Cass. civ 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Contrat de prêt immobilier — Clause pénale — Directive 93/13 — Déséquilibre significatif 

 

EXTRAITS : 

« Ayant relevé que la clause stipulant une indemnité contractuelle de 7 %, prévoyait qu’elle était due au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non payés et retenu qu’elle n’apparaissait pas manifestement disproportionnée en son montant, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la clause critiquée ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation et que les emprunteurs ne démontraient pas qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en a déduit à bon droit, sans être tenue de les suivre dans le détail de leur argumentation, que celle-ci n’était pas abusive. » 

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un prêt immobilier contenant notamment une clause pénale prévoyant une indemnité contractuelle à hauteur de 7% du capital restant dû et des intérêts échus et non payés en cas de défaillance des consommateurs. Les consommateurs contestent l’application de cette clause en affirmant que cette dernière est abusive. Les juges du fond rejettent la qualification de la clause comme clause abusive au motif que celle-ci n’était pas manifestement disproportionnée en son montant et qu’elle ne dérogeait donc pas aux dispositions du Code de la consommation.  

La Première Chambre Civile approuve le raisonnement des juges du fond en affirmant que ladite clause ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation. En effet, la stipulation était le reflet de l’article D. 312-16 du Code de la consommation qui autorise le prêteur à fixer cette indemnité à 8%. Elle n’était donc pas disproportionnée en son montant, et ne créait donc pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des consommateurs. La Cour rejette ainsi la qualification de la clause pénale comme abusive.  

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.476 

Prêt libellé en devise étrangère – Contrat de prêt immobilier — Clause de déchéance du terme — Office du juge 

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :  

En statuant ainsi, sans examiner d’office le caractère abusif d’une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

ANALYSE : 

En l’espèce, une banque consent, par acte notarié, un prêt immobilier libellé en devise étrangère à une personne physique, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate. Survient un défaut de paiement des échéances du prêt, à la suite duquel, la banque délivre un commandement aux fins de vente forcée des biens hypothéqués. S’ensuit un jugement du tribunal de l’exécution forcée en matière immobilière ordonnant la vente forcée des immeubles garantis et fixant le montant de la créance de la banque. L’emprunteuse, considérant que la clause prévoyant l’exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt peut être qualifiée comme étant abusive, forme un pourvoi.  

La Première Chambre civile de la Cour de cassation se fondant sur l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, rappelle la décision Pannon faisant obligation au juge national « d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet » et (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08).  

Elle se fonde ensuite sur les critères permettant l’appréciation du caractère abusif d’une clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, dégagés par la CJUE dans sa décision Banco Primus (CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14). La CJUE avait en effet incité les juges à s’assurer, pour écarter le déséquilibre significatif, que la déchéance frappe l’inexécution d’une obligation « qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause », que l’inexécution revête un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de vérifier que le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. 

 

La première chambre civile se fonde ensuite sur la décision Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest dans laquelle la CJUE a précisé que ces critères d’appréciation du caractère abusif de la clause de déchéance du terme ne sont compris « ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs mais [devant] être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné » (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21). 

 

Cette jurisprudence européenne permet à la Cour de cassation d’afficher une sévérité à l’égard du prêteur quant à l’appréciation du caractère abusif d’une telle clause. Elle casse en effet l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui avait ordonné la vente forcée de l’immeuble au motif que la clause litigieuse prévoyait une exigibilité immédiate des sommes dues en cas d’inexécution de l’emprunteur. La Haute juridiction reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné d’office le caractère abusif de la clause de déchéance du terme. Elle prend soin de préciser que ladite stipulation autorisait la banque à « exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable ». Ces éléments laissent entrevoir que les critères posés par la décision Banco Primus, pour écarter le caractère abusif de la clause, faisaient défaut et que la clause créait donc un déséquilibre significatif.  

Voir également : 

-  CJUE, 4 juin 2019, Pannon, C-243/08 

CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14 

CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 

Recommandation N°21-01 Contrats de crédit à la consommation : points 9 à 17 sur la déchéance du terme

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Contrat de prêt immobilier — Clause de déchéance du terme — Directive 93/13— Aggravation des conditions de remboursement —  

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :  

  1. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 
  2. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. 
  3. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle. 
  4. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l’arrêt retient que la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l’obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire. 
  5. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un prêt immobilier contenant notamment une clause de déchéance du terme. Cette clause prévoyait un délai de 8 jours pour contester la mesure à compter de la mise en demeure. A la suite d’un impayé, la société prêteuse invoquait alors la déchéance du terme et avait donc engagé une procédure d’exécution forcée sur des biens des consommateurs. Les consommateurs contestent l’application de cette clause en affirmant que cette dernière est abusive. Les juges du fond rejettent le caractère abusif de la clause de déchéance de terme au motif que celle-ci avait été invoquée après une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dans lequel les consommateurs pouvaient y faire obstacle.  

La Première Chambre Civile, se fondant sur les critères d’appréciation de la déchéance du terme posés par la décision Banco Primus, puis précisés par la décision Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (rendue sur question préjudicielle de la Cour de cassation)  casse la décision des juges du fond. Selon la Première Chambre Civile, ladite clause ne contenait pas un préavis d’une durée raisonnable, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des consommateurs qui se voyaient ainsi exposés à une aggravation soudaine de leurs conditions de remboursement. C’est donc le caractère insuffisant du délai qui est ici sanctionné par la Cour de cassation. De façon plus générale, l’article R.212-4° du code de la consommation présume abusive de façon simple la clause qui reconnaît au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable. 

 

Voir également : 

-  CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14 

CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21 

Cass. civ. 1ère, 1 mars 2023, n° 21-20.260 

 

Contrats de prêt immobilier – Prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) – Consommateur moyen – Objet du contrat – Remboursement en devise étrangère 

 

EXTRAITS : 

«Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l’objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu’il n’existait aucun risque de change, la cour d’appel en a exactement déduit, (…), que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif ». 

 » 

 

ANALYSE : 

Les juges du fond étaient saisis d’un litige concernant le caractère abusif des clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » de deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses consentis par une banque suisse à des emprunteurs, résidents français percevant des revenus en francs suisses.  

 

Les juges du fond ont considéré que ces clauses relevaient de l’objet principal du contrat. Par conséquent l’appréciation de leur caractère abusif était subordonnée au défaut de clarté et d’intelligibilité entendue de manière extensive lorsqu’il s’agit de prêts en devises (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance). 

 
Cependant ils sont approuvés par la Cour de cassation pour avoir jugé que les clauses étaient parfaitement claires et qu’elles ne présentaient pas un caractère abusif.  

La solution est donc différente de celle des arrêts rendus dans le sillage de l’affaire BNP Paribas Personal Finance.  

 

Cela s’explique par la spécificité des prêts en cause dans la présente affaire. Contrairement aux affaires Helvet Immo où les prêts étaient libellés en francs suisse et remboursables en euros, ici les prêts sont libellés en francs suisse, remboursables en francs suisse et en outre le consommateur perçoit son salaire dans la devise de remboursement. Par conséquent, le consommateur ne subit aucun risque de change. La clause exposant les conditions de remboursement ne peut être considérée comme abusive. 

 

Cass. civ. 1ère, 1er mars 2023, n° 21-10.186 

Contrat de bail —– Clause abusive  

 

EXTRAITS : 

« Pour écarter l’application des dispositions du code de la consommation, l’arrêt retient que le contrat de bail d’immeuble ne constitue pas un contrat de consommation, même s’il est acquis que M. [J] n’a pas poursuivi un but professionnel. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif qu’une clause du contrat aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment de M. [J], non-professionnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

 

ANALYSE : 

Les juges du fond ont été saisis d’un litige concernant une clause insérée une promesse de bail emphytéotique pour l’installation de panneaux photovoltaïques, conclue par un particulier. Ils avaient estimé que ce dernier tout en ayant contracté pour ses besoins personnels ne pouvait bénéficier de la législation sur les clauses abusives dans la mesure où « le contrat de bail d’immeuble ne constitue pas un contrat de consommation ».  

 

L’arrêt est cassé par la première chambre civile qui juge que les motifs de l’arrêt d’appel sont « impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif qu’une clause du contrat aurait pour objet ou pour effet de créer ». Ce faisant, la première chambre civile de la Cour de cassation considère que le contrat de bail emphytéotique est un contrat de consommation lorsqu’il est conclu entre un professionnel et un consommateur. Ainsi, il peut faire l’objet d’une appréhension par le juge au titre des clauses abusives. 

 

La solution est conforme tant au caractère horizontal de la législation sur les clauses abusives qui s’applique à « tout contrat » qu’à la jurisprudence européenne qui soumet le contrat de bail à la directive sur les clauses abusives CJUE 30 mai 2013 C-488/11 – Asbeek Brusse et de Man Garabito 

 Voir également : 

CJUE 30 mai 2013 C-488/11 – Asbeek Brusse et de Man Garabito 

 

Cass. Com., 8 février 2023, N°21-17.763 

Contrat de prêt — Clause abusive — saisie immobilière –– autorité de la chose jugée – pouvoir du juge commissaire – relevé d’office 

 

EXTRAITS : 

« Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée d’une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d’une procédure collective, résultant de l’article 1355 du code civil et de l’article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles. 

Il en découle que le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision rendue après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile, promise au Rapport annuel et accompagnée d’une notice , la chambre commerciale de la Cour de cassation étend  à son tour l’obligation pour le juge de relever d’office les clauses abusives aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée.  

L’affaire concernait un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel avait été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur.  

A l’occasion de la procédure de saisie immobilière du bien l’emprunteur avait soulevé à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié. L’arrêt avait retenu que les décisions d’admission des créances avaient autorité de la chose jugée à l’égard du consommateur relativement aux créances qu’elles fixent. L’arrêt avait observé que le consommateur, convoqué à l’audience du juge-commissaire pour qu’il soit statué sur ses contestations, s’était présenté en la même qualité devant le juge de l’exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et avait relevé que, devant ce juge, le débiteur n’avait formulé aucune observation concernant la première créance et qu’il n’avait pas davantage contesté la seconde.  

 La décision est cassée sous le visa des articles 7, § 1, de la directive 93/13 et de l’article  L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation.  

La Cour de cassation confirme que la décision du juge commissaire ayant admis des créances au passif d’une procédure collective dispose en effet de l’autorité de la chose jugée. Cependant, elle énonce que ce principe ne doit en aucun cas vider de sa substance l’obligation reposant sur le juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause. Elle en déduit que « le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites. Pour appuyer sa décision, la Chambre commerciale se fonde sur une série de décisions de la CJUE imposant au juge national un contrôle juridictionnel effectif des clauses abusives pour assurer l’effet utile de la directive, de telle sorte qu’une règle procédurale interne relative à l’autorité de la chose jugée ne puisse y faire obstacle (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, Banco Primus ; CJUE 4 juin 2020, aff. C-495/19, Kancelaria Médius ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-600/19, Ibercaja Banco ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-693/19, SPV « Project 503 Srl » aff. C-831/19, Banco di Desio e della Brianza). Autrement dit, en vertu du principe d’effectivité, un mécanisme national ne peut pas faire obstacle au droit européen. 

Elle apporte cependant une exception au principe posé dans l’hypothèse où « il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée » que le juge s’est livré à l’ examen du caractère éventuellement abusif des clauses. 

Voir également : 

Civ. 1, 1er février 2023, n° 21-20.168 

Contrat de crédit immobilier – prêt libellé en francs suisses –  clarté et intelligibilité – déséquilibre significatif – clause de remboursement. 

 

EXTRAITS : 

« la cour d’appel a retenu que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement du prêt, que le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières 

[…] 

Faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni aux emprunteurs, en leur qualité de consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de la clause litigieuse sur leurs obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations, la cour d’appel, (…), en a exactement déduit que cette « clause de remboursement », qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait être réputée non écrite. » 

 

ANALYSE : 

Un contrat de prêt immobilier in fine souscrit en francs suisses remboursable en une échéance exigible le 31 janvier 2015 a été conclu le 14 mars 2000. Ce prêt a été conclu avec intérêts indexés suivant l’index LIBOR 3 mois. Les emprunteurs n’ayant pas remboursé l’intégralité du capital, la banque met en oeuvre différentes mesures d’exécution mais elle est assignée par les emprunteurs en annulation d’une « clause de remboursement du crédit » . 

Ladite clause était ainsi stipulée : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d’assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débités sur un compte en devise ouvert au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur et que la monnaie de paiement est le franc français ou l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l’échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l’échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l’emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré. » 

 

En premier lieu, les magistrats de la Cour de cassation considèrent que la cour d’appel a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, ne respectait pas les exigences de clarté et d’intelligibilité. En effet, d’une part la cour d’appel a constaté que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires concernant la devise de remboursement. D’autre part, la Cour d’appel a relevé que « le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières et prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus ». Ce faisant les juges du fond ont mis en œuvre la jurisprudence de la CJUE selon laquelle, l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, doit être entendue de manière extensive CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Effectivement, elle doit être comprise comme imposant deux exigences pour le professionnel, à savoir :  

  • que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical,   
  • mais également qu’un consommateur moyen, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières . 

Cette jurisprudence est désormais régulièrement rappelée par les juges dans les affaires de prêts en devise étrangère depuis le revirement de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, n° 20-16.942 

En second lieu, les magistrats de la Cour de cassation approuvent les juges du fond d’avoir jugé que la clause créait bien un déséquilibre significatif. Ici, la Cour de cassation, appliquant la jurisprudence de la CJUE, rendue à l’occasion de l’affaire BNP Paribas, énonce que « la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations ». En d’autres termes, le déséquilibre significatif s’induit ici du défaut de transparence et de bonne foi de la banque.  

 

Cass. civ 1re, 11 janvier 2023, n°21-16.859 

 

 

Déséquilibre significatif – sanction – effets du réputé non écrit  

 

EXTRAITS : 

  1. Ayant relevé que la clause litigieuse prévoyait un paiement intégral du prix de la préparation, sans aucune résiliation possible pour motif légitime ou impérieux, le tribunal en a justement déduit que celle-ci créait, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 

 

Vu l’article L. 132-1, alinéa 8, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 

  1. Il résulte de ce texte que, lorsque sont jugées abusives certaines des clauses d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, celui-ci reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses.
  2. Pour dire que le contrat d’enseignement ne peut subsister sans la clause réputée non écrite, le jugement retient que la juridiction n’a pas vocation à rédiger les clauses d’un contrat litigieux, mais simplement à constater que celui-ci ne peut subsister en l’état.13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’impossibilité du contrat à subsister sans la clause réputée non écrite, le tribunal a violé le texte susvisé.  

 

ANALYSE : 

En l’espèce, une convention d’enseignement comportait une clause stipulant que le prix de 3565 euros devait être payé dans son intégralité sans possibilité de remboursement. L’affaire avait déjà fait l’objet d’une précédente cassation (Cass. civ. 1ère, 9 mai 2019, n°18-14.930). Le Tribunal d’instance avait en effet jugé que cette clause devait être déclarée abusive et non écrite, dès lors qu’elle prévoit « une clause de paiement intégral excluant toute résiliation pour un motif légitime et impérieux ». Il en avait déduit que l’organisme d’enseignement devait rembourser l’intégralité du prix à la cliente. Pour casser cette décision, la première chambre civile avait jugé que le tribunal d’instance, avait laissé incertain le fondement juridique de sa décision et qu’en outre il n’avait pas constaté que « le contrat ne pouvait subsister sans cette clause ». En d’autres termes, en imposant le remboursement du prix, les juges du fond avaient raisonné comme si le contrat devait être annulé en son intégralité. C’était implicitement considérer que le contrat ne pouvait subsister sans la clause, sans pour autant le justifier juridiquement. 

 

Or, le juge de renvoi se voit de nouveau censuré, mais uniquement sur la portée de la sanction. 

En effet, cette fois-ci le juge avait bien motivé juridiquement la caractérisation du caractère abusif. Les juges tout en citant une recommandation de la Commission des clauses abusives avaient pris soin de de se fonder sur une règle de droit contraignante : l ‘article R. 132-2 ancien du code de la consommation. Le pourvoi est donc rejeté. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger, comme en l’espèce, que la clause ne permettant pas le remboursement de la somme payée, pour motif légitime ou impérieux, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. 

Ensuite, elle rappelle que le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives, si le contrat peut subsister sans celles-ci. C’est sur ce point qu’elle casse de nouveau la décision du fond. En effet, pour dire que le contrat d’enseignement ne peut subsister sans la clause réputée non écrite, le jugement avait énoncé que « la juridiction n’a pas vocation à rédiger les clauses d’un contrat litigieux, mais simplement à constater que celui-ci ne peut subsister en l’état ». Selon la première chambre civile, ces motifs sont « impropres à caractériser l’impossibilité du contrat à subsister sans la clause réputée non écrite ». A cet égard, la CJUE a énoncé que le juge doit apprécier si objectivement, l’élimination d’une clause contractuelle abusive entraîne ou non la nullité du contrat (CJUE 29 avr. 2021, Bank BPH, aff. C-19/20). Il ne s’agit donc pas d’un simple constat. 

 

 

Voir également 

 

Cass. civ. 1ère, 19 janvier 2022, n°20-14.717

 Cass. civ. 1ère, 12 octobre 2016, n°15-25.468

Recommandation N°91-01 Etablissements d’enseignement

Cass. civ. 1èere, 9 mai 2019, n°18-14.930

 

Cass. 1ère civ. , 7 décembre 2022, n° 21-18.673 

Contrat de prêt — Prescription — Clause « réputée non écrite » — Principe d’effectivité – Action en constatation du caractère abusif d’une clause – Clause abusive dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrats de prêt immobilier – Prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) 

 

EXTRAITS : 

« l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, à un délai de prescription (et) aux fins de restitution de sommes indument versées sur le fondement de telles clauses abusives à un délai de prescription de 5 ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acception de prêt de telle sorte, que le consommateur a pu, à ce moment-là ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive » 

 

ANALYSE : 

La première chambre civile de la Cour de cassation rappelle la décision BNP Paribas Personnal Finance dans laquelle la CJUE, sur le fondement du principe d’effectivité de l’absence du caractère contraignant de la clause abusive (Dir. 1993/13, art. 6, § 1 et art. 7, § 1), avait jugé que la demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite n’est pas soumise à la prescription. Ainsi, en droit français, la demande introduite par un consommateur, visant à faire constater le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat l’unissant à un professionnel, ne peut être soumise à la prescription quinquennale du Code civil. 

L’arrêt concerne de nouveau les contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisse pour lesquels la Cour de cassation avait déjà statué en ce sens (La demande qui tend à réputer non écrite une clause abusive n’est pas soumise à la prescription quinquennale).

Voir également :

Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-17.997

CJUE, 10 JUIN 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance / CJUE 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance SA.

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-22.074

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n° 19-12.947