cjce091006.htm
Dans l’affaire C‑40/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao (Espagne), par décision du 29 janvier 2008, parvenue à la Cour le 5 février 2008, dans la procédure
A…
contre
N…,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano (rapporteur), E. Levits et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: Mme V. Trstenjak,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour A…, par Mes P. Calderón Plaza et P. García Ibaceta, abogados,
– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement hongrois, par Mmes K. Veres et R. Somssich ainsi que par M. M. Fehér, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 mai 2009,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive opposant A… à Mme N… au sujet du paiement de sommes dues en exécution d’un contrat d’abonnement de téléphonie mobile que ladite société avait conclu avec cette dernière.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose:
«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»
4 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive:
«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»
5 L’annexe de la même directive comporte une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Au nombre de celles-ci figurent, au point 1, sous q), de cette annexe, les clauses qui ont pour objet ou pour effet «de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat».
La législation nationale
6 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a d’abord été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi 26/1984»).
7 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre Condiciones Generales de la Contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi 7/1998»), qui a transposé la directive 93/13 dans le droit interne.
8 La loi 7/1998 a notamment ajouté à la loi 26/1984 un article 10 bis, lequel prévoit, à son paragraphe 1, que «[s]ont considérées comme clauses abusives toutes les dispositions n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. En tout état de cause, sont considérées comme clauses abusives les dispositions énoncées dans la première disposition additionnelle de la présente loi. […]».
9 L’article 8 de la loi 7/1998 dispose:
«1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent différemment leur violation.
2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur, telles qu’elles sont définies, en tout état de cause, par l’article 10 bis et la première disposition additionnelle de la loi générale 26/1984 […]»
10 À la date des faits au principal, la procédure d’arbitrage était régie par la loi 60/2003 relative à l’arbitrage (Ley 60/2003 de Arbitraje), du 23 décembre 2003 (BOE n° 309, du 26 décembre 2003, ci-après la «loi 60/2003»).
11 L’article 8, paragraphes 4 et 5, de la loi 60/2003 disposait:
«4. Le tribunal de première instance du lieu où la sentence a été rendue est compétent pour statuer sur l’exécution forcée de celle-ci, conformément à l’article 545, paragraphe 2, du code de procédure civile […]
5. Le recours en annulation de la sentence arbitrale est formé devant l’Audiencia Provincial du lieu où celle-ci a été prononcée.»
12 L’article 22, paragraphes 1 et 2, de ladite loi prévoyait:
«1. Les arbitres sont compétents pour statuer sur leur propre compétence, y compris sur les exceptions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ou toute autre exception dont l’admission empêche l’examen au fond du litige. À cet effet, une convention d’arbitrage faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La décision des arbitres constatant la nullité du contrat n’emporte pas de plein droit la nullité de la convention d’arbitrage.
2. Les exceptions visées au paragraphe précédent doivent être soulevées au plus tard lors du dépôt des conclusions en défense, le fait pour une partie d’avoir désigné ou participé à la désignation des arbitres ne la privant pas du droit de soulever ces exceptions. L’exception prise de ce que la question litigieuse excéderait les pouvoirs des arbitres doit être soulevée dès que la question alléguée comme excédant leurs pouvoirs est soulevée pendant la procédure arbitrale.
Les arbitres ne peuvent admettre les exceptions soulevées ultérieurement que si le retard est justifié.»
13 L’article 40 de la même loi était libellé comme suit:
«Une sentence définitive peut faire l’objet d’une action en annulation, conformément aux dispositions du présent titre.»
14 L’article 41, paragraphe 1, de la loi 60/2003 énonçait:
«La sentence ne peut être annulée que lorsque la partie qui demande l’annulation allègue et prouve:
[…]
f) que la sentence est contraire à l’ordre public.
[…]»
15 Aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de ladite loi, le recours en annulation devait être formé dans les deux mois suivant la notification de la sentence arbitrale.
16 L’article 43 de la loi 60/2003 disposait:
«La sentence définitive produit les effets de l’autorité de la chose jugée et ne peut faire l’objet que d’un recours en révision, conformément aux dispositions du code de procédure civile applicables aux décisions définitives.»
17 L’article 44 de la même loi précisait:
«L’exécution forcée des sentences est régie par les dispositions du code de procédure civile et du présent titre.»
18 L’article 517, paragraphe 2, point 2, de la loi 1/2000 sur la procédure civile (Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, ci-après la «loi 1/2000»), dispose que sont susceptibles d’exécution forcée les sentences ou décisions arbitrales.
19 L’article 559, paragraphe 1, de la loi 1/2000 est libellé comme suit:
«La défenderesse à l’exécution peut également s’opposer à l’exécution pour les défauts de procédure suivants:
1. la défenderesse à l’exécution n’a pas le caractère ou la représentation visés dans la demande;
2. la requérante à l’exécution n’a pas la capacité ou la représentation ou n’a pas justifié avoir le caractère ou la représentation visés dans la demande;
3. nullité totale de l’ordonnance d’exécution parce que celle-ci ne contient pas la décision ou la sentence arbitrale prononçant la condamnation, le document présenté ne remplit pas les conditions légales requises pour être exécutoire, ou pour infraction, lors du traitement de l’exécution, aux dispositions de l’article 520 de la présente loi;
4. si le titre à exécuter est une sentence arbitrale non formalisée par notaire, le défaut d’authenticité de celle-ci.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
20 Le 24 mai 2004, un contrat d’abonnement de téléphonie mobile a été conclu entre A… et Mme N…. Ce contrat comportait une clause arbitrale soumettant tout litige afférent à l’exécution de ce contrat à l’arbitrage de l’Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d’arbitrage et d’amiable composition, ci-après l’«AEADE»). Le siège de cette instance arbitrale, qui n’était pas indiqué dans le contrat, se trouve à Bilbao.
21 Mme N… n’ayant pas acquitté certaines factures et ayant résilié le contrat avant le terme de la durée minimale d’abonnement convenue, A… a engagé à son encontre une procédure arbitrale devant l’AEADE.
22 La sentence arbitrale, rendue le 14 avril 2005, a condamné Mme N… au paiement de la somme de 669,60 euros.
23 Mme N… n’ayant introduit aucune action en annulation contre cette sentence arbitrale, celle-ci est devenue définitive.
24 Le 29 octobre 2007, A… a saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao d’un recours en exécution forcée de ladite sentence arbitrale.
25 Dans sa décision de renvoi, cette juridiction constate que la clause d’arbitrage contenue dans le contrat d’abonnement présente un caractère abusif, eu égard, notamment, au motif que, tout d’abord, les frais que le consommateur devait exposer pour se déplacer au siège de l’instance arbitrale étaient supérieurs au montant de la somme faisant l’objet du litige au principal. Ensuite, selon la même juridiction, ce siège est situé à une distance importante du domicile du consommateur et n’est pas indiqué dans le contrat. Enfin, cette instance élabore elle-même les contrats qui sont ensuite utilisés par les entreprises de télécommunication.
26 Toutefois, la juridiction de renvoi relève également que, d’une part, la loi 60/2003 ne permet pas aux arbitres de soulever d’office la nullité des clauses d’arbitrage abusives et que, d’autre part, la loi 1/2000 ne prévoit aucune disposition concernant l’appréciation du caractère abusif des clauses d’arbitrage par le juge compétent pour statuer sur un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive.
27 Dans ces circonstances, nourrissant des doutes quant à la compatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire, notamment en ce qui concerne les règles procédurales internes, le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«La protection des consommateurs qu’assure la [directive 93/13] implique-t-elle que la juridiction saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive, rendue sans comparution du consommateur, apprécie d’office la nullité de la convention d’arbitrage et, par conséquent, annule la sentence au motif que ladite convention d’arbitrage comporte une clause d’arbitrage abusive au détriment du consommateur?»
Sur la question préjudicielle
28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue de relever d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ainsi que d’annuler ladite sentence.
29 Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler d’emblée que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).
30 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêts Mostaza Claro, précité, point 36, et du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, non encore publié au Recueil, point 25).
31 Afin d’assurer la protection voulue par la directive 93/13, la Cour a également souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, ainsi que Mostaza Claro, point 26).
32 C’est à la lumière de ces principes que la Cour a ainsi jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle (arrêt Mostaza Claro, précité, point 38).
33 La présente affaire se distingue toutefois de celle ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, en ce que Mme N… est demeurée totalement passive au cours des différentes procédures afférentes au litige qui l’oppose à A… et, en particulier, elle n’a pas introduit d’action tendant à obtenir l’annulation de la sentence arbitrale rendue par l’AEADE afin de contester le caractère abusif de la clause d’arbitrage, de sorte que cette sentence a désormais acquis la force de chose jugée.
34 Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si la nécessité de substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers oblige le juge de l’exécution à assurer une protection absolue au consommateur, et ce même en l’absence de toute action juridictionnelle introduite par ce dernier afin de faire valoir ses droits et nonobstant les règles procédurales nationales mettant en œuvre le principe de l’autorité de la chose jugée.
35 À cet égard, il importe de rappeler d’emblée l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée.
36 En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I‑10239, point 38; du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec. p. I‑2585, point 20, et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, C‑2/08, non encore publié au Recueil, point 22).
37 Par conséquent, selon la jurisprudence de la Cour, le droit communautaire n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même si cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, du droit communautaire par la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I‑3055, points 47 et 48; Kapferer, précité, point 21, ainsi que Fallimento Olimpiclub, précité, point 23).
38 En l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts précités Kapferer, point 22, et Fallimento Olimpiclub, point 24).
39 En ce qui concerne, en premier lieu, le principe d’effectivité, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14, et Fallimento Olimpiclub, précité, point 27).
40 En l’occurrence, la sentence arbitrale en cause au principal est devenue définitive en raison du fait que le consommateur concerné n’a pas introduit de recours en annulation contre cette sentence dans le délai prévu à cet effet.
41 À cet égard, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, Rec. p. 1989, point 5; du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 28, ainsi que du 12 février 2008, Kempter, C-2/06, Rec. p. I-411, point 58). En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 34).
42 Il convient dès lors de vérifier le caractère raisonnable d’un délai de deux mois, tel que celui prévu à l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, à l’expiration duquel, en l’absence de recours en annulation, une sentence arbitrale devient définitive et acquiert ainsi l’autorité de la chose jugée.
43 En l’occurrence, il y a lieu de constater, d’une part, que, comme la Cour l’a déjà jugé, un délai de recours de 60 jours n’est pas en soi critiquable (voir, en ce sens, arrêt Peterbroeck, précité, point 16).
44 En effet, un tel délai de forclusion présente un caractère raisonnable en ce sens qu’il permet tant d’évaluer s’il existe des motifs de contester une sentence arbitrale que, le cas échéant, de préparer le recours en annulation contre cette dernière. À cet égard, il importe de relever que, dans la présente affaire, il n’a nullement été soutenu que les règles de procédure nationales régissant l’introduction du recours en annulation d’une sentence arbitrale, et notamment le délai de deux mois imparti à cet effet, étaient déraisonnables.
45 D’autre part, il importe de préciser que, aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, le délai commence à courir à compter de la notification de la sentence arbitrale. Ainsi, dans l’affaire au principal, le consommateur ne saurait se trouver dans une situation où le délai de prescription commence à courir, voire est écoulé, sans même qu’il ait eu connaissance des effets de la clause d’arbitrage abusive à son égard.
46 Dans ces conditions, un tel délai de recours apparaît conforme au principe d’effectivité, dans la mesure où il n’est pas par lui-même de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2003, Santex, C‑327/00, Rec. p. I‑1877, point 55).
47 En tout état de cause, le respect du principe d’effectivité ne saurait aller, dans des circonstances telles que celles au principal, jusqu’à exiger qu’une juridiction nationale doive non seulement compenser une omission procédurale d’un consommateur ignorant ses droits, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, mais également suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné qui, tel que la défenderesse au principal, n’a ni participé à la procédure arbitrale ni introduit une action en annulation contre la sentence arbitrale devenue de ce fait définitive.
48 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que les règles procédurales fixées par le système espagnol de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par la directive 93/13.
49 En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’équivalence, celui-ci requiert que les conditions imposées par le droit national pour soulever d’office une règle de droit communautaire ne soient pas moins favorables que celles régissant l’application d’office de règles du même rang de droit interne (voir en ce sens, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen, C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I‑ 4705, points 13 et 17 ainsi que jurisprudence citée).
50 Afin de vérifier si ledit principe est respecté dans l’affaire dont est saisie la juridiction nationale, il appartient à cette dernière, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit interne, d’examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (voir, notamment, arrêt du 16 mai 2000, Preston e.a., C‑78/98, Rec. p. I‑3201, points 49 et 56). Toutefois, en vue de l’appréciation à laquelle ladite juridiction devra procéder, la Cour peut lui fournir certains éléments tenant à l’interprétation du droit communautaire (voir arrêt Preston e.a., précité, point 50).
51 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, il convient de préciser que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 constitue une disposition de caractère impératif. Il importe en outre de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, cette directive, dans son intégralité, constitue, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE, une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à la Communauté européenne et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (arrêt Mostaza Claro, précité, point 37).
52 Ainsi, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, il y a lieu de constater que l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public.
53 Il en découle que, dans la mesure où le juge national saisi d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive doit, selon les règles de procédure internes, apprécier d’office la contrariété entre une clause arbitrale et les règles nationales d’ordre public, il est également tenu d’apprécier d’office le caractère abusif de cette clause au regard de l’article 6 de ladite directive, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêt Pannon GSM, précité, point 32).
54 Une telle obligation incombe également au juge national lorsqu’il dispose, dans le cadre du système juridictionnel interne, d’une simple faculté d’apprécier d’office la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public (voir, en ce sens, arrêts précités van Schijndel et van Veen, points 13, 14 et 22, ainsi que Kempter, point 45).
55 Or, s’agissant de l’affaire au principal, selon le gouvernement espagnol, le juge de l’exécution d’une sentence arbitrale devenue définitive est compétent pour apprécier d’office la nullité d’une clause arbitrale, contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, en raison du fait que cette clause est contraire aux règles nationales d’ordre public. Une telle compétence aurait par ailleurs été admise dans plusieurs arrêts récents de l’Audiencia Provincial de Madrid ainsi que de l’Audiencia Nacional.
56 Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans le litige dont elle est saisie.
57 Enfin, s’agissant des conséquences de la constatation par le juge de l’exécution de l’existence d’une clause d’arbitrage abusive dans un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, «dans les conditions fixées par leurs droits nationaux».
58 Dès lors, ainsi que l’a suggéré le gouvernement hongrois dans ses observations écrites, il appartient à la juridiction de renvoi de tirer, conformément au droit national, toutes les conséquences que l’existence d’une clause d’arbitrage abusive implique au regard de la sentence arbitrale, pour autant que cette clause n’est pas en mesure de lier le consommateur.
59 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.
Sur les dépens
60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.