CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère (franc suisse) – Prescription – Action en constatation du caractère abusif d’une clause – Principe d’effectivité 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :  

– aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;  

ANALYSE : 

A l’occasion du contentieux des contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser les règles de prescription applicables aux actions introduites par le consommateur en matière de clauses abusives.  

Pour ce faire, la Cour commence par rappeler que le principe d’autonomie procédurale des Etats membres ne doit pas méconnaître les principes d’effectivité et d’équivalence du Droit de l’Union Européenne (CJUE-16 juillet 2020-C-224/19-Caixabank). Dans la présente affaire, seul est visé le principe d’effectivité, ce qui implique que les modalités procédurales mises en œuvre par les Etats membres ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13. 

Dès lors, la Cour de Justice de l’Union Européenne précise que la demande introduite par un consommateur, afin que soit constaté le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat l’unissant à un professionnel, ne peut être soumise à un quelconque délai de prescription. Cette solution veille à assurer, selon la Cour, une protection effective des droits dont bénéficie le consommateur en vertu de la directive 93/13 (n°38). 

La Cour de cassation s’était déjà conformée à cette exigence (Cass. Com., 8 avril 2021, n°19-17.997)

CJUE, 10 juin 2021, C-609/19, BNP Paribas Personal Finance SA 

Clauses abusives – contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère – transparence – déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« L’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. » 

ANALYSE : 

La Cour de Justice se prononce sur les clauses des prêts libellés en francs suisses. Elle rappelle (pnt 66) que le juge national doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte cette clause à la suite d’une négociation individuelle (voir notamment arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C-84/19, C-222/19 et C-252/19). 

La Cour en déduit que, pour apprécier si des clauses, telles que celles d’espèce, créent un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances dont le prêteur professionnel pouvait avoir connaissance au moment de la signature du contrat, comme son expertise (pt 67). 

En l’espèce, au regard des connaissances du professionnel sur le contexte économique prévisible pouvant avoir des répercussions sur les variations des taux de change, des moyens supérieurs du professionnel pour anticiper le risque de change, ainsi que du risque considérable relatif aux variations des taux de change que les clauses en cause font peser sur le consommateur, il y a lieu de considérer que ces clauses peuvent donner lieu à un déséquilibre significatif au détriment du consommateur (pt 68). La CJUE explicite son point de vue en précisant que, dans la mesure où le professionnel n’a pas respecté l’exigence de transparence, les clauses litigieuses semblent faire peser sur le consommateur un risque disproportionné par rapport aux prestations et au montant du prêt reçus en ce que ce dernier doit supporter le coût de l’évolution des taux de change à terme (pt 69). 

Ainsi, le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le consommateur accepte de telles clauses dans le cadre d’une négociation si l’exigence de transparence avait été respectée (pt 70). 

La CJUE en conclut que les clauses litigieuses sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif à partir du moment où le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence, à ce que ce dernier accepte un risque disproportionné de change (pt 71). 

Cette solution est reprise dans un arrêt du même jour de la Cour de Justice, pour le même type de contrat (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19, EU:C:2021:470). 

CJUE, 10 juin 2021, C-609/19 – BNP Paribas Personal Finance 

Contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère (franc suisse) – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Exigences d’intelligibilité et de transparence – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle 

EXTRAITS : 

“L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat”. 

ANALYSE : 

La CJUE rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, doit être entendue de manière extensive (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C-125/18, EU:C:2020:138, point 51 et jurisprudence citée).  

Effectivement, elle doit être comprise comme imposant deux exigences pour le professionnel, à savoir :  

  • que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical,   
  • mais également qu’un consommateur moyen, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.

Au regard de cette seconde exigence, la Cour en l’espèce précise que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, le professionnel doit fournir précontractuellement des informations au consommateur, relatives aux clauses du contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, lui permettant :  

  • de comprendre qu’en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières.
      
  • mais également de comprendre le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte. 

A ce titre, la Cour ajoute que les simulations chiffrées peuvent constituer un élément d’information utile, dès lors qu’elles sont fondées sur des données suffisantes et exactes, et si elles comportent des appréciations objectives qui sont communiquées de manière claire et compréhensible au consommateur. L’exigence n’est pas remplie si les simulations sont fondées sur l’hypothèse que la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement restera stable tout au long de la durée de ce contrat. 

La CJUE a adopté, mot pour mot, le même raisonnement concernant les clauses du contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur le consommateur (arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19, EU:C:2021:470).   

En droit français, la Cour de cassation considérait, avant cette décision de la CJUE, qu’il suffisait que les variations du mécanisme de change aient été exposées au consommateur (Civ. 1re, 20 fév. 2019, n° 17-31067 et 17-31065). 

CJUE, 10 juin 2021, C-609/19 – BNP Paribas Personal Finance 

Contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère (franc suisse) – Objet principal du contrat – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle  

EXTRAITS : 

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat. » 

ANALYSE : 

La Cour rappelle au point 27 que selon l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat ne porte ni sur la définition de l’objet principal ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. 

Par conséquent, le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat ne pourra être contrôlé que si cette dernière n’est pas claire et compréhensible. S’agissant d’une exception au mécanisme de contrôle de fond des clauses abusives édictée par l’article, il convient dès lors de donner une interprétation stricte (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16, EU:C:2017:703, point 34 ainsi que jurisprudence citée). 

Dans cet arrêt, au pt 29, la Cour rappelle que la notion d’ « objet principal » doit être entendue comme les clauses qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui donc le caractérise, contrairement aux clauses dites accessoires (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 32 ainsi que jurisprudence citée). 

Par ailleurs, la CJUE rappelle, au pt 33, qu’elle a déjà précisé que les clauses du contrat qui se rapportent au risque de change définissent l’objet principal de ce contrat. Pour autant, la Cour n’a pas limité ce constat aux seuls contrats de prêts libellés en devise étrangère et remboursable en cette même devise, bien que la règle leur soit applicable (arrêts du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17, EU:C:2018:750, point 68 ainsi que jurisprudence citée, et du 14 mars 2019, Dunai, C-118/17, EU:C:2019:207, point 48).  

En l’occurrence, elle précise au pt 34 précise que les clauses du contrat de prêt en cause au principal, qui font partie d’un mécanisme de conversion de devises, aboutissent à ce que le risque de change soit intégré aux mensualités payées par l’emprunteur. Les clauses visées portent sur les règles d’imputation des paiements sur les intérêts, sur le fonctionnement des comptes en francs suisses (monnaie de compte) et en euros (monnaie de paiement), ainsi que sur la prorogation du prêt pour une période de cinq années. 

A cet égard, constitue un élément essentiel du contrat de prêt le fait pour le prêteur de mettre à disposition, à titre principal une somme d’argent, et pour l’emprunteur de rembourser, également à titre principal, la somme prêter (pt 35). Les prestations essentielles d’un tel contrat se rapportent, dès lors, à une somme d’argent qui doit être définie par rapport aux monnaies de paiement et de remboursement qui y sont stipulées (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16, EU:C:2017:703, point 38). 

Si les clauses contractuelles visées font partie du mécanisme financier qui exprime le risque de change caractérisant un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en devise nationale, elles ne se rapportent pas, de manière directe, au montant prêté ou aux intérêts du prêt devant être remboursés, ni à la fixation de la monnaie de compte et de paiement. En effet, ces clauses gèrent les conséquences du changement de parité en précisant les règles de remboursement applicables en fonction des variations du taux de change, de sorte qu’elles pourraient être considérées comme des modalités accessoires de paiement ne participant pas à l’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 (pt 36). 

Cependant, la CJUE relève qu’il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que les clauses relatives aux conditions de remboursement du prêt en cause au principal matérialisent le risque de change découlant des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement ainsi que le taux d’intérêt qui y est rattaché, lequel caractérise ce prêt (pt 37). 

La CJUE invite donc la juridiction de renvoi à apprécier, en tenant compte des critères dégagés aux points 32 à 37 du présent arrêt, si les clauses du contrat en cause au principal, qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, et qui matérialisent ainsi le risque de change, ont trait à la nature même de l’obligation du débiteur de rembourser le montant mis à sa disposition par le prêteur (pt 38). 

CJUE, 29 avril 2021,  C-19/20 – BankBPH  

Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire libellé dans une devise étrangère – Détermination du taux de change entre les devises – Contrat de novation – Effet dissuasif – Obligations du juge national 

Contrat de prêt — Clause d’indemnité de remboursement anticipé — Clause « réputée non écrite » — Délai de prescription 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les conséquences du constat judiciaire de la présence d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur relèvent des dispositions du droit national, la question de la persistance d’un tel contrat devant être appréciée d’office par le juge national selon une approche objective sur le fondement de ces dispositions ». 

ANALYSE : 

La CJUE a déjà interprété l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 en ce sens qu’en principe le contrat présentant des clauses abusives peut être maintenu sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dès lors que c’est juridiquement possible, ce qu’il convient de vérifier selon une application objective par le juge national des critères établis en vertu du droit national (voir en ce sens l’arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 39 et jurisprudence citée).  

En outre, il appartient aux États membres, au moyen de leur droit national, de définir les modalités dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat est établi et les effets juridiques concrets de ce constat sont matérialisés. En tout état de cause, un tel constat doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause abusive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 66). 

CJUE, 29 avril 2021,  C-19/20 – BankBPH 

Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire libellé dans une devise étrangère – Détermination du taux de change entre les devises – Contrat de novation – Effet dissuasif – Obligations du juge national 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il appartient au juge national, constatant le caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur, d’informer ce dernier, dans le cadre des règles nationales de procédure et à la suite d’un débat contradictoire, des conséquences juridiques qu’est susceptible d’entraîner l’annulation d’un tel contrat, indépendamment du fait que le consommateur soit représenté par un mandataire professionnel ». 

ANALYSE : 

Il résulte d’une jurisprudence constante de la CJUE qu’il in combe au juge national qui relève le caractère abusif d’une clause d’en informer les parties au litige et de les inviter à en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure (arrêt du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C-472/11, EU:C:2013:88, point 31). Le consommateur doit a fortiori avoir le droit de s’opposer à être protégé contre les conséquences préjudiciables provoquées par l’invalidation du contrat dans son ensemble lorsqu’il ne souhaite pas invoquer cette protection (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 55). 

Or, afin que le consommateur puisse donner son consentement libre et éclairé, il appartient au juge national d’indiquer aux parties, dans le cadre des règles nationales de procédure et au regard du principe d’équité dans les procédures civiles, de manière objective et exhaustive les conséquences juridiques qu’est susceptible d’entraîner la suppression de la clause abusive, et cela indépendamment du fait qu’elles sont représentées par un mandataire professionnel ou non. 

CJUE, 29 avril 2021,  C-19/20 – BankBPH 

Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire libellé dans une devise étrangère – Détermination du taux de change entre les devises – Contrat de novation – Effet dissuasif – Obligations du juge national 

EXTRAIT : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, d’une part, ils ne s’opposent pas à ce que le juge national supprime uniquement l’élément abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur lorsque l’objectif dissuasif poursuivi par cette directive est assuré par des dispositions législatives nationales qui en réglementent l’utilisation, pour autant que cet élément consiste en une obligation contractuelle distincte, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé de son caractère abusif. D’autre part, ces dispositions s’opposent à ce que la juridiction de renvoi supprime uniquement l’élément abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance, ce qu’il appartiendra à cette juridiction de vérifier ». 

ANALYSE : 

La CJUE avait interprété l’article 6 paragraphe 1 de la directive 93/13 en ce sens que le juge interne est uniquement tenu d’écarter l’application d’une clause abusive sans pouvoir en réviser le contenu (voir en ce sens arrêt du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C-96/16 et C-94/17, EU:C:2018:643, point 73).  

En l’espèce, la suppression de l’élément de la clause d’indexation du prêt hypothécaire en cause dans l’affaire au principal relatif à la marge de la banque n’entraîne aucune lacune qui nécessiterait une intervention positive de la part du juge interne. Toutefois, elle souligne que cette suppression modifie l’essence de la clause dans sa rédaction originale. Or, la Cour a jugé que les dispositions de la directive 93/13 s’opposent à ce qu’une clause jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C-70/17 et C-179/17, EU:C:2019:250, point 64). 

Par ailleurs, la faculté reconnue au juge national à titre exceptionnel de supprimer l’élément abusif d’une clause d’un contrat liant un professionnel et un consommateur ne saurait être remise en cause par l’existence de dispositions nationales qui, en réglementant l’utilisation d’une telle clause, garantissent l’objectif dissuasif poursuivi par cette directive. 

CJUE, 29 avril 2021,  C-19/20 – BankBPH  

Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire libellé dans une devise étrangère – Détermination du taux de change entre les devises – Contrat de novation – Effet dissuasif – Obligations du juge national 

EXTRAIT : 

 « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il appartient au juge national de constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, même si celle-ci a été modifiée par la voie contractuelle par ces parties. Un tel constat entraîne le rétablissement de la situation qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause dont le caractère abusif aurait été constaté, excepté si ce dernier a renoncé au moyen de la modification de ladite clause abusive à un tel rétablissement par un consentement libre et éclairé, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. Toutefois, il ne résulte pas de cette disposition que le constat du caractère abusif de la clause initiale aurait, en principe, pour effet l’annulation du contrat, dès lors que la modification de cette clause a permis de rétablir l’équilibre entre les obligations et les droits de ces parties découlant du contrat et d’écarter le vice qui l’entachait ». 

ANALYSE : 

La CJUE avait déjà interprété l’article 6 paragraphe 1, de la directive 93/13 en ce sens que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne sauraient lier et avoir d’effet sur ce dernier dans les conditions fixées par le droit interne (voir en ce sens l’arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C-452/18, EU:C:2020:536, point 23 et jurisprudence citée). Il appartient donc au juge national d’écarter les clauses abusives sauf si le consommateur s’y oppose. Or en l’espèce, un avenant contractuel conclu entre les parties a permis d’écarter le vice qui affectait des clauses initialement abusives et a rétabli l’équilibre entre les obligations et les droits du professionnel et des consommateurs. Dans cet arrêt la CJUE rappelle que le système prévu par la directive 93/13 ne saurait faire obstacle à ce que les parties à un contrat remédient au caractère abusif d’une clause qu’il contient en la modifiant par voie contractuelle, pour autant que, d’une part, la renonciation par le consommateur à se prévaloir du caractère abusif procède de son consentement libre et éclairé et, d’autre part, la nouvelle clause modificatrice n’est pas elle-même abusive, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.  

CJUE, 22 avril 2021, C-485/19 – Profi Credit Slovakia  

Paiement effectué en vertu d’une clause illicite – Enrichissement injustifié du prêteur – Prescription du droit à restitution – Point de départ du délai de prescription – Principe d’effectivité  

EXTRAITS : 

« Le principe d’effectivité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une action introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées dans le cadre de l’exécution d’un contrat de crédit, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive 93/13/CE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ou de clauses contraires aux exigences de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, est soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du jour où l’enrichissement injustifié est intervenu ». 

ANALYSE : 

Un consommateur a introduit en 2017 un recours aux fins de restitution des frais perçus indûment après avoir appris qu’une clause de son contrat, conclu en 2011, revêtait un caractère abusif.  

La réglementation nationale prévoit qu’une action introduite par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées est soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du jour où l’enrichissement injustifié est intervenu, quand bien même le consommateur lésé n’a pas eu connaissance du caractère abusif ou illicite de la clause contractuelle à l’origine de l’enrichissement sans cause. Il a alors été demandé à la Cour si cette réglementation ne contrevenait pas au principe d’effectivité. 

La Cour précise que, selon ce principe d’effectivité, les modalités procédurales des recours en justice interne ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. 

La Cour rappelle que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C698/18 et C699/18). 

La Cour énonce toutefois que les modalités procédurales nationales qui exigent du consommateur qu’il agisse en justice dans un délai de trois ans à compter de la date de l’enrichissement injustifié, et dans la mesure où cet enrichissement peut avoir lieu au cours de l’exécution d’un contrat de longue durée, sont de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui lui sont conférés par la directive 93/13.