CJUE, 13 octobre 2022  aff. C-405/21  – NOVA KREDITNA BANKA MARIBOR d.d.  

  

Contrat de prêt libellé en devises étrangères – Déséquilibre significatif – Exigence de bonne foi – Critères d’appréciation – Degré d’harmonisation 

 

EXTRAIT 

  

« Larticle 3, paragraphe 1, et larticle 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que :  

ils ne sopposent pas à une réglementation nationale qui permet de constater le caractère abusif dune clause contractuelle lorsquelle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, sans toutefois procéder à lexamen, dans une telle hypothèse, de lexigence de « bonne foi », au sens de cet article 3, paragraphe 1. »  

  

ANALYSE   

  

La CJUE rappelle les trois critères pour apprécier le caractère abusif d’une clause : la bonne foi, l’équilibre et la transparence (pt 18) et elle saisit l’occasion pour rappeler le sens de chacun des  ces crtières (pts 20 à 28).  

S’agissant de la bonne foi, qui fait l’objet de la question préjudicielle, elle rappelle qu’il s’agit d’un « élément qui permet de vérifier si le professionnel a traité de façon loyale et équitable avec le consommateur » (pt 24) et que cette notion « est inhérente à l’examen de la nature abusive d’une clause contractuelle » (pt 25). 

Cependant, elle rappelle qu’à raison du degré d’harmonisation minimal de la directive, est laissée une marge de manœuvre aux Etats membres de protéger davantage les consommateurs. Aussi une législation nationale (en l’espèce la législation slovène) qui permet de constater le caractère abusif dune clause contractuelle lorsque son existence crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat sans procéder à lexamen de lexigence de « bonne foi » n’est pas contraire à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 

 

Le droit français qui ne se réfère pas à la bonne foi pour apprécier le caractère abusif d’une clause (C. consom., art. L. 212-1) n’est donc pas contraire au droit européen. 

CJUE, 22 septembre 2022, aff. C-215/21 Servicios Prescriptor y Medios de Pagos EFC SAU 

 

Principe d’effectivité – Dépens – mauvaise foi du professionnel – Constatation en justice du caracère abusif d’une clause 

  

EXTRAIT  

  

« L’article 6, paragraphe 1, et larticle 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens que : 

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle relative à la constatation du caractère abusif d’une clause d’un contrat entre un professionnel et un consommateur, en cas de satisfaction par voie extrajudiciaire de ses prétentions, le consommateur concerné doit supporter ses dépens, sous réserve que le juge saisi tienne impérativement compte de l’éventuelle mauvaise foi du professionnel concerné et, le cas échéant, condamne ce dernier au paiement des dépens relatifs à la procédure juridictionnelle que ce consommateur s’est vu contraint d’engager pour faire valoir les droits que lui confère la directive 93/13. »  

  

ANALYSE   

  

Il revenait à la Cour de déterminer si larticle 6, paragraphe 1, et larticle 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE s’oppose à une réglementation nationale (en l’occurrence le droit espagnol) selon laquelle, en cas de satisfaction par voie de règlement extrajudiciaire quant à la constatation du caractère abusif d’une clause, le consommateur qui s’est vu contraint d’engager une action en justice pour faire valoir ses droits doit supporter les dépens 

 

La Cour rappelle que la protection tirée de la directive 93/13 est appréciée au regard du principe d’équivalence et du principe d’effectivité (pt. 23) tout en préservant l’autonomie procédurale des États membres. 

 

Eu égard au principe d’effectivité, la Cour rappelle qu’une législation nationale ne peut faire peser sur le consommateur les frais procéduraux en fonction des sommes indûment payées qui lui ont été restituées par le professionnel puisqu’un tel régime est susceptible de décourager le consommateur à faire valoir son droit devant les juridictions nationales. ( Voir en ce sens arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 ).
 

La Cour poursuit en condamnant la pratique espagnole, selon laquelle un consommateur, s’il obtient satisfaction en dehors des procédures juridictionnelles, devra toujours supporter les dépens de cette procédure, et cela même si le professionnel est de mauvaise foi, créant ainsi un obstacle substantiel de nature à empêcher le consommateur de profiter de la réglementation issue du droit de l’Union ( pt.41). 

 

Cependant, la CJUE observe que le gouvernement espagnol a indiqué qu’un « critère de correction » (pt. 25) permet au juge de prendre en considération la mauvaise foi éventuelle du professionnel et le cas échant si cela est démontré, de le condamner aux dépens.  

 

Ainsi, la Cour au regard de ces éléments juge cette réglementation espagnole compatible avec le principe d’effectivité et conforme au droit de lUnion.

CJUE, 8 septembre 2022, C80/21 à C82/21 – D.B.P   

 

Contrats de crédit hypothécaire – Action aux fins de restitution des sommes indûment versées– Prescription – Principe d’effectivité 

 

EXTRAITS : 

« La directive 93/13, lue à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprétée en ce sens que : elle s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle le délai de prescription de dix ans de l’action du consommateur tendant à obtenir la restitution de sommes indûment versées à un professionnel en exécution d’une clause abusive contenue dans un contrat de crédit commence à courir à la date de chaque prestation exécutée par le consommateur, quand bien même ce dernier n’était pas en mesure, à cette date, d’apprécier lui-même le caractère abusif de la clause contractuelle ou n’avait pas eu connaissance du caractère abusif de ladite clause, et sans tenir compte de ce que ce contrat avait une durée de remboursement, en l’occurrence de trente ans, largement supérieure au délai de prescription légal de dix ans.» 

 

ANALYSE : 

Par le présent arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser les règles de prescription applicables aux actions restitutoires consécutives au constat du caractère abusif d’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire. 

 

La Cour commence par rappeler que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui soumet l’action restitutoire consécutive au constat du caractère abusif d’une clause à un délai de prescription, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance). Dans la présente affaire, seul est visé le principe d’effectivité, ce qui signifie que l’opposition d’un tel délai de prescription est possible, pourvu que son application ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13 (pt.91). La Cour poursuit ainsi en s’intéressant aux modalités de mise en œuvre d’un tel délai, et particulièrement à sa durée et à son point de départ. 

 

La Cour retient qu’un délai de prescription de dix ans, pour autant qu’il soit établi et connu d’avance, ne semble pas rendre impossible ou excessivement difficile les droits conférés par la directive 93/13 (pt. 93). Elle considère en effet qu’un tel délai permet au consommateur d’exercer un recours effectif pour faire valoir les droits qu’il tire de ladite directive 93/13. La Cour appuie notamment sa position en rappelant qu’elle avait déjà pu considérer que des délais de prescription de trois à cinq ans n’étaient pas contraires au principe d’effectivité (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance).  

 

S’agissant ensuite du point de départ du délai de prescription, qui commence à courir au jour de chaque paiement réalisé par l’emprunteur, la Cour affirme qu’il existe un risque non négligeable que le consommateur ne soit pas en mesure, pendant ce délai, de faire valoir utilement les droits que lui confère la directive 93/13. Selon la Cour, un tel délai de prescription risque en effet d’expirer avant que le consommateur ne soit en mesure d’apprécier lui-même le caractère abusif d’une clause ou d’avoir connaissance du caractère abusif de ladite clause. La Cour en conclut ainsi que le délai de prescription, qui commence à courir au jour de chaque prestation exécutée par le consommateur, est contraire au principe d’effectivité, en ce qu’il rend excessivement difficile l’exercice des droits que le consommateur tire de la directive 93/13 (pt.99). 

CJUE, 8 septembre 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/21 – D.B.P

Contrats de crédit hypothécaire – Substitution à une clause abusive

EXTRAIT

« « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut, après avoir constaté la nullité d’une clause abusive contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel qui entraîne la nullité de ce contrat dans son ensemble, substituer à la clause annulée soit une interprétation de la volonté des parties afin d’éviter l’annulation dudit contrat, soit une disposition de droit national à caractère supplétif, alors même que le consommateur a été informé des conséquences de la nullité du même contrat et les a acceptées »

ANALYSE

La CJUE rappelle dans un premier temps que la possibilité pour le juge national de substituer à une clause abusive annulée une disposition nationale de caractère supplétif est exceptionnelle. En effet, une telle faculté est limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge à invalider le contrat dans son ensemble, exposant le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C-70/17 et C-179/17, EU :C :2019 :250, point 56)

Or, lorsque les consommateurs ont été informés des conséquences liées à l’annulation intégrale des contrats de crédit qu’ils avaient conclus et les ont acceptées, la CJUE considère que la condition selon laquelle l’annulation du contrat dans son ensemble exposerait les consommateurs concernés à des conséquences particulièrement préjudiciables n’est pas remplie (point 78). Sachant qu’il s’agit de la condition indispensable permettant au juge national de substituer à la clause abusive annulée une disposition de droit interne à caractère supplétif.

La Cour ajoute également que la possibilité de substituer à une clause abusive annulée une interprétation judiciaire par la volonté des parties est exclue. En effet, la CJUE considère que les juges nationaux sont tenus uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans être habilités à réviser le contenu de celle-ci (point 80).

Dès lors, le juge national ne peut réviser le contenu de la clause abusive annulée afin de maintenir en vigueur un contrat qui ne saurait le demeurer après la suppression de ladite clause, lorsque le consommateur concerné a été informé des conséquences d’annulation du contrat et a accepté les conséquences de cette nullité (point 83).

CJUE, 8 septembre 2022, aff. Jointes C-80/21 à C-82/21 – D.B.P.  

 

Contrats de crédit hypothécaire – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Principe d’effectivité. 

  

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge national peut, après avoir constaté la nullité d’une clause abusive contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel qui n’entraîne pas la nullité de ce contrat dans son ensemble, substituer à cette clause une disposition de droit national supplétive. » 

 

ANALYSE   

 

Il ressort de l’article 6, paragraphe1, de la directive 93/13, que ce qui est recherché n’est pas l’annulation du contrat contenant des clauses abusives mais de faire substituer à l’équilibre formel que le contrat établi entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers. En principe le contrat doit subsister sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives. La cour énonce que lorsque cette condition est satisfaite le contrat en cause peut être maintenu.Toutefois, la persistance du contrat doit être juridiquement possible, et cela doit être vérifié par une approche objective (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 39). 

  

Néanmoins, la Cour ajoute que la possibilité exceptionnelle de substituer à une clause abusive annulée une disposition nationale à caractère supplétif est limitée aux hypothèses dans lesquelles la suppression de cette clause abusive obligerait le juge national à invalider le contrat en cause dans son ensemble, ce qui pourrait engendrer des conséquences préjudiciables pour le consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18, EU:C:2019:819, point 48). 

 

Par conséquent lorsqu’un contrat peut rester en vigueur après la suppression des clauses abusives, le juge national ne saurait substituer à ces clauses une disposition nationale à caractère supplétif.

CJUE, 8 septembre 2022, C-80/21, DBP 

 

Clause de conversion – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause 

 

EXTRAITS : 

“L’article 6,  paragraphe 1,  et  l’article 7,  paragraphe 1,  de  la  directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que : ils  s’opposent à  une  jurisprudence nationale selon laquelle le  juge national peut constater le caractère abusif non pas de l’intégralité de la clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, mais uniquement des éléments de celle-ci qui  lui  confèrent un  caractère abusif, de  telle sorte que  cette clause reste, après la suppression de  tels  éléments, partiellement effective, lorsqu’une telle suppression reviendrait à  réviser le  contenu de  ladite clause en  affectant sa  substance, ce  qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.” 

 

ANALYSE : 

La Cour de Justice de l’Union Européenne se prononce dans cet arrêt sur l’étendue des pouvoirs du juge national en matière de clauses abusives. Elle rappelle une jurisprudence constante selon laquelle le juge national ne peut pas réviser le contenu d’une clause abusive (pt 59) car cela éliminerait l’effet dissuasif de la pure et simple non-application d’une telle clause (pt 60) (CJUE, 26 mars 2019, Abance Corporacion Bancaria et Bankia, C-70/17 et C-179/17 pt 53 et pt 54). 

Dans la limite de cette interdiction de révision, avait déjà été admise la possibilité, pour le juge national, de supprimer uniquement l’élément abusif d’une clause sous réserve du respect de deux conditions : l’élément supprimé consiste en une obligation contractuelle distincte, susceptible de faire l’objet d’un examen individualisé, et la législation nationale assure l’objectif dissuasif poursuivi par la directive 93/13 en réglementant la clause litigieuse (pt 62) (CJUE, 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20).  

Néanmoins, dans cette espèce, la Cour constate que ces deux conditions ne sont pas remplies (pt 63). Dès lors, le fait, pour le juge national, de supprimer uniquement les éléments abusifs d’une clause non réglementée qui ne constituent pas des obligations contractuelles distinctes s’apparente à une révision de la clause qui en affecte la substance (pt 64).  

 

Cass. civ. 1ère, 7 septembre 2022, n°20-20.827 

Prêt libellé en devises étrangères — Obligation d’information de la banque — Fonctionnement concret du mécanisme financier — Évaluation des conséquences économiques négatives — Hypothèse de dépréciation de la monnaie 

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;  

En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné́ de base légale à sa décision ».  

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, une banque consent un prêt multidevises à un emprunteur d’un montant de 585 000 euros ou « l’équivalent, à la date du tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». L’emprunteur agit contre la banque en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l’avenir et au paiement de dommages-intérêts. Celui-ci invoque l’irrégularité d’une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde.   

La Cour d’appel retient que l’offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et rejette la demande de l’emprunteur tendant au remboursement du prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 585 000 euros. L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.  

La Première Chambre civile de la Cour de cassation énonce au visa de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 que « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger ».  

Reprenant le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass  civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717), la Cour de cassation induit du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ».  

En effet, l’exigence de transparence des clauses ne concerne pas uniquement le caractère compréhensible de celles-ci sur un plan formel et grammatical. Le professionnel doit aussi fournir une information permettant « au consommateur moyen de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, gr. ch., 3 mars 2020, Gomez del Moral Guash, aff. C-125/18, pt. 49,).  

De plus, la CJUE retient que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance).  

Par conséquent, la Cour de cassation reprend la solution dégagée dans l’arrêt BNP Paribas pour consacrer un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses.  

 

 

Voir également : 

-  CJCE, 10 juin 2021, C-776/19 – BNP Paribas Finance

Cass. 1ère civ., 7 septembre 2022, n° 20-20.826 

Contrat de prêt multidevises — objet du contrat — transparence – déséquilibre significatif – devoir d’information du banquier  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

(…)

9.Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l’arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d’intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l’objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

10.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. 

 

Vu l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : 

(…)

13.Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d’information, l’arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l’emprunteur avait pris connaissance de l’article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d’augmentation du capital à rembourser au-delà d’un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l’emprunteur, avant la signature de l’offre, une lettre l’informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».

14.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

 

ANALYSE : 

Accueillant le premier moyen de cassation, la Cour rappelle que l’appréciation du caractère abusif d’une clause portant sur l’objet d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose que la clause soit dépourvue de clarté et de compréhensibilité. Appliquant la jurisprudence BNP Paribas (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), elle casse l’arrêt d’appel qui avait jugé la clause claire, au motif que les informations transmises par le banquier n’avaient pas permis à l’emprunteur de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier, et d’évaluer les risques inhérents à cet engagement, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie utilisée pour le remboursement par rapport à la monnaie de compte. Dès lors la clause peut être soumise au test du déséquilibre significatif.  

Accueillant le second moyen de cassation, elle fait valoir qu’une lettre informant le consommateur «  des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque » » ne lui permet pas de comprendre le mécanisme et d’en évaluer les conséquences financières concrètes. La Cour de cassation fait état de la nécessité d’alerter l’emprunteur sur le risque encouru en cas de dépréciation importante de la monnaie dans laquelle les revenus sont perçus par rapport à la monnaie de compte. 

La première chambre civile de la Cour de cassation procède donc de nouveau à une application de la jurisprudence européenne (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance). Elle confirme le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass. civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717) en induisant du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ». 

 

 

Voir aussi : CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance / Cass. civ 1ère , 20 avril 2022, 20-16.316 / Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 

Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21-15.199 

 

 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — écart de change — risque de dépréciation — franc suisse – défaut de clarté 

 

EXTRAITS :

11.Pour rejeter les demandes formées par les emprunteurs au titre du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, l’arrêt retient que ces clauses définissent l’objet principal de ces contrats et sont claires et compréhensibles dès lors qu’elles précisent, en des termes intelligibles, les modalités de l’amortissement de ces deux prêts avec conversion de la somme due en euros selon un taux de change, que les emprunteurs ont reçu une information au moyen d’un document signé le 1er février 2008 dans lequel la banque appelait leur attention sur les points particuliers de cette convention et notamment sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse, et qu’ils étaient en capacité d’apprécier la nature et la portée de leurs engagements et de mesurer les risques encourus en cas de dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse ainsi que les conséquences induites sur leurs obligations financières.

12.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne l’appréciation du caractère abusif des clauses du contrat de prêt libellé en devise étrangère. 

Pour apprécier le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat, il faut préalablement s’assurer que la clause n’est pas claire et compréhensible. Or, l’arrêt d’appel avait jugé que lesdites clauses ne pouvaient être considérées comme abusives dès lors qu’elles étaient claires et compréhensibles. Les juges du fond avaient relevé la remise d’un document dans lequel la banque appelait l’attention des emprunteurs « sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse ». 

 

Cependant, dans cet important contentieux, la Cour de Justice de l’Union Européenne a tranché en considérant que la clause dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose, pour répondre aux exigences de clarté, que le professionnel ait « fourni les informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal, C-776/19 à C-782/19). A défaut, la clause pourra faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif. 

La première chambre civile, cassant la décision rendue par les juges du fond, se rangeant derrière la solution de la Cour de Justice de l’Union Européenne, relève qu’ils n’ont pas vérifié que la banque avait fourni aux emprunteurs les informations suffisantes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme du contrat et le risque encouru « dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ». Faute d’une information sur ce risque précis lié à la dépréciation, et pas simplement à l’évolution du cours, le principe de transparence matérielle posé par la CJUE n’est pas respecté, et la clause est susceptible d’être jugée abusive. 

 

Voir également : 

-  Site de la CCA :  

CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal  

 La clause de monnaie étrangère est susceptible de créer un déséquilibre significatif dès lors que le professionnel n’a pas satisfait à l’exigence de transparence en ne permettant pas au consommateur d’évaluer les conséquences économiques négatives de cette stipulation