CJUE, 9 juillet 2020-C-452-18-Ibercaja Banco 

Contrat modifiant une clause abusive – clause réglant les conséquences du caractère abusif d’une clause  

EXTRAIT 

 « L’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur en vue de modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre ceux-ci ou de régler les conséquences du caractère abusif de cette autre clause peut elle-même être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et, le cas échéant, être déclarée abusive. » 

 ANALYSE 

 La présomption de défaut de négociation de la clause posée par l’article 3, paragraphe 2 de la directive 93/13 est également susceptible de s’appliquer à une clause visant à modifier une clause potentiellement abusive d’un contrat antérieur conclu entre les mêmes parties, ou à régler les conséquences du caractère abusif de cette clause. Pour déterminer si le consommateur a eu un pouvoir d’influence sur le contenu de la nouvelle clause, la juridiction, face à un contrat de novation, doit prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles une telle clause a été présentée au consommateur. À cet égard, le fait que la conclusion du nouveau contrat s’inscrit dans la politique générale de renégociation des contrats de prêt bancaire, l’absence de remise d’une copie du contrat au consommateur ou encore la mention manuscrite caractérisent le défaut de pouvoir d’influence (pt 34) 

CJUE, 9 juill 2020-C-81/19-Banca Transilvania 

Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2 – Notion de “dispositions législatives ou réglementaires impératives” – Dispositions supplétives – 

EXTRAIT 

 L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE (…) doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, mais qui reflète une règle qui, selon la loi nationale, s’applique entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu à cet égard, ne relève pas du champ d’application de cette directive.” 

 ANALYSE 

 La CJUE relève que l’article 1er, paragraphe 2 de la directive 93/13 exclue du champ d’application de la directive 93/13 les “dispositions législatives ou règlementaires impératives”. Elle rappelle, comme elle l’avait déjà jugé, que le 13ème considérant de la directive précise que cette expression couvre également les règles qui, selon la loi nationale, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C-92/11, EU:C:2013:180, point 26 et du 3 avril 2019, Aqua Med, C-266/18, EU:C:2019:282, point 29). de 1. Ainsi, l’exclusion du champ d’application de la directive 93/13 concerne les règles de nature supplétive.  

La CJUE rappelle que cette exclusion est justifiée par le fait qu’il est, en principe, légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats (voir arrêts du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C-92/11EU:C:2013:180, point 28, ainsi que du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17, EU:C:2018:750, point 53). 

TJ Paris, 9 juin 2020, Apple Music, n° RG 16/09799

Actions en cessation — clauses conférant un droit exclusif d’interpréter une clause du contrat — clauses limitatives de responsabilité — clauses relatives à la modification, suspension, suppression et interruption et résiliation des Services — clauses relatives aux données à caractère personnel

ANALYSE

Le Tribunal relève un certain nombre de clauses illicites dont l’analyse ne sera pas ici détaillée. Il s’agit d’une part de clauses contraires au RGPD, à la Loi Informatique et Libertés, et au code de la propriété intellectuelle. Il s’agit d’autre part de clauses contraires au code de la consommation. L’ensemble de ces clauses illicites sont considérées comme abusives par le Tribunal et réputées non écrites. Sur le lien entre clauses illicites et abusives : voir rapport annuel d’activité de la Commission pour l’année 2018

Le Tribunal répute également non écrites des clauses présumées abusives de manière irréfragable.

Les clauses relatives à la modification, suspension, suppression et interruption et résiliation des Services

Clause « Disponibilité du contenu » V1 (30 juin 2015)

Contenu de la clause : « iTunes et ses concédants se réservent le droit de modifier, suspendre, supprimer, interrompre ou désactiver à tout moment et sans préavis l’accès au Service Apple Music et à tout Produit Apple Music, contenu ou autres fichiers dans le cadre du Service Apple Music. iTunes ne sera en aucun cas responsable de ces modifications. iTunes peut également imposer des limitations dans lutilisation ou laccès à certaines fonctionnalités ou parties du Service Apple Music, pour toute raison et sans préavis ni responsabilité. »

Clause 7 « Résiliation » version V1 (30 juin 2015)

Contenu de la clause : « En cas de manquement de votre part, ou si iTunes a des raisons sérieuses de penser que vous n’avez pas respecté une disposition quelconque du présent Contrat, iTunes pourra, à sa seule discrétion, sans préavis et sans renoncer à l’ensemble des sommes dues au titre de votre Compte : (i) résilier le présent Contrat et/ou votre Compte ; et/ou (ii) résilier la licence du logiciel ; et/ou (iii) vous interdire laccès à tout ou partie du Service Apple Music. »

Analyse des clauses : En l’espèce, les clauses critiquées reconnaissent la faculté d’exercer un pouvoir discrétionnaire sur l’accès au Service, en réservant à sa seule discrétion l’appréciation de l’opportunité de cette décision en considération de « manquements » de l’utilisateur ou lorsque iTunes « a des raisons sérieuses » de penser que l’utilisateur n’a pas respecté « une disposition quelconque du contrat ». De sorte que, pour justifier de invoquant d’une manière générale particulièrement équivoque et imprécise des  » manquements » aux « Conditions Générales ou des « raisons sérieuses » (de penser que (…)), les clauses confèrent au professionnel un pouvoir discrétionnaire d’appréciation de ces manquements et des raisons qui conduiraient la société à prendre la décision de résiliation du contrat et par suite d’un droit exclusif d’interpréter une clause du contrat dans un sens qui lui serait favorable, privant ainsi l’utilisateur consommateur de déterminer précisément les cas où le Service pourrait être supprimé totalement, son compte étant résilié.

En conséquence, les clauses sont présumées abusives de manière irréfragable au regard de l’article R.212-1 4°) du code de la consommation, parce qu’elle a pour effet d’accorder au seul professionnel le droit de déterminer si les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat et seront réputées non écrites.

En prévoyant que l’utilisateur consommateur ne peut engager la responsabilité de la société ADI en cas de modification, suspension, suppression, interruption, désactivation de l’accès au service ou de résiliation du contrat le liant à la société ADI , les clauses ont pour objet ou pour effet de supprimer le droit à réparation du préjudice que l’utilisateur peut subir à la suite d’un manquement par la société à l’une quelconque de ses obligations. Elles sont donc abusives au regard de l’article R.212-1 6°) du code de la consommation et seront réputées non écrites de ce chef. »

La clause relative à l’existence de traitements de données à caractère personnel

Contenu de la clause : « Engagement et Confidentialité :

Collecte et utilisation des données non personnelles

Nous collectons également des données dont la forme ne nous permet pas de faire un rapprochement direct avec une personne en particulier. Nous pouvons recueillir, utiliser, transférer et divulguer des données non personnelles à quelque fin que ce soit. Vous trouverez ci-après des exemples de données non personnelles que nous collectons et la façon dont nous pouvons les utiliser : {…}

Nous pouvons recueillir des données concernant les activités du client sur notre site web, les services iCloud, liTunes Store, lApp Store, le Mac App Store, lApp Store de lApple TV, les iBooks Stores et à partir de nos autres produits et services. Ces données sont rassemblées et utilisées pour nous permettre de fournir des informations plus utiles à nos clients et pour savoir quels aspects de notre site web, de nos produits et de nos services sont les plus populaires. Les informations rassemblées sont considérées comme des données non personnelles aux fins du présent Engagement de confidentialité. »

Analyse de la clause  « En laissant croire à l’utilisateur que la qualification de données à caractère personnel reviendrait au seul opérateur de la plate-forme numérique (cf. « Les informations rassemblées sont considérées comme des données non personnelles aux fins du présent Engagement de confidentialité »), en présentant des exemples de données comme des données non personnelles, alors qu’il s’agit de données à caractère personnel, en suggérant à l’utilisateur qu’il ne peut s’opposer à une telle collecte (cf. « Vous acceptez que », « Nous collectons », « Nous pouvons recueillir, utiliser, transférer et divulguer » (…)), les clauses soumises à la critique sont {…} abusives au regard de l’article R.212-1 4°) du code de la consommation, en ce qu’elles ont pour objet ou pour effet de conférer au professionnel un droit exclusif d’interpréter une clause ambiguë dans le sens qui lui serait le plus favorable. »

La clause relative à l’indication des bases juridiques des différents traitements de données personnelles

Contenu de la clause : « Engagement de Confidentialité :

Nous pouvons traiter vos données personnelles dans les objectifs décrits dans cet Engagement de confidentialité avec votre consentement, pour nous conformer à une obligation légale à laquelle Apple est soumise ou lorsque nous estimons que cela est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis par Apple ou un tiers à qui nous pouvons être amenés à divulguer ces données.  {…}

Engagement de Confidentialité (suite) :

Les données personnelles que nous recueillons nous permettent de vous informer des dernières annonces produits, des mises à jour logicielles et des événements Apple à venir. Si vous ne souhaitez pas faire partie de notre liste de diffusion, vous pouvez décider de vous désinscrire à tout moment en modifiant vos préférences.

Nous utilisons également vos données personnelles pour créer, développer, utiliser, livrer et améliorer nos produits, services, contenus et publicités, et à des fins de prévention des pertes et de lutte contre la fraude.

Nous pouvons aussi utiliser vos données personnelles dans des objectifs de sécurité des comptes et réseaux, notamment afin de protéger nos services pour le bénéfice de tous nos utilisateurs, ainsi que filtrer et analyser tout contenu chargé pour nous assurer quil ne contient pas de contenus illégaux, tels que des abus sexuels sur mineurs. 

Lorsque nous utilisons vos données à des fins de lutte contre la fraude, cest suite à une transaction en ligne auprès de nous. Nous limitons notre utilisation des données à des fins de lutte contre la fraude aux données strictement nécessaires et dans le cadre de nos intérêts légitimes estimés afin de protéger nos clients et nos services. Pour certaines transactions en ligne, nous pouvons également vérifier les informations que vous nous avez fournies auprès de sources publiquement disponibles.

Nous pouvons utiliser vos données personnelles, notamment votre date de naissance, pour vérifier votre identité, identifier des utilisateurs et déterminer les services appropriés. Par exemple, nous pouvons déterminer l’âge du détenteur dun compte Apple grâce à sa date de naissance.

De temps en temps, nous pouvons utiliser vos données personnelles pour envoyer des notifications importantes, telles que des communications sur les achats, et les modifications apportées à nos conditions dutilisation et politiques. Ces informations étant importantes pour vos relations avec Apple, vous ne pouvez pas vous opposer à la réception de ces communications.

Nous pouvons également utiliser les données personnelles à des fins internes, par exemple pour des audits, analyses de données et recherches dans le but daméliorer les produits, services et communications clients dApple.

Si vous participez à un tirage au sort, un concours ou un événement promotionnel similaire, nous pouvons utiliser les informations que vous communiquez dans le cadre de la gestion de ces programmes.

Si vous postulez pour un poste chez Apple ou si nous recevons vos informations en lien avec un rôle potentiel chez Apple, nous pouvons utiliser vos informations pour évaluer votre candidature ou vous contacter. Si vous êtes candidat à un poste, vous recevrez davantage dinformations sur la manière dont Apple gère les données personnelles des candidats au moment de la candidature. »

Analyse de la clause  « La généralité des termes employés par la clause ne permet pas à l’utilisateur d’appréhender à quel traitement il peut ou non s’opposer, de sorte que la clause est présumée abusive de manière irréfragable au sens de l’article R.212-1 4°) du code de la consommation, parce qu’elle a pour objet ou pour effet de conférer au professionnel le droit exclusif d’interpréter une quelconque clause du contrat. »

La clause relative aux modalités d’exercice des droits d’accès, de rectification et du droit à l’effacement des données

Contenu de la clause : « Engagement de Confidentialité : Vous pouvez nous aider à faire en sorte que vos coordonnées et préférences soient exactes, complètes et à jour en vous connectant à la page de votre compte Apple. Nous vous fournissons un accès aux autres données personnelles que nous détenons, et une copie de celles-ci, pour que vous puissiez éventuellement nous demander de les corriger si elles sont inexactes ou de les supprimer, à condition quApple ne soit pas obligée de les conserver du fait de la loi ou à des fins commerciales légitimes. Nous pouvons refuser de traiter les demandes futiles/vexatoires, les demandes mettant en péril la confidentialité des données de tiers, les demandes qui sont extrêmement difficiles à mettre en place ou celles pour lesquelles un accès nest pas imposé autrement par la loi applicable. Nous pouvons également refuser certains aspects de demandes de suppression ou daccès si nous pensons que, ce faisant, nous nuirions à notre utilisation légitime des données à des fins de lutte contre la fraude ou de sécurité, comme nous lavons vu précédemment. »

« De temps en temps, nous pouvons utiliser vos données personnelles pour envoyer des notifications importantes, telles que des communications sur les achats, et les modifications apportées à nos Conditions dUtilisation et politiques. Ces informations étant importantes pour vos relations avec Apple, vous ne pouvez pas vous opposer à la réception de ces communications. »

Analyse de la clause : « En conférant au professionnel un droit exclusif d’interpréter la clause litigieuse dans le sens qui lui serait le plus favorable, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, la clause précitée est irréfragablement abusive au sens l’article R.212-1 4°) du code de la consommation. Elle sera réputée non écrite à ce titre. »

La clause qui prévoit que le professionnel se réserve le droit de refuser les demandes de rectification et d’effacement des données de la part du consommateur est donc présumée abusive de manière irréfragable au sens de l’article R.212-1, 4°) du code de la consommation en ce qu’elle confère au professionnel un droit exclusif d’interprétation de la clause

La clause relative à l’identification des destinataires des données à caractère personnel

Contenu de la clause : « Conditions d’utilisation :

Vous reconnaissez qu’Apple est en droit de divulguer des données et/ou des informations aux forces de l’ordre, aux autorités publiques et/ou à des tiers, si Apple l’estime raisonnablement nécessaire ou approprié pour faire appliquer et/ou vérifier le respect de toute disposition du présent contrat (y compris notamment le droit dApple de coopérer dans le cadre de toute procédure judiciaire relative à votre utilisation des services et/ou du contenu et/ou sur réclamation de tiers relative à votre utilisation illicite des services et/ou du contenu et/ou en violation des droits de ces tiers). {…}

Engagement de confidentialité :

Toutes les informations que vous fournissez peuvent être transférées à des entités à travers le monde, ou être accessibles à celles-ci, tel que décrit dans le présent Engagement de confidentialité.

Ces sociétés sont dans lobligation de protéger vos données et peuvent se trouver dans tout pays dans lequel Apple exerce des activités. »

 Analyse de la clause : L’utilisation de termes vagues, comme l’emploi du verbe pouvoir (« peut », « peuvent ») et celui d’ »entités » (« Toutes les informations que vous fournissez peuvent être transférées à des entités à travers le monde  » ; « Ces sociétés sont dans l’obligation de protéger vos données et peuvent se trouver dans tout pays dans lequel Apple exerce des activités ») ne permet pas à l’utilisateur d’appréhender quelles structures exactes sont concernées par le transfert de ses données à caractère personnel ni dans quelles circonstances elles seraient transférées.

Par ailleurs, en utilisant une syntaxe compliquée et des termes vagues, la clause ne répond pas l’exigence de clarté et de compréhensibilité posée par l’article L.211-1 du code de la consommation.

« De plus, en conférant au professionnel un droit exclusif d’interpréter la clause litigieuse dans le sens qui lui serait le plus favorable, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, la clause précitée est irréfragablement abusive au sens de l’article R.212-1 4°) du code de la consommation. »

La clause qui prévoit en des termes vagues le transfert des données du consommateur par le professionnel à d’autres entités, ayant pour effet de conférer un droit exclusif d’interpréter la clause du contrat est donc présumée abusive de manière irréfragable au sens de l’article R.212-1, 4° du code de la consommation.

CJUE, 4 juin 2020-C-495-19-Kancelaria Medius

 Directive 93/13/CEE – Article 7, paragraphe 1 – Crédit à la consommation – Contrôle du caractère abusif des clauses – Absence de comparution du consommateur – Étendue de l’office du juge  Principe d’effectivité 

 EXTRAIT : 

« L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’interprétation d’une disposition nationale qui empêcherait le juge saisi d’un recours, introduit par un professionnel contre un consommateur et qui relève du champ d’application de cette directive, et statuant par défaut, en l’absence de comparution de ce consommateur à l’audience à laquelle il était convoqué, de prendre les mesures d’instruction nécessaires pour apprécier d’office le caractère abusif des clauses contractuelles sur lesquelles le professionnel a fondé sa demande, lorsque ce juge éprouve des doutes sur le caractère abusif de ces clauses, au sens de ladite directive ». 

 ANALYSE : 

Le juge national a l’obligation d’examiner d’office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif, et à cette fin, de prendre les mesures d’instruction nécessaires, même en l’absence de comparution du consommateur à l’audience. 

En l’espèce, le juge national est autorisé à solliciter la production du contrat original sur lequel se fonde la demande du professionnel. 

La solution rendue dans cet arrêt confirme une jurisprudence constante, selon laquelle le juge national est tenu d’apprécier d’office, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (arrêt CJCE du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, points 32, 34 et 35 arrêt CJUE du 11 mars 2020, Lintner, C-511/17, EU:C:2020:188, point 26), en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s’opposent à un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18, EU:C:2019:930, point 76) 

 

 

 

CJUE, 2 avril 2020, C-329/19, Condominio di Milano, via Meda 

Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Champ d’application  – Article 2, sous b) – Notion de “consommateur” – Copropriété immobilière – Marge de manœuvre des Etats membres –

EXTRAIT :

« L’article 1er , paragraphe 1, et l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale qui interprète la législation visant à transposer en droit interne cette directive de manière à ce que les règles protectrices des consommateurs qu’elle contient s’appliquent également à un contrat conclu par un sujet de droit, tel que le condominio en droit italien, avec un professionnel, alors même qu’un tel sujet de droit ne relève pas du champ d’application de ladite directive ».

ANALYSE :

Par cet arrêt, la CJUE juge que les Etats membres ne peuvent appliquer la directive 93/13 à un sujet de droit, tel que la copropriété (condominio) qui en droit italien n’est ni une personne physique ni une personne morale, dans la mesure où, comme le rappelle la Cour, la notion de consommateur, au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, est réservée aux personnes physiques (CJUE,  22 nov. 2001, Cape et Idealservice MN RE (C-541/99 et C-542/99, EU:C:2001:625)

Cependant, la Cour admet que  les États membres peuvent appliquer des dispositions de cette directive à des domaines qui n’entrent pas dans le champ d’application de cette dernière, pour autant qu’une telle interprétation de la part des juridictions nationales assure un niveau de protection plus élevé aux consommateurs  et ne porte pas atteinte aux dispositions des traités.  La solution rendue dans cet arrêt confirme celle rendue dans l’arrêt du 12 juillet 2012, SC Volksbank România (C-602/10, EU:C:2012:443, point 40).

La solution rendue dans cet arrêt ne contredit pas celle rendue dans l’arrêt du 5 décembre 2019, EVN Bulgaria Toplofikatsia et Toplofikatsia Sofia (C-708/17 et C-725/17, EU:C:2019:1049, point 59), en ce sens que, dans ce dernier, les contrats avaient été conclus par les copropriétaires eux-mêmes et non, comme dans l’affaire en cause au principal, par le syndic en tant que représentant de la copropriété.

En droit français, le syndic de copropriété est une personne morale exerçant une activité professionnelle et le syndicat de copropriétaires est une personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles (un non-professionnel). Voir Recommandation n°11-01 : Syndics de copropriété (BOCCRF du 26/04/2012)

CJUE, 11 mars 2020, C-511/17, Lintner 

Contrat de prêlibellé en devise – Article 4, paragraphe 1 – Prise en compte de toutes les autres clauses du contrat aux fins de l’appréciation du caractère abusif de la clause attaquée – Article 6, paragraphe 1 – Examen d’office par le juge national du caractère abusif des clauses figurant dans le contrat – Portée 

 EXTRAIT :  

« 1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce consommateur a conclu avec un professionnel, n’est pas tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ledit consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives, mais doit examiner seulement celles qui sont liées à l’objet du litige, tel que ce dernier a été délimité par les parties, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, complétés, le cas échéant, par des mesures d’instruction.

2)      L’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, s’il est vrai que, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, cette prise en compte n’implique pas, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses ».

 ANALYSE :

La CJUE confirme l’obligation pour le juge national dexaminer doffice le caractère abusif dune clause, conformément à larticle 6 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives et à larrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C-243/08, EU:C:2009:350) dès lors qu’il dispose des éléments de faits et de droit nécessaires à cet examen, (arrêts du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C-147/16, EU:C:2018:320, point 29, et du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17, EU:C:2018:750 point 87), complétées de mesures d’instructions si nécessaire, (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing Zrt, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 56, et arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 66) 

Cependant la CJUE précise que l’examen d’office doit s’opérer dans les limites de l’objet du litige (pt 32). Elle énonce toutefois que le juge peut prendre au besoin d’office des mesures d’instructions sur des clauses qui n’auraient pas été visées par le recours du consommateur dès lors qu’elles présentent un lien avec l’objet du litige. 

La CJUE rappelle que le juge doit analyser le caractère abusif d’une clause en prenant en compte  lensemble des clauses du contrat, conformément à larticle 4 paragraphe 1 de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives (voir larrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C-377/14, EU:C:2016:283, point 95). Elle précise toutefois que cette obligation n’emporte pas l’obligation pour le juge dexaminer doffice le caractère éventuellement abusif de toutes ces autres clauses du contrat.  

En droit français, l’obligation pour le juge de relever d’office le caractère abusif d’une clause figure à l’article R. 632-1 alinéa 2 du code de la consommation.

 

CJUE, 3 mars 2020 C-125-18 Gomez del Moral Guasch

Contrat de prêt hypothécaire — Clause contractuelle portant sur un taux d’intérêt variable — Nullité du contrat — Révision de la clause par le juge  

 EXTRAIT :  

 « 4) Larticle 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens quils ne sopposent pas à ce que, en cas de nullité dune clause contractuelle abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables dun prêt, le juge national substitue à cet indice un indice légal, applicable en labsence daccord contraire des parties au contrat, pour autant que le contrat de prêt hypothécaire concerné ne puisse subsister en cas de suppression de ladite clause abusive, et que lannulation de ce contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables. » 

 ANALYSE :  

 Ici, la CJUE pose un tempérament à une précédente décision qu’elle avait rendue, selon laquelle le juge national, en constatant la nullité d’une clause abusive dans un contrat de consommation, ne peut compléter ce contrat en révisant le contenu de la clause (voir en ce sens arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C-618/10, EU:C:2012:349, point 73).  

 La Cour énonce que le juge national peut substituer un indice de nature supplétive à un indice contractuel servant de base de calcul du taux d’intérêt variable dans l’hypothèse où le contrat de prêt hypothécaire ne saurait survivre sans la clause abusive fixant le taux, et que son annulation exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables.  

 Cette autorisation du juge à substituer un indice de calcul ne contrevient pas aux articles 6 §1 et article 7 §1 de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans la mesure où cette substitution permet d’éviter que le consommateur ne subisse des conséquences particulièrement préjudiciables.  

 

 

 

 

 

TGI Paris, 17 décembre 2019, N° RG 17/06223 

Réputé non écrit 

ANALYSE : 

Action en cessation – interprétation du contrat – clause exonératoire de responsabilité d– clauses noires – clarté et compréhensibilité 

Sur une action en cessation intentée par l‘association de consommateurs CLCV, le Tribunal relève un certain nombre de clauses illicites au regard de l’article L211-1 du Code de la consommation, dont l’analyse du caractère illicite ne sera cependant pas ici détaillée. 

Dans ce jugement, le Tribunal répute non écrites plusieurs clauses qui, en plus d’être parfois considérées comme illicites, sont présumées abusives de manière irréfragable. 

CLAUSE RELATIVE AU CLASSEMENT DES OFFRES 

–  Clause n° 1.1, 3ème paragraphe : 

Contenu de la clause : « En accédant au tableau de résultats, (la société INSPOP/LELYNX) présent(e) un classement sur la base de la compétitivité des tarifs. LeLynx.fr est rémunéré par les assureurs, le service est ainsi gratuit pour les utilisateurs. Le classement des offres ne dépend pas de la rémunération des assureurs, mais se fait uniquement selon les prix envoyés en temps réel par les Assureurs (du moins cher au plus cher) ». 

Analyse de la clause : « En utilisant l’expression (« compétitivité des tarifs« ) imprécise, qui entre en contradiction avec l’emploi d’autres termes ou expressions utilisés sur le site, la clause critiquée a pour objet ou pour effet de conférer au professionnel un droit exclusif d’interpréter une clause ambiguë dans le sens qui lui serait le plus favorable, le consommateur restant de ce fait dans l’ignorance du critère de classement retenu pour le classement des offres, le critère indéfini de la « compétitivité des tarifs » ou le critère du prix par ordre croissant ». D’où il suit que la clause est irréfragablement abusive au sens de l’article R.212-1 4°) du code de la consommation 

CLAUSES EXONERATOIRES DE RESPONSABILITE  

–  Clause n° 1.1, 6ème et 10ème paragraphes : 

Contenu de la clause  

Sixième paragraphe : L’utilisateur est « informé et averti de ce que, malgré tous les soins et la diligence apportés par le site LeLynx.fr dans la collecte et la mise à jour des données présentées, les informations et résultats présentés par LeLynx.fr sont susceptibles de contenir des erreurs ou des approximations qui ne sauraient en aucun cas engager la responsabilité de l’Éditeur, notamment pour les raisons suivantes : les réponses aux questions posées par le site LeLynx.fr dans ses questionnaires sont remplies par l’utilisateur, sous sa responsabilité exclusive, et l’Éditeur n’a aucun moyen de contrôler les réponses faites »  

Dixième paragraphe : « L’Éditeur ne garantit pas que les frais qui seront éventuellement facturés par l’Assureur ou la Banque sélectionnée, soient clairement indiqués au moment du choix de celle-ci sur le site LeLynx.fr. Les conditions tarifaires des Assureurs et des Banques peuvent évoluer. En conséquence, aucune responsabilité de l’Éditeur ne pourra être engagée en cas d’écart entre les tarifs mentionnés sur le tableau des résultats du site LeLynx.fr et les tarifs effectivement proposés par le prestataire sélectionné ». 

Analyse de la clause : « En affirmant dans les 6ème et 10ème paragraphe de l’article 1.1 des conditions générales d’utilisation que les prix peuvent évoluer ou que des frais supplémentaires peuvent s’ajouter aux tarifs proposés, alors que le site les présente à l’utilisateur comme étant proposés « tous frais compris« , les clauses sont équivoques et contreviennent à l’exigence de clarté et de compréhensibilité prévue à l’article L.211-1 du code de la consommation. La clause n°1.1, 6ème et 10ème paragraphe est donc illicite à son égard. Elle est également abusive dans ces mêmes dispositions au regard l’article R.212-1 4°) du code de la consommation, car cette ambiguïté a pour objet ou pour effet de conférer au professionnel un droit exclusif d’interpréter une clause du contrat ».  

« De plus, en concluant à l’exonération de la responsabilité de la société INSPOP/LELYNX, qualifiée d’éditeur de cette occasion, la clause n°1.1 en ses 6ème et 10ème paragraphe est abusive au sens de l’article R.212-1 6°) du code de la consommation, en ce qu’elle a pour objet ou pour effet de supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ».  

– Clause n° 3, 5ème paragraphe :  

Contenu de la clause : « En sa qualité d’indicateur, l’Éditeur n’est pas responsable et n’a pas la maîtrise du contenu des informations notamment tarifaires collectées sur la base des publications des banques ; pour cette raison notamment, les offres bancaires proposées sur le tableau de résultats du site LeLynx.fr ne peuvent en aucun cas être considérées comme fermes et engageantes pour la Banque concernée, et il appartient à l’utilisateur de lire en détail les Conditions Générales et Particulières du contrat d’ouverture de compte proposées par la Banque concernée, ainsi que les Conditions tarifaires, lesquelles sont les seuls documents engageants et ayant valeur contractuelle à l’égard de la Banque ». 

Analyse de la clause : « De sorte que pour des raisons identiques à celles énoncées à la clause n°1.1, 6ème et 10ème paragraphe, la clause n°3 en son 5ème paragraphe est abusive au sens de l’article R.212-1 6°) du code de la consommation, lorsqu’elle prévoit à son profit une exonération de sa responsabilité, en raison de l’absence de fiabilité des offres répertoriées sur son site de comparaison de produits bancaires en ligne ».  

– Clause n° 4, 3ème paragraphe :  

Contenu de la clause : « Malgré tous les efforts mis en œuvre pour soigner le service et ce, en raison de sa nature technique, les offres proposées ne peuvent être considérées comme fermes et engageantes pour le prestataire proposant l’offre ou pour LeLynx.fr. LeLynx.fr ne peut être tenu responsable en cas d’erreur ou d’omission : seules les informations présentées sur les sites internet des assureurs, des mutuelles (garanties, prix, franchises, etc.), des fournisseurs d’énergie ou des établissements financiers font foi en cas de litige ». 

Analyse de la clause : « La clause n°4, 3ème paragraphe, est donc abusive au sens de l’article R.212-1 6°) du code de la consommation, en ce qu’elle a pour objet ou pour effet de supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ». 

CLAUSE PORTANT SUR LA METHODE D’ACTUALIATION DE OFFRES COMPAREES  

Contenu de la clause : « Les offres présentées sont mises à jour dans un délai de deux jours ouvrés après que le partenaire présentant l’offre a prévenu LeLynx.fr d’un changement des Conditions générales ou particulières de l’offre d’assurance présentée, à l’exception du prix des assurances présentées. Deux possibilités concernant le prix : dans la plupart des cas, les prix sont hébergés par l’assureur, LeLynx.fr interroge le partenaire pour obtenir un prix à chaque cotation et les prix sont mis à jour en temps réel par l’assureur présentant l’offre ; dans une minorité de cas, les tableaux de prix sont hébergés par LeLynx.fr et LeLynx.fr met à jour la nouvelle grille de prix après que le partenaire a fourni sa nouvelle grille tarifaire. Le prix proposé à l’internaute est valable 30 jours à compter de la date de mise en relation de l’utilisateur avec le partenaire sauf erreur technique et sous réserve de l’exactitude des déclarations de l’internaute ».  

Analyse de la clause : « En l’espèce, les informations relatives à la périodicité et à la méthode d’actualisation du prix des offres comparées délivrées par cette clause relative à la périodicité et à la méthode d’actualisation des offres comparées, ne donne aucune certitude quant à la fiabilité et la pérennité du tarif qui est proposé à l’utilisateur, le tarif étant susceptible de « variation ». L’utilisateur n’est pas en mesure de prendre une décision éclairée. La clause est donc illicite en ce qu’elle contrevient à l’exigence de clarté et compréhensibilité imposée à l’article L.211-1 du code de la consommation et abusive au sens de l’article R.212-1 4° du code de la consommation, car elle accorde à la société INSPOP/LELYNX un pouvoir d’interprétation unilatérale ». 

Cass. civ. 1, 11 dec.2019, n°18-21164

Contrat de déménagement — Clause de limitation de valeur — Clause présumée abusive de manière irréfragable — Article R.212-1 6° du code de la consommation  

 EXTRAIT :  

 « Qu’en statuant ainsi, alors que la clause ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement du professionnel à l’une de ses obligations est présumée abusive de manière irréfragable, le tribunal d’instance a violé le texte précité. « 

 ANALYSE :  

 La première chambre civile de la cour de cassation, sur le fondement de l’article R. 132-1 6° (nouvel article R.212-1 6° issu de la recodification du code de la consommation par une ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016), énonce qu’une clause fixant le montant d’une indemnité éventuelle à verser par l’entreprise de déménagement au consommateur est présumée abusive de manière irréfragable en ce qu’elle a pour objet de réduire ou supprimer le droit à réparation du préjudice du consommateur en cas de manquement par le professionnel à ses obligations. Elle casse le jugement qui avait écarté le caractère abusif au motif que la clause avait été insérée par le consommateur.  

 Voir en ce sens : Recommandation N°16-01 Contrats de déménagement, garde-meubles et stockage en libre service, point 3.