CJUE, 12 octobre 2023, aff. C-645/22 -Luminor Bank AS 

  

EXTRAIT 

  

“L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, 

  

Doit être interprété en ce sens que : 

  

il s’oppose à ce que, lorsqu’un juge national a constaté l’impossibilité de maintenir un contrat après la suppression d’une clause abusive et que le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant cette clause, ce juge puisse statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et  les obligations des parties audit contrat soit rétabli, sans examiner au préalable les conséquences d’une annulation du même contrat dans son ensemble, et cela même si ledit juge a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit interne à caractère supplétif ou par une disposition applicable en cas d’accord de ces parties. » 

  

ANALYSE 

  

La clause abusive de l’espèce figurait dans des contrats de prêt libellés et remboursables en francs suisses. Un examen du caractère abusif de certaines clauses de ces contrats a été effectué par les juridictions lituaniennes à la demande de ces requérants. 

Leur demande ayant été rejetée, ils se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême de Lituanie, qui a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel du pays pour examiner à nouveau le caractère abusif desdites clauses. Les requérants au principal ont indiqué à cette juridiction qu’ils souhaitaient modifier les clauses dites abusives en remplaçant le franc suisse par l’euro. 

La Cour d’appel de Lituanie fait droit à cette demande en qualifiant les clauses d’abusives pour les modifier ensuite. 

La défenderesse au principal saisi la Cour Suprême de Lituanie d’un pourvoi en cassation contre cette décision. Elle estime que ces clauses ne sont pas abusives et que puisqu’en droit lituanien, il n’existe pas de dispositions supplétives pouvant remplacer lesdites clauses, la juridiction n’était pas fondée à les remplacer, leur modification sur la base de principes d’équité, bonne foi et raison, étant prohibée par la directive en son article 6. 

  

La juridiction de renvoi ne remet pas en cause la qualification du caractère abusif des clauses mais seulement la modification des contrats opérée par la Cour d’appel. Les requérants au principal souhaitent que les contrats soient maintenus et que les clauses abusives soient modifiées. La Cour d’appel de Lituanie n’a pas examiné au préalable si des conséquences particulièrement préjudiciables pour ces requérants pourraient découler d’une telle annulation desdits contrats litigieux. La juridiction de renvoi a donc saisi la CJUE de deux questions préjudicielles, auxquelles la Cour répond en même temps. 

  

La première question préjudicielle tient au point de savoir si le juge pouvait statuer sur la modification d’une clause abusive, demandée par le consommateur tout en maintenant le contrat, sans examiner au préalable la possibilité d’une invalidation du contrat dans son ensemble alors qu’il a constaté l’impossibilité de maintenir ledit contrat après la suppression de la clause. La seconde question était de savoir si la réponse à la première question dépend de la possibilité pour le juge de substituer à la clause abusive une disposition de droit interne à caractère supplétif ou applicable en cas des parties. 

  

La CJUE énonce qu’en vertu de la directive, le juge national doit examiner les conséquences d’une annulation du contrat dans son ensemble avant de statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et obligations des parties audit contrat quand bien même : 

  • Le juge national a constaté l’impossibilité de maintenir le contrat après la suppression de la clause abusive 
  • Le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant la clause abusive 

  

La CJUE précise que cette obligation d’examen préalable des conséquences de l’annulation du contrat incombe au juge y compris lorsqu’il a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat.  

La CJUE consacre une obligation d’examen préalable, incombant au juge national, des conséquences de l’annulation d’un contrat tout entier avant de statuer sur les mesures que peut prendre ce même juge pour rééquilibrer la relation entre les parties. 

  

La Cour s’était déjà prononcée sur la possibilité d’annuler un contrat dans son ensemble, lorsqu’il ne peut subsister sans les clauses abusives, en précisant que pour prononcer cette annulation, le juge ne peut se fonder sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties de cette annulation de tout le contrat (CJUE, 15 mars 2012, C-453/10 – Pereničová et Perenič). 

La CJUE avait également déclaré que le juge devait examiner, lorsque le consommateur exprime la volonté de se prévaloir de la protection de la directive, si le contrat pouvait subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne et indépendamment du fait que le consommateur exprime la volonté de maintenir ce contrat. Dans ce cas, la Cour avait admis que si le contrat ne peut subsister sans la clause abusive, la directive ne s’oppose pas à une annulation dudit contrat (CJUE, 12 janvier 2023, D.V. C-395/21). C’est seulement si l’annulation de tout le contrat expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (pas seulement pécuniaires) que le juge national peut substituer à la clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties. 

La Cour a également déjà rappelé l’obligation pour le juge national de prendre les mesures nécessaires pour protéger le consommateur de ces conséquences et restaurer l’équilibre entre les parties lorsqu’il n’existe pas de telles dispositions internes et que l’annulation du contrat expose le consommateur auxdites conséquences préjudiciables (CJUE, 25 novembre 2020, C-269/19, Banca B.). 

Si la CJUE s’était donc déjà prononcée sur l’obligation du juge d’examiner si le contrat peut subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne lorsque le consommateur exprime la volonté de maintenir ledit contrat, elle se prononce, ici semble-t-il, pour la première fois sur l’obligation du juge d’examiner les conséquences de l’annulation du contrat tout entier avant de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre entre les parties. 

  

En droit français, l’article L241-1 alinéa 1 du Code de la consommation dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites. Dans son alinéa 2, il affirme que le contrat reste applicable dans son entièreté, hormis les clauses jugées abusives, si le contrat peut subsister sans ces clauses. 

CJUE, 5 octobre 2023, aff. C 25/23 Princess Holdings 

 

Lettres de change – juge de l’exécution saisi d’une opposition – relevé d’office 

 

EXTRAIT 

“L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que : 

ils s’opposent à une disposition du droit national, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, prévoyant que, dans le cadre d’une procédure d’exécution de lettres de change, le juge saisi d’une opposition n’est pas compétent pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contestée.” 

 

ANALYSE 

 

Suite à la conclusion d’un contrat de location-vente entre un professionnel et un particulier, la société Princess Holdings (holding de la société ayant conclu le contrat en tant que vendeur : société No Deposit Cars Malta Ltd) a déposé une lettre judiciaire devant un tribunal civil Maltais pour l’exécution forcée de 8 lettres de change par la délivrance d’un mandat d’exécution. Le particulier a introduit un recours pour s’opposer à ce que ces 8 lettres de change soient rendues exécutoires. Celui-ci arguait avoir restitué la voiture de sorte que les lettres de change destinées à garantir le paiement des loyers et conservées par le créancier étaient sans objet. 

Le tribunal Maltais dans ce cadre sursoit à statuer et pose trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Deux des questions sont jugées irrecevables par la Cour et ne concernent pas les clauses abusives. 

La question concernant les clauses abusives est posée par le tribunal Maltais en ces termes : “ Est-il contraire aux dispositions de la directive [93/13] – en particulier l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive – que, dans le cadre de la procédure visant à rendre une lettre de change exécutoire […], la juridiction [nationale] ne puisse pas examiner le contrat qui a précédé l’émission de cette lettre de change ?” 

 

La Cour commence par rappeler que le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause, car ces dispositions relèvent de l’ordre juridique interne. Il est cependant impératif que les juridictions nationales respectent dans ce contexte les principes d’équivalence et d’effectivité. 

 

La Cour rappelle que le respect du principe d’effectivité incombant aux États membres implique notamment une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7§1 de la directive 93/13 et consacrée à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, lequel s’applique notamment à la définition des modalités procédurales relatives aux actions de justice fondées sur de tels droits (la Cour cite notamment arrêts du 4 mai 2024, NRD Groupe Société Générale et Next Capital Solutions, C-200/21). 

La Cour affirme dès lors que la protection effective des droits découlant de la directive 93/13 ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national prévoie, dans le cadre de la procédure de délivrance d’une injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution d’une telle injonction, un contrôle judiciaire d’office du caractère potentiellement abusif des clauses concernées (p35) (La Cour cite en ce sens CJUE 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17). 

A défaut d’un tel contrôle au stade de la procédure d’exécution de cette injonction, la Cour affirme que doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive une législation nationale ne prévoyant pas non plus ce même contrôle au stade de la délivrance de ladite injonction, ou lorsque ce contrôle n’est prévu qu’au stade de la procédure d’opposition contre l’injonction délivrée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur ne forme pas l’opposition requise, en raison de la brièveté du délai prévu, des frais qu’une action en justice engendrerait, ou d’une absence d’obligation d’information prévu la législation nationale adressée au consommateur quant à l’étendue de ses droits (voir arrêt précité, EOS KSI Slovensko).  

La Cour cite plusieurs décisions dans lesquelles la directive s’oppose à une certaine interprétation des juridictions nationales. Ainsi en est-il de la décision dans laquelle elle a dit pour droit que l’article 7 de la directive s’oppose à une réglementation nationale permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer (fondée en l’espèce sur un billet à ordre) lorsque le juge saisi d’une telle requête ne disposait pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère abusif des clauses du contrat, dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur concerné tire de cette directive (CJUE, 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C-176/17). 

 

La directive s’oppose également, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée d’un contrat de prêt, à une règle interne en vertu de laquelle le consommateur était forclos, au-delà d’un court délai, à invoquer l’existence de clauses abusives pour s’opposer à ladite procédure, et ce quand bien même il disposait d’une action en justice aux fins de constatation de l’existence de clauses abusives, la solution de cette dernière étant sans effet sur celle résultant de la procédure d’exécution, laquelle pouvait s’imposer au consommateur avant l’issue de l’autre action (CJUE, 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C-200/21). 

 

La directive s’oppose enfin à une réglementation nationale ne permettant pas au juge de l’exécution ni d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère abusif d’une clause figurant dans le contrat litigieux, ni d’adopter des mesures provisoires, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision du juge saisi de la procédure au fond correspondante, compétent pour vérifier le caractère abusif de cette clause (CJUE, 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C-725/19 

 

Dans le droit Maltais, selon le Code de l’organisation et de la procédure civile, le juge de l’exécution, lorsqu’il est saisi d’une opposition ne peut pas contrôler le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat constituant le fondement du titre exécutoire. Et ce, d’office ou à la demande du consommateur. Ce pouvoir n’est octroyé qu’au juge du fond dans le cadre de l’examen d’un recours de droit commun. La Cour a déjà jugé dans une affaire similaire, concernant un contrat hypothécaire, que ce type de disposition est manifestement insuffisante pour assurer la pleine effectivité de la protection du consommateur (CJUE, 26 juin 2019, Addiko Bank, C-407/18, point 61). 

 

Au cas présent, la Cour estime donc également que le fait que le juge de l’exécution ne puisse pas contrôler le caractère abusif du contrat constituant le fondement du titre exécutoire apporte une protection manifestement insuffisante au consommateur. En effet, si la procédure au fond visant à déclarer abusive la clause, et par voie de conséquence la procédure d’exécution, aboutit après la procédure d’exécution, alors le consommateur ne disposera que d’un recours indemnitaire a posteriori. Et, cette action, au regard de l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13 ne constituerait ni un moyen adéquat ni un moyen efficace pour faire cesser l’utilisation de la clause abusive. (CJUE, 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital, C-75/19, point 32). 

 

La Cour estime donc que n’est pas conforme aux articles 6 et 7 en leur paragraphe 1 de la directive 93/13, une disposition du droit national qui, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, prévoie que le juge saisi d’une opposition n’est pas compétent pour apprécier d’office ou à la demande du consommateur, le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contesté.  

  

Cela conduit donc, en droit français, à ce que le juge de l’exécution soit tenu d’apprécier d’office ou à la demande du consommateur le caractère potentiellement abusif d’une clause du contrat faisant l’objet de la procédure devant lui. 

 

CJUE, 21 septembre 2023, aff. C139/22– AM et PM c/ mBank S.A.  

 

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause de conversion – Registre national des clauses de conditions générales jugées illicites – Obligation d’information 

  

EXTRAIT  

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat, qui, en raison des conditions d’exécution de certaines obligations du consommateur concerné qu’elle prévoit, doit être considérée comme étant abusive, ne peut perdre un tel caractère en raison d’une autre clause de ce contrat qui prévoit la possibilité pour ce consommateur d’exécuter ses obligations dans des conditions différentes. 

  

ANALYSE   

  

À titre liminaire, la Cour rappelle selon une jurisprudence constante, qu’il appartient à la Cour de fournir au juge national des indications dont ce dernier se doit de tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 8 décembre 2022, Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, C600/21, EU :C :2022:970, point 38). 

 

En l’espèce, la deuxième question de la juridiction de renvoi concerne la possibilité de perdre le caractère abusif d’une première clause quand une seconde vient prévoir une possibilité licite d’exécution dans des conditions différentes, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. 

 

La Cour de justice rappelle le principe selon lequel le juge doit évaluer le caractère abusif en tenant compte de l’ensemble du contrat, en se plaçant à la date de la conclusion de celui-ci.
En effet, la décision traite de ce que l’on appelle « l’effet cumulatif des clauses », expression selon laquelle certaines clauses peuvent être abusives en s’accumulant.  

 

En l’espèce, le contrat de prêt présente des clauses similaires à celles répertoriées comme abusives. Toutefois, des clauses alternatives permettent aux consommateurs de rembourser le prêt en francs suisses, constituant ainsi un mode alternatif d’exécution. Ainsi, la Cour constate que ces clauses alternatives ont été jugées abusives car elles laissent à la banque le pouvoir de déterminer librement le taux de change, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Elle affirme que le fait que ce déséquilibre puisse ne pas se produire en raison du choix du consommateur n’a pas d’incidence sur l’appréciation du caractère abusif de ces clauses.  

 

En outre, l’inclusion de deux clauses alternatives, l’une abusive et l’autre licite, dans un contrat avec un consommateur, permet au professionnel de spéculer sur le manque d’information ou l’inattention du consommateur, présentant un caractère potentiellement abusif. La Cour souligne que ne pas constater la nullité d’une clause abusive pourrait compromettre la réalisation de l’objectif à long terme de la directive 93/13, qui vise à mettre fin à l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par des professionnels.  

 

Dans ces conditions, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause abusive ne peut perdre son caractère abusif en raison d’une autre clause offrant des options alternatives d’exécution.  

CJUE, 21 septembre 2023  aff. C-139/22– mBank S.A

Contrat entre professionnel et consommateur – Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause de conversion – Registre national des clauses de conditions générales jugées illicites 

  

EXTRAIT  

« {…} l’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme abusive par les autorités nationales concernées en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites. »  

  

ANALYSE   

La CJUE était saisie du point de savoir si la simple constatation du fait qu’un contrat contient une clause dont le contenu correspond à une clause inscrite dans un registre polonais des clauses illicites suffit pour constater que cette clause constitue une clause contractuelle illicite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner et d’établir les circonstances de la conclusion de ce contrat. 

La CJUE rappelle que l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs impose aux États membres l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel dont la possibilité pour des personnes ou des organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, l’interdiction de celles-ci (pt 36).. 

 

Elle observe que le mécanisme de registre national des clauses illicites consistant à établir une liste de clauses devant être considérées comme étant abusives, relève des dispositions plus strictes que les États membres peuvent adopter ou maintenir en vertu de l’article 8 de la directive 93/13(pt 40). Elle indique cependant que d’une part ce registre national des clauses illicites doit être géré de manière transparente, dans l’intérêt non seulement des consommateurs, mais également des professionnels, et tenu à jour. D’autre part, le professionnel concerné doit avoir la possibilité de contester l’équivalence de la clause litigieuse avec la clause illicite devant une juridiction nationale, afin de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas d’espèce, cette clause contractuelle est matériellement identique, eu égard, notamment, aux effets que celle-ci produit, à celle inscrite dans un tel registre (pt 44).  

 

Dans ces conditions, la Cour précise qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle peut être abusive en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites. 

 

Cette décision intéresse le droit français qui comporte une liste noire de clauses présumées abusives de manière irréfragable. 

 

Voir également : C. consom., art. R. 212-1 

CJUE, 13 juillet 2023, aff. C-35/22 -CAJASUR Banco SA

Mots clés : Conditions générales d’un contrat de prêt hypothécaire déclarées nulles par les juridictions nationales – Recours juridictionnel – Acquiescement avant toute contestation – Réglementation nationale revenant à exiger d’un consommateur l’accomplissement d’une démarche précontentieuse auprès du professionnel concerné afin de ne pas être condamné aux dépens de la procédure juridictionnelle – Principe de bonne administration de la justice – Droit à une protection juridictionnelle effective. 

  

EXTRAIT 

  

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que : il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en l’absence d’accomplissement par un consommateur d’une démarche précontentieuse auprès d’un professionnel avec lequel il a conclu un contrat contenant une clause abusive, ce consommateur doit supporter ses propres dépens relatifs à la procédure juridictionnelle qu’il a engagée contre ce professionnel pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13 lorsque ledit professionnel a acquiescé à la demande dudit consommateur avant toute contestation, même si le caractère abusif de cette clause a été constaté, sous réserve que le juge national compétent puisse tenir compte de l’existence d’une jurisprudence nationale bien établie constatant le caractère abusif de clauses analogues et de l’attitude du même professionnel pour conclure à la mauvaise foi de ce dernier et, le cas échéant, le condamner en conséquence à supporter ces dépens. ». 

  

ANALYSE 

  

La clause abusive du cas d’espèce était relative aux frais hypothécaires. À la suite de l’introduction du recours du consommateur, le professionnel avait reconnu le caractère abusif de ladite clause, mais, considérant que le montant réclamé à ce titre était excessif, n’avait accepté de rembourser qu’une partie de celui-ci. Condamné à restituer au consommateur une partie du montant réclamé et à payer les dépens de la procédure, le professionnel avait fait valoir que, dès lors qu’il avait acquiescé à la demande avant toute contestation, ladite condamnation aux dépens état contraire au droit national qui prévoit qu’une telle condamnation ne peut être imposée que lorsque la mauvaise foi du défendeur est constatée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ;  

  

La CJUE fut donc saisie d’une question préjudicielle quant au point de savoir si cette réglementation était de nature à entraver l’effectivité de l’article 6 paragraphe 1 de la directive, relatif aux clauses abusives selon lequel « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs ».  

 

La CJUE énonce que dans un contrat de prêt conclu entre une banque et un consommateur contenant une clause abusive, la loi nationale, qui prévoit que ledit consommateur doit supporter les dépens relatifs à la procédure juridictionnelle engagée par ce dernier contre le professionnel pour faire valoir ses droits conférés par la directive, ne s’oppose pas à l’article 6 paragraphe 1 de cette même directive, relatif aux clauses abusives. Elle soumet cette solution à deux conditions : 

  

D’une part, ledit professionnel doit avoir acquiescé à la demande dudit consommateur avant toute contestation, y compris si le caractère abusif de la clause a été constaté. Le juge doit pouvoir tenir compte d’une jurisprudence nationale bien établie constatant le caractère abusif de clauses analogues; 

  

D’autre part, ce professionnel doit être de bonne foi. Si ce professionnel s’avère être de mauvaise foi, il pourra être condamné à supporter tous les dépens. 

  

La Cour assure donc, par cette solution, l’équilibre entre la répartition des dépens, fixée par le droit national et qui relève de l’autonomie procédurale des États membres, et le droit du consommateur de saisir le juge pour faire valoir ses droits conférés par la directive, en vertu du principe d’effectivité. 

  

La CJUE avait déjà statué en ce sens dans un arrêt du 22 septembre 2022, n° C-215/21, Zulima contre Servicios prescriptor y medios de pagos EFC SAU, dans lequel elle affirme que dans les cas où le juge peut tenir compte de la mauvaise foi du professionnel, le consommateur peut supporter les dépens quand il obtient satisfaction par voie extrajudiciaire en matière de clauses abusives.  

  

En droit français, selon l’article 696 du Code de procédure civile, les dépens sont en principe supportés par la partie perdante au procès. La charge des dépens se retrouve à l’article 700 du Code de procédure civile. 

CJUE, 6 Juillet 2023, aff. C593/22– First Bank SA  

 

Contrat entre professionnel et consommateur –  Contrat de prêt avec risque de change – interprétation de l’article 1re, paragraphe 2 de la directive 93/13 – Clauses contractuelles  « qui reflètent » des dispositions législatives ou réglementaires impératives  

  

EXTRAIT  

 

« L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de relever de l’exclusion du champ d’application de cette directive prévue par cette disposition, il n’est pas nécessaire que la clause insérée dans un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un professionnel cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle-ci, mais il suffit qu’elle soit matériellement équivalente à cette disposition impérative, à savoir qu’elle ait le même contenu normatif.  

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de déterminer si une clause insérée dans un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un professionnel relève de l’exclusion du champ d’application de cette directive prévue par cette disposition, n’est pas pertinente la circonstance que ce consommateur n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national ».  

 

ANALYSE   

À titre liminaire, la Cour souligne que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses « qui reflètent », notamment, des dispositions législatives ou réglementaires impératives. Elle indique que cette exception doit faire l’objet d’une interprétation stricte, en raison de l’objectif de protection des consommateurs, comme énoncé dans l’arrêt Trapeza Peiraios (C-243/20, EU:C:2021:1045, point 37). 

L’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives » englobe, selon une jurisprudence constante, les dispositions de droit national applicables entre les parties indépendamment de leur choix, ainsi que celles de nature supplétive (arrêt Trapeza Peiraios, point 30). 

En l’espèce, la question de la juridiction concerne la possibilité d’exclure du champ d’application de la directive 93/13, une clause qui « reflète » une disposition législative ou réglementaire impérative au regard de l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive.  

La Cour rappelle que l’exclusion prévue par cette disposition de la directive 93/13 est justifiée par la présomption légitime selon laquelle le législateur national a établi un équilibre entre les droits et obligations des parties, préservation que le législateur de l’Union a expressément souhaité maintenir (arrêt Trapeza Peiraios, point 35). 

La Cour précise que pour qu’une clause contractuelle soit exclue du champ d’application de la directive, il est nécessaire que cette clause reproduise le contenu normatif d’une disposition impérative applicable au contrat en question. Cette reproduction peut se faire de manière littérale ou par un renvoi exprès, mais elle peut également être matériellement équivalente, même si formulée en des termes différents (arrêts RWE Vertrieb, C-92/11, EU:C:2013:180, point 30, et Aqua Med, C-266/18, EU:C:2019:282, points 35 à 38). Il n’est pas nécessaire que la clause cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle.  

La Cour conclue en soulignant que la juridiction de renvoi doit évaluer si la clause contractuelle en question reflète, au sens de l’article 1re, paragraphe 2 de la directive 93/13, l’intégralité du contenu normatif d’une disposition  impérative applicable au contrat concerné. Pour cela, elle va devoir prendre en compte la nature du contrat, son économie générale, ainsi que le contexte juridique et factuel dans lequel il s’inscrit (arrêt du 6 juillet 2023, affaire C-593/22, First Bank, EU:C:2023:555). 

 

En outre, l’exclusion s’applique même si le consommateur n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national .

CJUE, 15 juin 2023, aff. C-287/22, – Getin Noble Bank

Mots clés : Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – demande d’octroi de mesures provisoires 

 

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

Doivent être interprétés en ce sens que :  

ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut rejeter une demande d’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tendant à la suspension, dans l’attente d’une décision définitive relative à l’invalidation du contrat de prêt conclu par ce consommateur au motif que ce contrat de prêt comporte des clauses abusives, du paiement des mensualités dues en vertu dudit contrat de prêt, lorsque l’octroi de ces mesures provisoires est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de cette décision.»   

 

ANALYSE 

Dans le cadre d’un litige relatif à la nullité d’un contrat de prêt hypothécaire en raison de la suppression de clauses abusives qu’il contient, lesquelles étaient relatives à la conversion en francs suisses (CHF) du montant au taux d’achat fixé par la banque avec un taux d’intérêt variable, et les mensualités calculées en CHF, remboursables en PLN au taux de vente du CHF, la Cour de justice a été saisie de la question de la possibilité pour une juridiction nationale de rejeter l’octroi de mesures provisoires d’un consommateur tenant à la suspension de l’exécution d’un tel contrat. 

La Cour expose que l’objectif de la directive 93/13 d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs transparaît à l’article 6 paragraphe 1 de ladite directive. Cet article impose aux États membres de veiller à ce que les clauses contractuelles ne lient pas le consommateur, et ce, sans que celui-ci ait besoin de former un recours et d’obtenir un jugement confirmant le caractère abusif de ces clauses. (Arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08, EU:C:2009:350) 

Elle rappelle que le principe d’autonomie procédurale, en vertu duquel les Etats membres sont libres de définir les modalités internes dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause et les effets juridiques concrets de celui-ci, doit s’exercer tout en respectant le principe d’effectivité, de manière à ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’union. 

Une jurisprudence antérieure a pu s’opposer à une réglementation nationale ne permettant pas au juge national d’adopter des mesures provisoires, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, cette réglementation étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par ladite directive (est cité en ce sens l’arrêt Aziz, 14 mars 2013, C-415/11, EU:C:2013:164). 

La Cour rappelle en outre qu’il a pu être estimé nécessaire d’octroyer des mesures provisoires notamment lorsqu’il existe un risque pour le consommateur de payer, au cours d’une procédure juridictionnelle des mensualités plus élevées que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée (Fernández Oliva e.a., C-568/14 à C-570/14, EU:C:2016:828). 

Elle en conclut que la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13 (en particulier es articles 6 et 7 de celle-ci), requiert que le juge national puisse octroyer une mesure provisoire appropriée, si cela est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir en ce qui concerne le caractère abusif de clauses contractuelles. 

La Cour expose, en invoquant l’effectivité de la protection assurée par la directive, que si un juge constate sur le fond, que suite à la suppression d’une clause pour laquelle il existe des indices suffisants de son caractère abusif, le contrat ne peut objectivement plus être exécuté, et qu’il faudra restituer au consommateur les sommes indûment versées, le rejet d’une demande provisoire qui a pour objectif de suspendre le paiement des mensualités revient à rendre inefficace la décision qui interviendra de manière définitive sur le fond. Ces mesures provisoires pourraient en effet être nécessaires pour garantir l’effectivité de la décision à venir sur le devenir du contrat en raison de la clause abusive, sur la clause résolutoire et l’effectivité de la protection assurée par la directive.  

La Cour considère qu’en l’espèce, cette situation est caractérisée. Elle ajoute qu’ici le consommateur a versé à la banque un montant supérieur à la somme empruntée avant d’engager la procédure et relève, en l’absence de cette mesure provisoire, une possible détérioration de la situation financière du consommateur.  

Au regard de ses développements, la Cour a donc estimé qu’une jurisprudence dans laquelle est refusé l’octroi de mesures provisoires tendant à la suspension des mensualités du contrat de prêt comportant des clauses abusives, alors que ces mesures sont dans l’intérêt du consommateur, et visent notamment  à assurer la pleine effectivité de la décision définitive d’invalidation du contrat eu égard le caractère abusif des clauses, n’est pas conforme au principe d’effectivité, et n’est pas compatible avec l’article 6 §1 et l’article 7 §1 de la directive 93/13. Les juridictions nationales sont en effet tenues de garantir la pleine effectivité de la directive, et ce notamment en modifiant une jurisprudence établie qui serait contraire au droit de l’Union européenne. 

Une telle solution semble ouvrir la possibilité pour le consommateur d’agir en référé pour solliciter la suspension des mensualités sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile. 

CJUE, 8 juin 2023, aff. C-455/21 

Contrat entre professionnel et consommateur – Contrat d’adhésion – Notion de consommateur – Avantage financier – Clause abusive – Directive 93/13/CEE –  

 

EXTRAIT  

« (…) relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne physique qui adhère à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition, par cette personne physique ou par d’autres personnes participant à ce système à la suite de sa recommandation, de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société, lorsque ladite personne physique agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».  

 

 

ANALYSE 

A l’occasion d’un contentieux survenu dans le cadre d’un contrat d’adhésion, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser la notion de consommateur au sens de la législation sur les clauses abusives.  

La Cour était saisie d’un contentieux relatif à un système mis en œuvre par une société commerciale et permettant, notamment, de bénéficier de certains avantages financiers dans le cadre de l’acquisition, par une personne physique ou par d’autres personnes participant à ce système à la suite de sa recommandation, de biens et de services auprès des partenaires commerciaux de cette société, 

Pour ce faire, la Cour commence par rappeler le principe de loi applicable pour les contrats de consommation qui est celle de la résidence habituelle du consommateur. Elle rappelle également que selon une disposition impérative les clauses abusives  ne lient pas les consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19, EU :C :2022 :394 point 36 . Les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent s’appliquer à « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l’article 2, sous b) et c), de la directive 93/13/CEE (arrêt du 27 octobre 2022, C-485/21, EU:C:2022:839, point 22). La notion de consommateur a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C-590/17, EU:C:2019:232, point 24).  

Par conséquent, dans le cas d’une personne physique qui adhère à un système tel que celui en cause au principal, il appartient au juge national d’établir, en prenant en considération également la nature des services offerts par le professionnel concerné, si cette personne physique a agi dans le cadre de son activité professionnelle ou si elle a agi à des fins étrangères à cette activité.  

En d’autres termes, si la personne a adhéré à des fins personnelles pour bénéficier des avantages commerciaux en question, elle est un consommateur et non un professionnel. 

CJUE, 8 juin 2023, aff. C-570/21 – I.S and KS c. YYY 

 

Contrat entre professionnel et consommateur – Contrat à double finalité – Notion de “consommateur” – Critères – Protection des consommateurs   

  

EXTRAIT  

L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,  

doit être interprété en ce sens que :  

relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat.  

 

L’article 2, sous b), de la directive 93/13  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de déterminer si une personne relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, et, plus particulièrement, si la finalité professionnelle d’un contrat de crédit conclu par cette personne est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat, la juridiction de renvoi est tenue de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes entourant ce contrat, tant quantitatives que qualitatives, telles que, notamment, la répartition du capital emprunté entre une activité professionnelle et une activité extraprofessionnelle ainsi que, en cas de pluralité d’emprunteurs, le fait qu’un seul d’entre eux poursuit une finalité professionnelle ou que le prêteur a subordonné l’octroi d’un crédit destiné à des fins de consommation à une affectation partielle du montant emprunté au remboursement de dettes liées à une activité professionnelle.  

»  

  

ANALYSE   

 La CJUE était saisie du point de savoir su peut être qualifiée de « consommateur » une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque le lien existant entre ce contrat et l’activité professionnelle de cette personne est non pas marginal au point d’avoir un rôle négligeable dans le contexte global dudit contrat, mais est à ce point limité qu’il n’est pas prédominant dans ce contexte. 

 

La CJUE commence par rappeler qu’elle a eu à traiter de cette question dans le cadre de l’interprétation des règles de compétence en matière de contrats conclus avec les consommateurs prévues par la convention de Bruxelles. Elle rappelle qu’elle avait jugé que qu’une personne qui a conclu un contrat pour un usage se rapportant en partie à son activité professionnelle, et n’étant donc qu’en partie seulement étranger à celle-ci, n’est pas en droit de se prévaloir du bénéfice des règles de compétence spécifiques en matière de contrats conclus avec les consommateurs prévues par la convention de Bruxelles, sauf si l’usage professionnel est marginal au point d’avoir un rôle négligeable dans le contexte global de l’opération en cause (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C464/01, EU:C:2005:32, points 39 et 54). 

 

Cependant, la présente affaire est l’occasion pour la CJUE d’indique que l’article 2, sous b), de la directive 93/13 n’est pas une disposition devant faire l’objet d’une interprétation stricte et que compte tenu de la ratio legis de cette directive visant à protéger les consommateurs en cas de clauses contractuelles abusives, l’interprétation stricte de la notion de « consommateur » retenue dans l’arrêt Gruber, aux fins de la détermination de la portée des règles de compétence dérogatoires prévues aux articles 13 à 15 de la convention de Bruxelles en cas de contrat à double finalité, ne saurait être étendue, par analogie, à la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13. 

 

Elle en déduit que relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat. 

 

En d’autres termes, il suffit que la finalité professionnelle ne soit pas prédominante pour que la personne puisse être qualifiée de consommateur. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit marginale.  

 

La CJUE précise ensuite les critères pour déterminer, dans un contrat de prêt « mixte » (lorsque les fonds alloués sont partiellement affectés à une activité professionnelle et une autre partie à des fins de consommation étrangères à une activité professionnelle), si la finalité professionnelle n’est pas prédominante.  

 

Elle indique que le juge est tenu de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes entourant ce contrat, tant quantitatives que qualitatives. La Cour précise que c’est le cas de la répartition du capital emprunté entre une activité professionnelle et une activité extraprofessionnelle ainsi que, en cas de pluralité d’emprunteurs, le fait qu’un seul d’entre eux poursuit une finalité professionnelle ou que le prêteur a subordonné l’octroi d’un crédit destiné à des fins de consommation à une affectation partielle du montant emprunté au remboursement de dettes liées à une activité professionnelle (pt 57). 

 

Elle ajoute que ces critères ne sont ni exhaustifs ni exclusifs, de sorte qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner l’ensemble des circonstances entourant le contrat en cause au principal et d’apprécier, sur la base des éléments de preuve objectifs dont il dispose, dans quelle mesure la finalité professionnelle ou non professionnelle de ce contrat est prédominante dans le contexte global de ce dernier (pt 58).