CA D’AGEN, 13 AVRIL 2022, S. A. SOLFINEA, N° RG 21/00144 

– clause d’affectation des fonds 

EXTRAITS 

 « Les intimés invoquent le caractère abusif de la clause suivante stipulée au contrat de crédit : 

‘L’emprunteur autorise le prêteur à régler le professionnel dès la livraison du bien ou l’exécution de la prestation de service et après expiration du délai de rétractation. 

Mais n’est abusive au sens de l’ancien article L. 132-1 du code de la consommation, applicable au contrat souscrit le 15 février 2013, que les clauses qui ont pour objet ou pour effet dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.   

Le décret visé par ce texte, qui détermine une liste de clauses présumées abusives, ne mentionne pas la clause en litige.   

Ensuite, les fonds empruntés dans le cadre d’un crédit affecté ne sont pas à la libre disposition des emprunteurs et ne sont destinés qu’à financer le contrat principal.  

Ils ont donc vocation à être versés exclusivement au co contractant des emprunteurs dans le contrat principal.   

En outre, la clause en litige ne permet pas à la banque de les verser librement, mais subordonne, au contraire, ce versement, à un ordre de l’emprunteur constatant que la prestation du contrat principal a été exécutée.   

Ainsi, le contrat stipule également :   

‘Condition de mise à disposition des fonds : à la livraison du bien, par chèque ou virement au bénéficiaire mentionné dans l’attestation de fin de travaux.’   

L’emprunteur a donc toute possibilité, tant que le bien commandé n’a pas été livré, ou que la prestation de service n’a pas été réalisée, ou même qu’elle n’a pas été réalisée correctement, de s’abstenir de signer l’attestation de fin de travaux.   

Par suite, la clause en litige est étrangère à toute notion de déséquilibre au détriment du consommateur. » 

Cette clause ne sera donc pas annulée, n’étant pas une des clauses présumées abusives de la liste de l’article R.212-1 du Code de la consommation, ne créant pas de déséquilibre significatif caractérisant une clause abusive comme prévu par l’article L.212-1 du Code de la consommation et en prenant en considération les autres clauses du contrat dans lequel elle est insérée. 

 

ANALYSE :  

La Cour d’appel était saisie du caractère abusif d’une clause insérée dans un contrat de crédit affecté au financement d’un centrale solaire photovoltaïque.  

La clause litigieuse était ainsi libellée : « L’emprunteur autorise le prêteur à régler le professionnel dès la livraison du bien ou l’exécution de la  prestation de service et après expiration du délai de rétractation. » 

 

Le Tribunal judiciaire d’Agen avait jugé la clause abusive. Pour infirmer le jugement, la Cour d’appel observe que ladite clause ne figure pas dans la liste de clauses présumées abusives. Cependant, la Cour d’appel ajoute que ladite stipulation ne permet pas à la banque de verser librement les fonds, mais subordonne, au contraire, ce versement, à un ordre de l’emprunteur constatant que la prestation du contrat principal a été exécutée.  Le consommateur ayant la possibilité de s’abstenir de signer l’attestation de fin de travaux, et donc de refuser le versement des fonds si la prestation de service n’est pas exécutée, la clause ne créée pas de déséquilibre significatif. 

Cass. com., 13 avril 2022, n° 20-17.128 

Contrat de transport — Clause de franchise du contrat d’assurance de responsabilité — Clause présumée abusive de manière irréfragable — Indemnisation du préjudice consécutif aux dommages subis par le bien objet du contrat de transport — Office du juge 

EXTRAITS : 

« Vu les articles L. 212-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur depuis le 10 octobre 2016, et R. 212-1, 6°, du code de la consommation, dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2016 :

Pour rejeter la demande en paiement de Mme [W], après avoir dit que la réparation du dégât sur le bien devait être mise à la charge du transporteur, le jugement retient que le montant du préjudice s’élèverait à 200 euros mais qu’il ressort du contrat qu’une somme de 390 euros correspondant à la franchise doit rester à la charge du client.

En statuant ainsi, alors qu’une telle clause ayant pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement du professionnel à l’une de ses obligations est présumée abusive de manière irréfragable, le tribunal d’instance a violé les textes susvisés ».  

ANALYSE : 

En l’espèce, dans le cadre d’un contrat de transport, un consommateur avait subi un préjudice s’élevant à 200 euros consécutif aux dommages subis par le bien (un piano) objet du contrat. Cependant, une clause du contrat prévoyait une franchise en cas de dommage inférieur à la somme de 390 euros.  

Le jugement qui avait appliqué la clause pour écarter la demande d’indemnisation formulée par le consommateur est cassé par la Chambre commerciale. 

Tout d’abord, elle rappelle que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose » conformément à l’arrêt Pannon (CJCE, arrêt du 4 juin 2019, Pannon, C-243/08).  

Ensuite, elle vise l’article R. 212-1, 6° du code de la consommation qui présume abusives de manière irréfragable dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, les clauses ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas du manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ».  

Ce faisant, elle considère que la franchise est une clause limitative de responsabilité, laquelle est une clause « noire » dans les contrats de consommation. 

Par conséquent, la Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal d’instance déboutant le consommateur de sa demande d’indemnisation pour le préjudice consécutif aux dommages subis par le bien objet du contrat de transport.

Voir également :

-  CJCE, 4 juin 2019, Pannon, C-243/08 

CJUE, 7 avril 2022, C-385-20 – Caixabank 

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Principe d’effectivité – Pouvoir de contrôle d’office de la juridiction nationale – Procédure nationale de taxation des dépens 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle la valeur du litige, qui constitue la base de calcul des dépens récupérables par le consommateur ayant eu gain de cause dans le cadre d’un recours relatif à une clause contractuelle abusive, doit être déterminée dans la requête ou, à défaut, est fixée par cette réglementation, sans que cette donnée puisse être modifiée par la suite, à condition que le juge chargé, in fine, de la taxation des dépens reste libre de déterminer la valeur réelle du litige pour le consommateur en lui assurant de bénéficier du droit au remboursement d’un montant raisonnable et proportionné par rapport aux frais qu’il a dû objectivement exposer pour intenter un tel recours. » 

ANALYSE : 

Il revenait à la Cour de déterminer si l’article 6 paragraphe 1 et l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle la valeur du litige doit être soit déterminé dans la requête ou à défaut fixé par la réglementation, sans que par la suite le montant déterminé ne puisse être modifié.  

La Cour rappelle que la protection tirée de la directive 93/13 est appréciée au regard du principe d’effectivité (v. point 48) dont le respect est notamment analysé en considération du principe de sécurité juridique. 

La Cour poursuit en énonçant que la détermination de la valeur du litige dès le dépôt de la requête introductive d’instance apparaît conforme au principe de sécurité, puisque cela permet aux parties de connaître dès l’engagement le coût économique potentiel du litige. 

Par ailleurs, la Cour ajoute que s’agissant du montant des dépens dont le consommateur peut demander le remboursement au titre des honoraires d’avocat exposés, à la partie ayant succombé, il n’apparaît pas contraire au principe d’effectivité que, en vertu du principe de sécurité juridique, la réglementation nationale prévoie que la valeur du litige ne puisse pas être modifiée au cours de la procédure juridictionnelle, dès lors que c’est à la fin de la procédure qu’il convient de s’assurer du remboursement effectif des frais engagés par le consommateur en prenant en considération le montant des honoraires dont il peut, compte tenu de la valeur attribuée au litige, demander le remboursement au professionnel condamné aux dépens. 

La Cour poursuit en précisant que l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 doit être assurée par la garantie, pour les consommateurs, d’être remboursés des frais qu’ils ont exposés à hauteur d’un montant raisonnable et proportionné au coût des honoraires d’avocat dans une procédure juridictionnelle en constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle. Le tout ayant déjà été énoncé aux points 62 et 64 de l’arrêt. Ainsi, il incombe au juge national de s’assurer que le consommateur puisse bénéficier de la protection issue de la directive 93/13, les règles nationales ne devant pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice de ces droits. En l’espèce la Cour énonce que c’est au juge national compétent in fine pour procéder à la taxation des dépens, de s’assurer, lors de ses calculs, que les dépens qui doivent être effectivement remboursés compte tenu de ce plafonnement légal correspondent à un montant raisonnable et proportionné par rapport aux frais d’avocat que le consommateur a dû objectivement exposer pour intenter le recours en cause. 

CA D’AIX-EN-PROVENCE, 7 AVRIL 2022, SCI HOLDING, N° 19/18475 

 

– Contrat de prêt en francs suisse – clause de stipulation de remboursement en monnaie étrangère – clause d’indexation sur le franc suisse – clause de stipulation d’intérêt –  

 

EXTRAITS 

« Il résulte de l’acte en date du 7 mai 2007 que celui ci contient prêt d’une somme correspondant à la contre valeur en francs suisses de la somme de 700 000 €, que le taux d’intérêt sera révisable et sera celui du taux du franc suisse à 3 mois en vigueur au jour de la mise en disposition des fonds et qu’il sera remboursé en capital et intérêt en 71 échéances de la contre valeur en francs suisses de la somme de 12738,07 €, de sorte que la clause relative au taux d’intérêt et au taux effectif global intégrant les frais de dossier et les frais de prise de garantie calculés sur la contre valeur en francs suisses définit l’objet principal du contrat. 

La clause est par ailleurs rédigée en termes suffisamment clairs et compréhensibles pour permettre à l’emprunteur, à plus forte raison non profane comme en l’espèce, d’en évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières et de prendre en conséquence sa décision en toute connaissance de cause et dès lors que l’appréciation du caractère abusif des clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, la clause relative aux taux d’intérêt contenue dans l’acte du 7 mai 2007 n’a aucun caractère abusif ». 

ANALYSE :  

 

Selon l’article L. 212-1, alinéa 3 du Code de la consommation, « l’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».  

 

Dans le cadre d’un litige portant sur un contrat de prêt en francs suisses conclu auprès de la société CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT MUTUEL DE LORRAINE, une demande subsidiaire conjointe en appel de la société MLB et de la société SCI IMMOBILIÈRE HOLDING est interjetée auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en cessation des clauses de remboursement en monnaie étrangère et d’indexation sur le franc suisse portant sur l’objet principal du contrat de prêt afin de les déclarer illicites et de les réputer non-écrites. 

  

La clause de remboursement en monnaie étrangère du contrat de prêt du 7 mai 2007 conclu auprès de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Lorraine est ainsi libellée : Le taux d’intérêt sera révisable et sera celui du taux du franc suisse à 3 mois en vigueur au jour de la mise en disposition des fonds et qu’il sera remboursé en capital et intérêt en 71 échéances de la contre valeur en francs suisses de la somme de 12 738,07 € » 

La Cour d’appel de Paris juge la clause relative au taux d’intérêt et au taux effectif global intégrant les frais de dossier et les frais de prise de garantie calculés sur la contre valeur en francs suisses définit l’objet principal du contrat.” 

 

Elle considère également que cette clause est claire et compréhensible. 

 

Cependant, cette solution n’est désormais pas conforme au revirement de la Cour de cassation qui juge que l’exigence de clarté supposé que la banque ait fourni des informations suffisantes et exactes permettant à l’emprunteur d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte et qu’il ait été averti du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur la variations des taux de change (Dans un prêt libellé en devises étrangères, le juge doit rechercher d’office si la banque a satisfait à son exigence de transparence en fournissant au consommateur des informations lui permettant d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives).

CJUE, 7 avril 2022, C-385/20 – Caixabank 

Principe d’effectivité – Procédure juridictionnelle visant à la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle – Procédure nationale de taxation des dépens – Dépens remboursables au titre d’honoraires d’avocat 

EXTRAITS : 

«  L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit, dans le cadre de la taxation des dépens liés à un recours relatif au caractère abusif d’une clause contractuelle, un plafond applicable aux honoraires d’avocat récupérables, par le consommateur ayant eu gain de cause sur le fond, auprès du professionnel condamné aux dépens, à condition que ce plafond permette au premier d’obtenir, à ce titre, le remboursement d’un montant raisonnable et proportionné par rapport aux frais qu’il a dû objectivement exposer pour intenter un tel recours. » 

ANALYSE : 

Par le présent arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser dans quelle mesure une disposition nationale peut prévoir, dans le cadre de la répartition des dépens liés à un recours fondé sur le caractère abusif d’une clause, un plafond applicable aux honoraires d’avocat devant être remboursés au consommateur, ayant eu gain de cause sur le fond, par le professionnel. 

Pour ce faire, la Cour commence par souligner que la taxation des dépens d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions nationales constitue une règle de procédure relevant de l’autonomie procédurale des Etats membres. La Cour rappelle alors que ce principe d’autonomie procédurale des Etats membres ne doit toutefois pas méconnaître les principes d’effectivité et d’équivalence du Droit de l’Union Européenne (CJUE-16 juillet 2020-C-224/19-Caixabank). Dans la présente affaire, seul est visé le principe d’effectivité, qui implique que les modalités procédurales mises en œuvre par les Etats membres ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13 

La Cour poursuit en rappelant que le principe d’effectivité ne s’oppose pas à ce qu’un consommateur supporte certains frais de justice lorsqu’il intente un recours visant à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle (pt. 51). Elle retient ainsi qu’il n’est pas contraire au principe d’effectivité que le consommateur ayant eu gain de cause sur ce fondement ne soit pas remboursé par le professionnel, partie perdante au procès, de l’intégralité des honoraires d’avocat dont il s’est acquitté (pt. 52). Toujours selon la Cour, cette solution se justifierait notamment par le fait que lesdits honoraires soient convenus entre le consommateur et son avocat, et qu’il pourrait s’agir d’honoraires inhabituellement élevés (pt. 53). 

La Cour précise toutefois que des modalités procédurales, qui entraîneraient des coûts trop élevés pour le consommateur, seraient de nature à dissuader ce dernier d’agir en justice, dès lors qu’une telle action mettrait à sa charge des frais d’un montant supérieur à la dette contestée (CJUE, 13 septembre 2018, C-176/17 – Profi Credit Polska) (pt.54). La Cour en retient ainsi que le montant des frais de justice devant être remboursés au consommateur doit être suffisant par rapport au coût total de la procédure juridictionnelle.  

Ainsi, la Cour en conclut que des dispositions nationales peuvent prévoir un plafond applicable aux honoraires d’avocat récupérables par le consommateur, sous réserve que ce plafond lui assure d’être remboursé des honoraires d’avocat engagés à hauteur d’un montant raisonnable et proportionné au regard des frais de justice qu’il a exposés pour voir constater le caractère abusif d’une clause le liant à un professionnel.  

CJUE, 31 mars 2022 , C-472/20 – Lombard Pénzügyi és Lízing Zrt. 

Prêt libellé en devise remboursable en monnaie nationale – Caractère abusif d’une clause se rapportant à l’objet principal du contrat – Effets d’une clause abusive – Nullité du contrat – Préjudice grave pour le consommateur – Impossibilité de rétablir les parties dans la situation qui aurait été la leur si ce contrat n’avait pas été conclu – Obligation du juge de veiller à ce que le consommateur se trouve dans la situation qui aurait été la sienne si la clause jugée abusive n’avait jamais existé – Droit à restitution des avantages indûment acquis par le professionnel

EXTRAIT : 

« La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que le juge national compétent décide de rétablir les parties à un contrat de prêt dans la situation qui aurait été la leur si ce contrat n’avait pas été conclu au motif qu’une clause dudit contrat se rapportant à son objet principal doit être déclarée abusive en vertu de cette directive, étant entendu que, si ce rétablissement s’avère impossible, il lui appartient de veiller à ce que le consommateur se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si la clause jugée abusive n’avait jamais existé. »

ANALYSE : 

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé (point 50). 

En outre, la constatation de son caractère abusif doit avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de la clause abusive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, EU:C:2016:980, point 61), et ce, en fondant notamment un droit à restitution des avantages indûment acquis, à son détriment, par le professionnel sur le fondement de ladite clause (arrêt du 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, EU:C:2018:367, point 34 et jurisprudence citée) (points 50 et 55). 

Cependant, elle rappelle également que le contrat devra rester contraignant pour les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives (arrêts du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C-453/10, EU:C:2012:144, point 29, et du 29 avril 2021, Bank BPH, C-19/20, EU:C:2021:341, point 53) (point 52). 

La Cour en conclut que les juridictions nationales qui constatent le caractère abusif des clauses contractuelles sont tenues cumulativement, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 : 

Par ailleurs, lorsque le juge national estime que le contrat de prêt en cause ne peut juridiquement subsister après la suppression des clauses abusives concernées et lorsqu’il n’existe aucune disposition de droit national à caractère supplétif ou de disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat susceptible de se substituer auxdites clauses, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où le consommateur n’a pas exprimé son souhait de maintenir les clauses abusives et où l’annulation du contrat exposerait ce consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, le juge doit prendre, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer, notamment du fait de l’exigibilité immédiate de la créance du professionnel à l’égard de celui-ci (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C-269/19, EU:C:2020:954, point 41) (point 56). 

Dans une situation telle que celle en cause au principal, où le juge national estime qu’il n’est pas possible de rétablir les parties dans la situation qui aurait été la leur si ce contrat n’avait pas été conclu et qu’il lui appartient donc de veiller à ce que le consommateur se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si la clause jugée abusive n’avait jamais existé, les intérêts du consommateur pourraient être ainsi sauvegardés au moyen, notamment, d’un remboursement en sa faveur des sommes indûment perçues par le prêteur sur le fondement de la clause jugée abusive, un tel remboursement intervenant au titre de l’enrichissement sans cause (points 57 et 58). 

En l’occurrence, la juridiction de première instance a requalifié le contrat de prêt en cause de contrat de prêt libellé en forints hongrois, puis a déterminé le taux d’intérêt applicable et a obligé Lombard à rembourser le montant correspondant à un tel enrichissement sans cause (point 58). 

Toutefois, la Cour insiste sur le fait que les pouvoirs du juge ne sauraient s’étendre au-delà de ce qui est strictement nécessaire afin de rétablir l’équilibre contractuel entre les parties au contrat et ainsi de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 44) (point 59). 

CJUE, 31 mars 2022 , C-472/20 – Lombard Pénzügyi és Lízing Zrt. 

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives – Effets –Nullité du contrat – Préjudice grave pour le consommateur – Effet utile de la directive 93/13 – Avis non contraignant de la juridiction suprême – disposition de droit national à caractère supplétif 

EXTRAIT : 

« La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens que l’effet utile des dispositions de celle-ci ne peut, en l’absence d’une règle de droit national à caractère supplétif régissant une telle situation, être assuré uniquement par un avis non contraignant de la juridiction suprême de l’État membre concerné indiquant aux juridictions inférieures l’approche à suivre pour déclarer un contrat comme étant valide ou comme ayant sorti ses effets entre parties lorsque ce contrat ne peut subsister en raison du caractère abusif d’une clause se rapportant à son objet principal. » 

ANALYSE : 

L’effet utile d’une directive consiste à en assurer la mise en œuvre (arrêt van Duyn du 4 décembre 1974). S’agissant de la directive 93/13/CEE, les États membres ont ainsi l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, point 68).  

Une difficulté se pose lorsque la suppression d’une clause contractuelle abusive conduirait à la nullité du contrat de consommation. La CJUE estime que le juge national peut alors substituer à la clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif dès lors que la nullité exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, point 61). 

Suivant cette logique, la cour suprême de la Hongrie (la Kúria) avait émis un avis détaillant la marche à suivre par les juridictions inférieures confrontées à cette situation. Cet avis expliquait ainsi comment conserver la validité d’un contrat entaché d’une clause abusive en l’adaptant à la suite de la suppression de cette dernière. 

La CJUE avait déjà estimé qu’une juridiction suprême d’un État membre peut adopter des décisions contraignantes au sujet des modalités de la mise en œuvre de la directive (voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17, point 68). Toutefois elle considère qu’au contraire un avis non contraignant d’une juridiction suprême d’un État membre, tel que l’avis de la Kúria, ne saurait être assimilé à une disposition de droit national à caractère supplétif appelée à se substituer à une clause abusive. 

En définitive, l’effet utile de la directive peut être garanti par la loi nationale ou par un arrêt de la juridiction suprême nationale, mais pas par un simple avis de cette dernière qui ne fait qu’instaurer une pratique non-contraignante. 

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-18.997  

Prêt libellé en devise étrangère — Clause « réputée non écrite » — Prescription quinquennale 

EXTRAITS : 

 « Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (…) ;  

Il s’en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 précité n’est pas soumise à la prescription quinquennale.

Pour dire irrecevable, comme prescrite, la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusives certaines clauses du prêt, l’arrêt retient que l’action, qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale et qu’elle a été engagée plus de cinq ans après l’acceptation de l’offre de prêt.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés »  

ANALYSE : 

Invitée à statuer dans le contentieux Helvet Immo, la première chambre civile de la Cour de cassation juge, dans la lignée de solutions adoptées antérieurement, que la demande qui tend à voir une clause abusive réputée non écrite n’est pas soumise à la prescription quinquennale. 

Ce faisant, et comme dans une affaire rendue le même jour (Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 et Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-12.947), elle casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait jugé que l’action engagée par les emprunteurs pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d’abusives dans des contrats de crédits immobiliers était irrecevable car formée plus de cinq ans après l’acceptation des offres de prêts. 

L’arrêt de la première chambre civile est rendu sous le visa du texte posant la prescription quinquennale des obligations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants (C.cCom., art. L. 110-4) et sous le visa du texte relatif à la définition des clauses abusives (C. consom., art. L. 132-1 dans sa rédaction antérieure  à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; voir nouvel art. L. 212-1).  

A l’appui de sa décision, la Cour de cassation se fonde sur l’arrêt BNP Paribas Personal Finance du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) par lequel la CJUE considère qu’en vertu du principe d’effectivité, il est contraire à l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/ du 5 avril 1993 sur les clauses abusives de soumettre la demande qui tend à réputer non écrite une clause abusive à un délai de prescription.  

Donc en l’espèce, la Cour de cassation retient que la prescription quinquennale prévue par l’article L110-4 du code de commerce ne s’applique pas à la demande de réputer non écrite une clause abusive. Plus largement, et ainsi que l’avait jugé la Cour de cassation, la demande tendant à réputer non écrite une clause abusive est imprescriptible. 

Voir également : 

– Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 

– Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-12.947 

-  CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19 

– Cass. com. 8 avril 2021, n°19-17997 

-Cass. civ. 1ère, 13 mars 2019, 17-23.169

Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-22.074 

Prêt libellé en devise étrangère — Clause « réputée non écrite » — Prescription quinquennale 

EXTRAITS : 

 « Vu les articles 2223 et 2224 du code civil et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa réaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

Il résulte des deux premiers de ces textes, que, sauf règles spéciales prévues par d’autres lois, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. 

Il résulte du troisième que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (…);  

Il s’en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 précité n’est pas soumise à la prescription quinquennale.
Pour déclarer les demandes irrecevables, comme prescrites, l’arrêt retient que l’action, tendant à voir réputer non écrite une clause abusive, relève du régime de la prescription quinquennale de droit commun, que le point de départ de la prescription est la date de la conclusion du contrat, soit le 11 novembre 2008, et que les emprunteurs ont invoqué, pour la première fois, le caractère abusif de certaines clauses contenues dans l’offre de prêt dans leurs conclusions du 2 octobre 2017, soit postérieurement à l’expiration du délai de prescription qui est intervenu le 12 novembre 2013”.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés »  

ANALYSE : 

Invitée à statuer dans le contentieux Helvet Immo, la première chambre civile de la Cour de cassation juge, dans la lignée de solutions adoptées antérieurement, que la demande qui tend à voir une clause abusive réputée non écrite n’est pas soumise à la prescription quinquennale. 

Ce faisant, et comme dans plusieurs affaires rendues le même jour (Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 ; n°19-18.897), elle casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait jugé que l’action engagée par les emprunteurs pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d’abusives dans des contrats de crédits immobiliers était irrecevable car les emprunteurs avaient invoqué, pour la première fois, le caractère abusif de certaines clauses contenues dans l’offre de prêt dans leurs conclusions formées plus de cinq ans après l’expiration du délai de prescription. 

L’arrêt de la première chambre civile est rendu sous le visa du texte posant la prescription quinquennale dans le droit commun (C.civ., art.2223 et 2224) et sous le visa du texte relatif à la définition des clauses abusives (C. consom., art. L. 132-1 dans sa rédaction antérieure  à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; voir nouvel art. L. 212-1).  

A l’appui de sa décision, la Cour de cassation se fonde sur l’arrêt BNP Paribas Personal Finance du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) par lequel la CJUE considère qu’en vertu du principe d’effectivité, il est contraire à l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/ du 5 avril 1993 sur les clauses abusives de soumettre la demande qui tend à réputer non écrite une clause abusive à un délai de prescription.  

Donc en l’espèce, la Cour de cassation retient que la prescription quinquennale prévue par l’article L110-4 du code de commerce ne s’applique pas à la demande de réputer non écrite une clause abusive. Plus largement, et ainsi que l’avait jugé la Cour de cassation, la demande tendant à réputer non écrite une clause abusive est imprescriptible. 

Voir également : 

– Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 

– Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-18.897 

-  CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19 

– Cass. com. 8 avril 2021, n°19-17997 

– Cass. civ. 1ère, 13 mars 2019, 17-23.169