CJUE, 11 avril 2024, C-173/23- e Air Europa Líneas Aéreas   

 

 

Cession à une société commerciale de la créance du passager à l’égard du transporteur aérien – Clause contractuelle interdisant une telle cession –Contrôle d’office du caractère abusif de la clause interdisant la cession des droits des passagers – Modalités de ce contrôle dans le cadre d’un litige opposant la société cessionnaire au transporteur aérien – Principes d’équivalence et d’effectivité  

 

EXTRAITS :  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus en combinaison avec le principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens que :  

 

le juge national n’est pas tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause qui, figurant dans le contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien, prohibe la cession des droits dont jouit ce passager à l’égard de ce transporteur, lorsque ce juge est saisi d’une action en réparation formée, contre ledit transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts dudit passager, pour autant que cette société dispose ou ait disposé d’une possibilité effective de se prévaloir, devant ledit juge, du caractère éventuellement abusif de la clause en question.  

 

Le principe d’équivalence doit être interprété en ce sens que :  

 

si, en vertu des règles de droit national, le même juge dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause aux règles nationales d’ordre public, il doit également disposer de la faculté ou avoir l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause à l’article 6 de la directive 93/13, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. » 

 

 

ANALYSE :  

 

La Cour de Justice de l’Union Européenne a été saisie d’une question préjudicielle par le tribunal de commerce de Majorque concernant un litige opposant Eventmedia Soluciones SL, cessionnaire de la créance d’un passager aérien, à Air Europa Líneas Aéreas SAU (ci-après « Air Europa ») au sujet de la réparation du dommage résultant d’un retard dans le transport des bagages de ce passager à l’occasion d’un vol effectué par Air Europa. La question était de savoir si le juge est tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause qui interdit au consommateur de céder ses droits dès lors que l’action en réparation a été exercée par le cessionnaire qui n’a pas la qualité de consommateur.  

 

À titre liminaire, en vertu de l’arrêt de la Cour du 18 novembre 2020, DelayFix, la Cour rappelle que le champ d’application de la directive 93/13 ne dépend non pas de l’identité des parties au litige mais de la qualité au contrat. Ainsi, rien n’indique que le passager a acheté son billet à titre professionnel, il entre donc dans la catégorie des consommateurs. Le contrat conclu entre ce dernier et Air Europa répond au critère de la directive 93/13. 

 

Pour répondre à la question qui lui est posée, la réponse de la Cour repose sur deux principes. En vertu de l’arrêt du 17 mai 2022, SPV Project, le juge encadre la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive avec une obligation de relever d’office. Néanmoins, aucune harmonisation n’a été exigée par l’Union Européenne quant à ce contrôle, il en revient donc aux Etats membres, selon le principe d’autonomie procédurale, d’établir leurs propres règles pourvu qu’elles respectent le principe d’équivalence et d’effectivité. Ainsi, il revient donc à la juridiction de renvoi de vérifier si elle a la faculté ou l’obligation d’apprécier la contrariété d’une clause interdisant la cession des droits du consommateur aux règles nationales d’ordre public, en vertu de son droit interne, en l’espèce espagnol. Dans le cas échéant, le juge national doit avoir la faculté ou l’obligation d’apprécier cette contrariété à l’article 6 de la directive 93/13, s’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. 

 

Enfin, pour que la disposition nationale soit effective, il ne faut pas qu’elle rende impossible ou difficile l’application du droit de l’Union, en l’occurrence la protection du consommateur, partie faible au contrat, pour pallier le déséquilibre des droits et obligations avec le professionnel. En l’espèce, l’action en réparation oppose deux professionnels. L’effectivité du système de protection des consommateurs n’est donc pas en cause. Cependant le principe d’effectivité des droits suppose que la société commerciale cessionnaire de la créance du consommateur dispose ou ait disposé d’une possibilité effective de se prévaloir, devant le juge national, du caractère éventuellement abusif de la clause contenue dans le contrat signé par ce consommateur. 

CJUE, 9 avril 2024, Profi Credit Polska, C-582/21  

Principes d’équivalence et d’effectivité – Principe d’interprétation conforme du droit national – Législation nationale prévoyant une voie de recours extraordinaire permettant la réouverture d’une procédure civile clôturée par un jugement définitif – Application extensive de cette voie de recours – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Absence de vérification d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles 

EXTRAIT : 

« 2) Le principe d’interprétation conforme du droit national doit être interprété en ce sens que :  

Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si une disposition de droit national établissant une voie de recours extraordinaire, permettant à une partie de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif si elle a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, peut faire l’objet d’une interprétation extensive de manière à inclure dans son champ d’application la situation dans laquelle le juge ayant fait droit à une demande d’un professionnel fondée sur un contrat conclu avec un consommateur, par un jugement définitif rendu par défaut, a omis d’examiner d’office ce contrat au regard de l’existence éventuelle de clauses abusives, en violation des obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et dans laquelle il s’avérerait que les modalités procédurales de l’exercice par ce consommateur de son droit de former opposition à ce jugement par défaut sont de nature à engendrer un risque non négligeable que ledit consommateur y renonce et ne permettent, par conséquent, pas d’assurer le respect des droits que ce dernier tire de cette directive. Si une telle interprétation extensive n’est pas concevable en raison des limites que constituent les principes généraux du droit et l’impossibilité de procéder à une interprétation contra legem, le principe d’effectivité impose que le respect de ces droits soit assuré dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement par défaut ou d’une procédure subséquente distincte. » 

ANALYSE : 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en grande chambre, est saisie du point de savoir si le principe d’interprétation du droit national doit être compris en ce sens qu’une disposition de droit national permettant la réouverture d’un jugement définitif peut être traduite de manière à inclure une situation où, dans un jugement par défaut, le juge n’a pas examiné d’office un contrat entre un consommateur et un professionnel pour y détecter d’éventuelles clauses abusives, en violation des obligations imposées par la directive 93/13/CEE. 

La CJUE rappelle qu’il appartient aux juridictions nationales de décider si et dans quelle mesure une disposition de droit national est susceptible d’être interprétée en conformité avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union en vertu du principe d’interprétation conforme du droit national (CJUE, 17 avril 2018, Egengerber, C-414/16). Cependant, ce principe est limité par les principes généraux du droit et ne permet pas une interprétation contra legem du droit national (CJUE, 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C-261/20). La CJUE rappelle également que les autorités juridictionnelles ont l’obligation de procéder à l’examen d’office du caractère abusif de certaines clauses contenues dans un contrat conclu avec un consommateur (CJUE, 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18).  

À la suite de ces rappels, la CJUE précise qu’il est nécessaire d’observer les modalités procédurales entourant l’exercice du droit de former opposition au jugement afin que celles-ci ne soient pas de nature à engendrer un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas opposition en raison de la violation de l’obligation d’examiner d’office le caractère éventuel abusif des clauses du contrat. Il s’agit, ainsi, d’une interprétation extensive de la législation nationale qui prévoit une voie de recours extraordinaire permettant la réouverture d’une procédure civile clôturée par un jugement définitif. 

 Par ailleurs, la CJUE rappelle que l’autonomie procédurale des États membres est subordonnée au respect des principes d’équivalence et d’effectivité. En effet, les États membres doivent s’assurer que les droits conférés par le droit de l’Union, comme la protection contre les clauses abusives (CJUE, 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18), puissent être exercés de manière effective, sans obstacles procéduraux disproportionnés. Par conséquent, la CJUE affirme que si une telle interprétation extensive est impossible compte tenu de ses limites, le principe d’effectivité impose que les droits du consommateur soient protégés dans le cadre d’une procédure d’exécution.  

En telle hypothèse, lorsqu’un professionnel a obtenu un titre exécutoire contre un consommateur sans que le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat ne soit analysé, le juge saisi de l’exécution de ce titre peut procéder d’office à cet examen (CJUE 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14, point 55). La procédure d’exécution peut alors être suspendue jusqu’à ce que le juge compétent ait effectué le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné afin que la protection des consommateurs par la directive 93/13 soit pleinement effective (CJUE, 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C-169/14 et CJUE, 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C-725/19). 

Enfin, la CJUE ajoute que le consommateur, pour exercer pleinement et effectivement ses droits aux termes des articles 6§1 et 7§1 de la directive 93/13, peut invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat et obtenir la réparation du préjudice financier causé par l’application des clauses (CJUE, 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19).  

La CJUE estime donc qu’il appartient à la juridiction nationale de permettre à une partie la réouverture d’un procès, même en cas de décision devenue définitive, si cette partie a été privée de la possibilité d’agir en appel en raison de la violation d’un droit. Ce principe peut faire l’objet d’une interprétation extensive dans la situation dans laquelle un juge ayant omis d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de clauses contenues dans un contrat de consommation fait droit à la demande du professionnel dans un jugement rendu par défaut et la situation dans laquelle le consommateur pourrait, du fait des modalités procédurales, renoncer à son droit de former opposition au jugement. Le principe d’effectivité impose que le droit de faire opposition à une décision devenue définitive puisse se faire dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement rendu par défaut ou une procédure subséquente distincte si une interprétation extensive n’est pas concevable.

Cass. civ.1ère, 4 avril 2024, n°23-12-791

Prêt immobilier — activité professionnelle — Association —  

  

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, applicable à la cause : 

 

  1. L’association fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en restitution de la somme de 485 611,87 euros, alors « que, par ailleurs, le professionnel, au sens de la régime des clauses abusives, est celui qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’il agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ; que, de plus, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d’apprécier si le rapport contractuel s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel ; que, pour attribuer à la Congrégation des sœurs de Notre-Dame de la compassion de Toulouse la qualité de professionnel et ainsi exclure l’application des dispositions relatives aux clauses abusives, la cour d’appel a retenu, d’une part, que le contrat de prêt litigieux était destiné à financer un investissement immobilier comportant notamment la création d’une maison de retraite pour lequel elle a passé avec une association une convention d’assistance à maîtrise d’ouvrage, d’autre part, qu’aux termes des statuts de l’association qui en assure le fonctionnement, celle-ci agit conformément aux orientations et directives de ladite Congrégation fondatrice » et, enfin, qu’un contrat de bail a été consenti par la congrégation qui porte sur l’ensemble immobilier financé au moyen du prêt, comprenant 78 locaux répartis sur 2007 m2 utiles moyennant un loyer annuel principal de 122 000 euros ;

 

Ayant retenu que l’association avait souscrit le prêt afin d’acquérir, à titre d’investissement immobilier, 2007 m² de terrain et 78 locaux et d’y installer et faire exploiter sous ses directives, moyennant le versement d’un loyer annuel de 122 000 euros, une maison de retraite, la cour d’appel en a exactement déduit que l’association, qui avait agi dans le cadre d’une activité professionnelle, ne pouvait pas se prévaloir du caractère abusif de la clause d’indemnité contractuelle due au prêteur en cas de remboursement anticipé du prêt et que la demande tendant à ce que cette clause soit réputée non écrite devait être rejetée. ». 

 

  

ANALYSE : 

  

En l’espèce, une association liée à la Congrégation des sœurs de Notre-Dame de la Compassion de Toulouse a contracté un prêt immobilier destiné à financer la création d’une maison de retraite. La question de la validité d’une clause d’indemnité contractuelle en cas de remboursement anticipé du prêt s’est posée. L’association a invoqué le caractère abusif de cette clause en se basant sur les dispositions du régime des clauses abusives prévu par le code de la consommation. 

 

La cour d’appel a rejeté la demande de l’association en considérant que cette dernière agissait dans un cadre professionnel. Elle a notamment souligné que le prêt était destiné à un investissement immobilier de grande envergure (acquisition de 2007 m² et 78 locaux) pour la gestion d’une maison de retraite, avec un loyer annuel substantiel. Dès lors, la cour a estimé que l’association ne pouvait pas invoquer la protection accordée par le régime des clauses abusives aux consommateurs. 

 

La Cour de cassation confirme l’analyse de la cour d’appel sur ce point.  

 

Par conséquent, l’association, agissant à titre professionnel, ne peut bénéficier de la protection du régime des clauses abusives prévu par l’article L. 132-1 du code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à 2016). 

 

CJUE, 21 mars 2024, C-714/22 S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD  

  

Contrat entre établissement de crédit et consommateur – Contrat de prêt – Appréciation caractère abusif – rôle des juridictions – Clause accessoire crédit – Rééchelonnement des mensualités – Disproportion des coûts 

  

EXTRAIT   

« l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de crédit à la consommation permettant au consommateur concerné de reporter ou de rééchelonner les mensualités du crédit moyennant le paiement de coûts supplémentaires, alors même qu’il n’est pas certain que ce consommateur fera usage de cette possibilité, est susceptible de revêtir un caractère abusif, lorsque, notamment, ces coûts sont manifestement disproportionnés par rapport au montant du prêt octroyé. » 

 

  

ANALYSE   

 

Dans cette décision, la CJUE était saisie de la question de savoir si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que des clauses portant sur des services accessoires à un contrat de crédit à la consommation, qui accordent au consommateur achetant ces services une priorité dans l’examen de sa demande de crédit et la mise à disposition de la somme empruntée ainsi que la possibilité de reporter le remboursement des mensualités ou d’en réduire le montant, relèvent de l’objet principal de ce contrat, au sens de cette disposition, et échappent donc à l’appréciation de leur caractère abusif (voir  CJUE, 21 mars 2024, C-714/22 S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD)

 

La Cour était également saisie du point de savoir si si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec le point 1, sous o), de l’annexe de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’une clause d’un contrat de crédit à la consommation permettant au consommateur concerné de reporter ou de rééchelonner les mensualités du crédit moyennant le paiement de coûts supplémentaires, alors même qu’il n’est pas certain que ce consommateur fera usage de cette possibilité, revêt un caractère abusif. 

La Cour observe que la clause litigieuse n’est pas prévue dans la liste de la directive de clauses pouvant être abusives. La Cour rappelle cependant que cette liste n’étant pas limitative, le caractère abusif de la clause peut tout de même être relevé notamment si celle-ci est non négociée et qu’elle crée un déséquilibre signification entre les obligations des contractants.  

 

S’agissant de l’appréciation de ce caractère, l’article 4 paragraphe 1 de la directive 93/13 prévoit la nécessaire prise en compte de l’ensemble contractuel à savoir toutes les circonstances entourant la situation lors de la conclusion du contrat.  

 

Aussi, la Cour rappelle sa jurisprudence (CJUE, 10 sept 2020-C-738/19-A) selon laquelle, pour déterminer si une clause contractuelle est potentiellement abusive, il appartient au tribunal national de statuer en fonction de ces circonstances propres au cas d’espèce. Cependant, c’est à la Cour de justice de l’Union européenne de définir, à partir de l’interprétation de ladite directive, les critères que le juge national doit ou peut utiliser pour évaluer ces clauses. 

 

 

A cet effet, la Cour énonce les critères pouvant être pris en compte qu’il s’agisse d’une part de la transparence de la clause et d’autre part de la marge d’appréciation dont l’établissement de crédit bénéficie en cas de demande de modification du plan de remboursement.  

 

Enfin, la CJUE considère qu’une mise en balance doit être effectuée entre le coût du service accessoire, objet de la clause, et le coût de l’objet principal du contrat.
En rappelant sa jurisprudence (arrêt du 23 novembre 2023, aff. C321 /22 – Provident Polska), elle énonce qu’une analyse économique quantitative peut suffire à faire constater un déséquilibre significatif. Ce dernier pouvant résulter par exemple, dans un contrat de crédit, de frais d’octroi et de gestion manifestement disproportionnés par rapport au montant emprunté.  

 

Elle en déduit que la clause d’un contrat de crédit à la consommation permettant au consommateur concerné de reporter ou de rééchelonner les mensualités du crédit moyennant le paiement de coûts supplémentaires, alors même qu’il n’est pas certain que ce consommateur fera usage de cette possibilité, est susceptible de revêtir un caractère abusif, lorsque, notamment, ces coûts sont manifestement disproportionnés par rapport au montant du prêt octroyé. 

 

Voir également 

 

CJUE 10 sept. 2020-C-738/19

CJUE, 23 nov. 2023, aff. C321 /22 – Provident Polska

 

CJUE, 21 mars 2024, C-714/22 S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD

Contrats de crédit à la consommation – Services accessoires à un contrat de crédit – 

  

EXTRAIT  

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que des clauses portant sur des services accessoires à un contrat de crédit à la consommation, qui accordent au consommateur achetant ces services une priorité dans l’examen de sa demande de crédit et la mise à disposition de la somme empruntée ainsi que la possibilité de reporter le remboursement des mensualités ou d’en réduire le montant, ne relèvent pas, en principe, de l’objet principal de ce contrat, au sens de cette disposition, et n’échappent donc pas à l’appréciation de leur caractère abusif. » 

ANALYSE   

En l’espèce, un contrat de crédit à la consommation a été conclu entre un client et un professionnel dans lequel le client a souscrit des services accessoires payants en plus du crédit principal. Le client conteste la validité de ces clauses, estimant que les clauses contractuelles établissant l’obligation de payer ces intérêts et ces services sont nulles.  

 

La CJUE a dû statuer sur le point de savoir si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété de manière à inclure les clauses concernant les services accessoires dans l’évaluation de leur caractère abusif.  

La Cour rappelle les clauses contractuelles qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat », doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. 

 

Elle précise que pour un contrat de crédit, les prestations essentielles sont, pour le prêteur, la mise à disposition de l’emprunteur une certaine somme d’argent, et pour ce dernier, le remboursement de cette somme selon les échéances prévues [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, Caixabank (Commission d’ouverture du prêt), C565/21, EU:C:2023:212, point 18 et jurisprudence citée]. 

 

Elle rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle l’obligation de rémunérer des services liés à l’examen, à l’octroi et au traitement du prêt ou d’autres services similaires inhérents à l’activité du prêteur occasionnée par l’octroi du prêt ne saurait être considérée comme relevant des prestations essentielles résultant d’un contrat de crédit [arrêt du 16 mars 2023, Caixabank (Commission d’ouverture du prêt), C565/21, EU:C:2023:212, points 22 et 23]. 

 

Elle énonce ensuite que les clauses portant sur des services accessoires à un contrat de crédit à la consommation, qui accordent au consommateur achetant ces services une priorité dans l’examen de sa demande de crédit et la mise à disposition de la somme empruntée ainsi que la possibilité de reporter le remboursement des mensualités ou d’en réduire le montant, ne touchent pas à l’essence même du rapport contractuel concerné, à savoir, d’une part, la mise à disposition d’une somme d’argent par le prêteur et, d’autre part, le remboursement de cette somme.  

 

Elle en déduit que ces clauses ne relèvent pas, en principe, de l’objet principal de ce contrat. Elles sont donc soumises à une évaluation de leur caractère abusif.  

Cass. civ, 1ère, 13 mars 2024, n°22-24.812  

 

Directive 93/13/CEE – Crédit à la consommation en devise étrangère – principe d’effectivité – office du juge – clauses abusives 

 

EXTRAITS :   

 

« 7. En statuant ainsi, sans examiner d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 

 

ANALYSE :  

 

 

Dans sa décision du 13 mars 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation devait statuer sur une clause de remboursement dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère (franc suisse) et remboursable dans cette devise étrangère.  

 

La situation est donc différente de celle tranchée dans l’arrêt BNP Paribas Personal Finance rendu le 10 juin 2021 par la Cour de Justice de l’Union Européenne, n°C-776/19, concernant des prêts libellés en francs suisses et remboursables en monnaie nationale (euros). 

 

La Cour considère que le juge du fond doit examiner d’office le potentiel déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment des emprunteurs, au sein de la clause de remboursement d’un contrat de prêt en devise étrangère.  

 

La première chambre civile de la cour de cassation s’appuie sur l’arrêt « Pannon » rendu par la Cour de justice des Communautés Européennes le 4 juin 2009, n° C-243/08, où est établie l’obligation pour un juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle à condition qu’il dispose des éléments de droit et de faits nécessaires à cet effet, et ce sanctionné par l’interdiction de l’application de la clause litigieuse sauf opposition du consommateur. 

 

Aussi la première chambre civile casse l’arrêt d’appel au motif que les juges du fond n’ont pas examiné d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors même qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change,  

 

Cette solution diffère donc de celle rendue le 1er mars 2023 (Cass. civ. 1ère, 1 mars 2023, n° 21-20.260) dans laquelle elle avait jugé que la clause de remboursement d’un prêt libellé et remboursable en francs suisses à un emprunteur percevant ses revenus dans cette devise n’est pas abusive.  

 

En d’autres termes, les juges du fond doivent s’interroger sur le caractère abusif de la clause relative au risque de change tant dans les prêtes remboursables en euros que dans les prêts remboursables en devise étrangère. 

Voir également :  

 CJCE, arrêt du 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM 

 

Cass. civ 1, 13 mars 2024, n° 22-24.812 

Contrat de prêt — Crédit libellé en devise étrangère — Déchéance du terme — Relevé d’office — Clause de remboursement — Directive 93/13 

EXTRAITS : 

Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

5. Interprétant la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit que le juge national était tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l’appliquait pas, sauf si le consommateur s’y opposait (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08)

6.Pour rejeter les demandes des emprunteurs, l’arrêt retient que c’est sans commettre d’abus que la banque a pu prononcer la déchéance du terme dès lors que l’arriéré, constitué depuis le mois de juillet 2013, n’était pas apuré et que si Mme [K] [V] travaillait à l’étranger au moment de l’envoi de l’avis de déchéance du terme, il lui appartenait soit de communiquer ses nouvelles adresses à la banque, soit de faire en sorte que son courrier puisse lui parvenir.

7. En statuant ainsi, sans examiner d’office si la clause de remboursement en franc suisse n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des emprunteurs, alors qu’elle relevait que ceux-ci développaient, au soutien de leur demande indemnitaire, des arguments relatifs au caractère abusif de la clause relative au risque de change, la cour d’appel a violé le texte susvisé. 

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un contrat de prêt immobilier libellé en francs suisses et remboursable en francs suisses. Plusieurs années plus tard, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt du fait de la défaillance des consommateurs. Les consommateurs assignent la banque et demandent l’annulation de la déchéance du terme au motif que la clause de remboursement en francs suisses mettait à leur charge un risque de change.  

Les juges du fond rejettent la demande des consommateurs au motif que c’est sans abus que la banque avait prononcé la déchéance du terme du fait de la défaillance des consommateurs.  

La Première Chambre Civile censure le raisonnement des juges du fond en affirmant que les juges du fond n’avaient pas examiné d’office si ladite clause de remboursement constituait ou non un déséquilibre significatif, alors même que les consommateurs avaient invoqué ce caractère abusif dans leur demande. Or depuis, l’arrêt Pannon de la CJUE, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère potentiellement abusif d’une clause. Ainsi, la Cour casse et annule la décision rendue afin de permettre l’appréciation du caractère abusif de ladite clause de remboursement. 

 

Voir également : 

-  CJUE, 4 juin 2009, C-243/08, Pannon GSM 

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

Contrat de crédit renouvelable – Contrôle d’office du caractère abusif des clauses contractuelles effectué dans le cadre de cette procédure – Pouvoir de contrôle du juge national – Eléments de faits et de droit permettant le contrôle d’une clause abusive – Principe d’effectivité 

EXTRAIT : 

« L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière du principe d’effectivité,  

doit être interprété en ce sens que :  

il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’adopter d’office des mesures d’instruction afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires en vue de contrôler le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque le contrôle effectué par le juge compétent au stade de la procédure d’injonction de payer ne répond pas aux exigences du principe d’effectivité s’agissant de cette directive. » 

ANALYSE :  

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie sur le point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale interdisant l’adoption d’office de mesures d’instruction par le juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer, afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires au contrôle du caractère abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit.  

La CJUE commence par rappeler que l’objectif de la directive 93/13 est la protection du consommateur qui se trouve dans une situation d’infériorité vis-à-vis du professionnel, au niveau de son pouvoir de négociation ainsi que son niveau d’information (CJUE, 4 mai 2023, BRD Groupe Société Générale et Next Capital Solutions, C-200/21). La Cour poursuit son raisonnement en rappelant qu’il faut une intervention positive et extérieure aux parties pour que la situation d’inégalité soit compensée (CJUE, 11 mars 2020, Lintner, C-511/17). La Cour évoque également son arrêt du 22 septembre 2022, Vicente, C-335/21, qui prévoit que le contrôle du caractère abusif des clauses dans le contrat de crédit doit être réalisé par la juridiction de renvoi si un contrôle effectif n’a pas été effectué au stade de la procédure d’injonction de payer.  

Dans sa solution, la CJUE dit pour droit que le juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer doit pouvoir bénéficier de la possibilité de prendre d’office les mesures d’instructions nécessaires au contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat de crédit, dès lors qu’un contrôle effectif de ce caractère n’a pas été réalisé au stade de la procédure d’injonction de payer.  

Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence constante de la CJUE (CJCE, 4 juin 2009, Pannon, C-243/08 et CJUE, 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C-495/19).  

Voir également :  

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22 

Principe d’effectivité du droit de l’Union – Contrat de crédit renouvelable – Contrôle d’office du caractère abusif des clauses contractuelles – Exécution de la décision clôturant ladite procédure – Perte par forclusion de la possibilité d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat au stade de l’exécution de l’injonction de payer – Pouvoir de contrôle du juge national 

EXTRAIT : 

« 1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que :  

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, en raison de la forclusion, ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer de contrôler, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsqu’un tel contrôle a déjà été effectué par un juge au stade de la procédure d’injonction de payer, sous réserve que ce juge ait identifié, dans sa décision, les clauses ayant fait l’objet de ce contrôle, qu’il ait exposé, même sommairement, les raisons pour lesquelles ces clauses étaient dépourvues de caractère abusif et qu’il ait indiqué que, en l’absence d’exercice, dans le délai imparti, des voies de recours prévues par le droit national contre cette décision, le consommateur sera forclos à faire valoir le caractère éventuellement abusif desdites clauses. » 

ANALYSE : 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie du point de savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le juge de l’exécution, saisi de l’exécution d’un titre exécutoire obtenu à la suite d’une procédure d’injonction de payer, ne peut pas contrôler d’office, ou à la demande du consommateur, le caractère éventuellement abusif d’une clause lorsque ce contrôle a déjà été réalisé par un premier juge, mais que des doutes surviennent quant à la qualité de ce contrôle.  

La CJUE rappelle que le juge doit contrôler d’office la nature potentiellement abusive des clauses d’un contrat au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou au stade de l’exécution de l’injonction de payer (CJUE, 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C-49/14). La Cour rappelle également que les décisions juridictionnelles devenues définitives ne peuvent plus être remises en cause après épuisement des voies de recours ou expiration des délais prévus pour exercer un recours (CJUE, 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19).  

Concernant la forclusion intervenant à l’expiration des délais de recours ouverts contre l’injonction de payer, la CJUE précise qu’elle n’est pas de nature à rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés au consommateur pourvu qu’elle ne produise ses effets qu’à l’issue d’un délai raisonnable. En ce sens, les délais de recours sont des délais raisonnables de recours s’ils sont matériellement suffisants pour permettre au consommateur de former un recours effectif et s’ils ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice d’un droit de recours (CJUE, 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank, C-698/18).  

Enfin, la CJUE rappelle que le juge interne doit apprécier d’office ou à la demande des parties, dès lors qu’il dispose des éléments de droit ou de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif d’une clause d’un contrat. En l’absence de contrôle, la protection du consommateur ne serait pas effective (CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).  

La CJUE déclare que l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui interdirait au juge, saisi à l’occasion de l’exécution d’une injonction de payer, de contrôler le caractère éventuellement abusif d’une clause si un contrôle a déjà été opéré par un premier juge et que ce dernier a déjà identifié les clauses ayant fait l’objet de ce contrôle dans sa décision. La Cour ajoute que le juge doit avoir motivé sa décision de déclarer les clauses comme n’étant pas abusives. Enfin, le juge doit avoir indiqué que le consommateur doit exercer les voies de recours prévues par le droit national contre cette décision dans le délai imparti, sous peine de forclusion.  

Voir également :  

CJUE, 29 février 2024, Investcapital, C-724/22