Cour d’appel de Versailles, 3 octobre 2024, RG N°22/06464
EXTRAITS :
« 2. Sur l’application des règles du droit de la consommation
[…]
En l’espèce, aux termes de ses statuts, l’association CAP [Localité 5] est une association sportive dont l’objet est la poursuite de la pratique des exercices physiques et des sports notamment le football, ainsi que la promotion de tous les exercices physiques et activités sportives. Elle n’exerce aucune activité économique, tirant ses ressources en vertu de l’article 5 de ses statuts, des seules cotisations de ses membres, de subventions des collectivités publiques, de versements d’éventuels sponsors ou donateurs et du produit de manifestations et de tournois qu’elle organise. Les fonds sont utilisés exclusivement pour le fonctionnement de l’association. Selon l’article 3 de ses statuts, elle est composée de membres d’honneur, de membres perpétuels, de membres actifs ou d’adhérents. Les membres du comité directeur ne peuvent être indemnisés par l’association à quelque titre que ce soit, sauf dérogation accordée à titre exceptionnel par le bureau du comité directeur, cette dérogation ne devant excéder une saison sportive.
Le caractère professionnel d’une activité se déduisant de l’origine commerciale, industrielle artisanale, agricole ou libérale du revenu qu’elle procure, il y a lieu de constater que l’objet de l’activité de l’association CAP [Localité 5] en l’espèce ne procure aucun revenu d’origine professionnelle à l’association.
En outre, la location de matériel de reprographie, sans laquelle certes l’association serait dans l’incapacité de fonctionner, est sans rapport direct avec son activité de club sportif visant la promotion des exercices physiques et notamment du football.
Ainsi, l’association CAP [Localité 5] doit être considérée comme non- professionnelle au sens de l’article L132-1 ancien du code de la consommation : elle est donc recevable à invoquer les protections apportées par ce texte.»
« 3. Sur le caractère abusif des clauses de résiliation et de conséquences de la résiliation anticipée
En premier lieu, il convient de relever que les conséquences économiques de la résiliation sont exprimées sans équivoque. Il y a donc lieu de considérer que les clauses sont intelligibles et clairement écrites.
En deuxième lieu, ces clauses reconnaissent le droit de CAP [Localité 5] de résilier le contrat mais seulement avec l’accord de la société Grenke, et avec l’obligation de payer l’intégralité des loyers restant dus. La réciproque pour l’association CAP [Localité 5] n’est pas prévue.
L’article 11 prévoit également qu’en cas de résiliation, le bailleur a droit à une indemnité égale à tous les loyers à échoir jusqu’au terme initial du contrat majorée de 10% ainsi que le cas échéant, des loyers échus impayés et des intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal, tandis que le locataire était tenu de restituer le matériel loué. Cette clause avait été requalifiée par les précédents juges en clause pénale, sans examen de son caractère abusif au sens du droit de la consommation.
Cette clause est, selon ce qui a été soutenu précédemment, la contrepartie de l’acquisition par le bailleur du matériel auprès de son fournisseur et vise à garantir le bailleur acquéreur du matériel loué des conséquences préjudiciables d’une rupture unilatérale du contrat de location par le locataire ainsi que la sanction du manquement du locataire à son obligation de fournir une information loyale quant à ses besoins.
Cette clause prévoit que si le locataire résilie le contrat, il est tenu de payer une indemnité équivalente au montant des loyers restant dus jusqu’au terme du contrat avec une majoration. En revanche, le contrat ne prévoit pas de réciproque d’indemnisation de l’autre partie, en cas de résiliation unilatérale du contrat par le bailleur ni même la nécessité de l’accord du locataire pour résilier.
Ainsi ces clauses 10 et 11 ensemble ont pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur et la clause 10 est incontestablement abusive au sens de l’article R312-1 7°et 8° (sic) du code de la consommation.
En conséquence, ces deux clauses doivent être déclarées abusives et sont donc réputées non écrites et ne peuvent produire leurs effets. »
ANALYSE :
En l’espèce, la société Grenke Location, spécialisée en location financière de matériel informatique et téléphonique, a conclu avec l’association CAP trois contrats de location longue durée portant sur du matériel informatique.
Après un défaut de paiement des loyers, persistant, à partir d’avril 2013, la société Grenke Location a résilié les trois contrats et mis en demeure l’association CAP de lui restituer les différents éléments de matériel informatique loués. La société a finalement assigné l’association, qui a formé une demande reconventionnelle tendant à obtenir à titre principal l’annulation des contrats de location, et à titre subsidiaire de voir certaines clauses réputées non écrites.
La Cour de cassation a été saisie deux fois du litige. En effet, un premier pourvoi en cassation a été formé contre un arrêt rendu en 2018 par la Cour d’appel de Paris, par lequel elle rejetait les demandes de l’association (confirmant ainsi l’arrêt de première instance du TGI de Créteil) et fixant la créance de la société Grenke au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l’égard de l’association. La Cour de cassation a cassé cet arrêt au visa de l’ancien article L.132-1 ancien du Code la consommation, qui invitait les juges du fond à rechercher si l’association avait bien une activité professionnelle, quand elle tirait ses seules ressources des cotisations versées par ses adhérents. La Cour de cassation a plus tard censuré un second arrêt de la Cour d’appel de Paris, rendu en 2020, statuant sur renvoi après cassation, au motif que celle-ci n’avait pas examiné d’office le caractère abusif de certaines clauses contenues dans les contrats de location. L’affaire a été finalement renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles.
Cette juridiction a statué en premier lieu sur l’application des dispositions du Code de la consommation au litige, puis a examiné le caractère abusif de certaines des clauses des contrats de location, ainsi qu’il lui était demandé à titre subsidiaire par l’association CAP.
Concernant l’application des dispositions du Code de la consommation, la Cour d’appel de Versailles, s’appuyant sur l’article L.132-1 du Code de la consommation (dans sa version antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016) ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1e, 26 nov. 2002, n°00-17.610), a retenu que la location par l’association de matériel informatique n’entrait pas dans le cadre de son activité de club sportif. En effet, d’une part, la Cour d’appel a constaté que l’association ne dégageait aucun revenu professionnel, que son objet consistait exclusivement dans la pratique sportive et que ses seuls revenus provenaient des cotisations réglées par les adhérents. D’autre part, la Cour a affirmé que ce matériel informatique (comprenant appareils et logiciels) n’était destiné qu’à permettre à l’association de fonctionner normalement. Celle-ci ne pouvait donc pas être qualifiée de professionnelle dans ses rapports juridiques avec la société Grenke Location. En tant que non professionnelle, les dispositions protectrices du Code de la consommation lui étaient alors applicables.
Concernant le caractère abusif de certaines des clauses contenues dans les contrats de location de matériel informatique, la Cour d’appel de Versailles a examiné deux clauses en particulier :
-« Article 10 – Résiliation (…) 5. Le locataire peut mettre fin de façon anticipée au contrat s’il le souhaite. Toutefois, cette résiliation ne pourra se faire qu’avec l’accord du bailleur et sous réserve du paiement des sommes visées à l’article 11. »
-« Article 11 – conséquence de la résiliation anticipée 1.En cas de résiliation anticipée dans les conditions définies à l’article précédent ou en cas de résiliation judiciaire du contrat, résultat d’une résolution judiciaire de la vente du matériel ou de la licence en raison d’un vice affectant les produits concernés, le bailleur aura droit à une indemnité égale à tous les loyers à échoir jusqu’au terme initial du contrat majoré de 10% ainsi que le cas échéant, des loyers échus impayés et des intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal. Les intérêts commenceront à courir à compter de la première présentation au locataire de la lettre de résiliation. (…) »
La Cour d’appel a considéré que, si les clauses indiquaient de manière claire et intelligibles les conséquences économiques de la résiliation, elles prévoyaient tout d’abord que l’association CAP devait obtenir l’accord de la société Grenke pour résilier, sans que cette dernière n’ait à obtenir l’accord de l’association pour, elle, résilier les contrats ; ainsi qu’une indemnisation de la société bailleresse si l’association résiliait, sans qu’une indemnisation ne soit prévue pour l’association si la société Grenke était à l’initiative de la résiliation . La Cour a finalement estimé que ces deux clauses avaient pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, à la défaveur de l’association CAP, non professionnelle. Selon la Cour, ces clauses devaient être réputées non écrites, en ce qu’elles étaient abusives. La Cour a fondé son raisonnement sur l’arrêt de la CJCE Pannon (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08) ainsi que sur la liste noire des clauses abusives (C. consom., art. R. 212-1, 7° et 8° avec une erreur de frappe dans le numéro de l’article cité dans l‘arrêt).
La Cour d’appel a cependant écarté le caractère abusif d’une autre clause du contrat intitulée : « Loyers, ajustements, imputation des paiements » qui stipulait que « Le locataire reste tenu du paiement de l’intégralité des loyers au bailleur, même en cas de dysfonctionnement, quelle qu’en soit la nature ou la cause, lié à la maintenance ou au fonctionnement des produits. Aucune compensation à quelque titre que ce soit autre que judiciaire ne pourra intervenir entre les parties ». La Cour a déclaré que cette clause n’était pas irréfragablement abusive car elle visait à garantir le paiement des loyers au bailleur qui avait livré de manière effective le matériel informatique à son locataire, indépendamment des dysfonctionnements.
Par ailleurs, tenue d’apprécier l’intelligibilité des clauses, notamment leur taille de police, la Cour d’appel a cité une recommandation de la Commission des clauses abusives, invitant les professionnels à ne pas imprimer les clauses contenues dans leurs contrats en dessous d’une taille de police 8.
Voir également :
–arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 26 novembre 2002, n°00-17.610
–arrêt de la CJCE, Pannon, du 4 juin 2009 (C-243/08)
–recommandation de la CCA concernant la taille minimale des caractères