Clauses abusives – Protection du consommateur- Principe d’effectivité – Principe d’équivalence – Prescription – Intérêts moratoires
EXTRAITS
« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que, dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat contient une clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister :
ils s’opposent à ce que la compensation demandée par le consommateur concerné au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées en exécution du contrat en cause soit diminuée de l’équivalent des intérêts que cet établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur.”
ANALYSE
La présente décision fait état d’un litige opposant des particuliers à un établissement bancaire, au sujet du remboursement de sommes versées à cette dernière au titre d’un contrat de prêt hypothécaire devant être annulé pour clauses abusives. En effet le contrat de prêt était assorti d’intérêts à taux variable, libellé en zlotys polonais et indexé sur le franc suisse. Ainsi, les particuliers devaient, au titre de leur créance, et en vertu de la clause de conversion, jugée abusive, verser des mensualités en zlotys en y appliquant le cours de vente du franc suisse à la date du paiement de ces mensualités.
A cette occasion, la juridiction de renvoi se questionne sur l’interprétation du droit polonais retenue par la Cour suprême polonaise dans une résolution du 7 mai 2021. Outre l’interrogation sur le formalisme entourant la renonciation du consommateur à renoncer de façon éclairée à la protection contre les clauses abusives (CJUE 7 déc. 2023, SM, KM, aff. C-140/22) la juridiction de renvoi demande si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens -dans le contexte de l’annulation intégrale d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, au motif que ce contrat contient une clause abusive sans laquelle il ne peut pas subsister- qu’une compensation demandée par le consommateur au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées en exécution du contrat en cause puisse être diminuée de l’équivalent des intérêts que l’établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur.
La juridiction de renvoi soulignait alors, que si s’appliquait l’interprétation de la Cour suprême, la créance d’un consommateur à l’égard d’une banque ne deviendrait exigible qu’après que celui-ci ait déclaré de manière libre et éclairée consentir à l’annulation du contrat. Or si cette interprétation était acceptée, il s’en suivrait, selon la juridiction de renvoi, que même si un consommateur demandait préalablement à une banque de rembourser les sommes indûment payées en raison de la nullité d’un contrat conclu avec celle-ci, sa créance ne serait pas exigible, de telle sorte qu’il ne serait en mesure de prétendre à des intérêts moratoires au taux légal qu’à partir de la date de présentation d’une telle déclaration. Ce serait, toujours au sens de la juridiction de renvoi, une violation du principe d’équivalence, dès lors qu’une créance imprescriptible devient exigible dès la demande de remboursement.
La Cour, saisie de cette question, juge que la directive 1993/13 s’oppose à ce que la compensation demandée par le consommateur concerné au titre de la restitution des sommes qu’il a acquittées en exécution du contrat en cause soit diminuée de l’équivalent des intérêts que cet établissement bancaire aurait perçus si ce contrat était resté en vigueur. En outre, dans un tel contexte et en vertu des articles 6 et 7, premiers paragraphes de la directive 93/13, il n’est pas possible de donner lieu à une interprétation jurisprudentielle du droit d’un Etat membre selon laquelle ledit établissement bancaire a le droit de demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé au titre de l’exécution du même contrat ainsi que du paiement des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure. [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat), C-520/21, EU:C:2023:478, point 84]. S’il était fait application d’une telle interprétation, cela conduirait à terme à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par l’annulation dudit contrat, et ainsi à porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13.
Dans la présente décision, la Cour de justice de l’union européenne, par le principe d’effectivité de la protection du consommateur, s’oppose à l’interprétation faite par le droit national.