Cass. com. 16 octobre 2024 Pourvoi n° 23-20.114 

 

Prêt — Agir dans le cadre d’une activité professionnelle — Déséquilibre significatif — Clause abusive — Non-professionnel 

  

EXTRAITS : 

« [L’arrêt] relève […] que, ayant souhaité financer des investissements liés à son activité d’accueil, d’insertion et d’hébergement des personnes handicapées, l’association Arc-en-ciel a souscrit le prêt litigieux […]. Il en déduit exactement que le contrat de prêt, destiné à financer des investissements de l’emprunteur, est intervenu pour les besoins des activités professionnelles de l’association Arc-en-ciel.». 

 

  

ANALYSE : 

  

En l’espèce, en 2008, la société Dexia a accordé à l’association Arc-en-ciel un prêt destiné à des investissements immobiliers. En 2011, ce prêt a été transféré à l’Association régionale pour l’intégration (ARI). Contestant une clause relative au remboursement anticipé du prêt, l’ARI a invoqué son caractère abusif, prétendant bénéficier des protections offertes par le code de la consommation en qualité de « non-professionnel ». 

 

La cour d’appel a conclu que le prêt concernait une activité professionnelle (financement immobilier lié à l’accueil et l’hébergement de personnes handicapées). Par conséquent, l’ARI ne pouvait être qualifiée de « non-professionnel » au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation. La demande d’annulation fondée sur une clause abusive a donc été rejetée. 

 

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme que le fait qu’une personne morale n’ait, par principe, aucun but lucratif n’est pas exclusif de l’exercice d’une activité professionnelle. Elle rappelle que l’application du droit de la consommation à une opération de crédit dépend non de la personnalité de la personne morale qui s’engage, mais de la destination contractuelle du prêt, fût-elle accessoire. Elle en déduit que l’utilisation du prêt pour des investissements immobiliers liés à l’accueil et à l’hébergement constitue une activité professionnelle. Dès lors, l’ARI ne pouvait bénéficier des dispositions relatives aux clauses abusives. 

 

 

Voir également : 

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n° 22-13.969   

Cass. civ, 2ème, 3 octobre 2024, n°21-25.823 

 

 

Clause d’exigibilité immédiate – Contrat de prêt – Déchéance du terme – Mise en demeure – Saisie immobilière 

 

EXTRAITS :  

« 6. Pour fixer la créance de la banque à l’égard de M. [D] à la somme de 115 759,75 euros, l’arrêt retient que si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf stipulation expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle, que la clause d’exigibilité immédiate étant réputée non écrite, la banque ne pouvait prononcer valablement la déchéance du terme, sans mise en demeure préalable des débiteurs et qu’il est constant que la banque a envoyé, à l’adresse commune des époux, une lettre de mise en demeure préalable à la déchéance du terme qui ne mentionnait que M. [D]. 

  1. Il en déduit que la déchéance du terme n’a pas été valablement prononcée à l’égard de Mme [D], faute de mise en demeure préalable, mais que la banque a valablement prononcé la déchéance du terme à l’égard de M. [D]. 
  2. En statuant ainsi, après avoir dit que la clause d’exigibilité immédiate stipulée au contrat de prêt constituait une clause abusive qui devait être réputée non écrite, ce dont il résultait que la déchéance du terme ne pouvait reposer sur cette clause, peu important l’envoi par la banque d’une mise en demeure, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.». 

 

ANALYSE :  

Une banque a accordé un prêt à un couple par acte notarié. A la suite d’un défaut de paiement, le prêteur a émis un commandement de payer valant saisie immobilière et a assigné les emprunteurs à une audience d’orientation.  

La Cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 26 octobre 2021, statuant sur renvoi après cassation (Cass. civ ; 2ème, 19 nov. 2020, n°19-19269), a estimé que la clause d’exigibilité figurant au contrat de prêt du 15 juin 2004 était abusive et devait être réputée non écrite, et que la déchéance du terme n’avait pas été valablement prononcée à l’égard de Mme [D], faute de mise en demeure préalable. Cependant, la cour d’appel a considéré que la déchéance du terme avait été valablement prononcée à l’égard de M. [D] qui, lui, avait bien été mis en demeure sur le fondement de la clause. Dès lors, la cour d’appel a estimé que la saisie immobilière était fondée en ce qui concerne M. [D], la créance de la banque, fixée la somme de 115 759,75 euros, étant exigible. 

Les emprunteurs forment un pourvoi en cassation en affirmant que la clause d’exigibilité du contrat de prêt doit être considérée comme abusive. De ce fait, elle doit être réputée non écrite et ne peut permettre au prêteur d’invoquer la déchéance du terme, même avec une mise en demeure préalable, à l’égard de M. [D].  

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt. Elle observe tout d’abord que la cour d’appel a jugé que la clause d’exigibilité immédiate qui était prévue dans le contrat était abusive et par voie de conséquence réputée non écrite en vertu des articles L132-1 du Code de la consommation (dans sa version antérieure) et 1134 du Code civil (dans sa version antérieure), faute pour elle de prévoir une obligation de mise en demeure préalable. Elle observe également que la cour d’appel a considéré que la déchéance du terme sans mise en demeure n’avait pas été valablement prononcée à l’égard de Mme D., faute de mise en demeure préalable, mais qu’elle avait été valablement prononcée à l’égard de M. D. C’est sur ce dernier point que l’arrêt est cassé. En effet, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a conclu que, au regard du réputé non écrit de la clause, la déchéance du terme ne pouvait pas reposer sur cette clause, peu important l’envoi d’une mise en demeure à l’un des deux emprunteurs.  

Cet arrêt permet de clarifier la portée du caractère abusif de la clause d’exigibilité immédiate. Celle-ci étant réputée non écrite, tous les actes pris sur son fondement sont privés d’effet. Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de celui de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 mars 2023 (n°21-16044) statuant sur le caractère abusif d’une clause de déchéance du terme, en apportant des précisions sur les conséquences de cette sanction.  

 

Voir également :  

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n°21-16044

Cass. civ. 1ère, 18 septembre 2024, n°23-11.407, Inédit 

 

 

Clause abusive – Réputé non écrit – Prescription quinquennale – Imprescriptibilité 

 

 

EXTRAIT : 

 

« 9. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance), la CJUE a dit pour droit que l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription. 

  1. Il s’en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 précité n’est pas soumise à la prescription quinquennale. »

 

 

ANALYSE : 

 

Deux prêts immobiliers libellés en francs suisses ont été consentis par une banque. Ces prêts sont intégralement remboursés en mars 2015, par la vente du bien immobilier dont l’acquisition avait été financée par lesdits prêts. Le 4 janvier 2021, soit près de 6 ans plus tard, l’emprunteur assigne la banque en annulation des contrats, en restitution des sommes versées, en compensation des créances réciproques et en indemnisation. Le requérant demande également la constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats et, en conséquence, de voir réputées non écrites ces clauses. 

 

La cour d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 1er décembre 2022, a déclaré irrecevables les actions du requérant comme prescrites. Les juges du fond ont considéré qu’il s’agissait d’actions en responsabilité, soumises à la prescription quinquennale, laquelle avait commencé à courir en septembre 2014, date à laquelle l’emprunteur avait eu connaissance de son préjudice. 

 

L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. Il invoque l’imprescriptibilité de l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause. 

 

La Cour de cassation rend sa décision au visa de deux articles, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016. Le premier est l’article L. 110-4 du code de commerce qui prévoit une prescription quinquennale des obligations entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants. Le second est l’article L. 132-1 du code de la consommation qui donne la définition de la clause abusive et prévoit sa sanction : le réputé non écrit.  

 

Ensuite, la Cour de cassation rappelle la solution de l’arrêt Pannon GSM rendu le 4 juin 2009 par la CJCE. Cette décision fait obligation au juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause dès lors qu’il dispose « des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ». 

 

Elle rappelle également le contenu de l’arrêt BNP Paribas Personal Finance rendu le 10 juin 2021 par la CJUE. Dans cet arrêt, la CJUE pose le principe d’imprescriptibilité, dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, des demandes de constatation du caractère abusif d’une clause. 

 

La Cour déduit du rapprochement de ces deux arrêts que la demande qui tend à voir réputé non écrite une clause abusive n’est pas soumise à la prescription quinquennale. Elle cite d’ailleurs sur ce point un de ses arrêts précédemment rendu : Cass. 1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-17.996, publié. 

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui déclare prescrites les actions du requérant tendant à voir réputer non écrite une clause. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la Cour de cassation décide ensuite de statuer au fond. Sur le fond, elle infirme l’ordonnance du juge de la mise en état ayant admis la fin de non-recevoir tirée de la prescription et dit que l’instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire. 

 

Voir également : 

CJCE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM 

CJUE BNP Paribas Personal Finance, 10 juin 2021 

1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-17.996 

Cass. civ.1ère, 18 septembre 2024, n° 22-21.976 

Contrat de prêt — devise étrangère — Clause de variation du taux d’intérêt — Office du juge— Exigence de transparence de la clause — Information suffisante et exacte envers le consommateur 

 

EXTRAITS:  

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : […]. 

En statuant ainsi, sans examiner d’office, ainsi qu’il le lui incombait dès lors qu’elle disposait des éléments de fait et de droit nécessaires compte tenu des modalités, définies par le contrat, de fixation du taux d’intérêt, le caractère abusif de la clause du contrat de prêt autorisant les emprunteurs à tirer le prêt dans une devise étrangère devenant la monnaie de compte, la cour d’appel a violé le texte susvisé. […]. 

En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. ». 

 

ANALYSE:  

Une banque danoise a consenti à des emprunteurs un prêt multidevises, qui pouvait être libellé dans diverses devises étrangères (yens, dollars, etc.) et qui portait un taux d’intérêt variable indexé sur le « Jyske Bank Funding Rate » majoré de 1,75 points. Le prêt a finalement été tiré en francs suisses. Par la suite, les emprunteurs ont assigné la banque en responsabilité et ont demandé des dommages et intérêts, en se fondant notamment sur le caractère abusif de la clause de variation des intérêts.  

La Cour d’appel a débouté les emprunteurs, en indiquant notamment que la clause de variation du taux d’intérêt porte sur l’objet du contrat et est rédigée de façon claire et compréhensible, sans examiner d’office si cette clause revêtait d’un caractère abusif, et si elle n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs. Par la suite, les emprunteurs ont formé un pourvoi en cassation.  

Les conseillers de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rappellent d’abord que, selon l’arrêt Pannon GSM (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM), le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose.  

Ils rappellent ensuite l’arrêt BNP Paribas Personal Finance (CJUE, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance),aux termes duquel selon l’article 4§2 de la directive 93/13, l’exigence de transparence des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat. Également, selon l’article 3§1 de la même directive, les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. 

Dès lors, les conseillers de la Première chambre civile de la Cour de cassation cassent et annulent la décision d’appel et déclarent, qu’en retenant que la clause litigieuse, qui portait sur l’objet du contrat, était rédigée de manière claire et compréhensible, sans avoir examiné d’office le caractère abusif de cette clause, et sans avoir recherché si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision, et a violé l’ancien article L132-1 du Code de la consommation (devenu L212-1 du même code). 

Voir également :  

Cass. civ.1ère 18 septembre 2024 n°22-17746  

 

Contrat de prêt — Caractère abusif des clauses — Déséquilibre significatif — Clauses abusives — devoir de mise en garde  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008- 776 du 4 août 2008 et l’article 2224 du code civil. 

 (…). 

  1. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les clauses critiquées, l’arrêt retient que ces clauses définissent l’objet principal des contrats de prêt et qu’elles sont compréhensibles par tout lecteur normalement attentif et diligent, en ce qu’elles alertent clairement l’emprunteur sur l’existence d’un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt, qu’elles doivent également être appréciées au regard des autres dispositions de l’acte de prêt décrivant le coût du crédit et d’où il ressort qu’en l’absence de ressources d’origine suisses, et hors demande de conversion en euros, le paiement des échéances de remboursement doit nécessairement s’opérer par la conversion en francs suisses de règlements en euros, et qu’il avait été remis aux emprunteurs avant l’acceptation de la première offre de prêt, une attestation par laquelle ils certifiaient, notamment, « avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse ».

    8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que ces clauses ne permettaient pas, à elles seules, d’apprécier le caractère personnalisé des explications qui avaient pu être fournies, que les emprunteurs n’avaient reçu aucune simulation chiffrée et que l’attestation était rédigée en termes relativement généraux, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé. 

 

 

ANALYSE : 

Les 18 décembre 2006 et 7 décembre 2007, une banque (Crédit Mutuel) a accordé à des époux trois prêts en francs suisses, remboursables en euros, avec des intérêts à taux variables indexés sur le Libor trois mois. Le 12 octobre 2017, les emprunteurs ont assigné la banque, demandant que les clauses concernant le risque de change soient déclarées abusives et réputées non écrites. Ils ont également assigné la banque en responsabilité pour avoir manqué à son obligation de mise en garde. 

La cour d’appel a jugé que les clauses n’étaient pas abusive puisque ces clauses définissent l’objet principal des contrats de prêt et qu’elles sont compréhensibles par tout lecteur normalement attentif et diligent, en ce qu’elles alertent clairement l’emprunteur sur l’existence d’un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt. La cour d’appel avait notamment considéré qu’avait été remis aux emprunteurs avant l’acceptation de la première offre de prêt, une attestation par laquelle ils certifiaient, notamment, « avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse 

L’arrêt est cassé.  

La Cour de cassation observe que les juges du fond ont relevé que les clauses ne permettaient pas, à elles seules, d’apprécier le caractère personnalisé des explications qui avaient pu être fournies, que les emprunteurs n’avaient reçu aucune simulation chiffrée et que l’attestation était rédigée en termes relativement généraux. 

Elle en déduit qu’ils n’ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations. En effet dès lors qu’ils avaient relevé que les clauses “ne permettaient pas, à elles seules, d’apprécier le caractère personnalisé des explications qui avaient pu être fournies”, ils ne pouvaient en déduire qu’elles étaient claires et compréhensibles.  

Voir également : 

-  CJUE, 10 juin 2021 – C-776/19

Cass civ 2ème, 11 juillet 2024, n°24-70.001

Juge de l’exécution –– clause abusive – office du juge – compétence – Difficultés relatives aux titres exécutoires 

 

EXTRAITS : 

« II. La constatation par le juge de l’exécution du caractère réputé non écrit d’une clause abusive 

  1. L’application du droit de l’Union européenne implique que le juge de l’exécution qui retient le caractère abusif d’une clause, doit, en application du principe d’effectivité, en tirer toutes les conséquences et la réputer non écrite. Il doit ressortir de l’ensemble de sa décision qu’il a procédé à cet examen.
  2. La jurisprudence de la CJUE n’impose pas au juge de l’exécution d’indiquer dans le dispositif de sa décision un chef de dispositif réputant la clause non écrite. Elle ne le prohibe pas non plus.
  3. Il convient, dès lors, d’appliquer les règles de droit interne de procédure civile.
  4. Il en résulte que le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive. » 

 

ANALYSE : 

Dans cette décision, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond à une demande d’avis formée le 11 janvier 2024 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris (TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS, 11 JANVIER 2024, N°RG 20/81791). Plusieurs questions se posaient.  

Premièrement, il était question de savoir si le juge de l’exécution pouvait, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites. 

En cas de réponse positive, se posait la question de savoir si lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, le juge de l’exécution pouvait annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance. En outre, se posait la question de savoir si le juge de l’exécution pouvait modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée. 

Pour répondre à ces questions, la Cour de cassation s’est fondée sur la jurisprudence rendue par la CJUE en la matière, notamment sur son célèbre Simmenthal rendu le 9 mars 1978 (affaire 106/77) duquel découle une obligation pour le juge national d’appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquée toute disposition qui empêcherait le particulier de se prévaloir de ses droits issus du droit communautaire.  

La deuxième chambre civile rappelle que le juge de l’exécution a l’obligation de relever d’office les clauses abusives dans un contrat de consommation, et ce même en présence d’une injonction de payer ou d’une décision ayant force de chose jugée (Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763 et Cass. civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-14.540).  

Concernant la première question relative à la compétence du juge de l’exécution pour constater le caractère réputé non écrit d’une clause abusive, la Cour retient qu’il doit tirer les conséquences du caractère abusif de la clause mais que la jurisprudence de la CJUE n’exige pas de lui qu’il indique, dans le dispositif sa décision, que la clause est réputée non écrite. En conséquence, la deuxième chambre civile, tirant parti du principe de l’autonomie procédurale.  Retient, que le juge de l’exécution peut constater le caractère réputé non écrit d’une clause abusive dans son dispositif. 

Sur la question des conséquences de la constatation par le juge de l’exécution du caractère abusif d’une clause, lorsque le titre exécutoire est une décision juridictionnelle, la Cour retient, en application de la jurisprudence européenne, que le consommateur doit être replacé dans une situation, en droit et en fait, qui aurait été la sienne en l’absence de cette clause. En application du droit français, et notamment de l’article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, elle affirme que le juge de l’exécution qui répute non écrite une clause abusive, ne peut pas annuler ou modifier le titre exécutoire, ni statuer sur une demande en paiement. Cependant, la Cour de cassation apporte une atténuation liér à la circonstance que le titre exécutoire se trouve privé d’effet en raison du réputé non écrit de la clause abusive. A raison de la perte de ce fondement juridique, le juge de l’exécution doit calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi. 

 Ainsi, le juge de l’exécution, qui a l’obligation de relever d’office les clauses abusives, peut constater dans le dispositif de sa décision le caractère réputé non écrit de telles clauses. En revanche il ne pourra pas annuler ou modifier le titre exécutoire qui commande l’exécution du contrat contenant ces clauses. Il ne pourra pas non plus statuer sur une demande en paiement. Il devra cependant tirer toutes les conséquences possibles du nouveau calcul de la créance, notamment sur le sort des mesures d’exécution dont il est saisi.  

 

Voir également :  

CJUE, 9 mars 1978, Simmenthal, affaire 106/77   

CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14 – Banco Primus  

CJUE, 18 janvier 2024, aff. C-531/22 – Getin Noble Bank E.A  

Cass. civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-14.540

Cass. civ. 1ère, 29 mai 2024, n°23-12.904, Publié au bulletin

Protection des consommateurs – Clauses abusives – Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties 

EXTRAITS : 

“Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016: 

(…) 

  1. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d’appel a violé le texte susvisé”

 

ANALYSE : 

Un prêt immobilier a été consenti le 18 juillet 2011 par une banque. A la suite de plusieurs échéances impayées, le prêteur a mis en demeure l’emprunteur, le 30 mars 2018, de régulariser la situation dans un délai de 15 jours. Le 5 juin 2018, la banque a prononcé la déchéance du terme. 

Par un arrêt en date du 5 janvier 2023, la cour d’appel de Metz a condamné l‘emprunteur au paiement de la totalité des sommes dues au titre du prêt, en faisant application d’une clause du contrat autorisant la banque à « se prévaloir de l’exigibilité immédiate du prêt en capital, intérêts et accessoire » sans délai de préavis raisonnable. 

L’emprunteur forme un pourvoi en cassation en invoquant l’absence d’examen d’office par les juges du fond du caractère abusif de la clause litigieuse. 

La Cour de cassation considère que la clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable est abusive, en ce qu’elle expose le consommateur à une “aggravation soudaine des conditions de remboursement”. 

Ainsi, la première chambre civile confirme la solution qu’elle avait déjà apportée dans l’arrêt rendu le 22 mars 2023, n° 21-16.044, affirmant que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler des échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur en ce qu’elle l’expose à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. 

Pour statuer ainsi, la première chambre civile rappelle l’arrêt Banco Primus rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 26 janvier 2017. En effet, dans cet arrêt, la Cour dégage 4 éléments que le juge national doit examiner pour apprécier le caractère abusif d’une clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée.  

Il s’agit premièrement d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution d’une obligation du consommateur essentielle dans le cadre du contrat. Il s’agit ensuite d’apprécier l’existence d’une telle clause en cas d’inexécution du consommateur « suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt ». Le juge national doit également prendre en compte dans son analyse les règles nationales applicables en l’absence d’accord des parties. Enfin, il doit apprécier l’existence dans le droit national de recours laissés au consommateur pour remédier aux effets de ladite clause. 

La première chambre civile rappelle ensuite  que l’arrêt Banco Primus rendu le 26 janvier 2017 suppose que les critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doivent être compris comme un ensemble de circonstances entourant la conclusion du contrat concerné (CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21).  

voir également :  

Cass. civ.1ère, 4 avril 2024, n°23-12-791

Prêt immobilier — activité professionnelle — Association —  

  

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, applicable à la cause : 

 

  1. L’association fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en restitution de la somme de 485 611,87 euros, alors « que, par ailleurs, le professionnel, au sens de la régime des clauses abusives, est celui qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’il agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ; que, de plus, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d’apprécier si le rapport contractuel s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel ; que, pour attribuer à la Congrégation des sœurs de Notre-Dame de la compassion de Toulouse la qualité de professionnel et ainsi exclure l’application des dispositions relatives aux clauses abusives, la cour d’appel a retenu, d’une part, que le contrat de prêt litigieux était destiné à financer un investissement immobilier comportant notamment la création d’une maison de retraite pour lequel elle a passé avec une association une convention d’assistance à maîtrise d’ouvrage, d’autre part, qu’aux termes des statuts de l’association qui en assure le fonctionnement, celle-ci agit conformément aux orientations et directives de ladite Congrégation fondatrice » et, enfin, qu’un contrat de bail a été consenti par la congrégation qui porte sur l’ensemble immobilier financé au moyen du prêt, comprenant 78 locaux répartis sur 2007 m2 utiles moyennant un loyer annuel principal de 122 000 euros ;

 

Ayant retenu que l’association avait souscrit le prêt afin d’acquérir, à titre d’investissement immobilier, 2007 m² de terrain et 78 locaux et d’y installer et faire exploiter sous ses directives, moyennant le versement d’un loyer annuel de 122 000 euros, une maison de retraite, la cour d’appel en a exactement déduit que l’association, qui avait agi dans le cadre d’une activité professionnelle, ne pouvait pas se prévaloir du caractère abusif de la clause d’indemnité contractuelle due au prêteur en cas de remboursement anticipé du prêt et que la demande tendant à ce que cette clause soit réputée non écrite devait être rejetée. ». 

 

  

ANALYSE : 

  

En l’espèce, une association liée à la Congrégation des sœurs de Notre-Dame de la Compassion de Toulouse a contracté un prêt immobilier destiné à financer la création d’une maison de retraite. La question de la validité d’une clause d’indemnité contractuelle en cas de remboursement anticipé du prêt s’est posée. L’association a invoqué le caractère abusif de cette clause en se basant sur les dispositions du régime des clauses abusives prévu par le code de la consommation. 

 

La cour d’appel a rejeté la demande de l’association en considérant que cette dernière agissait dans un cadre professionnel. Elle a notamment souligné que le prêt était destiné à un investissement immobilier de grande envergure (acquisition de 2007 m² et 78 locaux) pour la gestion d’une maison de retraite, avec un loyer annuel substantiel. Dès lors, la cour a estimé que l’association ne pouvait pas invoquer la protection accordée par le régime des clauses abusives aux consommateurs. 

 

La Cour de cassation confirme l’analyse de la cour d’appel sur ce point.  

 

Par conséquent, l’association, agissant à titre professionnel, ne peut bénéficier de la protection du régime des clauses abusives prévu par l’article L. 132-1 du code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à 2016). 

 

Cass. civ, 1ère, 13 mars 2024, n°22-24.812  

 

Directive 93/13/CEE – Crédit à la consommation en devise étrangère – principe d’effectivité – office du juge – clauses abusives 

 

EXTRAITS :   

 

« 7. En statuant ainsi, sans examiner d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

 

ANALYSE :  

 

 

Dans sa décision du 13 mars 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation devait statuer sur une clause de remboursement dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) et remboursable dans cette devise étrangère.  

 

La situation est donc différente de celle tranchée dans l’arrêt BNP Paribas Personal Finance rendu le 10 juin 2021 par la Cour de Justice de l’Union Européenne, n°C-776/19, concernant des prêts libellés en francs suisses et remboursables en monnaie nationale (euros). 

 

La Cour considère que le juge du fond doit examiner d’office le potentiel déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment des emprunteurs, au sein de la clause de remboursement d’un contrat de prêt en devise étrangère.  

 

La première chambre civile de la cour de cassation s’appuie sur l’arrêt « Pannon » rendu par la Cour de justice des Communautés Européennes le 4 juin 2009, n° C-243/08, où est établie l’obligation pour un juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle à condition qu’il dispose des éléments de droit et de faits nécessaires à cet effet, et ce sanctionné par l’interdiction de l’application de la clause litigieuse sauf opposition du consommateur. 

 

Aussi la première chambre civile casse l’arrêt d’appel au motif que les juges du fond n’ont pas examiné d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors même qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change,  

 

Cette solution diffère donc de celle rendue le 1er mars 2023 (Cass. civ. 1ère, 1 mars 2023, n° 21-20.260) dans laquelle elle avait jugé que la clause de remboursement d’un prêt libellé et remboursable en francs suisses à un emprunteur percevant ses revenus dans cette devise n’est pas abusive.  

 

En d’autres termes, les juges du fond doivent s’interroger sur le caractère abusif de la clause relative au risque de change tant dans les prêtes remboursables en euros que dans les prêts remboursables en devise étrangère. 

Voir également :  

 CJCE, arrêt du 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM