CJUE, 8 septembre 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/21 – D.B.P

Contrats de crédit hypothécaire – Substitution à une clause abusive

EXTRAIT

« « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut, après avoir constaté la nullité d’une clause abusive contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel qui entraîne la nullité de ce contrat dans son ensemble, substituer à la clause annulée soit une interprétation de la volonté des parties afin d’éviter l’annulation dudit contrat, soit une disposition de droit national à caractère supplétif, alors même que le consommateur a été informé des conséquences de la nullité du même contrat et les a acceptées »

ANALYSE

La CJUE rappelle dans un premier temps que la possibilité pour le juge national de substituer à une clause abusive annulée une disposition nationale de caractère supplétif est exceptionnelle. En effet, une telle faculté est limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge à invalider le contrat dans son ensemble, exposant le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C-70/17 et C-179/17, EU :C :2019 :250, point 56)

Or, lorsque les consommateurs ont été informés des conséquences liées à l’annulation intégrale des contrats de crédit qu’ils avaient conclus et les ont acceptées, la CJUE considère que la condition selon laquelle l’annulation du contrat dans son ensemble exposerait les consommateurs concernés à des conséquences particulièrement préjudiciables n’est pas remplie (point 78). Sachant qu’il s’agit de la condition indispensable permettant au juge national de substituer à la clause abusive annulée une disposition de droit interne à caractère supplétif.

La Cour ajoute également que la possibilité de substituer à une clause abusive annulée une interprétation judiciaire par la volonté des parties est exclue. En effet, la CJUE considère que les juges nationaux sont tenus uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans être habilités à réviser le contenu de celle-ci (point 80).

Dès lors, le juge national ne peut réviser le contenu de la clause abusive annulée afin de maintenir en vigueur un contrat qui ne saurait le demeurer après la suppression de ladite clause, lorsque le consommateur concerné a été informé des conséquences d’annulation du contrat et a accepté les conséquences de cette nullité (point 83).

CJUE, 8 septembre 2022, aff. Jointes C-80/21 à C-82/21 – D.B.P.  

 

Contrats de crédit hypothécaire – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Principe d’effectivité. 

  

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut, après avoir constaté la nullité d’une clause abusive contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel qui n’entraîne pas la nullité de ce contrat dans son ensemble, substituer à cette clause une disposition de droit national supplétive. » 

 

ANALYSE   

 

Il ressort de l’article 6, paragraphe1, de la directive 93/13, que ce qui est recherché n’est pas l’annulation du contrat contenant des clauses abusives mais de faire substituer à l’équilibre formel que le contrat établi entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers. En principe le contrat doit subsister sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives. La cour énonce que lorsque cette condition est satisfaite le contrat en cause peut être maintenu.Toutefois, la persistance du contrat doit être juridiquement possible, et cela doit être vérifié par une approche objective (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 39). 

  

Néanmoins, la Cour ajoute que la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition nationale à caractère supplétif est limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge national à invalider le contrat en cause dans son ensemble, ce qui pourrait engendrer des conséquences préjudiciables pour le consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 48). 

 

Par conséquent lorsqu’un contrat peut rester en vigueur après la suppression des clauses abusives, le juge national ne saurait substituer à ces clauses une disposition nationale à caractère supplétif.

CJUE, 8 septembre 2022, C-80/21, DBP 

 

Clause de conversion – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause 

 

EXTRAITS : 

“L’article 6,  paragraphe 1,  et  l’article 7,  paragraphe 1,  de  la  directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que : ils  s’opposent à  une  jurisprudence nationale selon laquelle le  juge national peut constater le caractère abusif non pas de l’intégralité de la clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, mais uniquement des éléments de celle-ci qui  lui  confèrent un  caractère abusif, de  telle sorte que  cette clause reste, après la suppression de  tels  éléments, partiellement effective, lorsqu’une telle suppression reviendrait à  réviser le  contenu de  ladite clause en  affectant sa  substance, ce  qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.” 

 

ANALYSE : 

La Cour de Justice de l’Union Européenne se prononce dans cet arrêt sur l’étendue des pouvoirs du juge national en matière de clauses abusives. Elle rappelle une jurisprudence constante selon laquelle le juge national ne peut pas réviser le contenu d’une clause abusive (pt 59) car cela éliminerait l’effet dissuasif de la pure et simple non-application d’une telle clause (pt 60) (CJUE, 26 mars 2019, Abance Corporacion Bancaria et Bankia, C-70/17 et C-179/17 pt 53 et pt 54). 

Dans la limite de cette interdiction de révision, avait déjà été admise la possibilité, pour le juge national, de supprimer uniquement l’élément abusif d’une clause sous réserve du respect de deux conditions : l’élément supprimé consiste en une obligation contractuelle distincte, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé, et la législation nationale assure l’objectif dissuasif poursuivi par la directive 93/13 en réglementant la clause litigieuse (pt 62) (CJUE, 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20).  

Néanmoins, dans cette espèce, la Cour constate que ces deux conditions ne sont pas remplies (pt 63). Dès lors, le fait, pour le juge national, de supprimer uniquement les éléments abusifs d’une clause non réglementée qui ne constituent pas des obligations contractuelles distinctes s’apparente à une révision de la clause qui en affecte la substance (pt 64).  

 

CJUE, 17 mai 2022, C-725/19, Impuls Leasing România IFN SA 

Clauses abusives – procédure d’exécution – pouvoir du juge d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause – exigence d’une caution pour suspendre la procédure d’exécution 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne permet pas au juge de l’exécution d’une créance, saisi d’une opposition à cette exécution, d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel formant titre exécutoire, dès lors que le juge du fond, susceptible d’être saisi d’une action distincte de droit commun en vue de faire examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un tel contrat, ne peut suspendre la procédure d’exécution jusqu’à ce qu’il se prononce sur le fond que moyennant le versement d’une caution à un niveau qui est susceptible de décourager le consommateur à introduire et à maintenir un tel recours. » 

ANALYSE : 

La Cour de Justice se prononce ici sur le pouvoir du juge en matière d’examen d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle. 

De jurisprudence constante, le juge national est tenu à une appréciation d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (pt 41). La Cour rappelle que le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen des clauses abusives, la matière procédurale étant dès lors laissée à la compétence des Etats membres qui se doivent de respecter les principes d’équivalence et d’effectivité (pt 43 ; v. not. CJUE, 26 juin 2019, C-407/18, Addiko Bank, pt 45 et 46). Elle rappelle également que l’appréciation du respect du principe d’effectivité repose sur la place de la disposition nationale en cause dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement, de ses particularités et des principes fondant le système juridictionnel national comme la protection des droits de la défense ou la sécurité juridique (pt 45 ; v. CJUE, 22 avril 2021, C-485/19, Profi Credit Slovakia, pt 53). Elle précise néanmoins, conformément à sa jurisprudence antérieure, que les particularités procédurales ne doivent pas affecter la protection juridique des consommateurs assurée par la directive 93/13 (pt 45 ; v. CJUE, 21 avril 2016, C-377/14, Radlinger et Radlingerova, pt 50), et que l’effectivité implique que les Etats membres doivent assurer un contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses contractuelles (pt 47; v. CJUE, 4 juin 2020, C-495-19, Kancelaria Medius, pt 35). Dès lors, les droits issus de la directive 93/13 ne peuvent être garantis qu’à la condition que le système procédural national permette un contrôle d’office du caractère potentiellement abusif des clauses contractuelles (pt 49 ; v. not., CJUE, 18 février 2016, C-49/14, Finanmadrid EFC, pt 46). A cet égard, dans le cadre d’une procédure d’exécution où un examen d’office des clauses abusives n’est pas prévu, une disposition nationale qui risquerait d’empêcher le consommateur de s’opposer à l’exécution au fondement du régime des clauses abusives en raison d’un délai trop court ou de frais de justice élevés par rapport à la dette contestée porte atteinte au principe d’effectivité (pt 50 ; v. CJUE, 20 septembre 2018, C-448/17, EOS KSI Slovensko, pt 46). Or, en l’espèce, le consommateur qui sollicite la suspension de la procédure d’exécution doit verser une caution, ce qui, dans la mesure où il s’agit d’un litige relatif à un défaut de paiement de ce dernier, est susceptible de l’empêcher de faire valoir ses droits (pt 59). 

Par conséquent, le juge de l’exécution doit pouvoir apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses contractuelles dans la mesure où le juge du fond ne peut suspendre la procédure d’exécution pour opérer cet examen que moyennant le versement d’une caution susceptible de décourager l’action du consommateur. 

CJUE, 17 mai 2022, C-693/19 et C-831/19, Banco di Desio e della Brianza et autres 

Clauses abusives – examen d’office du caractère abusif d’une clause par le juge national 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu’une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d’un créancier n’a pas fait l’objet d’une opposition formée par le débiteur, le juge de l’exécution ne peut pas, au motif que l’autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l’éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction. La circonstance que, à la date à laquelle l’injonction est devenue définitive, le débiteur ignorait qu’il pouvait être qualifié de « consommateur » au sens de cette directive est sans pertinence à cet égard. » 

ANALYSE : 

La CJUE rappelle que selon une jurisprudence constante, le juge national est tenu à une appréciation d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (pt 53). Toutefois, la question se pose ici de savoir si le principe de l’autorité de la chose jugée s’oppose à cet examen d’office par le juge national. En effet, le principe d’autorité de la chose jugée revêt une certaine importance au regard de la sécurité juridique (pt 57). Ainsi, une juridiction nationale n’est pas tenue d’écarter l’application de ce principe, même s’il s’agit de remédier à une violation de la directive 93/13, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (pt 58 ; v. not. CJUE, 6 octobre 2009, C-40/08, Asturcom Telecomunicaciones, pt 37).  

Cependant, concernant l’effectivité, les Etats membres doivent assurer un contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses contractuelles (pt 62 ; v. CJUE, 4 juin 2020, C-495-19, Kancelaria Medius, pt 29). Or, en l’espèce, la réglementation nationale induit que l’examen d’office du caractère abusif est réputé avoir eu lieu et être recouvert de l’autorité de la chose jugée même en l’absence de toute motivation à cet effet, ce qui vide de sa substance l’obligation d’examen d’office pesant sur le juge national (pt 65). Dès lors, l’exigence d’une protection juridictionnelle effective requiert que le juge de l’exécution puisse apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause, même si l’injonction de payer revêt autorité de la chose jugée. 

La Cour de Justice précise que le fait que à la date à laquelle l’injonction est devenue définitive, le débiteur ignorait sa qualité de consommateur n’importe pas (pt 67). 

CJUE, 17 mai 2022, C-869/19 – Unicaja Banco SA 

Principe d’équivalence – Principe d’effectivité – Contrat hypothécaire – Caractère abusif de la “clause plancher” prévue par ce contrat – Règles nationales concernant la procédure juridictionnelle d’appel – Limitation des effets dans le temps de la déclaration de nullité d’une clause abusive – Restitution – Pouvoir de contrôle d’office du juge national d’appel – Passivité totale du consommateur 

EXTRAIT : 

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de principes de procédure juridictionnelle nationale, en vertu desquels une juridiction nationale, saisie d’un appel contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une clause déclarée abusive, ne peut soulever d’office un moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la restitution totale desdites sommes, lorsque l’absence de contestation de cette limitation dans le temps par le consommateur concerné ne saurait être imputée à une passivité totale de celui-ci. » 

ANALYSE : 

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres doivent prévoir que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs et qu’au regard de l’article 7, paragraphe 1, et du vingt-quatrième considérant de ladite directive, ils doivent prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation desdites clauses (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, point 44 et jurisprudence citée) (points 20 et 21).  

À ce propos et en l’absence de réglementation par le droit de l’Union, si les modalités des procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne des États membres (principe de l’autonomie procédurale), elles ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence), ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, point 46 et jurisprudence citée) (point 22). 

En ce qui concerne le principe d’équivalence, il appartient au juge national de vérifier, au regard des modalités procédurales des recours applicables en droit interne, le respect de ce principe compte tenu de l’objet, de la cause et des éléments essentiels des recours concernés (voir, notamment, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 40). À cet égard, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de règles d’ordre public (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C-147/16, EU:C:2018:320, point 35). Il s’ensuit que lorsque, en vertu du droit interne, le juge national statuant en appel dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la légalité d’un acte juridique au regard de règles nationales d’ordre public, il doit également le faire au regard de cette disposition de la directive 93/13. Autrement dit, dès lors que les éléments du dossier dont dispose le juge national d’appel conduisent à s’interroger sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, ce juge est tenu d’apprécier d’office la légalité de cette clause au regard des critères fixés par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Jőrös, C-397/11, EU:C:2013:340, point 30) (points 23, 24 et 25).  

En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour rappelle que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C-485/19, EU:C:2021:313, point 53). Cependant, la Cour a estimé que le respect de ce principe ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C-32/14, EU:C:2015:637, point 62). En outre, il implique une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte, qui s’applique, entre autres, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée). D’ailleurs, la Cour a jugé à cet égard que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19, EU:C:2020:431, point 35 et jurisprudence citée) (points 28, 29 et 30). 

Néanmoins, la Cour réaffirme que la protection du consommateur n’est pas absolue. En particulier, elle a considéré que le droit de l’Union n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, contenue dans la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C-40/08, EU:C:2009:615, point 37, ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 68), sous réserve cependant du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (point 33). 

Aussi dans une précédente affaire, la Cour jugeait que la limitation dans le temps des effets juridiques découlant de la constatation de la nullité des « clauses planchers » revenait à priver, de manière générale, tout consommateur ayant conclu, avant cette date, un contrat de prêt hypothécaire comportant une telle clause du droit d’obtenir la restitution intégrale des sommes qu’il a indûment versées sur la base de cette clause. Dès lors, une telle protection se révèle incomplète et insuffisante et ne constitue un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de ce type de clauses, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 73) (points 34 et 35).  

En outre, dans l’affaire au principal, il est constant que le consommateur n’a pas interjeté appel ou formé un appel incident contre le jugement de première instance imposant une limitation dans le temps des effets restitutoires pour les montants perçus en vertu de la clause abusive. Il convient toutefois de souligner que, dans les circonstances de la présente affaire, le fait qu’un consommateur n’ait pas formé de recours dans le délai approprié peut être imputé au fait que, lorsque la Cour a prononcé l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980), le délai dans lequel il était possible d’interjeter appel ou de former un appel incident en vertu du droit national était déjà expiré. Dans de telles circonstances, il ne saurait être considéré que le consommateur a fait preuve d’une passivité totale. Il en résulte que l’application des principes de procédure juridictionnelle nationale en cause, en privant le consommateur des moyens procéduraux lui permettant de faire valoir ses droits au titre de la directive 93/13, est de nature à rendre impossible ou excessivement difficile la protection de ces droits, portant ainsi atteinte au principe d’effectivité (points 37, 38 et 39). 

CJUE, 17 mai 2022, C-600-19 – Ibercaja Banco  

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Principe d’effectivité – Procédure de saisie exécution hypothécaire – Autorité de la chose jugée et forclusion – Perte de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat devant une juridiction – Pouvoir de contrôle d’office du juge national 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale, agissant d’office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l’objet d’une procédure d’exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d’une procédure subséquente en vue d’obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l’application de clauses abusives. » 

ANALYSE : 

Il appartenait à la Cour de déterminer si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale à examiner le caractère abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard du bien transférés à un tiers.  

A cet égard, la Cour commence par rappeler que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’appliquent pas à une procédure introduite par l’adjudicataire d’un bien immeuble à la suite de l’exécution extrajudiciaire de la garantie hypothécaire consentie sur ce bien par un consommateur au profit d’un créancier professionnel et qui a pour objet la protection des droits réels légalement acquis par cet adjudicataire dans la mesure où, d’une part, cette procédure est indépendante de la relation juridique liant le créancier professionnel au consommateur et, d’autre part, la garantie hypothécaire a été exécutée, le bien immobilier a été vendu et les droits réels qui s’y rapportent ont été transférés sans que le consommateur ait fait usage des voies de droit prévues dans ce contexte (arrêt du 7 décembre 2017, Banco Santander, C-598/15, EU :C :2017 :945, point 50). En revanche l’affaire mentionné ne visait pas l’exécution forcée de la garantie hypothécaire or la présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une procédure d’exécution hypothécaire relative au rapport juridique existant entre un consommateur et un créancier professionnel qui ont conclu un contrat de prêt hypothécaire. 

La Cour poursuit en énonçant que lorsqu’une décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire a été prise alors qu’un examen d’office du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure a été antérieurement effectué par un juge, mais que cette décision ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans le délai prévu à cet effet. Dans ce cas ni l’autorité de la chose jugée ni la forclusion ne sauraient être opposés à un consommateur aux fins de le priver de la protection qu’il tire de la directive 93/13 lors des étapes ultérieures de cette procédure (telle qu’une demande de paiement des intérêts dus à l’établissement bancaire en raison de la non-exécution, par le consommateur, du contrat de prêt hypothécaire en cause ou d’une procédure déclarative subséquente).  

La Cour ajoute que dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle la procédure d’exécution hypothécaire a pris fin et les droits de propriété à l’égard de ce bien ont été transférés à un tiers, le juge, agissant d’office ou sur demande du consommateur, ne peut plus procéder à un examen du caractère abusif de clauses contractuelles qui conduirait à l’annulation des actes transférant la propriété et remettre en cause la sécurité juridique du transfert de propriété déjà opéré envers un tiers. Néanmoins, la Cour précise à ce sujet que le consommateur dans une telle situation, conformément au principe d’effectivité, doit être en mesure d’invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat de prêt hypothécaire afin de pouvoir exercer effectivement et pleinement ses droits au titre de cette directive. le but étant d’obtenir réparation du préjudice financier causé par l’application des clauses.

CJUE, 17 mai 2022, C-600/19 – Ibercaja Banco  

Procédure de saisie exécution hypothécaire – Caractère abusif d’une clause du contrat de prêt – Autorité de la chose jugée et forclusion – Perte de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat devant une juridiction – Pouvoir de contrôle d’office du juge national  

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai. » 

ANALYSE : 

Dans le cadre d’un litige relatif à l’exécution d’un prêt hypothécaire, un consommateur a demandé la suspension de la procédure d’exécution en invoquant le caractère abusif de la clause relative aux intérêts moratoires et de la clause plancher figurant dans le contrat.  

Toutefois selon la juridiction nationale, le caractère abusif des clauses du contrat de prêt ne pouvait plus être recherché, le contrat ayant déjà produit ses effets, la garantie hypothécaire ayant déjà été exécutée et l’examen d’office par le juge du caractère abusif des clauses ayant déjà été réalisé.  

La Cour, après avoir énoncé que la directive 93/13/CEE protège les consommateurs en situation d’infériorité et que l’article 6 de ladite directive est une disposition impérative, rappelle que le juge est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause. Cependant, la protection du consommateur n’est pas absolue et la Cour soulève l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée. 

La Cour constate que, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution, le tribunal compétent a examiné d’office la question de savoir si l’une des clauses du contrat en cause pouvait être qualifiée d’abusive. Toutefois la décision par laquelle le tribunal a ordonné l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire ne comportait aucune mention attestant de l’existence d’un contrôle du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure. Aussi, le consommateur n’a pas été informé de l’existence de ce contrôle ni, au moins sommairement, des motifs sur la base desquels le tribunal a estimé que les clauses en cause étaient dépourvues de caractère abusif.

C’est pour cette raison que la Cour déclare que les articles 6 et 7 de la directive s’opposent à une législation qui interdit au consommateur d’invoquer une clause abusive ou au juge d’examiner d’office le caractère abusif de la clause à la suite d’une décision autorisant l’exécution hypothécaire alors que ladite décision ne fait mention d’aucun examen d’office du caractère abusif des clauses. 

CJUE, 7 avril 2022, C-385-20 – Caixabank 

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Principe d’effectivité – Pouvoir de contrôle d’office de la juridiction nationale – Procédure nationale de taxation des dépens 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle la valeur du litige, qui constitue la base de calcul des dépens récupérables par le consommateur ayant eu gain de cause dans le cadre d’un recours relatif à une clause contractuelle abusive, doit être déterminée dans la requête ou, à défaut, est fixée par cette réglementation, sans que cette donnée puisse être modifiée par la suite, à condition que le juge chargé, in fine, de la taxation des dépens reste libre de déterminer la valeur réelle du litige pour le consommateur en lui assurant de bénéficier du droit au remboursement d’un montant raisonnable et proportionné par rapport aux frais qu’il a dû objectivement exposer pour intenter un tel recours. » 

ANALYSE : 

Il revenait à la Cour de déterminer si l’article 6 paragraphe 1 et l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle la valeur du litige doit être soit déterminé dans la requête ou à défaut fixé par la réglementation, sans que par la suite le montant déterminé ne puisse être modifié.  

La Cour rappelle que la protection tirée de la directive 93/13 est appréciée au regard du principe d’effectivité (v. point 48) dont le respect est notamment analysé en considération du principe de sécurité juridique. 

La Cour poursuit en énonçant que la détermination de la valeur du litige dès le dépôt de la requête introductive d’instance apparaît conforme au principe de sécurité, puisque cela permet aux parties de connaître dès l’engagement le coût économique potentiel du litige. 

Par ailleurs, la Cour ajoute que s’agissant du montant des dépens dont le consommateur peut demander le remboursement au titre des honoraires d’avocat exposés, à la partie ayant succombé, il n’apparaît pas contraire au principe d’effectivité que, en vertu du principe de sécurité juridique, la réglementation nationale prévoie que la valeur du litige ne puisse pas être modifiée au cours de la procédure juridictionnelle, dès lors que c’est à la fin de la procédure qu’il convient de s’assurer du remboursement effectif des frais engagés par le consommateur en prenant en considération le montant des honoraires dont il peut, compte tenu de la valeur attribuée au litige, demander le remboursement au professionnel condamné aux dépens. 

La Cour poursuit en précisant que l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 doit être assurée par la garantie, pour les consommateurs, d’être remboursés des frais qu’ils ont exposés à hauteur d’un montant raisonnable et proportionné au coût des honoraires d’avocat dans une procédure juridictionnelle en constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle. Le tout ayant déjà été énoncé aux points 62 et 64 de l’arrêt. Ainsi, il incombe au juge national de s’assurer que le consommateur puisse bénéficier de la protection issue de la directive 93/13, les règles nationales ne devant pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice de ces droits. En l’espèce la Cour énonce que c’est au juge national compétent in fine pour procéder à la taxation des dépens, de s’assurer, lors de ses calculs, que les dépens qui doivent être effectivement remboursés compte tenu de ce plafonnement légal correspondent à un montant raisonnable et proportionné par rapport aux frais d’avocat que le consommateur a dû objectivement exposer pour intenter le recours en cause.