CJUE, 25 janvier 2024, aff. C-810/21 à 813/21 – Caixabank SA
Frais dérivés de la formalisation du contrat de prêt hypothécaire – Restitution des sommes acquittées en vertu d’une clause déclarée abusive – Point de départ du délai de prescription de l’action en restitution.
EXTRAITS
« {…} L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, {…} s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’une clause contractuelle abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire, l’action en restitution de tels frais est soumise à un délai de prescription de dix ans qui commence à courir à partir du moment où cette clause épuise ses effets avec la réalisation du dernier paiement desdits frais, sans qu’il soit considéré́ comme pertinent à cet égard que ce consommateur ait connaissance de l’appréciation juridique de ces faits. La compatibilité des modalités d’application d’un délai de prescription avec ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de ces modalités dans leur ensemble. ».
« La directive 93/13 {…} s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action du consommateur en restitution des sommes payées indument en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme établissant qu’est remplie la condition relative à la connaissance, par le consommateur concerné, du caractère abusif de ladite clause et des conséquences juridiques qui en découlent. ».
ANALYSE
La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la CJUE) est saisie par la juridiction espagnole de renvoi sur le point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle le délai de prescription de l’action en restitution qui découle de l’annulation d’une clause abusive mettant à la charge du consommateur les frais de conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire commence à courir à partir du moment où la clause épuise ses effets par le dernier paiements de ces frais sans toutefois qu’il ne soit nécessaire d’informer le consommateur sur l’appréciation juridique des éléments constitutifs du caractère abusif de cette clause.
La CJUE rappelle que les règles de l’ordre juridique interne ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’union (CJUE du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C-485/19).
Concernant la conformité du délai de prescription de l’action en restitution au principe d’effectivité, la CJUE rappelle que n’est pas conforme à ce principe, le délai de prescription qui n’est pas matériellement suffisant pour permettre au consommateur de préparer et former un recours effectif afin de faire valoir les droits qu’il tire de la directive 93/13/CEE, et ce notamment sous forme de prétentions, de nature restitutive, fondées sur le caractère abusif d’une clause contractuelle (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C- 776/19 à C-782/19, point 32).
La CJUE énonce en outre que la conformité du principe d’effectivité aux modalités d’application d’un délai de prescription ne peut pas être établie alors que, même en prévoyant que le consommateur doit avoir connaissance des faits constitutifs du caractère abusif de la clause contractuelle, l’interprétation jurisprudentielle du droit national n’exige pas une telle connaissance quant aux droits qu’il tire de la directive 93/13 et quant au fait qu’il dispose d’un temps suffisant pour le permettre de préparer et de former un recours effectif afin de faire valoir ces droits. Ce délai de prescription ne saurait donc commencer à courir que si toutes ces conditions sont remplies et si le consommateur a préalablement eu connaissance du caractère abusif d’une clause contractuelle.
Dans le cadre de la seconde branche de la première question préjudicielle, la juridiction espagnole de renvoi interroge la CJUE sur la question de savoir si la directive 93/13 s’oppose à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution des sommes indument versées en exécution d’une clause contractuelle abusive, l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires peut être considérée comme suffisante pour établir que le consommateur concerné avait connaissance du caractère abusif de la clause et des conséquences juridiques qui en découlent.
La CJUE rappelle, en premier lieu, la position d’infériorité structurelle du consommateur vis-à-vis du professionnel, tant en termes de pouvoir de négociation que de niveau d’information. Cette asymétrie conduit le consommateur à adhérer aux conditions préalablement rédigées par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, l’arrêt de la CJUE du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C-26/13, point 39).
Partant de ce postulat, la Cour souligne qu’il ne saurait être présumé que le niveau d’information d’un consommateur, inférieur à celui du professionnel, intègre la connaissance de la jurisprudence nationale en matière de droit de la consommation, cette jurisprudence fût-elle bien établie. Aucune distinction n’est opérée entre une jurisprudence constante et une jurisprudence qui ne l’est pas.
La CJUE considère ainsi que, bien qu’il puisse être exigé des professionnels qu’ils se tiennent informés des aspects juridiques des clauses qu’ils insèrent dans les contrats qu’ils concluent avec les consommateurs, notamment en ce qui concerne la jurisprudence nationale relative à ces clauses, une telle exigence ne saurait être étendue aux consommateurs. Cela est dû au caractère ponctuel, voire exceptionnel, de la participation de ces derniers à la conclusion d’un contrat comportant une clause abusive.
Dès lors, la simple existence d’une jurisprudence nationale bien établie relative à la nullité de clauses similaires ne saurait suffire pour déclencher le délai de prescription de l’action en restitution des sommes payées indument en exécution d’une telle clause abusive, en l’absence de preuve d’une connaissance effective par le consommateur du caractère abusif de la clause et des conséquences juridiques qui en découlent.