Cass. civ 1, 13 mars 2024, n° 22-24.812 

Contrat de prêt — Crédit libellé en devise étrangère — Déchéance du terme — Relevé d’office — Clause de remboursement — Directive 93/13 

EXTRAITS : 

Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

5. Interprétant la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit que le juge national était tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l’appliquait pas, sauf si le consommateur s’y opposait (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08)

6.Pour rejeter les demandes des emprunteurs, l’arrêt retient que c’est sans commettre d’abus que la banque a pu prononcer la déchéance du terme dès lors que l’arriéré, constitué depuis le mois de juillet 2013, n’était pas apuré et que si Mme [K] [V] travaillait à l’étranger au moment de l’envoi de l’avis de déchéance du terme, il lui appartenait soit de communiquer ses nouvelles adresses à la banque, soit de faire en sorte que son courrier puisse lui parvenir.

7. En statuant ainsi, sans examiner d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change, la cour d’appel a violé le texte susvisé. 

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un contrat de prêt immobilier libellé en francs suisses et remboursable en francs suisses. Plusieurs années plus tard, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt du fait de la défaillance des consommateurs. Les consommateurs assignent la banque et demandent l’annulation de la déchéance du terme au motif que la clause de remboursement en francs suisses mettait à leur charge un risque de change.  

Les juges du fond rejettent la demande des consommateurs au motif que c’est sans abus que la banque avait prononcé la déchéance du terme du fait de la défaillance des consommateurs.  

La Première Chambre Civile censure le raisonnement des juges du fond en affirmant que les juges du fond n’avaient pas examiné d’office si ladite clause de remboursement constituait ou non un déséquilibre significatif, alors même que les consommateurs avaient invoqué ce caractère abusif dans leur demande. Or depuis, l’arrêt Pannon de la CJUE, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère potentiellement abusif d’une clause. Ainsi, la Cour casse et annule la décision rendue afin de permettre l’appréciation du caractère abusif de ladite clause de remboursement. 

 

Voir également : 

-  CJUE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM 

Cass. civ. 2ème, 15 février 2024, n°22-15.680 

 

Avocat — Honoraires— Contestation — Convention d’honoraires — Domaine d’application — Clauses abusives — Prestations accomplies par l’avocat antérieurement à la rupture de la convention d’honoraires — Calcul — Modalités — Détermination — Paiement — Appréciation du caractère abusif des clauses  

 

EXTRAITS : 

« 6. Il résulte de l’article R.212-1, 5° et 11°, du code de la consommation que dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L.212-1 du même code et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet, d’une part, de contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n’exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d’un bien ou son obligation de fourniture d’un service, d’autre part, de subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par le consommateur au versement d’une indemnité au profit du professionnel.  

  1. La convention d’honoraires, qui confie à un avocat une mission d’assistance ou de représentation pour une procédure judiciaire déterminée, ne constitue pas un contrat à durée indéterminée et, en conséquence, n’entre pas dans les prévisions de l’article R. 212-1, 11°, du code de la consommation. 
  2. En outre, en cas de dessaisissement par le client, le versement d’un honoraire sur la base du taux horaire de l’avocat, aux lieu et place d’un honoraire forfaitaire complété par un honoraire de résultat, qui ne revêt aucun caractère indemnitaire, ne constitue pas une indemnité de résiliation au sens de ce texte ».

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, une personne a confié la défense de ses intérêts dans une procédure prud’homale à une avocate. Lesdites parties ont conclu une convention d’honoraires comportant une clause de dessaisissement selon laquelle « dans l’hypothèse où le client souhaite dessaisir l’avocat, les diligences déjà effectuées seront rémunérées par référence aux taux horaires usuel de l’avocat, soit 250 euros HT et non sur la base des honoraires de base et complémentaires figurant aux articles 2 et 3 de la convention ». À la suite d’un différend avec la cliente, l’avocate a saisi le bâtonnier de son ordre en fixation des honoraires dus par sa cliente, lequel a calculé le montant des honoraires en vertu de la clause. La cliente fait grief à l’ordonnance de confirmer la décision du bâtonnier en ce que le juge est tenu de relever, au besoin d’office, le caractère abusif d’une disposition contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de fait et de droit nécessaire à cet effet.  

Tout d’abord, la Cour de cassation vise l’’article R.212-1, 5 et 11° du code de la consommation qui présume abusives de manière irréfragables dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, les clauses ayant pour objet ou pour effet «  d’une part, de contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n’exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d’un bien ou son obligation de fourniture d’un service, d’autre part, de subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par le consommateur au versement d’une indemnité au profit du professionnel ».  

Ce faisant, elle considère que la convention d’honoraires, qui confie à un avocat une mission d’assistance ou de représentation pour une procédure judiciaire déterminée, ne constitue pas un contrat de durée indéterminée, et subséquemment, n’entre pas dans le champ d’application de l’article R.212-1,11° du code de la consommation. 

En outre, la Cour de cassation confirme que le versement de l’honoraire prévu par la clause ne revêt aucun caractère indemnitaire et ne constitue pas une indemnité de résiliation au sens de l’article R.212-1, 11° du code de la consommation.  

Par conséquent, la Cour de cassation juge que la clause n’est pas abusive et rejette le pourvoi. 

 

Voir également : 

2e Civ., 2 juin 2005, n°04-12.046 

2e Civ., 4 février 2016, n°14-23.960 

2e Civ., 27 octobre 2022, n°21-10.739 

Cass. civ.1ère, 14 février 2024, n°22-21.135 

 

Contrat de prêt immobilier – Taux révisable – Clause de remboursement – Nullité des prêts – Transparence des clauses – Obligations d’information – Devise étrangère. 

 

EXTRAITS : 

«  Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :  

  

  1. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible. 

  

  1. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19, BNP Paribas Personal Finance), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat. 
  2. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les clauses critiquées, l’arrêt retient, d’une part, que ces clauses définissent l’objet principal des contrats de prêt, qu’elles sont parfaitement claires et compréhensibles, en ce qu’elles prévoient que la monnaie de compte est le franc suisse, que le remboursement se fait en euros et que les emprunteurs sont soumis au risque du taux de change, d’autre part, que les clauses du prêt sont peu lisibles, particulièrement complexes et qu’elles ne permettent pas de réaliser de façon claire et transparente que le capital restant dû à l’issue de la durée initiale allongée de cinq ans peut être bien supérieur à celui initialement prévu et que les simulations ne permettaient pas de comprendre les conséquences économiques des crédits, de sorte que la banque a manqué à son obligation d’information transparente sur les conséquences économiques des prêts ».

 

ANALYSE : 

En l’espèce, la société BNP Paribas Personal Finance a accordé deux prêts immobiliers en francs suisses à un couple de consommateurs le 1er avril 2009, avec des taux révisables tous les trois ans. Ces derniers ont poursuivi la banque en justice, alléguant l’abus de la clause de remboursement et réclamant des dommages-intérêts pour défaut d’information et de mise en garde. La Cour de cassation, se fondant sur l’article L. 132-1 du code de la consommation et conformément à l’arrêt BNP Paribas Personal Finance (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C782/19), a jugé que les clauses du contrat étaient peu lisibles, particulièrement complexes et ne permettaient pas une compréhension claire des conséquences économiques des prêts pour les emprunteurs, constituant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. En conséquence, la Cour a cassé l’arrêt attaqué, confirmant ainsi sa jurisprudence antérieure mettant en œuvre la jurisprudence de la CJUE précitée. 

Voir également : 

CJUE, 10 juin 2021, BNP Parisbas Personal Finance, C-776/19 à C782/19

Cass, civ, 1ère, 14 février 2024, n°22-22.742 

 

Procédure d’exequatur – ordre public international et national – principe d’effectivité – office du juge – clauses abusives  

 

 

EXTRAITS :  

 

  1. Selon les articles 34 et 45 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I, la reconnaissance n’est refusée que si elle est manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat requis et, en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.

 

  1. La contrariété à l’ordre public international s’entend d’une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et donc dans celui de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands).

 

  1. Lorsqu’il vérifie l’existence éventuelle d’une violation manifeste de l’ordre public de l’État requis, le juge de cet État doit tenir compte du fait que, sauf circonstances particulières rendant trop difficile ou impossible l’exercice des voies de recours dans l’État membre d’origine, les justiciables doivent faire usage dans cet État membre de toutes les voies de recours disponibles afin de prévenir en amont une telle violation (CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands).

 

  1. Le respect du principe d’effectivité ne saurait néanmoins aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (CJUE 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco).

 

  1. En retenant, d’une part, que l’existence d’une éventuelle clause abusive dans le contrat de prêt ne pouvait être considérée en soi comme une violation qui heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’Etat français en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental et, d’autre part, qu’il n’appartenait pas au juge, eu égard à l’interdiction de toute révision au fond de la décision dont il était demandé l’exécution, d’apprécier le caractère abusif d’une telle clause, dont M. et Mme [U] ne s’étaient pas prévalus devant les juges Luxembourgeois, la cour d’appel a justifié sa décision.

 

 

 

ANALYSE :  

 

Dans sa décision du 14 juillet 2024, la première Chambre civile de la Cour de cassation souligne que les juridictions françaises sont incompétentes dans le cadre d’une procédure d’exequatur pour connaître le caractère abusif d’une clause dont les requérants ne se seraient pas prévalus dans le cadre de la procédure initiale.  

 

Elle justifie sa décision en s’appuyant sur la définition de l’ordre public national français qui suppose qu’une décision qui heurterait de manière inacceptable ledit ordre public serait inexécutable en France. La législation européenne relative aux clauses abusives n’est pas considérée par la Cour comme une atteinte aux principes fondamentaux de l’État français.  

 

Par ailleurs, la Cour de cassation ajoute qu’un litige ayant déjà fait l’objet d’une décision au fond dans un État de l’Union ne peut faire l’objet d’un second examen au fond dans un autre État membre. Ainsi, il incombe aux parties de procéder à l’épuisement de toutes les voies de recours disponibles dans l’État d’origine pour relever le caractère abusif d’une clause. Le principe d’effectivité ne peut être invoqué comme ultima ratio pour pallier l’inertie du consommateur.   

 

Ainsi, l’État effectuant la procédure d’exequatur n’est pas compétent pour apprécier le caractère abusif d’une clause, ce qui relève du fond, et ne peut qu’apprécier l’éventuelle contrariété à l’ordre public national de la décision rendue.  

 

 

Voir également :  

 

CJUE 16 juillet 2015, C-681/13, Diageo Brands 

CJUE 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco 

Cass. civ., 24 janv. 2024, n° 22-12.222 

Contrat de prêt — Clause de déchéance du terme — Déséquilibre significatif – Affectation du prêt 

 

 

EXTRAITS : 

« La cour d’appel, qui a relevé que la stipulation critiquée limitait la faculté de prononcer l’exigibilité immédiate et de plein droit du prêt à l’inobservation par l’emprunteur de l’obligation d’employer les fonds à l’opération désignée au contrat, condition déterminante du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt, et qui a retenu que cette faculté ne privait pas l’emprunteur de recourir à un juge pour contester l’application qui serait faite de la clause à son égard, en a déduit, à bon droit, que la clause litigieuse, qui sanctionnait l’obligation de contracter de bonne foi, ne créait pas un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties et ne revêtait pas un caractère abusif » 

 

 

ANALYSE : 

Le 1er février 2016, deux emprunteurs ont souscrit auprès d’une banque un crédit immobilier destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier, garanti par une caution. Après avoir prononcé la déchéance du terme au motif que les fonds prêtés n’avaient pas été affectés à l’opération déclarée au contrat, la banque a assigné les emprunteurs en paiement.  

La première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la clause de déchéance du terme en cas de non affectation des fonds dans l’opération déclarée ne crée pas un déséquilibre significatif au motif que l’obligation d’affecter les fonds à l’opération désignée au contrat était une condition déterminante du consentement du prêteur et que cette faculté ne privait pas l’emprunteur de contester l’application de la clause devant un juge. La clause litigieuse avait donc pour objet de sanctionner l’obligation de contracter de bonne foi. Par conséquent, la clause ne créait nullement un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. 

 

Voir également : 

-  Cass. civ 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Cass. civ. 1ère, 20 décembre 2023, n° 22-17.934 

 

Prêt immobilier – Contrat de prêt souscrit en franc suisses – Risque de change – Emprunteurs – Risque de dépréciation – Clause abusive – Déséquilibre significatif 

 

 

EXTRAITS : 

 

« En statuant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ». 

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, une banque a consenti à des emprunteurs un prêt immobilier souscrit en francs suisses, à taux variable, indexé sur le Libor franc suisse 3 mois. À la suite du défaut de remboursement d’échéances, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt. Les emprunteurs ont assigné la banque en annulation du contrat de prêt, constat du caractère abusif de la clause de change et en indemnisation en raison de manquements à ses devoirs d’information et de conseil. 

 

La clause du prêt stipulait que l’emprunteur assume les conséquences de l’évolution du taux de change. 

   

La Cour de cassation rappelle qu’en vertu du Code de la consommation, les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrats sont abusives. Cependant, l’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible. 

 

La Cour de cassation rappelle également la décision de la CJUE du 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19), qui avait jugé que dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, le professionnel doit fournir au consommateur des informations suffisantes et exactes pour lui permettre de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et le risque réel auquel il s’expose.  

La Cour d’appel avait rejeté la demande tendant à voir réputer non écrite la clause du prêt car celle-ci relève de l’objet principal du contrat de prêt et est rédigée de manière claire et compréhensible, dès lors que le risque lié à l’évolution défavorable du taux de change était mentionné dans l’acte de prêt et dans l’avenant, et que la banque avait fait signer aux emprunteurs une attestation selon laquelle ils déclaraient accepter ces risques.  

 

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel, considérant que ces preuves sont insuffisantes pour justifier l’absence de caractère abusif de la clause. En effet, la Cour de cassation rappelle que la banque doit fournir aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives d’une telle clause en cas de dépréciation importante de la monnaie.  

 

Voir également : 

-  Décision attaquée : CA Colmar, 9 mars 2022, n°19/03060 

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19 

Cass. civ 1, 29 novembre 2023, n° 22-19.688 

Contrat de prêt — Crédit libellé en devise étrangère — Directive 93/13— Transparence —Déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 :  

  1. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible. 
  2. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat
  3. Pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrite les clauses 4.3 et 9.5 du contrat de prêt, l’arrêt retient, d’une part, qu’elles définissent l’objet principal du contrat, et, d’autre part, après en avoir rappelé les termes, que même si les documents contractuels ne contenaient pas d’éléments simulant concrètement une variation du cours de change à la hausse ou à la baisse et les effets sur le montant d’une mensualité qui serait payée en euros, du capital qui serait remboursé par anticipation en euros ou du montant des sommes restant dues en cas de conversion du prêt en euros, les emprunteurs ont signé, le 9 novembre 2015, une attestation par laquelle ils déclarent notamment avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse, de sorte que ces clauses, rédigées en des termes clairs et compréhensibles, au demeurant éclairées par l’information spécialement et distinctement fournie sur le risque de change lié au cours du franc suisse qu’ils ont reconnu avoir reçue en signant l’attestation précitée avant de souscrire l’offre de prêt, était suffisamment claire et compréhensible pour permettre aux emprunteurs, dont le caractère de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé sera retenu, en l’absence de toute preuve contraire, de comprendre la portée concrète du fonctionnement du prêt et du risque. 
  4. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros via un taux d’intérêt variable indexé sur le Libor. Les consommateurs assignent la banque et contestent l’application des clauses relatives au risque de change en affirmant que ces dernières sont abusives. Les juges du fond rejettent la qualification desdites clauses comme abusives au motif que celles-ci portent sur l’objet principal du contrat et que les consommateurs avaient signé une attestation par laquelle ils affirmaient avoir pris connaissance des risques de change liés à l’indexation du prêt au cours du franc suisse, rendant ainsi l’information suffisamment claire et compréhensible.  

La Première Chambre Civile censure le raisonnement des juges du fond en affirmant que la banque n’avait pas fourni les informations suffisantes et exactes pour permettre aux consommateurs de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme et les risques économiques qui en découlaient pour le couple de consommateurs. Ainsi, la banque n’avait pas communiqué aux consommateurs une information suffisamment claire et compréhensible. Les juges du fond auraient dû apprécier le caractère abusif desdites clauses découlant de l’absence de transparence dans les informations fournies. L’arrêt est une application de la jurisprudence dite BNP Paribas (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C/782/19) à laquelle la Cour de cassation est désormais familière. 

Voir également : 

-  CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C/782/19 

CJUE 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance SA 

Cass. civ. 1ère, 8 nov. 2023, n° 21-22.655 

Clauses abusives – Domaine d’application – Contrat type applicable en matière de transport public routier de marchandises – Règles applicables en cas de perte et avaries – Application supplétive – Convention écrite entre les parties – Clause n’accordant pas un niveau d’indemnisation conforme ou supérieur aux dispositions supplétives – Clause limitative de réparation 

 

EXTRAITS : 

« Il résulte de la combinaison des articles L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, R.132-1, 6°, devenu R. 212-1, 6°, du code de la consommation, de l’article L. 1432-4 du code des transports et des articles 21 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 et 22 du décret n° 2017-461 du 31 mars 2017 relatifs au contrat type applicable en matière de transport public routier de marchandises, que les règles applicables en cas de perte et avaries énoncées par ces deux derniers textes s’appliquent de manière supplétive en l’absence de convention écrite conclue entre les parties et qu’en présence d’une telle convention, les clauses qui n’accordent pas un niveau d’indemnisation conforme ou supérieur aux dispositions supplétives sont abusives. Dès lors qu’elle a relevé que les clauses critiquées fixaient des plafonds d’indemnisation inférieurs aux plafonds réglementaires, dont elles ne rappelaient pas l’existence, et fait ressortir qu’elles n’accordaient pas une indemnisation conforme ou supérieure aux dispositions supplétives qu’elles évinçaient, une cour d’appel en a exactement déduit qu’elles étaient abusives » 

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, le Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL), invoquant le caractère abusif de plusieurs clauses figurant depuis le mois de juin 2015 dans les contrats offerts par la société Chronopost, l’a assigné afin que celles-ci soient réputées non écrites et que soient ordonnées leur suppression et la mise en conformité des contrats proposés. Ces clauses prévoyaient des plafonds d’indemnisation en cas de pertes et avaries d’une part, et de retard d’autre part. Condamnée sous astreinte par la cour d’appel de Paris à supprimer les clauses, à payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, et à publier le dispositif de l’arrêt, la société Chronopost a formé un pourvoi devant la première chambre civile de la Cour de cassation au motif que les clauses ne pouvaient être déclarées abusives dans les matières régies de manière supplétive par des contrats-types de nature réglementaire. 

La Cour de cassation considère que ces clauses sont abusives car elles fixaient des plafonds d’indemnisation inférieurs aux plafonds réglementaires, dont elles ne rappelaient pas l’existence et ainsi, n’accordaient pas une indemnisation conforme ou supérieure aux dispositions supplétives qu’elles évinçaient.  

De plus, ces clauses sont jugées abusives car elles venaient limiter le droit à réparation du consommateur et ainsi, elles étaient moins favorables que les prévisions du contrat type, en ce qu’elles n’avertissaient pas le consommateur de sa faculté de faire une déclaration d’intérêt spécial à la livraison ayant pour effet de substituer le montant de cette déclaration au plafond de l’indemnité fixée. 

En cela, la Cour vise l’article R. 212-1, 6° du code de la consommation qui présume abusives de manière irréfragable dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, les clauses ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas du manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ». 

Ce faisant, elle considère que les clauses fixant des plafonds d’indemnisation inférieurs aux plafonds réglementaires, dont elles ne rappelaient pas l’existence, et qui n’accordent pas une indemnisation conforme ou supérieure aux dispositions supplétives qu’elles évincent, sont des clauses “noires” dans les contrats de consommation. 

Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Chronopost.

Cass. com, 11 octobre 2023, n° 22-10.521 

 

Mots clés : Contrats entre professionnels – conditions générales – clauses abusives – qualité de professionnel – notion de non-professionnel – déséquilibre significatif  

 

EXTRAITS : 

 

« Dès lors que la lettre de mission du 7 juillet 2005 avait un rapport direct avec l’activité de la société Jego, ce dont il résulte que cette dernière n’était pas un non-professionnel, au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à la vérification prétendument omise ». 

 

ANALYSE : 

 

La société Ambulances Daniel Jego (société Jego) a confié à la société d’expertise comptable Aria expertise conseils (société Aria) une mission de présentation de ses comptes annuels et d’établissement des bulletins de paie de ses salariés, selon une lettre de mission datée du 7 juillet 2005. 

 

Les conditions générales d’intervention de la société Aria, notamment l’article 5 intitulé « Responsabilité », stipulent que toute demande de dommages et intérêts doit être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre. 

 

Le 13 octobre 2016, la société Jego a assigné la société Aria en responsabilité, alléguant que des erreurs avaient été commises dans le calcul des heures supplémentaires des salariés par la société Aria. 

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 26 octobre 2021 a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par la société Jego.  

 

En l’espèce, la société Jego reproche à la cour de ne pas avoir vérifié d’office si la clause de forclusion de trois mois limitait de manière excessive le droit à réparation du préjudice subi ou entravait au moins l’exercice de son action en justice en imposant un délai très court. La société Jego soutient que cette clause crée un déséquilibre significatif au détriment d’une partie non professionnelle dans le domaine des contrats d’expertise comptable, ce qui rend la clause abusive. Selon la société Jego, en omettant d’effectuer cette vérification, la cour d’appel aurait ignoré son office.  

En effet, selon la société Jego, le juge a l’obligation d’examiner, voire de soulever lui-même, le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments nécessaires pour constater un déséquilibre significatif en défaveur de la partie non professionnelle.  

Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en soulignant que le litige impliquait deux professionnels, excluant ainsi l’application des dispositions sur les clauses abusives destinées à protéger les non-professionnels.  

Il convient de rappeler que dans un contrat conclu entre deux professionnels, le juge n’est pas tenu d’analyser, même d’office, la nature abusive d’une clause contractuelle. Le relevé d’office lui incombe en revanche lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur ou entre un professionnel et un non-professionnel.  

Or, en l’espèce, le statut de non-professionnel ne peut être attribué à la société Jego uniquement en raison de son absence de spécialisation dans les domaines comptables et d’expertise-comptable. La Cour, afin d’étayer son raisonnement et d’exclure l’application du mécanisme des clauses abusives, souligne qu’il existe un lien direct entre la lettre de mission du 7 juillet 2005 et l’activité de la société Jego, établissant ainsi sa qualité de professionnelle. Par conséquent, celle-ci ne peut être considérée comme un non-professionnel au sens de l’article L132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 août 2001. 

La solution serait la même, avec un raisonnement juridique différent, sous l’empire de l’article liminaire du Code de la consommation qui définit désormais le non professionnel « toute personne morale n’agissant pas à des fins professionnelles ».  

Il en résulte que la Cour d’appel n’était pas tenue d’examiner ou de soulever d’office le caractère abusif de la clause des conditions générales, étant donné que la société Jego ne relève pas du statut de non-professionnel.