Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-20.717
Prêt libellé en devise étrangère — Obligation d’information de la banque — Fonctionnement concret du mécanisme financier — Évaluation des conséquences économiques —
EXTRAITS :
« Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné́ de base légale à sa décision. »
ANALYSE :
Invitée à statuer dans le contentieux Helvet Immo à la suite d’un pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 avril 2019 rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 1ère, 16 mai 2018, n°17-11.337) la première chambre civile de la Cour de cassation énonce pour la première fois, sous le visa de l’ancien article 1147 du Code civil (d’où elle déduit depuis une jurisprudence ancienne le devoir de mise en garde du banquier), que lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’Etat où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intêrêt étranger ».
Elle casse l’arrêt d’appel de la Cour d’appel de Paris pour n’avoir pas procédé à cette recherche.
Dans l’espèce qui lui était soumise, la Cour de cassation, qui a également statué sur la prescription de l’action en réputé non écrit n’était pas invitée à se prononcer sur le caractère abusif de la clause. Cependant, elle s’inspire du principe de transparence matérielle posée par la Cour de justice de l’Union européenne en matière de clause abusive pour procéder à un revirement de jurisprudence sur le devoir d’information du banquier.
Le principe de transparence matérielle résulte de l’interprétation de l’article 4.2 de la directive selon lequel « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (C. consom., art. ‘L. 212-1, al. 3). La Cour de justice a en effet affirmé que « l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses […] posée par la directive doit être entendue de manière extensive » afin de satisfaire à l’information du consommateur (CJUE 30 avr. 2014, Kásler et Káslerné Rábai, aff. C-26/13). Concrètement, l’exigence de transparence des clauses ne se réduit pas au caractère compréhensible de celles-ci sur un plan formel et grammatical. Elle suppose de vérifier que le professionnel a, en outre, fourni une information précontractuelle « permettant à un consommateur moyen […] de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, gr. ch., 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, aff. C-125/18, pt. 49).
Or, la Cour de cassation dans les affaires Hevet Immo considérait qu’il suffisait que les variations du mécanisme de change aient été exposées au consommateur (Civ. 1re, 20 févr. 2019, nos 17-31067et 17-31.065) pour considérer que les clauses portant sur l’objet principal du contrat étaint claires et compréhensibles, et par conséquent exemptes du contrôle de l’abus. Cependant, cette jurisprudence semblait condamnée par l’arrêt BNP Paribas dans lequel la CJUE a énoncé que « L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance). Hormis la référence à la directive 93/13, qui n’était pas applicable à la question du devoir d’information du banquier, la solution de la CJUE est explicitement reprise par la Cour de cassation pour fonder sa cassation. Elle induit donc du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives.
Aussi, bien que ne portant pas sur le caractère abusif de la clause, cet arrêt trouve toute sa place sur le site de la Commission des clauses abusives, en ce qu’il se fonde sur un principe de transparence matérielle dégagé sur le fondement de la directive 93/13 sur les clauses abusives.
Voir également :
– CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance