CA DE PARIS, 30 SEPTEMBRE 2021, N°18/21411 

 

– Contrat de mandat de gestion locative – Clause de résiliation anticipée – clause d’indemnisation de résiliation –   

 

EXTRAIT  

Les parties ont conclu le 2 décembre 2016 un contrat de mandat exclusif de gestion locative pour une durée de trois années, prévoyant une reddition annuelle des comptes et la rémunération du mandataire pour sa gestion, à hauteur de 10,8 % TTC du montant des sommes encaissées pour le compte des mandants et d’un forfait par dossier pour des prestations particulières et pour la location, d’un prix au m2 à la charge du locataire et de 16,67 % TTC du loyer annuel à la charge du bailleur. 

L’article 10 dispose que le contrat est renouvelable par tacite reconduction mais peut être dénoncé par l’une ou l’autre des parties moyennant un préavis de trois mois avant sa date d’échéance triennale. 

L’article 10 bis mentionne qu’en cas de rupture du contrat par le mandant en dehors des périodes mentionnées à l’article 10, ce dernier devra s’acquitter d’une indemnité égale au montant des honoraires restant à percevoir au prorata temporis de la date d’échéance conventionnelle. 

Il est constant que le contrat litigieux, conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans les prévisions de l’article L. 212-1 du code de la consommation.  

Selon l’article R. 212-2 8° du même code, est présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le professionnel que pour le consommateur.  

(…) 

En l’espèce, si les deux parties disposent de la même faculté́ de dénoncer le contrat au terme du délai triennal, il est patent que la possibilité́ pour les mandants de résilier le contrat avant ce terme est assortie de l’obligation d’acquitter l’indemnité́ prévue par l’article 10 bis tandis que le contrat ne prévoit aucune indemnité́ au bénéfice des mandants si le mandataire venait à résilier le contrat avant le terme convenu.  

Elle ne saurait être justifiée par le droit du mandant à percevoir la rémunération de ses diligences puisque le travail de gestion s’achève nécessairement lors de la résiliation du contrat et que la rémunération de la location reste due pour autant que l’agence ait effectivement trouvé un locataire. 

C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu que cette clause qui pose des conditions de résiliation plus rigoureuses pour le mandant que pour le mandataire était abusive au sens de l’article R. 212-2 8° précité́.  

Cette clause est donc réputée non écrite.” 

 

ANALYSE :  

 

L’article R. 212-2 8° du code de la consommation présume abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de « soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le consommateur que pour le professionnel ».  

Il s’agit d’une clause grise, présumée abusive. Le professionnel peut apporter la preuve que la clause ne créé pas de déséquilibre significatif.  

 

En l’espèce la Cour d’appel de Paris juge qu’entre dans cette qualification la clause insérée dans un contrat de mandat exclusif de gestion locative ainsi libellée :  

Contenu de la clause : « Le contrat est renouvelable par tacite reconduction mais peut être dénoncé par l’une ou l’autre des parties moyennant un préavis de trois mois avant sa date d’échéance triennale. » 

« En cas de rupture du contrat par le mandant en dehors des périodes mentionnées à l’article 10, ce dernier devra s’acquitter d’une indemnité égale au montant des honoraires restant à percevoir au prorata temporis de la date d’échéance conventionnelle. » 

 

En effet, la clause de résiliation soumet le mandant, consommateur, à l’obligation d’acquitter l’indemnité́ prévue par l’article 10 bis tandis que le contrat ne prévoit aucune indemnité́ au bénéfice des mandants si le mandataire, professionnel, venait à résilier le contrat avant le terme convenu. 

CJUE, 19 septembre 2019, C-34/18, LovasneTóth 

Annexe de la directive – Contrat de prêt hypothécaire – Acte notarié – Apposition de la formule exécutoire par un notaire – Renversement de la charge de la preuve – Entrave à l’exercice des voies de recours du consommateur  — Appréciation unilatérale de la conformité de la prestation  

EXTRAITS : 

« 1) L’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu en combinaison avec le point 1, sous q), de l’annexe de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne qualifie pas d’abusive, de façon générale et sans examen complémentaire, une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et ayant pour effet ou pour objet de renverser la charge de la preuve au détriment du consommateur.  

2) L’article 3, paragraphe 3, de la directive 93/13, lu en combinaison avec le point 1, sous q), de l’annexe de cette directive, doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il ne vise pas une clause ayant pour objet ou pour effet de laisser légitimement supposer au consommateur qu’il est tenu d’exécuter toutes ses obligations contractuelles, même s’il estime que certaines prestations ne sont pas dues, dès lors que cette clause n’altère pas la position juridique du consommateur compte tenu de la réglementation nationale applicable et, d’autre part, qu’il vise une clause ayant pour objet ou pour effet d’entraver l’exercice, par le consommateur, d’actions en justice ou des voies de recours, lorsque le montant restant dû est établi par acte notarié doté de la force probante, permettant au créancier de mettre fin au litige de manière unilatérale et définitive.  

{…}  

4 ) L’article 3, paragraphe 3, de la directive de 93/13, lu en combinaison avec le point 1, sous m), de l’annexe de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas une clause contractuelle qui autorise le professionnel à apprécier unilatéralement si la prestation qui incombe au consommateur a été exécutée conformément au contrat ».

ANALYSE : 

La CJUE rappelle l’obligation pour le juge national, lorsqu’il est en présence d’une clause abusive au sens de l’annexe de la directive 93/13, de procéder à un examen complémentaire de cette clause afin de savoir s’il elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, conformément à l’article 3 paragraphe 1 de la directive 93/13. Elle observe qu’il en est autrement si les États membres, comme ils en ont la possibilité, ont déclaré abusives de manière générale les clauses types qui sont énumérées dans l’annexe sans que soit requis un examen complémentaire selon les critères figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.  

En droit français, les clauses visées à l’annexe de la directive sont réparties dans des listes dites noires (C. consom., art. R. 212-1) et grises (C. consom., art. R. 212-2) de clauses présumées abusives de manière irréfragable ou simple.  

Elle juge que la clause qui permet au créancier de déclencher, en cas de manquement grave aux obligations contractuelles de la part du consommateur, l’exécution forcée du paiement du montant restant dû par celui-ci sur le fondement d’un acte notarié revêtu de la formule exécutoire n’entrave pas nécessairement l’exercice par le consommateur d’actions en justice ou de voies de recours.   

En droit français l’entrave à l’exercice de l’action en justice est visée à l’article R. 212-2, 10° du code de la consommation.  

Selon la CJUE, la clause qui permet au professionnel d’apprécier unilatéralement si la prestation incombant au consommateur a été exécutée conformément au contrat n’est pas abusive au sens du point m) de l’annexe de la directive 93/13lequel ne vise que la clause qui permet au professionnel d’apprécier unilatéralement la conformité de sa propre prestation. En droit français cette clause est visée à l’art. R. 212-1, 4°. 

CJUE, 3 septembre 2020, C-84/19 – ProfiCredit 

Champ d’application matériel – Coût du crédit hors intérêts 

EXTRAIT : 

« L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, telle que modifiée par la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, doit être interprété en ce sens que n’est pas exclue du champ d’application de cette directive une clause contractuelle qui fixe le coût du crédit hors intérêts conformément au plafond prévu par une législation nationale relative au crédit à la consommation, lorsque cette législation prévoit que les coûts du crédit hors intérêts ne sont pas dus pour la partie dépassant ce plafond ou le montant total du crédit. » 

ANALYSE : 

La CJUE rappelle l’interprétation qu’elle avait déjà retenue concernant cet article, soit qu’il pose deux conditions à l’exclusion du champ d’application de la directive 93/13 :  

  • La clause contractuelle doit refléter une disposition législative ou réglementaire. En l’espèce, la clause litigieuse reflétait bien une disposition nationale, puisqu’elle résulte de la loi polonaise relative au crédit à la consommation ;   
  • La disposition doit être impérative (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Mikrokasa et Revenue Niestandaryzowany Sekurytyzacyjny Fundusz Inwestycyjny Zamknięty, C-779/18, EU:C:2020:236, point 50). La Cour de justice observe alors que la disposition litigieuse « ne paraît pas, en elle-même, déterminer les droits et obligations des parties au contrat ». En effet, « elle se limite à restreindre leur liberté de fixer le coût du crédit hors-intérêts au-dessus d’un certain niveau ». C’est ce qui lui permet de conclure qu’une telle clause « n’empêche nullement le juge national de contrôler le caractère éventuellement abusif d’une telle fixation » (point 60). 

CJUE, 2 septembre 2021, C-932/19 – OTP 

Clauses abusives – prêt libellé en devise étrangère, réglementation d’un Etat membre prévoyant le remplacement d’une clause abusive par une disposition de droit national 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale qui […] frappe de nullité une clause relative à l’écart de change considérée comme abusive et oblige le juge national compétent à substituer à celle-ci une disposition de droit national imposant l’usage d’un taux de change officiel sans prévoir la possibilité, pour ce juge, de faire droit à la demande du consommateur concerné tendant à l’annulation complète du contrat de prêt, quand bien même ledit juge estimerait que le maintien de ce contrat serait contraire aux intérêts du consommateur […] pour autant que ce même juge soit, en revanche, en mesure de constater, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans que la volonté exprimée par ce consommateur puisse prévaloir sur celui-ci, que la mise en œuvre des mesures ainsi prévues par cette législation nationale permet bien de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle dudit consommateur en l’absence de cette clause abusive. » 

ANALYSE : 

La Cour de Justice se prononce dans le présent arrêt sur la sanction d’une clause abusive, et plus précisément sur une réglementation nationale (Hongrie) des pouvoirs du juge national en la matière.  

Sur le point de savoir si une disposition nationale peut empêcher le juge de faire droit à la demande d’annulation du contrat en raison d’une clause abusive même si le maintien du contrat serait contraire aux intérêts du consommateur, la CJUE fait une analogie avec un arrêt de 2014 (CJUE, 14 mars 2019, Dunai, C-118/17). Conformément à ce dernier, elle considère que la législation nationale empêchant de faire droit à la demande d’annulation du contrat en raison d’une clause abusive doit permettre de rétablir, en droit et en fait, la situation dans laquelle le requérant au principal se serait trouvé en l’absence d’une telle clause abusive (pt 44). Elle ajoute toutefois que la juridiction nationale doit, pour le vérifier, prendre en compte les facteurs d’exclusion de l’appréciation du caractère abusif de clauses portant sur l’objet principal et le prix (pt 45). 

Sur le point de savoir si le juge peut ne faire droit à la demande du consommateur d’annuler le contrat en remplaçant la clause abusive par une disposition nationale, elle considère que la volonté du consommateur ne peut prévaloir sur l’appréciation souveraine du juge compétent (pt 50). En effet, elle énonce que si elle a déjà considéré que le juge national devait tenir compte de la volonté du consommateur de maintenir un contrat (voir notamment CJUE, 3 octobre 2019, Dziubak, C-260/18), elle a aussi estimé que le juge devait examiner le maintien d’un contrat contenant des clauses abusives au regard de critères fixés par le droit national (voir en ce sens notamment CJUE 15 mars 2012, Perenicova et Perenic, C-453/10). 

Au regard de ces considérations, la CJUE considère qu’une disposition nationale peut empêcher un juge de faire droit à la demande d’annulation d’un contrat si le juge substitue la clause abusive fondant cette demande à une disposition nationale qui rétablit l’équilibre entre les droits et obligations des parties. 

Concrètement, le droit national peut valablement obliger le juge à substituer à la clause relative à l’écart de change considérée comme abusive une disposition imposant l’usage d’un taux de change officiel. 

CJUE 10 juin 2021, C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance SA 

Clauses abusives – contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère – transparence – déséquilibre significatif 

EXTRAITS : 

« L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. » 

ANALYSE : 

La Cour de Justice se prononce sur les clauses des prêts libellés en francs suisses. Elle rappelle (pt 93) que le juge national doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte cette clause à la suite d’une négociation individuelle (voir notamment arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C-84/19, C-222/19 et C-252/19,. 

La Cour en déduit que, pour apprécier si des clauses, telles que celles d’espèce, créent un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances dont le prêteur professionnel pouvait avoir connaissance au moment de la signature du contrat, comme son expertise (pt 99). 

En l’espèce, au regard des connaissances et des moyens supérieurs de l’établissement de crédit pour anticiper le risque de change, il y a lieu de considérer que les clauses litigieuses peuvent donner lieu à un déséquilibre significatif au détriment du consommateur (pt 100). 

Ainsi, le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le consommateur accepte de telles clauses dans le cadre d’une négociation si l’exigence de transparence avait été respectée (pt 103). 

La CJUE en conclut que les clauses litigieuses sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif à partir du moment où le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence, à ce que le consommateur accepte un risque disproportionné de change.  

CJUE, 10 juin, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance  

Contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère (franc suisse) – Objet principal du contrat – Charge de la preuve  – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle 

EXTRAITS : 

« La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur. » 

ANALYSE : 

Après avoir relevé que la directive 93/13 ne contient aucune disposition relative à la charge de la preuve concernant le caractère clair et compréhensible (pt 80), la CJUE rappelle que cette directive vise à protéger le consommateur de l’asymétrie qui existe dans les relations contractuelles qui le lient avec un professionnel, le consommateur étant en situation d’infériorité face au professionnel (pt 82). 

Ainsi, le professionnel doit fournir au consommateur des informations pour que ce dernier évalue le risque des conséquences économiques négatives des clauses contractuelles sur ses propres obligations (pt 83).  

Or, en vertu du principe d’effectivité et la réalisation de l’objectif de protection du consommateur de la directive 93/13, l’effectivité des droits ne serait pas assurée si le consommateur devait prouver que le professionnel ne lui a pas fourni toutes les informations nécessaires, ce qui reviendrait à prouver un fait négatif (pt 85). 

Par conséquent, la CJUE juge, au pt 86, que si la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle pèse sur le consommateur, la protection du consommateur ne pourrait pas être assurée. En effet, si tel était le cas, l’asymétrie entre la position du professionnel et celle du consommateur ne serait pas rééquilibrée. Donc c’est au professionnel qu’il revient de justifier devant le juge de la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelle notamment liées à l’exigence de transparence. La cour précise que « les documents relatifs aux techniques de vente » sont également couvert par l’obligation du professionnel de justifier la bonne exécution de ses obligations, notamment lorsque de tels documents peuvent s’avérer utiles aux fins d’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle. Ainsi peut être garantie la protection du consommateur, sans porter une atteinte démesurée au droit du professionnel à un procès équitable (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C-449/13, EU:C:2014:2464, point 28). 

In fine, comme il appartient au professionnel de maîtriser les canaux de distribution de ses produits vis-à-vis du consommateur, il doit donc être en mesure de disposer des preuves pour justifier de la bonne exécution de ses obligations précontractuelles et contractuelles (pt 88). 

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Contrats de prêt libellé en devise étrangère – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Exigences d’intelligibilité et de transparence –Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle – Informations sur les conséquences économiques d’une clause pour le consommateur – Variations des taux de change – Dépréciation de la monnaie 

EXTRAITS : 

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ». 

ANALYSE : 

La CJUE rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, doit être entendue de manière extensive (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C-125/18, EU:C:2020:138, point 51 et jurisprudence citée). 

Effectivement, elle doit être comprise comme imposant deux exigences pour le professionnel, à savoir : 

  • que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical,  
  • mais également qu’un consommateur moyen, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières .

Au regard de cette seconde exigence, la Cour en l’espèce précise que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, le professionnel doit fournir précontractuellement des informations au consommateur, relatives aux clauses du contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur le consommateur, lui permettant : 

  • de comprendre qu’en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières.
  • mais également de comprendre le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la monnaie de compte. 

A ce titre, la Cour ajoute que les simulations chiffrées peuvent constituer un élément d’information utile, dès lors qu’elles sont fondées sur des données suffisantes et exactes, et si elles comportent des appréciations objectives qui sont communiquées de manière claire et compréhensible au consommateur. L’exigence n’est pas remplie si les simulations sont fondées sur l’hypothèse que la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement restera stable tout au long de la durée de ce contrat. 

En droit français, la Cour de cassation considérait, avant cette décision de la CJUE, qu’il suffisait que les variations du mécanisme de change aient été exposées au consommateur (Civ. 1re, 20 fév. 2019, n° 17-31067et 17-31065). 

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère (franc suisse) – Objet principal du contrat – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle 

EXTRAITS : 

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat. » 

ANALYSE : 

Ainsi que l’énonce la CJUE (pt 50), selon l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat ne porte ni sur la définition de l’objet principal ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. Par conséquent, le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat ne pourra être contrôlé que si cette dernière n’est pas claire et compréhensible. S’agissant d’une exception au mécanisme de contrôle de fond des clauses abusives édictée par l’article, il convient dès lors de donner une interprétation stricte (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16, EU:C:2017:703, point 34 ainsi que jurisprudence citée). 

Dans cet arrêt, au pt 52, la Cour rappelle que la notion d’ « objet principal » doit être entendue comme les clauses qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui donc le caractérise, contrairement aux clauses dites accessoires (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 32 ainsi que jurisprudence citée). 

Par ailleurs, la CJUE rappelle, au pt 56, qu’elle précisé que les clauses du contrat qui se rapportent au risque de change définissent l’objet principal de ce contrat. Pour autant, la Cour n’a pas limité ce constat aux seuls contrats de prêts libellés en devise étrangère et remboursable en cette même devise, bien que la règle leur soit applicable (arrêts du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17, EU:C:2018:750, point 68 ainsi que jurisprudence citée, et du 14 mars 2019, Dunai, C-118/17, EU:C:2019:207, point 48). 

En effet, constitue un élément essentiel du contrat de prêt le fait pour le prêteur de mettre à disposition, à titre principal une somme d’argent, et pour l’emprunteur de rembourser, également à titre principal, la somme prêter (pt 57). Les prestations essentielles d’un tel contrat se rapportent, dès lors, à une somme d’argent qui doit être définie par rapport aux monnaies de paiement et de remboursement qui y sont stipulées (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C-186/16, EU:C:2017:703, point 38). 

Par conséquent, l Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte des critères dégagés aux points 55 à 57 du présent arrêt, si les clauses des contrats en cause au principal, qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l’emprunteur, ont trait à la nature même de l’obligation du débiteur de rembourser le montant mis à sa disposition par le prêteur, et ce indépendamment du point de savoir si la contestation du consommateur porte également sur les frais de change (pt 58) 

  Par ailleurs, il importe de préciser que l’existence, dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, d’une autre clause permettant à l’emprunteur d’exercer une option de conversion en euros à dates prédéterminées ne saurait signifier que les clauses portant sur le risque de change acquièrent de ce fait une dimension accessoire. En effet, le fait que les parties ont la possibilité de modifier, à certaines échéances, une des clauses essentielles du contrat permet à l’emprunteur de modifier les conditions de son prêt ex nunc, sans que l’existence d’une telle possibilité ait une incidence directe sur l’appréciation de la prestation essentielle caractérisant le contrat en cause (pt 59). 

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère (franc suisse) – Prescription – Action en constatation du caractère abusif d’une clause – Action aux fins de restitutions de sommes indûment versées – Principe d’effectivité 

EXTRAITS : 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :  

– aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive. » 

ANALYSE : 

A l’occasion du contentieux des contrats de prêt hypothécaire libellés en devise étrangère, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser les règles de prescription applicables aux actions introduites par le consommateur en matière de clauses abusives.  

Pour ce faire, la Cour commence par rappeler que le principe d’autonomie procédurale des Etats membres ne doit pas méconnaître les principes d’effectivité et d’équivalence du Droit de l’Union Européenne (CJUE-16 juillet 2020-C-224/19-Caixabank). Dans la présente affaire, seul est visé le principe d’effectivité, ce qui implique que les modalités procédurales mises en œuvre par les Etats membres ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13 (pts 27 & 28). 

Dès lors, la Cour de Justice de l’Union Européenne est d’abord venue préciser que la demande introduite par un consommateur, afin que soit constaté le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat l’unissant à un professionnel, ne peut être soumise à un quelconque délai de prescription (faire un renvoi vers la fiche CJUE BNP Paribas dont le titre est L’action aux fins de constatation du caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à un délai de prescription). 

Par ailleurs, sur la prescription applicable aux actions ayant un caractère restitutif, la Cour commence par rappeler que la directive 93/13 ne s’oppose pas à une réglementation nationale soumettant une telle action à un délai de prescription (CJUE-9 juillet 2020-C-698/18-Raiffeisen Bank), et notamment à un délai de prescription de cinq ans (CJUE-16 juillet 2020-C-224/19-Caixabank). Il faut toutefois que l’application d’un tel délai ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits dont dispose le consommateur en vertu de la directive 93/13 (pt 41). 

Or, à cet égard, s’agissant du point de départ du délai de prescription, qui commence en droit français à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt, la Cour réaffirme qu’il existe un risque que le consommateur ne soit pas en mesure d’invoquer, pendant ce délai, les droits dont il dispose en vertu de la directive 93/13 (CJUE-05 mars 2020-C-679/18-OPR-Finance). Effectivement, selon la Cour, un tel délai de prescription risque d’avoir expiré avant que le consommateur n’ait eu connaissance du caractère abusif d’une clause contenue dans le contrat l’unissant à un professionnel. Dès lors, selon la Cour, l’introduction par le consommateur d’une demande aux fins de restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives, ne saurait être soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt, et non à la date à laquelle le consommateur a effectivement eu connaissance de ses droits découlant de la directive 93/13 (pt 47).