Cass. civ. 1, 9 novembre 2022, n° 21-16.476 

Prêt immobilier en francs suisses — Clause abusive — question préjudicielle – clause de déchéance du terme 

 

EXTRAITS : 

« 9. En l’espèce, pour caractériser l’exigibilité de la créance de la banque et ordonner la vente forcée, la cour d’appel a fait application de la clause du contrat dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme consécutive au défaut de paiement d’une seule échéance à la date prévue.  

  1. Au regard des griefs formulés par le moyen et des questions préjudicielles précitées (Cass. civ. 1ère, 16 juin 2021, pourvoi n° 20-12.154), la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi, de sorte qu’il y a lieu de surseoir à statuer jusqu’au prononcé de celle-ci »

 

ANALYSE : 

A la suite d’un défaut de paiement des échéances du prêt immobilier en francs suisses, la banque a délivré un commandement aux fins de vente forcée, vente ordonnée ensuite par le tribunal de l’exécution forcée. Pour caractériser l’exigibilité de la créance de la banque et ordonner la vente forcée, la cour d’appel a fait application de la clause du contrat dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme consécutive au défaut de paiement d’une seule échéance à la date prévue. 

L’emprunteur a alors formé un pourvoi considérant que le juge devait écarter les clauses présentant un caractère abusif.  

La Cour de cassation a commencé par rappeler l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017 (CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14), aux termes duquel le juge, saisi du caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, doit vérifier si « la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt ». 

Or, la première chambre civile relève que par un arrêt du 16 juin 2021 (Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n°20-12-154), la Cour de cassation a posé cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur ces interrogations : 

1°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2°) L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?

3°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?

4°) Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5°) Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ? 

Observant que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à intervenir sur ces questions est de nature à influer sur la solution ayant trait au caractère abusif de la dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme, les magistrats de la Cour de cassation ont décidé de surseoir à statuer jusqu’à à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. 

 

Voir également : 

-  CJUE 26 janvier 2017, C-421/14 

Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n°20-12-154 

Cass civ. 2ème 27 octobre 2022 n° 21-10.739 

 

 

EXTRAITS : 

« Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d’avocat, d’examiner le caractère abusif des clauses des conventions d’honoraires lorsque le client de l’avocat est un non-professionnel ou un consommateur ». 

 

ANALYSE : 

Une convention d’honoraires est conclue le 20 mars 2014 avec un avocat, pour un litige opposant une femme à son époux, celle-ci prévoyant le paiement d’un honoraire forfaitaire fixe de 3500 € TTC en cas de dessaisissement du professionnel par le client et une clause d’indemnité de dédit stipulant, dans le même cas, que les honoraires à courir seraient dûs dans la limite de 3 000 € TTC.  

La cliente de l’avocat a mis fin au mandat par la suite, en 2015, et a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris aux fins de contester le montant des honoraires. 

A l’appui de son pourvoi formé contre l’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel de Paris en date du 27 novembre 2020, l’avocat contestait notamment le caractère abusif des clauses de dédit contenues dans la convention d’honoraires aux motifs que d’une part, la procédure spéciale de contestation des honoraires issue de l’article 174 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ne permet pas au bâtonnier et sur recours, au premier président, de statuer sur l’existence ou la validité du mandat confié à l’avocat. Ce faisant, le premier président aurait excédé ses pouvoirs en réputant non écrite une clause contenue dans une convention d’honoraires d’avocat. 

D’autre part, le déséquilibre significatif qui permet de caractériser l’abus s’apprécie au regard de l’équilibre général des prestations tirées de la convention. Or, si la clause de dédit n’était pas réciproque au bénéfice du consommateur, la contrepartie à celle-ci résidait dans la fixation d’un honoraire ferme sans dépassement et à un montant largement inférieur aux honoraires pratiqués sous la forme d’un taux horaire. Dès lors, l’ordonnance rendue est privée de base légale au regard de l’article L. 212-1 du Code de la consommation 

En réponse, la Cour de cassation commence par rappeler l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C-243/08, EU:C:2009:350)  qui impose au juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat conclu avec un consommateur ou un non professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de faits et de droit nécessaires à cet examen. 

Elle relève que l’appréciation du déséquilibre significatif entre dans la compétence du premier président statuant en matière de contestation d’honoraires et que celui-ci ne se prononce pas sur la validité du mandat en examinant le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ou un non professionnel. 

Elle approuve ensuite le premier président d’avoir caractérisé le déséquilibre significatif en retenant -ci d’une que l’avocat pourrait recevoir le paiement de la totalité ou de la quasi-totalité de ses honoraires alors qu’il n’exécuterait que deux des six prestations qu’il s’était engagé à accomplir et que le montant du dédit apparaissait disproportionné au regard des actes effectués. Le premier président est également approuvé pour avoir d’autre part fondé le caractère abusif sur le défaut de réciprocité de la clause de dédit, aucune clause de ce type n’étant prévue au profit de la cliente en cas de dessaisissement de l’avocat. 

Dès lors, le premier président a bien caractérisé le déséquilibre significatif et le moyen du pourvoi formé par l’avocat doit être rejeté.  

 

Voir également : 

-  CJCE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM 

Cass. civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°20-20.827 

Prêt libellé en devises étrangères — Obligation d’information de la banque — Fonctionnement concret du mécanisme financier — Évaluation des conséquences économiques négatives — Hypothèse de dépréciation de la monnaie 

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;  

En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné́ de base légale à sa décision ».  

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, une banque consent un prêt multidevises à un emprunteur d’un montant de 585 000 euros ou « l’équivalent, à la date du tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». L’emprunteur agit contre la banque en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l’avenir et au paiement de dommages-intérêts. Celui-ci invoque l’irrégularité d’une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde.   

La Cour d’appel retient que l’offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et rejette la demande de l’emprunteur tendant au remboursement du prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 585 000 euros. L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.  

La Première Chambre civile de la Cour de cassation énonce au visa de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 que « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger ».  

Reprenant le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass  civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717), la Cour de cassation induit du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ».  

En effet, l’exigence de transparence des clauses ne concerne pas uniquement le caractère compréhensible de celles-ci sur un plan formel et grammatical. Le professionnel doit aussi fournir une information permettant « au consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, gr. ch., 3 mars 2020, Gomez del Moral Guash, aff. C-125/18, pt. 49,).  

De plus, la CJUE retient que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance).  

Par conséquent, la Cour de cassation reprend la solution dégagée dans l’arrêt BNP Paribas pour consacrer un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses.  

 

 

Voir également : 

-  CJCE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Finance

Cass. 1ère civ., 7 septembre 2022, n° 20-20.826 

Contrat de prêt multidevises — objet du contrat — transparence – déséquilibre significatif – devoir d’information du banquier  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

(…)

9.Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l’arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d’intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l’objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

10.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. 

 

Vu l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : 

(…)

13.Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d’information, l’arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l’emprunteur avait pris connaissance de l’article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d’augmentation du capital à rembourser au-delà d’un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l’emprunteur, avant la signature de l’offre, une lettre l’informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».

14.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

 

ANALYSE : 

Accueillant le premier moyen de cassation, la Cour rappelle que l’appréciation du caractère abusif d’une clause portant sur l’objet d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose que la clause soit dépourvue de clarté et de compréhensibilité. Appliquant la jurisprudence BNP Paribas (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), elle casse l’arrêt d’appel qui avait jugé la clause claire, au motif que les informations transmises par le banquier n’avaient pas permis à l’emprunteur de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier, et d’évaluer les risques inhérents à cet engagement, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie utilisée pour le remboursement par rapport à la monnaie de compte. Dès lors la clause peut être soumise au test du déséquilibre significatif.  

Accueillant le second moyen de cassation, elle fait valoir qu’une lettre informant le consommateur «  des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque » » ne lui permet pas de comprendre le mécanisme et d’en évaluer les conséquences financières concrètes. La Cour de cassation fait état de la nécessité d’alerter l’emprunteur sur le risque encouru en cas de dépréciation importante de la monnaie dans laquelle les revenus sont perçus par rapport à la monnaie de compte. 

La première chambre civile de la Cour de cassation procède donc de nouveau à une application de la jurisprudence européenne (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance). Elle confirme le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass. civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717) en induisant du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ». 

 

 

Voir aussi : CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance / Cass. civ 1ère , 20 avril 2022, 20-16.316 / Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 

Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21-15.199 

 

 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — écart de change — risque de dépréciation — franc suisse – défaut de clarté 

 

EXTRAITS :

11.Pour rejeter les demandes formées par les emprunteurs au titre du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, l’arrêt retient que ces clauses définissent l’objet principal de ces contrats et sont claires et compréhensibles dès lors qu’elles précisent, en des termes intelligibles, les modalités de l’amortissement de ces deux prêts avec conversion de la somme due en euros selon un taux de change, que les emprunteurs ont reçu une information au moyen d’un document signé le 1er février 2008 dans lequel la banque appelait leur attention sur les points particuliers de cette convention et notamment sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse, et qu’ils étaient en capacité d’apprécier la nature et la portée de leurs engagements et de mesurer les risques encourus en cas de dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse ainsi que les conséquences induites sur leurs obligations financières.

12.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne l’appréciation du caractère abusif des clauses du contrat de prêt libellé en devise étrangère. 

Pour apprécier le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat, il faut préalablement s’assurer que la clause n’est pas claire et compréhensible. Or, l’arrêt d’appel avait jugé que lesdites clauses ne pouvaient être considérées comme abusives dès lors qu’elles étaient claires et compréhensibles. Les juges du fond avaient relevé la remise d’un document dans lequel la banque appelait l’attention des emprunteurs « sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse ». 

 

Cependant, dans cet important contentieux, la Cour de Justice de l’Union Européenne a tranché en considérant que la clause dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose, pour répondre aux exigences de clarté, que le professionnel ait « fourni les informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal, C-776/19 à C-782/19). A défaut, la clause pourra faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif. 

La première chambre civile, cassant la décision rendue par les juges du fond, se rangeant derrière la solution de la Cour de Justice de l’Union Européenne, relève qu’ils n’ont pas vérifié que la banque avait fourni aux emprunteurs les informations suffisantes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme du contrat et le risque encouru « dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ». Faute d’une information sur ce risque précis lié à la dépréciation, et pas simplement à l’évolution du cours, le principe de transparence matérielle posé par la CJUE n’est pas respecté, et la clause est susceptible d’être jugée abusive. 

 

Voir également : 

-  Site de la CCA :  

CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal  

 La clause de monnaie étrangère est susceptible de créer un déséquilibre significatif dès lors que le professionnel n’a pas satisfait à l’exigence de transparence en ne permettant pas au consommateur d’évaluer les conséquences économiques négatives de cette stipulation

Cass. civ, 1ère, 31 août 2022, n°21-11.962 

Contrat de location financière – déséquilibre significatif – résiliation – non professionnel – partenaire commercial 

EXTRAITS : 

« En statuant ainsi, alors qu’il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que la clause 11 du contrat prévoyait qu’en cas de résiliation, le bailleur aurait droit à une indemnité égale à tous les loyers à échoir jusqu’au terme initial du contrat majorée de 10 % ainsi que, le cas échéant, des loyers échus impayés et des intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal, tandis que le locataire était tenu de lui restituer le matériel loué, de sorte qu’il lui incombait d’examiner d’office la conformité de cette clause aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si celle-ci n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

ANALYSE : 

Trois contrats sont conclus entre une association, le Cercle athlétique de Paris Charenton, et une société relatifs à de la location longue durée portant sur du matériel informatique. L’association se fonde sur l’article L442-6 du Code du commerce afin que soit jugée abusive une clause du contrat. La Cour d’appel rejette cette demande sur le fondement que l’association n’est pas un partenaire commercial et donc ne peut se fonder sur cet article. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt en considérant que la Cour d’appel détenait suffisamment d’éléments de fait et de droit pour relever d’office le caractère abusif de la clause litigieuse. Elle vise l’article L132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lequel le régime des clauses abusives s’applique aux contrats conclus entre un consommateur et un professionnel ainsi qu’aux contrats conclus entre un professionnel et un non professionnel, ce qui est le cas en l’espèce, l’association n’est pas un professionnel ni un consommateur. 

La Cour de cassation rappelle que la Cour de justice des Communautés européennes a affirmé, que « le juge national est tenu de relever d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose » (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08). 

Trois enseignements se dégagent de l’arrêt, l’un procédural, les deux autres substantiels.  

En premier lieu, la Cour de cassation retient que le juge aurait dû appliquer le régime du code de la consommation même si le requérant ne l’a pas demandé. La solution est conforme à l’arrêt Pannon et à l’article R.  632-1 du Code de la consommation.  

En deuxième lieu, l’association sportive revêt la qualité de non professionnel, comme l’avait déjà la Cour de cassation (Voir Cass. civ. 1ère, 10 oct. 2019, 18-15.851 ; Cass. civ. 1ère, 16 juin 2021, 19-23.609). 

 Enfin, la première chambre civile laisse entrevoir que la clause litigieuse qui impose une indemnité très élevée en cas de résiliation du contrat par le locataire alors même que celui-ci restitue le matériel est susceptible de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.  

Voir également : 

-  CJCE, 4 juin 2009, Pannon, C-243/08 

Cass. civ. 1ère, 10 oct. 2019, 18-15.851 

– Cass. civ. 1ère, 16 juin 2021, 19-23.609 

 

Cass. civ.1ère. 15 juin 2022 n°20-16.070  

Contrat de prêt — Clause calcul montant des échéances — Déséquilibre significatif — Fixation unilatérale du montant des échéances 

EXTRAITS : 

« 10. Pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusive la clause du contrat prévoyant que le montant des échéances sera porté à leur connaissance à l’issue de la période d’anticipation, l’arrêt retient qu’une telle stipulation ne saurait caractériser une clause abusive, aucun déséquilibre n’existant au détriment des emprunteurs puisqu’un tel appareil dans son ensemble permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d’emprunteurs candidats à un prêt à l’accession sociale et qu’il résulte de la volonté commune des parties, alors qu’aucune disposition légale n’interdit de procéder autrement que par détermination d’une obligation constante, que la progressivité de l’amortissement est une des caractéristiques du prêt à l’accession sociale.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. » 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne la clause du contrat de prêt prévoyant que le montant des échéances sera porté à la connaissance d’un emprunteur candidat à un prêt à l’accession sociale à l’issue de la période d’anticipation. 

L’arrêt d’appel avait jugé que ladite clause ne pouvait être abusive au motif que cet « appareil » permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d’emprunteurs candidats à un prêt à l’accession sociale et qu’il résulte de la volonté commune des parties. Or, selon les juges du fond « aucune disposition légale n’interdit de procéder autrement que par détermination d’une obligation constante, que la progressivité de l’amortissement est une des caractéristiques du prêt à l’accession sociale ». 

La première chambre civile casse la décision rendue par les juges du fond en relevant que ces motifs étaient impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs », 

En effet, comme l’avait relevé le pourvoi, le montant des échéances n’étant porté à la connaissance de l’emprunteur qu’à l’issue de la période d’anticipation, laquelle précède un mécanisme d’amortissement par cinq paliers, l’emprunteur n’avait lors de l’acceptation de l’offre aucune idée du coût final de sa dette ni des modalités de son apurement. Cette fixation unilatérale du prix par le prêteur était de nature à créer un déséquilibre significatif.  

Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 juin 2022, pourvoi n°18-16.968 

Clause illicite — déséquilibre significatif  — agrément des associations de consommateurs —  action en cessation — effet de l’action en cessation – clause pénale – indétermination du prix – atteinte au libre recours au juge 

EXTRAITS : 

«Ilrésulte de l’article L. 421-6 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, alors applicable, interprété à la lumière de l’article 6, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu en combinaison avec l’article 7, § 1 et 2, de cette directive, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 26 avril 2012, C-472/10), que les clauses des conditions générales d’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel qui sont déclarées abusives, à la suite de l’action prévue par l’article L. 421-6, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales ». 

« En retenant que la clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur est illicite, une cour d’appel caractérise l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties créé par cette clause au détriment du consommateur, ce dont elle déduit à bon droit qu’elle est abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ».

ANALYSE : 

Une association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels a assigné en 2013 deux sociétés en suppression de clauses abusives et illicite contenues dans des contrats de construction de maison individuelle, ainsi qu’en indemnisation. La Cour d’appel de Lyon dans un arrêt en date du 24 avril 2018 a accueilli la plupart des arguments de l’association. Les deux sociétés ont formé un pourvoi contre l’arrêt en invoquant principalement quatre moyens. 

D’abord les sociétés demanderesses se fondent sur une fin de non-recevoir tirée de la portée de l’agrément reçu par l’association et délivré par le préfet de l’Essonne. Selon elles, l’association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels était agréée en qualité d’association locale et l’agrément était limité territorialement à un seul département. La Cour rejette ce moyen au motif que lorsque l’objet statutaire de l’association est clairement la défense des intérêts des consommateurs, alors même si l’agrément est délivré par arrêté préfectoral, la qualité et l’intérêt à agir de cette association ne sont pas strictement locaux. En outre, l’agrément n’était pas délivré pour la seule compétence de ce département, permettant ainsi à l’association d’agir. 

Le deuxième moyen portait sur l’application de la législation sur les clauses abusives à des contrats qui n’étaient plus proposés aux consommateurs déjà conclus. A l’appui de leur pourvoi, les sociétés invoquent le fait que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, qui a modifié l’article L. 421-6 du code de la consommation pour élargir ainsi la portée de l’action en cessation n’était pas applicable au litige faute d’avoir été déclarée immédiatement applicable aux instances en cours. Cependant, la Cour de cassation substitue un moyen de pur droit à celui attaqué. Elle applique en effet l’article L. 421-6 du Code de la consommation, « lu à la lumière des articles 6§1 de la directive 93/13/CEE et 7§1 et 2 de cette même directive ainsi que ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 26 avril 2012, C-472/10) » pour juger que « les clauses des conditions générales d’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel qui sont déclarées abusives, à la suite de l’action prévue par l’article L. 421-6, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales ». L’arrêt Invitel sur lequel s’appuie la première chambre civile avait en effet jugé que « lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une telle procédure, les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales » (CJUE 26 avril 2012 C-472/10). Dès lors, il importe peu que les clauses figurent dans des contrats proposés actuellement ou dans des contrats proposés par le passé, puisque ces clauses ont pu porter préjudice à des consommateurs. 

Le quatrième moyen du pourvoi reproche à l’arrêt d’avoir déclaré illicites et abusives la plupart des clauses contenues dans les modèles de contrats de construction de maison individuelle. 

S’agissant de l’illicéité (Pt 16), la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir jugé une clause illicite comme méconnaissant les dispositions du code de la construction et de l’habitation selon lesquelles le prix doit comprendre le coût du plan et, s’il y a lieu, les frais d’études du terrain pour l’implantation du bâtiment. Elle approuve les juges du fond d’avoir jugé que ce caractère illicite permettait de caractériser le déséquilibre significatif. La Cour d’appel avait ici fait application d’un raisonnement de la première chambre civile inspiré de celui tenu auparavant par la Commission des clauses abusives et selon lequel une clause illicite « maintenue dans un contrat » présente un caractère abusif., (Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016, n°15-20.621). Le raisonnement de la Commission a cependant évolué. Elle considère désormais que le critère du déséquilibre significatif, tel qu’entendu par la CJUE, à savoir la création d’une situation défavorable pour le consommateur, est caractérisé lorsqu’une clause contrevient à une norme légale ou réglementaire impérative. Dès lors, au-delà d’un procédé abusif, elle entend désormais, au regard de ce déséquilibre ainsi appréhendé, stigmatiser sur le terrain de l’abus le contenu même des stipulations illicites (CCA, Rapp. annuel 2018). 

S’agissant des clauses abusives, la Cour de cassation approuve l’analyse de la cour d’appel en estimant qu’une clause qui laisserait le soin au constructeur d’effectuer les démarches nécessaires à l’obtention d’un permis de construire sans prévoir de délai pour le dépôt de ce permis (alors que mandat a été donné à ce dernier), laissait au constructeur le seul pouvoir de faire avancer l’étude dudit permis sans permettre aux maîtres d’ouvrage d’exercer un recours. En outre, cette clause combinée à la clause prévoyant que le délai de livraison des travaux court à compter du démarrage des travaux, laissait au constructeur la possibilité de ne pas faire courir ce délai s’il décidait de ne pas faire démarrer les travaux. L’abus est donc caractérisé pour la haute juridiction (Pts 13, 14). 

La cour d’appel avait également sanctionné une clause au motif qu’elle « ne permettait pas au consommateur de connaître suffisamment le coût total de l’extension du réseau et de distinguer clairement les coûts restant à sa charge ». En effet, au regard de l’article R. 231-4 du Code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction applicable à l’époque, une notice descriptive doit être annexée au contrat, celle-ci devant mentionner « les caractéristiques techniques tant de l’immeuble lui-même que des travaux d’équipement » et faire la distinction entre « ces éléments selon que ceux-ci sont ou non compris dans le prix convenu. Elle [la notice] indique le coût de ceux desdits éléments dont le coût n’est pas compris dans le prix ». Or, la clause litigieuse prévoyait que « que le maître de l’ouvrage se chargeait personnellement des démarches nécessaires auprès des services compétents pour la réalisation des travaux de viabilité du terrain (eau, gaz, électricité, téléphone, assainissement) et que ces dépenses seraient payées directement par lui aux services concernés ». Elle ne permettait donc pas au consommateur de connaitre avec précision le coût qu’il aurait à sa charge. La Cour de cassation approuve donc les juges du fond d’avoir jugé la clause abusives (Pt 15). 

Parmi les clauses litigieuses, une stipulation du contrat prévoyait que « toute prescription imposée par l’administration fera l’objet d’un avenant à la charge financière du maître d’ouvrage ». Or, il ressort de l’analyse de la cour d’appel, validée par la haute juridiction, que cette clause conduit à mettre à la charge du maître d’ouvrage la mise en conformité des travaux au regard des modifications exigées par l’administration alors que seul le constructeur, en qualité de professionnel, avait la main sur l’élaboration du permis de construire. La Cour de cassation approuve donc le raisonnement de la cour d’appel en estimant que « ces dispositions portaient atteinte au caractère forfaitaire et définitif du prix du contrat dont le principe était de protéger le cocontractant des coûts imprévisibles ». Dès lors le déséquilibre significaitf était caractérisé (Pt 17). 

La Cour de cassation poursuit son analyse des clauses du contrat en confirmant le raisonnement de la cour d’appel selon lequel la clause qui prévoit que les consignations nécessaires à l’issue de la réception de l’ouvrage seront effectuées sur le compte signataire choisi par le constructeur est abusive au regard de l’article R. 231-7 du Code de la construction et de l’habitation, puisque ce texte prévoit qu’ « en cas de désaccord le consignataire doit être désigné par le président du tribunal de grande instance, sans que les conditions relatives à la conservation et à la libération des fonds soient portées à la connaissance du maître d’ouvrage ». C’est donc à bon droit que la cour d’appel a caractérisé l’abus en ce que la clause « était de nature à porter atteinte au libre recours au juge », justifiant le déséquilibre significatif qui en découle (Pt 18). 

Une autre clause du contrat est sanctionnée par la cour d’appel du fait de sa contrariété avec l’article L. 231-4 du Code de la construction et de l’habitation en ce « qu’elle ne permettait pas une information suffisante du maître de l’ouvrage, lequel risquait d’être induit en erreur sur la destination de ces fonds ». La Cour de cassation confirme le caractère abusif d’une telle clause dès lors qu’elle ne précise pas « que le dépôt de garantie ne devait pas être remis au constructeur mais devait être effectué sur un compte spécial ouvert au nom du maître de l’ouvrage lui-même » (Pt 19). 

Par ailleurs, en ne mentionnant pas le régime de l’assurance décennale obligatoire mais en faisant mention d’autres assurances (par exemple, la garantie d’achèvement), une clause est sanctionnée sur le terrain de l’abus par la cour d’appel puisqu’elle ne permet « pas une information suffisante du consommateur sur l’étendue de ses droits ». Le déséquilibre est donc à juste titre justifié pour la Cour de de cassation (Pt 20).  

La Cour de cassation est également amenée à contrôler le déséquilibre significatif d’une stipulation qui prévoit que « le maître de l’ouvrage déclare ne pas bénéficier actuellement d’emprunts susceptibles de remettre en cause l’endettement maximum accepté par l’organisme de crédit permettant l’obtention du ou des prêts indispensables à la réalisation de l’opération ».  La cour d’appel avait retenu que la notion d’« endettement maximum accepté par l’organisme de crédit » n’était pas précisément déterminable par le maître d’ouvrage et l’obligeait à fournir de nombreuses informations au constructeur sur sa situation financière alors que, réciproquement, le constructeur n’informait pas le maître d’ouvrage sur sa solvabilité. L’abus est là encore confirmé par la première chambre civile (Pt 21). 

Pour finir est analysée la clause pénale permettant au constructeur d’obtenir « en toute hypothèse » une indemnité « si le maître d’ouvrage utilisait sans l’accord du constructeur les plans, études et avant-projets ». La Cour de cassation, comme auparavant la Cour d’appel , rappelle qu’en principe «en cas d’annulation du contrat, l’anéantissement du contrat entraîne celui de cette clause pénale » (Pt 22). Dès lors, la stipulation qui avait pour effet de déroger à cette conséquence de la nullité crée un déséquilibre significatif. 

En revanche, le pourvoi incident formé par l’association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels est rejeté.  Cette dernière estimait que la clause qui se réfère à un texte de loi sans citer son contenu est abusive puisqu’elle ne permet pas au consommateur de connaitre ses droits et obligations. Toutefois, pour la Cour de cassation, c’est à bon droit que la cour d’appel a estimé que dès lors que les exigences de clarté et de compréhensibilité de la clause au sens de l’ancien article L. 133-2 du code de la consommation étaient respectées, la clause bien que ne reproduisant pas le contenu des dispositions du code de la construction et de l’habitation n’était pas abusive. 

Voir également : 

–  CJUE 26 avril 2012 Invitel, aff. C-472/10 

Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016, n°15-20.621 

Cass. civ. 3ème, 11 mai 2022, n°21-15.420  

Contrat de maitrise d’ouvrage – mode alternatif de règlement des litiges – clause grise – relevé d’office – fin de non-recevoir  

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code :  

(…)

21.Pour accueillir la fin de non-recevoir opposée par l’architecte aux demandes des maîtres de l’ouvrage consommateurs, l’arrêt, qui constate que le contrat de maîtrise d’oeuvre comporte une clause selon laquelle « en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d’un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes », retient que le non-respect de cette clause est sanctionné par une fin de non-recevoir.

22. En se déterminant ainsi, alors qu’il lui incombait d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.  

 

ANALYSE : 

Dans un contrat conclu entre des maitres de l’ouvrage et un architecte se trouve une clause précisant qu’ « en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d’un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes ».  

La cour d’appel accueille la fin de non-recevoir soulevée par l’architecte en retenant que cette clause n’avait pas été respectée par les maitres de l’ouvrage consommateurs. En effet, les maitres de l’ouvrage ont d’abord saisi le conseil régional de l’ordre des architectes le 8 décembre 2010, mais le 13 décembre, soit moins d’un mois après, ils ont assigné l’architecte devant le juge des référés  ce qui a entrainé l’annulation de la réunion devant l’ordre des architectes. Ainsi, le règlement amiable du litige n’a pas eu lieu et c’est pour cela que la Cour d’appel de Douai prononce, à la demande de l’architecte, la fin de non recevoir. 

La Cour de cassation casse l’arrêt. Les magistrats de la troisième chambre civile considèrent qu’il importe peu que les consommateurs aient respecté la procédure amiable. La Cour d’appel aurait dû rechercher si dans ce contrat entre un professionnel et des consommateurs, cette clause n’était pas abusive. En d’autres termes, le relevé d’office du caractère abusif de la clause de règlement amiable écarte la fin de non recevoir attachée au défaut de respect de la procédure amiable.  

La clause qui impose au consommateur de recourir exclusivement à un règlement amiable est une clause grise présumée abusive par l’article R. 212-2, 10°. Les juges de la troisième chambre civile avaient déjà eu l’occasion de juger que « la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu’il appartient au juge d’examiner d’office la régularité d’une telle clause (3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095)..
Cependant, dans la présente décision, la Cour de cassation semble nuancer la présomption d’abus puisqu’elle juge que la Cour d’appel de Douai aurait dû relever d’office le caractère « éventuellement » abusif d’une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers.  

Voir également :
La clause de conciliation préalable et obligatoire est présumée abusive et doit être soulevée d’office.