Cass. com., 11 oct. 2023, n°22-10.521 

Non-professionnel – clause abusive – contrat d’expertise comptable – office du juge. 

 

 

EXTRAITS :  

« Dès lors que la lettre de mission du 7 juillet 2005 avait un rapport direct avec l’activité de la société Jego, ce dont il résulte que cette dernière n’était pas un non-professionnel, au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à la vérification prétendument omise ».  

 

 

ANALYSE :  

En l’espèce, les juges du fond ont été saisis d’un litige opposant une société, qui avait confié à une société d’expertise comptable une lettre de mission d’expertise des comptes annuels et d’établissement de bulletin de paie de ses salariés. Les conditions générales de la société d’expertsie comptable comportaient une clause intitulée « Responsabilité » stipulant que toute demande de dommages et intérêts « devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre » 

La société cliente reproche à la cour d’appel de ne pas avoir examiné au besoin d’office, le caractère abusif de cette clause alors qu’elle disposait des éléments de fait et de droit pour le faire et que la clause révélait un déséquilibre significatif au détriment du non-professionnel.  

 

Le pourvoi est rejeté par la chambre commerciale financière et économique qui juge que la société cliente n’était pas un non-professionnel, au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001. La chambre commerciale se fonde sur le critère du rapport direct pour considérer que la lettre de mission avait un rapport direct avec son activité. Ce raisonnement se fonde sur un critère abondonné depuis longtemps par la jurisprudence (Cass. civ. 1re, 11 déc. 2008, n°07-18.128 ; Cass. com. 3 déc. 2013, n°12-26.416). La solution est cependant fondée. La cliente ne pouvait être considérée comme un non-professionnel qui désigne « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles (C. consom., art. liminaire) puisqu’elle avait agi dans le cadre de son activité professionnelle. 

Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030

Mots-clés : clauses abusives – action en restitution – contrat de prêt – effet restitutoire – objet principal du contrat -Transparence matérielle 

 

EXTRAITS :  

 

« 12. Faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni à l’emprunteur, en sa qualité́ de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses litigieuses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard de l’emprunteur, à ce que celui-ci acceptât, à la suite d’une négociation individuelle, les risques disproportionnés susceptibles de résulter de telles clauses, la cour d’appel, qui a procédé́ aux recherches prétendument omises, en a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait, avec la clause de change en lien avec elle, être réputée non écrite. » 

 

« 17. Ayant relevé́ que les clauses réputées non écrites constituaient l’objet principal du contrat et que celui-ci n’avait pu subsister sans elles, la cour d’appel a exactement retenu que l’emprunteur devait restituer à la banque la contrevaleur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que celle-ci devait lui restituer toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements. » 

 

ANALYSE :  

 

En l’espèce, en 1999, une banque consent à un emprunteur un prêt immobilier souscrit en franc suisse à taux variable et indexé sur le LIBOR francs suisses. L’emprunteur n’ayant pas remboursé l’intégralité du prêt à l’échéance, la banque a mis en œuvre des mesures d’exécution, finalement levées à la suite du règlement du solde du prêt, par l’emprunteur, au moyen d’un nouvel emprunt souscrit auprès d’une seconde banque.  

En 2014, l’emprunteur assigne la première banque en constatation du caractère abusif de clauses de remboursement et de change ainsi qu’en restitution des sommes indûment versées.  

 

Après décisions au fond, la banque forme un pourvoi en cassation. Celle-ci fait grief à l’arrêt de la condamner à restituer les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, c’est-à-dire restituer la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, et de condamner l’emprunteur à lui payer la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds alors « que l’accipiens tenu de restituer la contrevaleur en euros d’une somme d’argent perçue en devise doit opérer la restitution en appliquant le taux de change en vigueur au jour où il restitue ; qu’au cas présent, après avoir déclaré́ non-écrites les clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devise in fine et au risque de change, la cour d’appel, jugeant que le remboursement en devises ne pouvait subsister, a condamné M. [N] à restituer à la Caisse la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change en vigueur à la date de la mise à disposition des fonds. » 

 

La Première chambre civile de la Cour de cassation confirme la solution de la Cour d’appel de Paris qui, appliquant le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation en 2022, juge que la clause de monnaie étrangère est susceptible de créer un déséquilibre significatif dès lors que le professionnel n’a pas satisfait à l’exigence de transparence (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, 20-13.316)  

 

Cependant, pour la première fois la Cour de cassation a l’occasion de se prononcer sur les restitutions applicables en conséquence de la sanction de la clause abusive, portant sur l’objet principal du contrat, puisqu’elle a jugé recevable l’action en restitutions (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030). Elle se fonde sur l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 21 décembre 2016. Dans cet arrêt, la Cour de Justice avait jugé qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée comme n’ayant jamais existé et, de ce fait, la constatation judiciaire du caractère abusif de la clause doit permettre de replacer le consommateur dans la situation dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause. Ainsi, la clause abusive emporte un effet restitutoire des sommes versées.  

 

Ainsi, parce qu’une clause relève de l’objet principal du litige et qu’elle est abusive et donc réputée non-écrite, on considère que le contrat doit disparaître de manière rétroactive entrainant donc des restitutions.  

Par conséquent, la Cour de cassation précise l’étendue des restitutions et indique que l’emprunteur doit restituer à la banque la contrevaleur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et la banque doit restituer à l’emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du prêt c’est-à-dire la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements. 

 

Voir également :  

 

 

Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030

Mots-clés : clauses abusives point de départ du délai de prescription – action en restitution 

EXTRAITS :  

 

« 9. Il s’en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du code civil et à l’article L. 110-4 du code de commerce, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. » 

 

ANALYSE :  

 

En l’espèce, en 1999, une banque consent à un emprunteur un prêt immobilier souscrit en franc suisse à taux variable et indexé sur le LIBOR francs suisses. L’emprunteur n’ayant pas remboursé l’intégralité du prêt à l’échéance, la banque a mis en œuvre des mesures d’exécution, finalement levées à la suite du règlement du solde du prêt, par l’emprunteur, au moyen d’un nouvel emprunt souscrit auprès d’une seconde banque.  

En 2014, l’emprunteur assigne la première banque en constatation du caractère abusif de clauses de remboursement et de change ainsi qu’en restitution des sommes indûment versées.  

 

Après décisions au fond, la banque forme un pourvoi en cassation. Celle-ci fait grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu’elle oppose aux demandes de restitutions alors que « l’action tendant à la restitution de sommes versées sur le fondement de clauses prétendument abusives relatives au remboursement d’un prêt en devise et au risque de change supporté par l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le consommateur a été en mesure de constater une importante dépréciation de l’euro par rapport à la devise empruntée ».  

 

La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, par cet arrêt, s’oppose à la cassation en opérant une substitution de motifs.  

 

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 BNP Paribas), lequel s’oppose à une règlementation nationale qui viendrait faire courir le délai de prescription quinquennale à compter de la date de l’acceptation de l’offre de prêt, puisque le consommateur ne connaissait pas nécessairement à cette date l’ensemble de ses droits découlant de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993.  

 

Dans un second temps, la Cour de cassation reprend l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18 – Raiffeisen Bank), lequel s’oppose à ce que le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive soit la date de l’exécution intégrale du contrat, ce qui reviendrait à présumer qu’à cette date, le consommateur ait eu connaissance du caractère abusif de la clause en cause.  

 

Par conséquent, de ces deux postulats, la Cour de cassation, au visa des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l’action en restitution des sommes indûment versées sur le fondement de clauses abusives, « doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses ».  

 

Ce faisant, la Cour de cassation poursuit l’évolution jurisprudentielle ayant pour objet de retarder au maximum le point de départ du délai de prescription (voir, notamment, Cass, Civ.1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720) dans l’intérêt du consommateur.  

 

L’arrêt est l’occasion pour la Cour de cassation de prononcer sur les restitutions (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030). 

 

Voir également :  

 

 

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n° 22-13.969 

Mots clés : Prêt immobilier – établissement de crédit – clause d’indexation – clause abusive – qualité de professionnel 

 

 

EXTRAITS : 

 

« Il en résulte qu’étant réputée agir conformément à son objet, la SCI a agi à des fins professionnelles et ne pouvait donc invoquer à son bénéfice le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt. » 

 

 

ANALYSE : 

 

La société Caisse de Crédit Mutuel (ci-après la banque) a accordé à la société civile immobilière Masill (ci-après la SCI) deux prêts immobiliers par le biais d’actes datés du 27 octobre 2005 et du 2 juin 2006. Ces prêts devaient être remboursés en plusieurs versements mensuels en francs suisses. 

 

Le 17 janvier 2019, la SCI a assigné la banque en nullité des clauses d’indexation des contrats de prêt. Cette action visait également à déclarer abusives certaines de ces clauses, à établir la responsabilité de la banque, et à demander réparation des préjudices subis. 

 

Les juges du fond ont rejeté la demande de la SCI visant à déclarer comme abusives et réputées non écrites les clauses d’indexation en se fondant sur les motifs suivants lesquels les clauses étaient claires et compréhensibles sur le plan grammatical, et en affirmant que celles-ci indiquaient de manière transparente le risque de variation des taux de change.  

 

Les juges du fond retiennent qu’on peut attendre d’une SCI, qui avait en l’espèce contracté deux prêts pour des investissements de défiscalisation, qu’elle lise attentivement les contrats rédigés de manière compréhensible et accepter les risques liés aux variations des taux de change, avec toutes les conséquences économiques qui en découlent.  

 

La SCI a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Besançon rendu le 25 janvier 2022.  

 

Se fondant implicitement sur le revirement de la Cour de cassation à la suite de la jursprudence de la CJUE (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, 20-13.316, 19-11.599, n° 19-11600), la SCI énonce qu’une clause qui définit l’élément essentiel d’un contrat peut être considérée comme abusive si elle n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible. La clarté et la compréhensibilité d’une clause contractuelle ne se limitent pas seulement à une compréhension grammaticale formelle, mais impliquent également que le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, puisse comprendre le fonctionnement concret d’une clause, notamment en ce qui concerne les conséquences financières potentiellement importantes, telles qu’une variation des taux de change. Et sur cet aspect la SCI estime que les juges du fond n’ont pas examiné si les clauses expliquaient de manière transparente le mécanisme réel de conversion des devises étrangères, ni les conséquences économiques potentiellement significatives d’une telle variation.  

 

La Cour de cassation écarte cependant le grief en substituant aux motifs critiqués un motif de pur droit lié au défaut d’applicabilité de la législation sur les clauses abusives. 

 

Elle énonce « qu’une société civile immobilière agit en qualité de professionnelle lorsqu’elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l’acquisition d’immeubles conformément à son objet ».  

 

La première chambre civile se fonde sur les constatations des juges du fond selon lequelles « la SCI avait souscrit deux prêts immobiliers afin d’acquérir des immeubles à des fins d’investissement locatif ».  

 

Pour en déduire qu’il s’agit là d’une finalité professionnelle, la Cour de cassation relève qu’elle est réputée agir conformément à son objet. On reconnaît ici le principe de spécialité des personnes morales. 

 

La Cour de cassation a donc pu considérer  que la SCI avait agi en tant que professionnelle et que par conséquent la SCI ne pouvait pas bénéficier de la protection contre les clauses abusives dans les contrats de prêt. Il en découle qu’elle ne pouvait invoquer le caractère abusif des clauses d’indexation et demander qu’elles soient réputées non écrites.  

 

Une difficulté aurait pu naître du fait que l’activité d’une SCI n’est ni libérale, ni commerciale, ni artisanale, ni a fortiori commerciale puisqu’elle est précisément civile.  

Or, le professionnel est selon le droit européen, transposé à l’article liminaire du code de la consommation « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ». 

 

Pour autant la solution est pleinement conforme au droit européen. La CJUE considère que « le législateur de l’Union a consacré une conception particulièrement large de la notion de «professionnel», laquelle vise «toute personne physique ou morale» dès lors qu’elle exerce une activité rémunérée et n’exclut de son champ d’application ni les entités poursuivant une mission d’intérêt général ni celles qui revêtent un statut de droit public » (CJUE, 3 oct. 2013, aff. C-59/12, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs). En d’autres termes, une personne peut agir en qualité de professionnelle même si son activité ne figure pas dans la liste énumérée dans la définition. 

 

 

 

Voir également :  

CJUE, 3 oct. 2013, aff. C-59/12, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs  

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Mots-clés : Devoir d’information du professionnel, exigence de transparence, clause abusive, information exacte et suffisante.  

  

EXTRAIT :  

« En statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel a violé́ le texte susvisé́. » 

  

  

ANALYSE : 

Dans cet arrêt, la Première chambre civile de la Cour de cassation rappelle un critère d’appréciation du caractère abusif d’une clause dans un prêt libellé en devise étrangère, celui du devoir d’information exact et suffisant du professionnel envers le consommateur des risques liés au remboursement d’un tel prêt. 

  

En l’espèce, en 2004, des emprunteurs ont contracté auprès d’une banque deux prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables selon des taux d’intérêts variables indexés sur l’indice Libor trois mois. Le 26 avril 2016, les emprunteurs assignent la banque en responsabilité pour son manquement à son devoir d’information et en constatation du caractère abusif de certaines clauses relatives aux modalités de remboursement des contrats de prêt libellés en devise étrangère.  

La Cour d’appel rejette la demande des emprunteurs à réputer non écrites (et donc écarte l’application de la réglementation des clauses abusives) les clauses des contrats de prêt relatives aux modalités de remboursement de ceux-ci et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrit en franc suisse. Elle retient que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances était suffisamment claire pour alerter les emprunteurs et qu’en tout état de cause, ceux-ci ne pouvaient pas ignorer les risques de leur préjudice au moment de la conclusion du contrat. Aussi, elle appuie sa position en rappelant que l’attestation annexée au prêt donnée par la banque, attestant de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse, a bien été signée par les emprunteurs. Ainsi, ceux-ci ne peuvent prétendre que les clauses litigieuses relatives aux modalités de remboursement sont abusives au sens de l’article L132-1 ancien du code de la consommation.  

  

La Cour de cassation casse l’arrêt en se fondant sur l’arrêt du 10 juin 2021 BNP Paribas Personal Finance, par lequel la CJUE, a fait peser sur le professionnel un devoir d’information l’obligeant à donner les informations exactes et suffisantes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat.  

Le devoir du professionnel, ici le banquier, ne saurait alors, contrairement à ce qu’a jugé la Cour d’appel, se résumer à la simple description des mécanismes de remboursement. Ce raisonnement qui se fonde sur un principe étendu de la transparence matérielle de clause rappelé dans la décision du 30 mars 2022 (pourvoi n° 19-17.996). est issu notamment de la décision Kásler et Kaslerné Rabai (CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler) dans laquelle la Cour de justice avait explicité l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses. L’attestation de la connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse ne suffit pas à répondre aux exigences posées par la CJUE dans la mesure où elle ne fait pas état des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l’hypothèse d’une dépréciation de la monnaie.  

 

La cassation, au visa de l’article L. 1-1 du code de la consommation, montre que, conformément à la jurisprudence BNP Paribas de la CJUE, le non-respect du professionnel de son obligation de transparence, qui est donc ici caractérisé, peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. 

 

Voir également. 

CJUE, 1re ch, 10 juin 2021 aff. C-776/19 

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996  

CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler 

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720

Mots-clés : Prêt à taux d’intérêt variable – Prescription – Délai quinquennal – Devoir d’information – Connaissance du risque- Exigence de transparence. 

  

EXTRAIT :  

« Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :  

  1. Il résulte de ces textes que l’action en responsabilité́ de l’emprunteur à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir d’information portant sur le fonctionnement concret de clauses d’un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement. »

  

ANALYSE :  

Dans cet arrêt, la Première chambre civile de la Cour de cassation énonce que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en responsabilité contre le professionnel pour manquement au devoir d’information, quant au fonctionnement de clauses d’un prêt libellé en devise étrangère, est la date de la connaissance effective par le consommateur des risques et conséquences de ce manquement.  

 

En l’espèce, en 2004, des emprunteurs ont contracté auprès d’une banque deux prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables selon des taux d’intérêts variables indexés sur l’indice Libor trois mois. Le 26 avril 2016, les emprunteurs assignent la banque en responsabilité pour son manquement à son devoir d’information. 

La Cour d’appel de Colmar, par un arrêt du 27 septembre 2021, déclare irrecevable l’action fondée sur le manquement de la banque à son devoir d’information au motif que les emprunteurs ne prouvaient pas légitimement ignorer les risques de leur préjudice au moment de la souscription des prêts. Sur ces constatations, les juges du fond considèrent que le point de départ du délai de prescription quinquennal est celui de la date de conclusion des contrats, c’est-à-dire en 2004. Les emprunteurs décident de se pourvoir en cassation en invoquant les articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce dont il résulte que le point de départ du délai de prescription quinquennal est la « date à compter de laquelle le consommateur a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement ». Ainsi, les emprunteurs estiment avoir pu légitimement ignorer les risques de dégradation de la parité entre le franc suisse et l’euro au moment de la signature, faute d’information par la banque. 

La Cour de cassation fait droit aux demandes des emprunteurs et casse l’arrêt de la Cour d’appel, en ce qu’il déclare prescrite l’action en responsabilité formée par les emprunteurs au titre d’un manquement de la banque à son devoir d’information.  

Sans fixer le point de départ du délai de prescription, la Cour, au visa des articles 2224 du code civil et L.110-4 du code de commerce, juge qu’il incombait à la cour d’appel de caractériser la date de la connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur leurs obligations financières. Il reviendra à la Cour d’appel de fixer ce point de départ qui ne saurait être celui de la conclusion des contrats de prêts. 

 

La décision intéresse indirectement la matière des clauses abusives. En effet, elle s’inscrit dans le sillage de la décision qui s’inspirant du principe de transparence dégagé en matière de clause abusive avait imposé au banquier un devoir d’information sur les risques induits par la clause “devises étrangères” (Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-20.717 ). Et précisément, dans cette décision, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le non-respect du professionnel de son obligation de transparence peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur (Cass. civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-24.720). 

Cass. civ. 3ème, 25 mai 2023, n° 21-20.643

Mots-clés : Contrat — Maitre de l’ouvrage — Clause abusive — Clause de solidarité 

 

EXTRAITS : 

« Les dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lesquelles sont réputées non écrites parce qu’abusives les clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s’appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant.  

Le contrat ayant un rapport direct avec l’activité professionnelle du maître de l’ouvrage, celui-ci ne peut être considéré comme un non-professionnel dans ses rapports avec le maître d’œuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, de sorte que les dispositions précitées ne sont pas applicables. ». 

 

ANALYSE : 

En l’espèce, une société avait conclu avec un architecte un contrat de maitrise d’œuvre de travaux pour l’extension de l’hôtel qu’elle exploitait. Ce contrat contenait une clause d’exclusion de solidarité entre les personnes intervenant dans la réalisation des travaux. Mais à la suite de problèmes dans leur réalisation, la société a souhaité assigner en justice toutes les entreprises intervenues ainsi que l’architecte. Toutefois, la société a argué qu’elle devait être considérée comme un non-professionnel et que la clause d’exclusion de solidarité créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et devait être déclarée abusive.  

Les magistrats de la Cour de cassation jugent que la législation sur les clauses abusives est inapplicable au maitre de l’ouvrage, faute pour lui de pouvoir être considéré comme un non-professionnel. Pour écarter cette qualification, la troisième chambre civile juge que le contrat litigieux (un contrat d’extension de l’hôtel) a un rapport direct avec l’activité professionnelle de l’intéressé, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction.  

L’arrêt est rendu sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 qui a introduit une définition du « non-professionnel », laquelle, sans se référer au critère du rapport direct, énonce qu’il s’agit d’une personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles. 

Pour autant le critère du rapport direct sur lequel s’appuie la Cour de cassation et la jurisprudence qu’elle cite (Cass. Civ. 1ère, 24 janvier 1995, pourvoi n° 92-18.227) avait été abandonnée avant l’ordonnance précitée (Cass. civ. 1re, 11 déc. 2008, no 07-18.128). L’arrêt est donc critiquable sur ce point. Cependant, la troisième chambre civile marque une évolution par rapport à sa jurisprudence antérieure. Elle avait en effet eu l’occasion d’appliquer la qualité de non-professionnel au professionnel qui n’était pas de la même spécialité que son cocontractant aux fins d’écarter une clause limitative de responsabilité (Cass. civ. 3e, 4 févr. 2016, no14-29.347 ; Cass. civ. 3e, 7 nov. 2019, no 18-23.259), alors que le critère de la compétence est inopérant pour déterminer la qualité des parties au contrat de consommation. Or, dans la présente décision elle semble, à juste titre, écarter ce critère en jugeant qu’il importait peu que le maître d’ouvrage ne dispose pas de compétences techniques dans le domaine de la construction.  

La jurisprudence de la troisième chambre civile dans la mise en œuvre de la législation sur les clauses abusives dans le domaine de la construction tend donc à se rapprocher de l’orthodoxie. 

Cass. civ. 1ère, 17 mai 2023, n° 22-16.725 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — francs suisses — Clause « réputée non écrite » — risque de change  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

10. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni à l’emprunteur des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives,

d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ». 

 

ANALYSE : 

Un emprunteur avait conclu deux prêts libellés en devise étrangère. La Cour d’appel de Colmar a considéré que les informations transmises à ce dernier par la banque lui avaient permis de comprendre le prêt et ses conséquences économiques. Par conséquent, les juges du fond ont débouté l’emprunteur de sa demande visant à faire réputée non-écrite la clause du contrat.  

Cependant, les magistrats de la Cour de cassation se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19 BNP Paribas Personal Fiance SA), ont rappelé que pour faire déclarer une clause abusive, il convient dans un premier temps de vérifier si la clause ne porte pas sur le prix ou l’objet principal du contrat et ensuite si le professionnel « a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives ». Or, en l’espèce certes l’emprunteur avait signé une attestation déclarant avoir pris connaissance des risques de change mais cela ne prouve pas qu’il ait reçu toutes les informations nécessaires à sa compréhension. 

La première chambre civile de la Cour de cassation casse la décision rendue par les juges du fond considérant que la clause portant sur le mécanisme financier et les informations apportées par la banque ne permettaient pas au consommateur de prendre connaissance de toutes les informations et des conséquences économiques négatives du prêt. Par conséquent, la clause est déclarée abusive et réputée non-écrite.  

Voir également : 

-  Site de la CCA : CJUE 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance SA 

Cass. civ. 2ème , 13 avril 2023, n° 21-14.540 

Acte de prêt notarié – prêt libellé en francs suisses – clause abusive – office du juge – autorité de la chose jugée -juge de l’exécution 

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation. 

[…] 

Il résulte de ce qui précède que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen, et pour autant qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’examiner d’office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif. » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision, promise au Rapport annuel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation étend l’obligation de relever d’office des clauses abusives qui pèse sur le juge national aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée. 

 

Un prêt libellé en devises étrangères a été effectué le 25 juin 2008 par acte notarié. Le 11 octobre 2013 a été délivré, par le prêteur, un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.  

Le 10 juillet 2014, le juge de l’exécution a fixé le montant de la créance et ordonné la vente forcée du bien. A la suite de la vente en 2015, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie attribution sur les comptes de l’emprunteur afin d’obtenir le paiement du solde du prêt. Une contestation de la part de l’emprunteur a alors été formée devant le juge de l’exécution. Les demandes de l’emprunteur ayant été refusées, il forme un pourvoi en cassation en invoquant notamment l’obligation de relever d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat. La banque conteste la recevabilité du moyen, les poursuites n’étant pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l’autorité de la chose jugée, s’étant substitué au contrat. 

La Cour de cassation écarte cependant le grief au motif que le moyen, en ce qu’il invoque l’obligation pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle, est né de la décision attaquée. 

Sur le fond, la 2ème chambre civile vient faire application du droit de l’Union Européenne en rappelant, premièrement, que la législation européenne enjoint aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et que, deuxièmement, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans les contrats opposant un consommateur à un professionnel (CJCE, 4 Juin 2009, C-243/08, Pannon).  

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE quant à la portée du relevé d’office en présence d’un jugement doté de l’autorité de la chose jugée. A cet égard, la Cour de justice considère que la directive 93/13 ne s’oppose pas à une législation nationale qui écarte l’obligation de relever d’office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles lorsqu’une procédure hypothécaire a complètement été réalisée. Cependant, l’interdiction du relevé d’office suppose que le consommateur a pu tout de même faire valoir ses droits dans une procédure subséquente (CJUE, 17 mai 2022,C-600/19, Ibercaja Banco). 

Elle en déduit que lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen. 

 

Or, en l’espèce la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée n’avait pas procédé à l’examen des clauses abusives. Certes, comme le rappelle la Cour de cassation, l’examen d’office du caractère abusif des clauses suppose que le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). Cependant, les éléments étaient ici réunis. Ils résultent de la jurisprudence de la CJUE caractérisant le déséquilibre significatif dans les contrats de prêts libellés en devise étrangère (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas, aff. C-776/19 à C-782/19).  

La deuxième chambre civile prend soin à cet égard d’observer que sur le fondement de cet arrêt de la CJUE, « la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600) ».  

Elle en déduit donc que dans la présente affaire, la cour d’appel de Versailles disposait « des éléments de droit et de fait nécessaires » pour examiner d’office « si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif ». Elle casse donc l’arrêt qui a retenu que le quantum de la saisie attribution est justifié, sans avoir recherché si les clauses du contrat de prêt libellé en devises étrangères contenaient des clauses abusives.  

Voir également :