Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 juin 2022, pourvoi n°18-16.968
Clause illicite — déséquilibre significatif — agrément des associations de consommateurs — action en cessation — effet de l’action en cessation – clause pénale – indétermination du prix – atteinte au libre recours au juge
EXTRAITS :
«Il résulte de l’article L. 421-6 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, alors applicable, interprété à la lumière de l’article 6, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu en combinaison avec l’article 7, § 1 et 2, de cette directive, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 26 avril 2012, C-472/10), que les clauses des conditions générales d’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel qui sont déclarées abusives, à la suite de l’action prévue par l’article L. 421-6, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales ».
« En retenant que la clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur est illicite, une cour d’appel caractérise l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties créé par cette clause au détriment du consommateur, ce dont elle déduit à bon droit qu’elle est abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ».
ANALYSE :
Une association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels a assigné en 2013 deux sociétés en suppression de clauses abusives et illicite contenues dans des contrats de construction de maison individuelle, ainsi qu’en indemnisation. La Cour d’appel de Lyon dans un arrêt en date du 24 avril 2018 a accueilli la plupart des arguments de l’association. Les deux sociétés ont formé un pourvoi contre l’arrêt en invoquant principalement quatre moyens.
D’abord les sociétés demanderesses se fondent sur une fin de non-recevoir tirée de la portée de l’agrément reçu par l’association et délivré par le préfet de l’Essonne. Selon elles, l’association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels était agréée en qualité d’association locale et l’agrément était limité territorialement à un seul département. La Cour rejette ce moyen au motif que lorsque l’objet statutaire de l’association est clairement la défense des intérêts des consommateurs, alors même si l’agrément est délivré par arrêté préfectoral, la qualité et l’intérêt à agir de cette association ne sont pas strictement locaux. En outre, l’agrément n’était pas délivré pour la seule compétence de ce département, permettant ainsi à l’association d’agir.
Le deuxième moyen portait sur l’application de la législation sur les clauses abusives à des contrats qui n’étaient plus proposés aux consommateurs déjà conclus. A l’appui de leur pourvoi, les sociétés invoquent le fait que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, qui a modifié l’article L. 421-6 du code de la consommation pour élargir ainsi la portée de l’action en cessation n’était pas applicable au litige faute d’avoir été déclarée immédiatement applicable aux instances en cours. Cependant, la Cour de cassation substitue un moyen de pur droit à celui attaqué. Elle applique en effet l’article L. 421-6 du Code de la consommation, « lu à la lumière des articles 6§1 de la directive 93/13/CEE et 7§1 et 2 de cette même directive ainsi que ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 26 avril 2012, C-472/10) » pour juger que « les clauses des conditions générales d’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel qui sont déclarées abusives, à la suite de l’action prévue par l’article L. 421-6, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales ». L’arrêt Invitel sur lequel s’appuie la première chambre civile avait en effet jugé que « lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une telle procédure, les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales » (CJUE 26 avril 2012 C-472/10). Dès lors, il importe peu que les clauses figurent dans des contrats proposés actuellement ou dans des contrats proposés par le passé, puisque ces clauses ont pu porter préjudice à des consommateurs.
Le quatrième moyen du pourvoi reproche à l’arrêt d’avoir déclaré illicites et abusives la plupart des clauses contenues dans les modèles de contrats de construction de maison individuelle.
S’agissant de l’illicéité (Pt 16), la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir jugé une clause illicite comme méconnaissant les dispositions du code de la construction et de l’habitation selon lesquelles le prix doit comprendre le coût du plan et, s’il y a lieu, les frais d’études du terrain pour l’implantation du bâtiment. Elle approuve les juges du fond d’avoir jugé que ce caractère illicite permettait de caractériser le déséquilibre significatif. La Cour d’appel avait ici fait application d’un raisonnement de la première chambre civile inspiré de celui tenu auparavant par la Commission des clauses abusives et selon lequel une clause illicite « maintenue dans un contrat » présente un caractère abusif., (Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016, n°15-20.621). Le raisonnement de la Commission a cependant évolué. Elle considère désormais que le critère du déséquilibre significatif, tel qu’entendu par la CJUE, à savoir la création d’une situation défavorable pour le consommateur, est caractérisé lorsqu’une clause contrevient à une norme légale ou réglementaire impérative. Dès lors, au-delà d’un procédé abusif, elle entend désormais, au regard de ce déséquilibre ainsi appréhendé, stigmatiser sur le terrain de l’abus le contenu même des stipulations illicites (CCA, Rapp. annuel 2018).
S’agissant des clauses abusives, la Cour de cassation approuve l’analyse de la cour d’appel en estimant qu’une clause qui laisserait le soin au constructeur d’effectuer les démarches nécessaires à l’obtention d’un permis de construire sans prévoir de délai pour le dépôt de ce permis (alors que mandat a été donné à ce dernier), laissait au constructeur le seul pouvoir de faire avancer l’étude dudit permis sans permettre aux maîtres d’ouvrage d’exercer un recours. En outre, cette clause combinée à la clause prévoyant que le délai de livraison des travaux court à compter du démarrage des travaux, laissait au constructeur la possibilité de ne pas faire courir ce délai s’il décidait de ne pas faire démarrer les travaux. L’abus est donc caractérisé pour la haute juridiction (Pts 13, 14).
La cour d’appel avait également sanctionné une clause au motif qu’elle « ne permettait pas au consommateur de connaître suffisamment le coût total de l’extension du réseau et de distinguer clairement les coûts restant à sa charge ». En effet, au regard de l’article R. 231-4 du Code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction applicable à l’époque, une notice descriptive doit être annexée au contrat, celle-ci devant mentionner « les caractéristiques techniques tant de l’immeuble lui-même que des travaux d’équipement » et faire la distinction entre « ces éléments selon que ceux-ci sont ou non compris dans le prix convenu. Elle [la notice] indique le coût de ceux desdits éléments dont le coût n’est pas compris dans le prix ». Or, la clause litigieuse prévoyait que « que le maître de l’ouvrage se chargeait personnellement des démarches nécessaires auprès des services compétents pour la réalisation des travaux de viabilité du terrain (eau, gaz, électricité, téléphone, assainissement) et que ces dépenses seraient payées directement par lui aux services concernés ». Elle ne permettait donc pas au consommateur de connaitre avec précision le coût qu’il aurait à sa charge. La Cour de cassation approuve donc les juges du fond d’avoir jugé la clause abusives (Pt 15).
Parmi les clauses litigieuses, une stipulation du contrat prévoyait que « toute prescription imposée par l’administration fera l’objet d’un avenant à la charge financière du maître d’ouvrage ». Or, il ressort de l’analyse de la cour d’appel, validée par la haute juridiction, que cette clause conduit à mettre à la charge du maître d’ouvrage la mise en conformité des travaux au regard des modifications exigées par l’administration alors que seul le constructeur, en qualité de professionnel, avait la main sur l’élaboration du permis de construire. La Cour de cassation approuve donc le raisonnement de la cour d’appel en estimant que « ces dispositions portaient atteinte au caractère forfaitaire et définitif du prix du contrat dont le principe était de protéger le cocontractant des coûts imprévisibles ». Dès lors le déséquilibre significaitf était caractérisé (Pt 17).
La Cour de cassation poursuit son analyse des clauses du contrat en confirmant le raisonnement de la cour d’appel selon lequel la clause qui prévoit que les consignations nécessaires à l’issue de la réception de l’ouvrage seront effectuées sur le compte signataire choisi par le constructeur est abusive au regard de l’article R. 231-7 du Code de la construction et de l’habitation, puisque ce texte prévoit qu’ « en cas de désaccord le consignataire doit être désigné par le président du tribunal de grande instance, sans que les conditions relatives à la conservation et à la libération des fonds soient portées à la connaissance du maître d’ouvrage ». C’est donc à bon droit que la cour d’appel a caractérisé l’abus en ce que la clause « était de nature à porter atteinte au libre recours au juge », justifiant le déséquilibre significatif qui en découle (Pt 18).
Une autre clause du contrat est sanctionnée par la cour d’appel du fait de sa contrariété avec l’article L. 231-4 du Code de la construction et de l’habitation en ce « qu’elle ne permettait pas une information suffisante du maître de l’ouvrage, lequel risquait d’être induit en erreur sur la destination de ces fonds ». La Cour de cassation confirme le caractère abusif d’une telle clause dès lors qu’elle ne précise pas « que le dépôt de garantie ne devait pas être remis au constructeur mais devait être effectué sur un compte spécial ouvert au nom du maître de l’ouvrage lui-même » (Pt 19).
Par ailleurs, en ne mentionnant pas le régime de l’assurance décennale obligatoire mais en faisant mention d’autres assurances (par exemple, la garantie d’achèvement), une clause est sanctionnée sur le terrain de l’abus par la cour d’appel puisqu’elle ne permet « pas une information suffisante du consommateur sur l’étendue de ses droits ». Le déséquilibre est donc à juste titre justifié pour la Cour de de cassation (Pt 20).
La Cour de cassation est également amenée à contrôler le déséquilibre significatif d’une stipulation qui prévoit que « le maître de l’ouvrage déclare ne pas bénéficier actuellement d’emprunts susceptibles de remettre en cause l’endettement maximum accepté par l’organisme de crédit permettant l’obtention du ou des prêts indispensables à la réalisation de l’opération ». La cour d’appel avait retenu que la notion d’« endettement maximum accepté par l’organisme de crédit » n’était pas précisément déterminable par le maître d’ouvrage et l’obligeait à fournir de nombreuses informations au constructeur sur sa situation financière alors que, réciproquement, le constructeur n’informait pas le maître d’ouvrage sur sa solvabilité. L’abus est là encore confirmé par la première chambre civile (Pt 21).
Pour finir est analysée la clause pénale permettant au constructeur d’obtenir « en toute hypothèse » une indemnité « si le maître d’ouvrage utilisait sans l’accord du constructeur les plans, études et avant-projets ». La Cour de cassation, comme auparavant la Cour d’appel , rappelle qu’en principe «en cas d’annulation du contrat, l’anéantissement du contrat entraîne celui de cette clause pénale » (Pt 22). Dès lors, la stipulation qui avait pour effet de déroger à cette conséquence de la nullité crée un déséquilibre significatif.
En revanche, le pourvoi incident formé par l’association d’aide aux maîtres d’ouvrage individuels est rejeté. Cette dernière estimait que la clause qui se réfère à un texte de loi sans citer son contenu est abusive puisqu’elle ne permet pas au consommateur de connaitre ses droits et obligations. Toutefois, pour la Cour de cassation, c’est à bon droit que la cour d’appel a estimé que dès lors que les exigences de clarté et de compréhensibilité de la clause au sens de l’ancien article L. 133-2 du code de la consommation étaient respectées, la clause bien que ne reproduisant pas le contenu des dispositions du code de la construction et de l’habitation n’était pas abusive.
Voir également :
– CJUE 26 avril 2012 Invitel, aff. C-472/10
– Cass. civ. 1ère, 3 nov. 2016, n°15-20.621