CJUE, 12 octobre 2023, aff. C-645/22 -Luminor Bank AS
EXTRAIT
“L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,
Doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à ce que, lorsqu’un juge national a constaté l’impossibilité de maintenir un contrat après la suppression d’une clause abusive et que le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant cette clause, ce juge puisse statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et les obligations des parties audit contrat soit rétabli, sans examiner au préalable les conséquences d’une annulation du même contrat dans son ensemble, et cela même si ledit juge a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit interne à caractère supplétif ou par une disposition applicable en cas d’accord de ces parties. »
ANALYSE
La clause abusive de l’espèce figurait dans des contrats de prêt libellés et remboursables en francs suisses. Un examen du caractère abusif de certaines clauses de ces contrats a été effectué par les juridictions lituaniennes à la demande de ces requérants.
Leur demande ayant été rejetée, ils se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême de Lituanie, qui a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel du pays pour examiner à nouveau le caractère abusif desdites clauses. Les requérants au principal ont indiqué à cette juridiction qu’ils souhaitaient modifier les clauses dites abusives en remplaçant le franc suisse par l’euro.
La Cour d’appel de Lituanie fait droit à cette demande en qualifiant les clauses d’abusives pour les modifier ensuite.
La défenderesse au principal saisi la Cour Suprême de Lituanie d’un pourvoi en cassation contre cette décision. Elle estime que ces clauses ne sont pas abusives et que puisqu’en droit lituanien, il n’existe pas de dispositions supplétives pouvant remplacer lesdites clauses, la juridiction n’était pas fondée à les remplacer, leur modification sur la base de principes d’équité, bonne foi et raison, étant prohibée par la directive en son article 6.
La juridiction de renvoi ne remet pas en cause la qualification du caractère abusif des clauses mais seulement la modification des contrats opérée par la Cour d’appel. Les requérants au principal souhaitent que les contrats soient maintenus et que les clauses abusives soient modifiées. La Cour d’appel de Lituanie n’a pas examiné au préalable si des conséquences particulièrement préjudiciables pour ces requérants pourraient découler d’une telle annulation desdits contrats litigieux. La juridiction de renvoi a donc saisi la CJUE de deux questions préjudicielles, auxquelles la Cour répond en même temps.
La première question préjudicielle tient au point de savoir si le juge pouvait statuer sur la modification d’une clause abusive, demandée par le consommateur tout en maintenant le contrat, sans examiner au préalable la possibilité d’une invalidation du contrat dans son ensemble alors qu’il a constaté l’impossibilité de maintenir ledit contrat après la suppression de la clause. La seconde question était de savoir si la réponse à la première question dépend de la possibilité pour le juge de substituer à la clause abusive une disposition de droit interne à caractère supplétif ou applicable en cas des parties.
La CJUE énonce qu’en vertu de la directive, le juge national doit examiner les conséquences d’une annulation du contrat dans son ensemble avant de statuer sur les mesures à prendre afin que l’équilibre réel entre les droits et obligations des parties audit contrat quand bien même :
- Le juge national a constaté l’impossibilité de maintenir le contrat après la suppression de la clause abusive
- Le consommateur concerné exprime la volonté que ce contrat soit maintenu en modifiant la clause abusive
La CJUE précise que cette obligation d’examen préalable des conséquences de l’annulation du contrat incombe au juge y compris lorsqu’il a la possibilité de remplacer ladite clause par une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat.
La CJUE consacre une obligation d’examen préalable, incombant au juge national, des conséquences de l’annulation d’un contrat tout entier avant de statuer sur les mesures que peut prendre ce même juge pour rééquilibrer la relation entre les parties.
La Cour s’était déjà prononcée sur la possibilité d’annuler un contrat dans son ensemble, lorsqu’il ne peut subsister sans les clauses abusives, en précisant que pour prononcer cette annulation, le juge ne peut se fonder sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties de cette annulation de tout le contrat (CJUE, 15 mars 2012, C-453/10 – Pereničová et Perenič).
La CJUE avait également déclaré que le juge devait examiner, lorsque le consommateur exprime la volonté de se prévaloir de la protection de la directive, si le contrat pouvait subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne et indépendamment du fait que le consommateur exprime la volonté de maintenir ce contrat. Dans ce cas, la Cour avait admis que si le contrat ne peut subsister sans la clause abusive, la directive ne s’oppose pas à une annulation dudit contrat (CJUE, 12 janvier 2023, D.V. C-395/21). C’est seulement si l’annulation de tout le contrat expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (pas seulement pécuniaires) que le juge national peut substituer à la clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties.
La Cour a également déjà rappelé l’obligation pour le juge national de prendre les mesures nécessaires pour protéger le consommateur de ces conséquences et restaurer l’équilibre entre les parties lorsqu’il n’existe pas de telles dispositions internes et que l’annulation du contrat expose le consommateur auxdites conséquences préjudiciables (CJUE, 25 novembre 2020, C-269/19, Banca B.).
Si la CJUE s’était donc déjà prononcée sur l’obligation du juge d’examiner si le contrat peut subsister sans la clause abusive concernée au regard du droit interne lorsque le consommateur exprime la volonté de maintenir ledit contrat, elle se prononce, ici semble-t-il, pour la première fois sur l’obligation du juge d’examiner les conséquences de l’annulation du contrat tout entier avant de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre entre les parties.
En droit français, l’article L241-1 alinéa 1 du Code de la consommation dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites. Dans son alinéa 2, il affirme que le contrat reste applicable dans son entièreté, hormis les clauses jugées abusives, si le contrat peut subsister sans ces clauses.