est possible pour l’emprunteur de refuser le nouvel indice proposé par le prêteur et de saisir le juge qui ordonnera une période de négociations sous l’égide d’un observateur qu’il nommera ; il appartiendra alors à l’emprunteur de prendre à sa charge exclusive les frais de procédure et d’observateur ;
Que ces clauses, en ce qu’elles mettent à la charge exclusive de l’emprunteur différents frais de remboursement ou de procédure, contreviennent à l’article 32 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, qu’elles sont illicites et que maintenues dans les contrats, elles sont abusives ; qu’en outre, elles sont de nature à dissuader l’emprunteur d’engager une action en justice, en contredisant, notamment, pour la seconde d’entre elles, la possibilité offerte au juge par l’article 696 NCPC de mettre tout ou partie des dépens à la charge d’une autre partie que la perdante ;
B) Sur la variation du taux d’intérêt.
4- Considérant que, dans un contrat, une clause de variation optionnelle donne à l’emprunteur la possibilité de choisir les modalités de ses remboursements en cas de variation du taux d’intérêt, sans toutefois préciser la date à laquelle cette information doit être communiquée par le prêteur à l’emprunteur ; que ce dernier doit en revanche choisir l’une des options proposée par le prêteur dans le contrat dans un délai de 10 jours ouvrés avant la date d’amortissement ou d’échéance du prêt ; qu’à défaut de réponse dans ce délai, le prêteur appliquera automatiquement l’option prévue par le contrat ; qu’une telle clause, qui n’impose pas au prêteur d’informer l’emprunteur avant une certaine date afin que ce dernier puisse exercer son choix en temps utile, apparaît de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L 132-1 du code de la consommation ;
5- Considérant qu’un autre contrat confère au prêteur la possibilité de réviser à la hausse ou à la baisse le taux des prêts accordés afin de lui permettre de remplir son objet social conformément à son statut de coopérative et au but non lucratif de son activité ; qu’en cas cependant de désaccord de l’emprunteur, la fixation du taux est alors laissée au président de la Fédération, ce taux ainsi fixé s’appliquant jusqu’à sa révision suivante ; qu’une telle clause qui laisse au seul prêteur le choix de la variation du taux ainsi que de son amplitude ou qui confère à son organe de direction un pouvoir de décision en cas de différend, crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur ;
C) Sur la compensation
6-Considérant que :
-certains contrats autorisent le prêteur à compenser, de plein droit, toutes sommes échues et toutes indemnités avec les sommes qu’il pourrait éventuellement devoir au consommateur à un titre quelconque, l’imputation s’effectuant suivant l’ordre choisi par le prêteur ; que ces contrats comportent également des clauses de domiciliation de revenus ;
-d’autres contrats prévoient qu’en cas de survenance de l’un quelconque des événements prévus dans le contrat, le prêteur pourra, notamment, compenser le solde du prêt avec tous les comptes que l’emprunteur ou l’un quelconque des emprunteurs possède auprès du prêteur, quelle que soit la qualification ou la classification attribuée à ces comptes ; que ces contrats comportent également une obligation de domiciliation des revenus ;
Que de telles clauses, qui ouvrent à la banque la faculté de faire jouer la compensation entre toutes les créances dues au titre du prêt qu’elle invoque et tous les comptes, y compris ceux à terme, de son client, même en présence d’une possibilité de contestation ultérieure, est susceptible de créer un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au détriment du consommateur ;
Que le déséquilibre significatif au sens de l’article L132-1 du code de la consommation, engendré par la clause de compensation, est renforcé par la clause de domiciliation des revenus ce qui ne peut que fragiliser davantage la situation de l’emprunteur, notamment à l’égard de ses autres créanciers ;
D) Sur la domiciliation des revenus
7- Considérant que :
– certaines clauses prévoient que l’emprunteur ouvrira obligatoirement un compte de dépôt à vue chez le prêteur et que ce dernier est autorisé de façon permanente à débiter le compte de l’emprunteur du montant des sommes exigibles ;
– d’autres clauses stipulent que l’emprunteur s’oblige à domicilier auprès du prêteur ses revenus, quelle que soit leur nature ou leur origine (salaire, pension etc…), pendant toute la durée du prêt ;
Que le non-respect de ces clauses est sanctionné par la déchéance du terme et qu’en outre cette déchéance est encourue alors même que l’emprunteur aura toujours satisfait à ses remboursements, que de telles clauses peuvent apparaître déséquilibrées au sens de l’article L132-1 du code de la consommation ; qu’enfin, les clauses selon lesquelles l’emprunteur est tenu, pendant toute la durée du prêt, de verser l’ensemble de ses revenus sur un même compte dans l’établissement du prêteur peuvent apparaître déséquilibrées si cette obligation n’est accompagnée d’aucune contrepartie individualisée au profit de l’emprunteur ;
E) Sur les sommes dues par l’emprunteur en cas de défaillance
8- Considérant qu’une clause prévoit qu’en cas de survenance d’un des cas de déchéance du terme prévu dans le contrat, le prêteur pourra, notamment, exiger le remboursement des frais taxables occasionnés par la défaillance des emprunteurs ; que cependant au terme de l’article L.312-23 du code de la consommation, le prêteur peut demander le remboursement des frais taxables sur justification, lesquels lui auront été occasionnés par la défaillance de l’emprunteur à l’exclusion de tout remboursement forfaitaire de frais de recouvrement ; qu’en ne mentionnant pas cette information, cette clause laisse supposer que le prêteur peut réclamer le remboursement des frais taxables sans produire de justificatifs ;
F) Sur l’exigibilité par anticipation
9- Considérant que les clauses suivantes prévoient une exigibilité par anticipation de plein droit:
– si d’une manière générale, l’une des obligations prévues au contrat de prêt n’était pas observée ;
– si par exemple, les renseignements et documents de toute nature fournis par l’emprunteur ne sont pas conformes à la réalité et en particulier si les déclarations faites par l’emprunteur viennent à se révéler fausses ou inexactes;
-en cas, notamment, de défaut de paiement à bonne date par l’emprunteur ou les cautions d’une somme due à quiconque, comme par exemples les charges de travaux de copropriété du bien donné, taxes, cotisations sociales et autres, de même en cas d’absence de réception des rémunérations ou revenus lorsque leur domiciliation a été exigée ;
Qu’en outre, certaines clauses prévoient que le prêteur n’aurait pas à faire prononcer en justice la déchéance du terme qui lui demeurerait acquise nonobstant tous paiements ou régularisations postérieurs à l’exigibilité prononcée ;
Que ces clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, dès lors, notamment, que l’emprunteur n’a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt ou que l’une quelconque des déclarations faites par l’emprunteur ont été reconnues fausses ou inexactes sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où, elles tendent à laisser penser que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d’une part l’existence d’une inobservation commise par l’emprunteur et, d’autre part une inexactitude dans les déclarations de l’emprunteur, et qu’au surplus, elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien fondé de cette déchéance, que ces clauses apparaissent significativement déséquilibrées ;
G) Sur la compétence territoriale des tribunaux
10- Considérant que quelques contrats font attribution de compétence au tribunal du siège du prêteur et que d’autres contrats prévoient que le prêteur pourra choisir entre les tribunaux du siège social de la banque, du lieu de situation de l’immeuble affecté en garantie, ou du domicile de l’emprunteur ; que de telles clauses sont illicites, que maintenues dans les contrats, ces clauses sont abusives ;
Recommande que soient éliminées des contrats de prêt immobilier les clauses ayant pour objet ou pour effet :
1- D’obliger l’emprunteur à rembourser certains frais exposés de façon discrétionnaire par le prêteur sans en justifier la nécessité ou le montant ;
2- De permettre au prêteur de visiter à tout moment les biens financés sans préciser les modalités de ce droit de visite ;
3- De mettre à la charge exclusive de l’emprunteur les frais de recouvrement ou de procédure;
4- De prévoir, en cas de variation du taux d’intérêt du prêt, soit à la hausse soit à la baisse, la possibilité pour l’emprunteur de modifier les modalités de ses remboursements en choisissant l’une des options proposées par le prêteur, à condition de respecter un certain délai pour exprimer ce choix, sans indiquer, la date à laquelle le prêteur devra communiquer à l’emprunteur toutes les informations utiles pour exercer son choix ;
5-De laisser au seul prêteur professionnel, fut-il une société coopérative, le choix de la variation du taux d’intérêt ainsi que de son amplitude ou de conférer à son organe de direction un pouvoir de décision en cas de différend ;
6- D’autoriser le prêteur à compenser une créance qu’il invoque relativement au prêt avec toutes sommes qu’il pourrait devoir à l’emprunteur, quand bien même les conditions de la compensation légale ne seraient pas réunies ;
7- D’obliger l’emprunteur, pendant toute la durée du prêt, à verser l’ensemble de ses revenus sur un même compte dans l’établissement prêteur, sous peine de déchéance du terme, alors même que l’emprunteur aura ponctuellement satisfait à ses remboursements et de ne prévoir aucune contrepartie individualisée à cette obligation au profit de l’emprunteur;
8- De laisser croire que le prêteur peut réclamer le remboursement de frais taxables sans produire de justificatifs ;
9- De laisser croire que le prêteur peut prononcer la déchéance du terme en cas d’inobservation d’une quelconque obligation ou en cas de déclaration fausse ou inexacte relative à une demande de renseignements non essentiels à la conclusion du contrat, et sans que le consommateur puisse recourir au juge pour contester le bien fondé de cette déchéance ;
10- De déroger aux règles légales de compétence territoriale.
Texte adopté le 27 mai 2004 sur le rapport de Mme Corinne Solal
Voir également :
Jurisprudence relative aux clauses abusives dans le secteur financier