CJUE, 17 mai 2022, C-869/19 – Unicaja Banco SA 

Principe d’équivalence – Principe d’effectivité – Contrat hypothécaire – Caractère abusif de la “clause plancher” prévue par ce contrat – Règles nationales concernant la procédure juridictionnelle d’appel – Limitation des effets dans le temps de la déclaration de nullité d’une clause abusive – Restitution – Pouvoir de contrôle d’office du juge national d’appel – Passivité totale du consommateur 

EXTRAIT : 

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de principes de procédure juridictionnelle nationale, en vertu desquels une juridiction nationale, saisie d’un appel contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une clause déclarée abusive, ne peut soulever d’office un moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la restitution totale desdites sommes, lorsque l’absence de contestation de cette limitation dans le temps par le consommateur concerné ne saurait être imputée à une passivité totale de celui-ci. » 

ANALYSE : 

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres doivent prévoir que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs et qu’au regard de l’article 7, paragraphe 1, et du vingt-quatrième considérant de ladite directive, ils doivent prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation desdites clauses (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, point 44 et jurisprudence citée) (points 20 et 21).  

À ce propos et en l’absence de réglementation par le droit de l’Union, si les modalités des procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne des États membres (principe de l’autonomie procédurale), elles ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence), ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C-407/18, EU:C:2019:537, point 46 et jurisprudence citée) (point 22). 

En ce qui concerne le principe d’équivalence, il appartient au juge national de vérifier, au regard des modalités procédurales des recours applicables en droit interne, le respect de ce principe compte tenu de l’objet, de la cause et des éléments essentiels des recours concernés (voir, notamment, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C-448/17, EU:C:2018:745, point 40). À cet égard, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de règles d’ordre public (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C-147/16, EU:C:2018:320, point 35). Il s’ensuit que lorsque, en vertu du droit interne, le juge national statuant en appel dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la légalité d’un acte juridique au regard de règles nationales d’ordre public, il doit également le faire au regard de cette disposition de la directive 93/13. Autrement dit, dès lors que les éléments du dossier dont dispose le juge national d’appel conduisent à s’interroger sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, ce juge est tenu d’apprécier d’office la légalité de cette clause au regard des critères fixés par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Jőrös, C-397/11, EU:C:2013:340, point 30) (points 23, 24 et 25).  

En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour rappelle que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C-485/19, EU:C:2021:313, point 53). Cependant, la Cour a estimé que le respect de ce principe ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C-32/14, EU:C:2015:637, point 62). En outre, il implique une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte, qui s’applique, entre autres, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée). D’ailleurs, la Cour a jugé à cet égard que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19, EU:C:2020:431, point 35 et jurisprudence citée) (points 28, 29 et 30). 

Néanmoins, la Cour réaffirme que la protection du consommateur n’est pas absolue. En particulier, elle a considéré que le droit de l’Union n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, contenue dans la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C-40/08, EU:C:2009:615, point 37, ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 68), sous réserve cependant du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (point 33). 

Aussi dans une précédente affaire, la Cour jugeait que la limitation dans le temps des effets juridiques découlant de la constatation de la nullité des « clauses planchers » revenait à priver, de manière générale, tout consommateur ayant conclu, avant cette date, un contrat de prêt hypothécaire comportant une telle clause du droit d’obtenir la restitution intégrale des sommes qu’il a indûment versées sur la base de cette clause. Dès lors, une telle protection se révèle incomplète et insuffisante et ne constitue un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de ce type de clauses, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 73) (points 34 et 35).  

En outre, dans l’affaire au principal, il est constant que le consommateur n’a pas interjeté appel ou formé un appel incident contre le jugement de première instance imposant une limitation dans le temps des effets restitutoires pour les montants perçus en vertu de la clause abusive. Il convient toutefois de souligner que, dans les circonstances de la présente affaire, le fait qu’un consommateur n’ait pas formé de recours dans le délai approprié peut être imputé au fait que, lorsque la Cour a prononcé l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980), le délai dans lequel il était possible d’interjeter appel ou de former un appel incident en vertu du droit national était déjà expiré. Dans de telles circonstances, il ne saurait être considéré que le consommateur a fait preuve d’une passivité totale. Il en résulte que l’application des principes de procédure juridictionnelle nationale en cause, en privant le consommateur des moyens procéduraux lui permettant de faire valoir ses droits au titre de la directive 93/13, est de nature à rendre impossible ou excessivement difficile la protection de ces droits, portant ainsi atteinte au principe d’effectivité (points 37, 38 et 39). 

CJUE, 17 mai 2022, C-600-19 – Ibercaja Banco  

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Principe d’effectivité – Procédure de saisie exécution hypothécaire – Autorité de la chose jugée et forclusion – Perte de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat devant une juridiction – Pouvoir de contrôle d’office du juge national 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale, agissant d’office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l’objet d’une procédure d’exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d’une procédure subséquente en vue d’obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l’application de clauses abusives. » 

ANALYSE : 

Il appartenait à la Cour de déterminer si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale à examiner le caractère abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard du bien transférés à un tiers.  

A cet égard, la Cour commence par rappeler que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’appliquent pas à une procédure introduite par l’adjudicataire d’un bien immeuble à la suite de l’exécution extrajudiciaire de la garantie hypothécaire consentie sur ce bien par un consommateur au profit d’un créancier professionnel et qui a pour objet la protection des droits réels légalement acquis par cet adjudicataire dans la mesure où, d’une part, cette procédure est indépendante de la relation juridique liant le créancier professionnel au consommateur et, d’autre part, la garantie hypothécaire a été exécutée, le bien immobilier a été vendu et les droits réels qui s’y rapportent ont été transférés sans que le consommateur ait fait usage des voies de droit prévues dans ce contexte (arrêt du 7 décembre 2017, Banco Santander, C-598/15, EU :C :2017 :945, point 50). En revanche l’affaire mentionné ne visait pas l’exécution forcée de la garantie hypothécaire or la présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une procédure d’exécution hypothécaire relative au rapport juridique existant entre un consommateur et un créancier professionnel qui ont conclu un contrat de prêt hypothécaire. 

La Cour poursuit en énonçant que lorsqu’une décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire a été prise alors qu’un examen d’office du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure a été antérieurement effectué par un juge, mais que cette décision ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans le délai prévu à cet effet. Dans ce cas ni l’autorité de la chose jugée ni la forclusion ne sauraient être opposés à un consommateur aux fins de le priver de la protection qu’il tire de la directive 93/13 lors des étapes ultérieures de cette procédure (telle qu’une demande de paiement des intérêts dus à l’établissement bancaire en raison de la non-exécution, par le consommateur, du contrat de prêt hypothécaire en cause ou d’une procédure déclarative subséquente).  

La Cour ajoute que dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle la procédure d’exécution hypothécaire a pris fin et les droits de propriété à l’égard de ce bien ont été transférés à un tiers, le juge, agissant d’office ou sur demande du consommateur, ne peut plus procéder à un examen du caractère abusif de clauses contractuelles qui conduirait à l’annulation des actes transférant la propriété et remettre en cause la sécurité juridique du transfert de propriété déjà opéré envers un tiers. Néanmoins, la Cour précise à ce sujet que le consommateur dans une telle situation, conformément au principe d’effectivité, doit être en mesure d’invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat de prêt hypothécaire afin de pouvoir exercer effectivement et pleinement ses droits au titre de cette directive. le but étant d’obtenir réparation du préjudice financier causé par l’application des clauses.

COUR D’APPEL D’AMIENS, 17 MAI 2017 RG 20/06095  

– contrat de prêt – prescription – action en nullité – action en constatation du caractère abusif d’une clause  

  

EXTRAITS   

« S’il a été jugé que la clause contraire aux dispositions de l’article L.212-1 du code de la consommation, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs est ‘réputée non-écrite’, cette expression signifie simplement que seule la clause est nulle, non le contrat entier, et non pas qu’il s’agirait d’une sanction spécifique, autre que la nullité́, échappant à la prescription. » 

  

ANALYSE    

  

Alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle dans une décision rendue en 2021 (cf. CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 BNP Paribas Personal Finance) que les articles 6 et 7 de la directive 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, disposent de l’imprescriptibilité des actions du consommateur tendant à la contestation par celui-ci du caractère abusif d’une clause ; que la Cour de cassation dans un arrêt du 8 avril 2021 (n°19-17997) affirme que la demande tendant à réputer non-écrite la clause litigieuse n’est pas non plus soumise à un délai de prescription ; il semblerait cependant que cet arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens ignore ces solutions.  

  

En effet, un couple contestait la régularité de deux clauses d’intérêts immobiliers issu de leur contrat de prêt et demandait le prononcé du caractère abusif de ces dernières ainsi que le versement par la banque de dommages et intérêts. La banque a dès lors opposé la prescription quinquennale issu de l’article 2224 du code civil à toutes les demandes des consommateurs.  

Le tribunal a accueilli cette opposition de la banque, déclarant les demandes du couple irrecevables car prescrites. La Cour d’appel d’Amiens confirme ce jugement et ajoute que, s’agissant de l’action en nullité, le point de départ quant à la prescription est le « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Or, en l’espèce, les emprunteurs auraient, selon la Cour d’appel, eu tous les éléments pour soutenir, dès la conclusion du contrat en 2010, que les clauses étaient abusives, de sorte que pour la Cour d’appel il n’y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription. 

 

VOIR EGALEMENT :

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 BNP Paribas Personal Finance

CJUE, 17 mai 2022, C-600/19 – Ibercaja Banco  

Procédure de saisie exécution hypothécaire – Caractère abusif d’une clause du contrat de prêt – Autorité de la chose jugée et forclusion – Perte de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat devant une juridiction – Pouvoir de contrôle d’office du juge national  

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai. » 

ANALYSE : 

Dans le cadre d’un litige relatif à l’exécution d’un prêt hypothécaire, un consommateur a demandé la suspension de la procédure d’exécution en invoquant le caractère abusif de la clause relative aux intérêts moratoires et de la clause plancher figurant dans le contrat.  

Toutefois selon la juridiction nationale, le caractère abusif des clauses du contrat de prêt ne pouvait plus être recherché, le contrat ayant déjà produit ses effets, la garantie hypothécaire ayant déjà été exécutée et l’examen d’office par le juge du caractère abusif des clauses ayant déjà été réalisé.  

La Cour, après avoir énoncé que la directive 93/13/CEE protège les consommateurs en situation d’infériorité et que l’article 6 de ladite directive est une disposition impérative, rappelle que le juge est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause. Cependant, la protection du consommateur n’est pas absolue et la Cour soulève l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée. 

La Cour constate que, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution, le tribunal compétent a examiné d’office la question de savoir si l’une des clauses du contrat en cause pouvait être qualifiée d’abusive. Toutefois la décision par laquelle le tribunal a ordonné l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire ne comportait aucune mention attestant de l’existence d’un contrôle du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure. Aussi, le consommateur n’a pas été informé de l’existence de ce contrôle ni, au moins sommairement, des motifs sur la base desquels le tribunal a estimé que les clauses en cause étaient dépourvues de caractère abusif.

C’est pour cette raison que la Cour déclare que les articles 6 et 7 de la directive s’opposent à une législation qui interdit au consommateur d’invoquer une clause abusive ou au juge d’examiner d’office le caractère abusif de la clause à la suite d’une décision autorisant l’exécution hypothécaire alors que ladite décision ne fait mention d’aucun examen d’office du caractère abusif des clauses. 

Cass. civ. 3ème, 11 mai 2022, n°21-15.420  

Contrat de maitrise d’ouvrage – mode alternatif de règlement des litiges – clause grise – relevé d’office – fin de non-recevoir  

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code :  

(…)

21.Pour accueillir la fin de non-recevoir opposée par l’architecte aux demandes des maîtres de l’ouvrage consommateurs, l’arrêt, qui constate que le contrat de maîtrise d’oeuvre comporte une clause selon laquelle « en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d’un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes », retient que le non-respect de cette clause est sanctionné par une fin de non-recevoir.

22. En se déterminant ainsi, alors qu’il lui incombait d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.  

 

ANALYSE : 

Dans un contrat conclu entre des maitres de l’ouvrage et un architecte se trouve une clause précisant qu’ « en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d’un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes ».  

La cour d’appel accueille la fin de non-recevoir soulevée par l’architecte en retenant que cette clause n’avait pas été respectée par les maitres de l’ouvrage consommateurs. En effet, les maitres de l’ouvrage ont d’abord saisi le conseil régional de l’ordre des architectes le 8 décembre 2010, mais le 13 décembre, soit moins d’un mois après, ils ont assigné l’architecte devant le juge des référés  ce qui a entrainé l’annulation de la réunion devant l’ordre des architectes. Ainsi, le règlement amiable du litige n’a pas eu lieu et c’est pour cela que la Cour d’appel de Douai prononce, à la demande de l’architecte, la fin de non recevoir. 

La Cour de cassation casse l’arrêt. Les magistrats de la troisième chambre civile considèrent qu’il importe peu que les consommateurs aient respecté la procédure amiable. La Cour d’appel aurait dû rechercher si dans ce contrat entre un professionnel et des consommateurs, cette clause n’était pas abusive. En d’autres termes, le relevé d’office du caractère abusif de la clause de règlement amiable écarte la fin de non recevoir attachée au défaut de respect de la procédure amiable.  

La clause qui impose au consommateur de recourir exclusivement à un règlement amiable est une clause grise présumée abusive par l’article R. 212-2, 10°. Les juges de la troisième chambre civile avaient déjà eu l’occasion de juger que « la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu’il appartient au juge d’examiner d’office la régularité d’une telle clause (3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095)..
Cependant, dans la présente décision, la Cour de cassation semble nuancer la présomption d’abus puisqu’elle juge que la Cour d’appel de Douai aurait dû relever d’office le caractère « éventuellement » abusif d’une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers.  

Voir également :
La clause de conciliation préalable et obligatoire est présumée abusive et doit être soulevée d’office.

Cour d’appel de Colmar, 27 avril 2022, n° RG 20/00594 

Clauses abusives – banque – change – prêt en devise – suisse – prêt – risque – déséquilibre significatif – recevabilité – prescription 

 

EXTRAITS : 

 

– Sur la prescription de l’action :  

(…) 

Il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d’un contrat de prêt ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription, qu’ainsi la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses des contrats de prêts conclus avec la Banque CIC-EST n’est pas prescrite.  

(…) 

– Sur le caractère abusif des clauses litigieuses :  

(…) 

Force est de constater, qu’il ressort de ces clauses que le montant du prêt est libellé en devise, que le risque de change est totalement à la charge de l’emprunteur et que le bénéfice de change profite à l’emprunteur, qu’ainsi elles ont été rédigées de manière claire et compréhensible. Par ailleurs, il ressort du contrat, des pièces produites versées aux débats et des écritures des consorts [M]-[T] que Monsieur [M] percevait ses revenus en francs suisses et qu’il était salarié en Suisse, qu’ainsi, le contrat de prêt consenti en francs suisses ne pouvait pas créer de déséquilibre significatif mais était au contraire adapté à la situation de Monsieur [M]. Le changement allégué dans la situation personnelle de Monsieur [M] en 2015 ne suffit pas à lui seul à caractériser d’abusives les clauses litigieuses.   

  

Ainsi, il convient de rejeter la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire réputer non écrites les clauses afférentes au risque de change et au remboursement des prêts en devises des offres de prêt du 5 mai 2006 et du 29 septembre 2004. 

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, afin de financer l’achat d’un appartement et d’un immeuble, Mme. [T] et M. [M] ont contacté la banque CIC Est. Trois prêts immobiliers ont été contractés : 

  •  Un premier prêt contracté par M. [M] dont le montant est de 92 941 CHF remboursable sur 180 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux de 1,960 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M, en vertu d’une offre de prêt du 29 septembre 2004 ; 
  • Un second prêt contracté par M. [M] et Mme [T] d’un montant de 168 960 CHF remboursable sur une durée de 245 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux de variable de 2,546 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M en vertu d’une offre de prêt du 05 mai 2006 ; 
  • Un troisième prêt contracté par M. [M] et Mme [T] d’un montant de 337 920 CHF remboursable sur une durée de 245 mois dont les échéances sont payables le 05 de chaque mois, consenti à un taux variable de 2,546 % indexé sur le taux LIBOR 12M MOY/M en vertu d’une offre de prêt du 05 mai 2006. 

 

Le 27 juillet 2017, le conseil de Mme [T] et de M. [M] a adressé un courrier de réclamation à la BANQUE relative au non-respect de son devoir de mise en garde vis-à-vis des conséquences et risques liés aux disparités de change de leur prêt en devises. 

Par jugement du 10 décembre 2019, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a dit que M. [M] et Mme [T] ont qualité et intérêt à agir, mais a déclaré toutes les demandes des consorts [M]-[T] irrecevables comme étant prescrites. 

Le 29 janvier 2020, les consorts [M]-[T] interjettent appel de cette décision, et le 19 février 2020, la banque CIC Est se constitue intimée. 

Par leurs dernières conclusions du 31 août 2021, les consorts [M]-[T] demandent à la Cour d’infirmer le jugement du 10 décembre 2019 et de statuer à nouveau, afin notamment de dire que leur action est recevable et de juger que les clauses afférentes au risque de change et au remboursement des prêts en devises des offres de prêt du 05 mai 2006 et du 29 septembre 2004 sont abusives et réputées non écrites. 

La Cour d’appel de Colmar se prononce donc, notamment, sur la question relative à la prescription de la demande des consorts [M]-[T], mais également sur celle relative au caractère abusif des clauses litigieuses. 

Sur la question relative à la prescription de la demande, la Cour relève qu’une clause réputée non écrite est non avenue par le seul effet de la loi et qu’il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d’un contrat de prêt ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription. De ce fait, la demande des consorts [M]-[T] tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses des contrats de prêts conclus avec la Banque CIC-Est n’est pas prescrite. 

 

Sur le caractère abusif des clauses litigieuses : 

 

La Cour rappelle qu’il est constant que l’exigence du caractère clair et compréhensible de la clause ne peut pas se réduire au seul aspect formel et grammatical de sa rédaction. Il convient donc de vérifier que le contenu de la clause était suffisamment clair et compréhensible pour un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, pour pouvoir prévoir, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent. 

S’agissant d’une clause relative au risque de change, cette exigence doit être comprise de telle sorte qu’un consommateur puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est libellé mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières. 

 

Selon la Cour puisque Monsieur [M] percevait ses revenus en francs suisses et qu’il était salarié en Suisse ; le contrat de prêt consenti en francs suisses ne pouvait pas créer de déséquilibre significatif mais était au contraire adapté à la situation de Monsieur [M]. Le changement allégué dans la situation personnelle de Monsieur [M] en 2015 ne suffisait pas à lui seul à caractériser d’abusives les clauses litigieuses. 

 

Cette solution, justifiée par le fait que l’emprunteur percevait ses revenus en francs suisse, constitue donc une dérogation à la jurisprudence de la CJUE du 10 juin 2021 dans laquelle les emprunteurs percevaient leurs revenus en euros (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, aff. C-609/19). 

Cass. civ 1ère, 20 avril 2022, 20-16.316 

Prêt libellé en devise étrangère – Obligation d’information de la banque – Fonctionnement concret du mécanisme financier – Evaluation des conséquences économiques –Transparence matérielle – Déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« Viole l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, la cour d’appel qui écarte l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur créé par une clause autorisant le tirage d’un prêt dans une devise étrangère, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, sur ses obligations financières, en l’absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n’avait pas satisfait à l’exigence de transparence à l’égard du consommateur » 

ANALYSE : 

Un prêt multi-devises a été consenti par une banque à un emprunteur pour un montant de 1 500 000 € ou « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes … ». Le montant du prêt a été tiré en Francs suisses mais la banque a procédé à la conversion en euros, justifiant l’assignation de l’emprunteur pour irrégularité d’une telle conversion et pour manquement du banquier à son devoir d’information et de conseil.  

L’emprunteur forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 20 février 2020, rendu sur renvoi après Cassation (Cass. civ. 1ère, 10 avr. 2019 n° 17-20.722). En effet, la Cour d’appel a jugé que le « le fait que l’emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque » et que « l’emprunteur était maître du choix de la devise ».  

Le moyen de pourvoi formé par l’emprunteur se fonde sur le fait qu’il « appartenait [à la Cour d’appel] de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d’indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l’emprunteur ». 

Au visa de l’ancien article L.132-1 du code de la consommation (nouveau L.212-1 du même code) suivant lequel « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible », la Cour rappelle qu’il convient au juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses insérées dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur au regard des critères posés par la Cour de justice de l’Union européenne.  

La Cour précise ensuite les critères d’appréciation du déséquilibre significatif au regard de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, tels qu’interprétés par deux arrêts C-776/19 et C-782/19 BNP Paribas en date du 10 juin 2021 rendus par la Cour de justice de l’Union.  

Dans ces décisions, la CJUE avait jugé que dans le contrat de prêt libellé en devise étrangère, la clarté d’une clause selon laquelle « la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur » nécessite une information suffisante et exacte permettant au consommateur moyen de comprendre le fonctionnement du mécanisme financier et d’évaluer les conséquences potentiellement négatives pour lui de cette clause.  

Elle avait également jugé qu’une clause selon laquelle « la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur sans qu’il soit plafonné » peut être considérée comme abusive en raison du déséquilibre significatif créé puisque le professionnel ne peut s’attendre à ce que le consommateur accepte, dans une négociation individuelle, le risque de disproportion de change qui découle de cette clause.  

La décision de la Cour d’appel de renvoi est ainsi cassée au motif que les documents remis à l’emprunteur ne lui permettaient pas d’apprécier les conséquences économiques de la clause attaquée ni d’évaluer ses obligations financières par des exemples chiffrés ou des explications sur la distinction entre monnaie de compte et devise initiale.  

Pour conclure, en application de la jurisprudence BNP Paribas de la CJUE, la Cour de cassation considère que le non-respect de l’obligation de transparence du professionnel permet de considérer de telles clauses comme étant abusives, opérant ainsi une assimilation entre ces deux critères. La Cour procède donc à un revirement de jurisprudence par rapport à sa solution rendue le 10 avr. 2019 (pourvoi n° 17-20.722). 

Voir également : 

- CJUE 10 juin 2021 C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance 

CJUE 10 Juin 2021 C-782/19 

Cass. Civ, 1ère 30 mars 2022 n° 19-17.996 

Cass. civ 1ère, 20 avril 2022, 20-16.316, 19-11.599, n° 19-11600 

Prêt libellé en devise étrangère – Obligation d’information de la banque – Fonctionnement concret du mécanisme financier – Evaluation des conséquences économiques –Transparence matérielle – Déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« Viole l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, la cour d’appel qui écarte l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment de l’emprunteur créé par une clause autorisant le tirage d’un prêt dans une devise étrangère, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, sur ses obligations financières, en l’absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n’avait pas satisfait à l’exigence de transparence à l’égard du consommateur » 

ANALYSE : 

Un prêt multi-devises a été consenti par une banque à un emprunteur pour un montant de 1 500 000 € ou « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes … ». Le montant du prêt a été tiré en Francs suisses mais la banque a procédé à la conversion en euros, justifiant l’assignation de l’emprunteur pour irrégularité d’une telle conversion et pour manquement du banquier à son devoir d’information et de conseil.  

L’emprunteur forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 20 février 2020, rendu sur renvoi après Cassation (Cass. civ. 1ère, 10 avr. 2019 n° 17-20.722). En effet, la Cour d’appel a jugé que le « le fait que l’emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque » et que « l’emprunteur était maître du choix de la devise ».  

Le moyen de pourvoi formé par l’emprunteur se fonde sur le fait qu’il « appartenait [à la Cour d’appel] de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d’indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l’emprunteur ». 

Au visa de l’ancien article L.132-1 du code de la consommation (nouveau L.212-1 du même code) suivant lequel « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible », la Cour rappelle qu’il convient au juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses insérées dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur au regard des critères posés par la Cour de justice de l’Union européenne.  

La Cour précise ensuite les critères d’appréciation du déséquilibre significatif au regard de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, tels qu’interprétés par deux arrêts C-776/19 et C-782/19 BNP Paribas en date du 10 juin 2021 rendus par la Cour de justice de l’Union.  

Dans ces décisions, la CJUE avait jugé que dans le contrat de prêt libellé en devise étrangère, la clarté d’une clause selon laquelle « la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur » nécessite une information suffisante et exacte permettant au consommateur moyen de comprendre le fonctionnement du mécanisme financier et d’évaluer les conséquences potentiellement négatives pour lui de cette clause.  

Elle avait également jugé qu’une clause selon laquelle « la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur sans qu’il soit plafonné » peut être considérée comme abusive en raison du déséquilibre significatif créé puisque le professionnel ne peut s’attendre à ce que le consommateur accepte, dans une négociation individuelle, le risque de disproportion de change qui découle de cette clause.  

La décision de la Cour d’appel de renvoi est ainsi cassée au motif que les documents remis à l’emprunteur ne lui permettaient pas d’apprécier les conséquences économiques de la clause attaquée ni d’évaluer ses obligations financières par des exemples chiffrés ou des explications sur la distinction entre monnaie de compte et devise initiale.  

Pour conclure, en application de la jurisprudence BNP Paribas de la CJUE, la Cour de cassation considère que le non-respect de l’obligation de transparence du professionnel permet de considérer de telles clauses comme étant abusives, opérant ainsi une assimilation entre ces deux critères. La Cour procède donc à un revirement de jurisprudence par rapport à sa solution rendue le 10 avr. 2019 (pourvoi n° 17-20.722). 

Voir également : 

- CJUE 10 juin 2021 C-776/19 – BNP Paribas Personal Finance
CJUE 10 Juin 2021 C-782/19 

Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, n° 20-16.942 

Contrat de prêt libellé en devises étrangères — Obligation d’information de la banque — Exigence de transparence de la banque — Évaluation des conséquences économiques — Déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016- 301 du 14 mars 2016 :  

En statuant ainsi, alors qu’il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, toute dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d’augmenter le montant du capital restant dû et, ainsi, la durée d’amortissement du prêt d’un délai maximal de cinq ans, de sorte qu’il lui incombait, à supposer que les stipulations litigieuses ne définissent pas l’objet principal du contrat ou, dans le cas contraire, qu’elle ne soit pas rédigée de façon claire et compréhensible, de rechercher d’office si la banque avait satisfait à son exigence de transparence à l’égard du consommateur en lui fournissant des informations suffisantes et exactes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte et qu’il avait été averti du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur la variations des taux de change, et si, en conséquence, ladite clause n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». 

ANALYSE : 

Une banque consent un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros (crédit « Helvet Immo ») destiné à l’acquisition d’un appartement en l’état futur d’achèvement par un consommateur. L’emprunteur agit en justice contre la banque invoquant un manquement de celle-ci à son devoir d’information et de mise en garde s’agissant des clauses prévoyant une évolution de l’amortissement du capital en fonction des variations du taux de change ainsi que l’irrégularité du taux effectif global.  

La Cour d’appel refuse de faire droit à la demande tendant à déclarer abusives de telles clauses retenant que celle-ci est présentée pour la première fois en appel. L’emprunteur forme un pourvoi en cassation invoquant l’obligation pour le juge national de relever d’office les clauses abusives. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel. 

La Première chambre civile vise tout d’abord l’article L132-1 du code de la consommation (devenu l’article L212-1 du code de la consommation) selon lequel « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». La Cour de cassation rappelle par la suite que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose » conformément à l’arrêt Pannon (CJCE, arrêt du 4 juin 2019, Pannon, C-243/08).  

Ensuite, la Cour de cassation retient que le juge doit rechercher d’office si la banque a satisfait à son exigence de transparence à l’égard du consommateur en lui fournissant des informations suffisantes et exactes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives de clauses portant sur des obligations financières pendant toute la durée du contrat. 

En effet, la transparence, suppose qu’un « consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières » (arrêt CJUE, 3 mars 2020, Gomez del Moral Guasch, C-125/18, point 51 repris dans l’arrêt CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à 782-19, point 64). En l’espèce, il revenait à la banque, en application de son obligation de transparence, de fournir au consommateur des informations suffisantes et exactes lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des obligations financières pendant toute la durée du contrat. De plus, il convenait d’avertir le consommateur sur le contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur la variation des taux de change.  

En outre, le juge devait rechercher d’office si une telle clause n’avait pas pour effet ou pour objet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. En effet, le consommateur faisait valoir que selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d’augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années. La Cour de cassation confirme ainsi la solution rendue dans d’autres décisions du même jour tenant à ce que le non-respect du professionnel de son obligation de transparence peut avoir pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur.

Voir également : 

-  CJCE, 4 juin 2019, Pannon, C-243/08 

– CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à 782-19 

– Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 avril 2022, n°19-11.599 ; 19-11.600