CJUE 23 novembre 2023, aff. C-321/22 Provident Polska
Défaut d’intérêt à agir – Exigences procédurales- Principe d’effectivité
EXTRAIT
“L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée dans la jurisprudence, exigeant, pour qu’il puisse être fait droit à l’action en justice d’un consommateur visant à faire constater l’inopposabilité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu avec un professionnel, la preuve d’un intérêt à agir, dès lors qu’il est considéré qu’un tel intérêt fait défaut lorsque ce consommateur dispose d’une action en répétition de l’indu ou lorsqu’il peut faire valoir cette inopposabilité dans le cadre de sa défense à une action reconventionnelle en exécution intentée contre lui par ce professionnel sur le fondement de cette clause.”
ANALYSE
Des prêts à la consommation ont été conclus par ZL KU et KM avec Provident Polska, et une autre société aux droits de laquelle Provident Polska est venue.
Outre une première question préjudicielle sur le caractère abusif de la clause de commission (CJUE C-321-22) et sur la portée de la sanction (CJUE C-321-22), une question était posée en ces termes à la Cour : “L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 et le principe d’effectivité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale ou à l’interprétation jurisprudentielle de cette législation nationale qui requiert un intérêt à agir du consommateur pour faire droit au recours de ce consommateur contre un professionnel visant à faire constater la nullité ou l’inopposabilité du contrat ou de la partie du contrat contenant des clauses abusives ?”
La Cour rappelle que si les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent en l’absence de réglementation spécifique de l’Union en la matière de l’ordre juridique interne des États membres (principe de l’autonomie procédurale), ces modalités ne doivent être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence), ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 23).
Sous réserve de ces deux principes, la question de l’intérêt à agir d’un consommateur dans le cadre d’une action visant à faire constater l’inopposabilité de clauses abusives ainsi que celle de la charge des dépens d’une telle action relèvent selon la Cour de l’autonomie procédurale des États membres.
La Cour précise que la question de la violation du principe d’effectivité, principe visé en l’espèce, doit être analysée en tenant compte de la place de la disposition litigieuse dans l’ensemble de la procédure ainsi que du déroulement et des particularités de cette dernière devant les diverses instances nationales, notamment en prenant en considération les principes à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 25.)
Elle rappelle qu’étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (article 7, paragraphe 1 de la directive 93/13) (CJUE 13 juillet 2023, CAJASUR Banco, C-35/22, point 22)..
La directive 93/13 donne ainsi à un consommateur le droit de s’adresser à un juge afin de faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat qu’un professionnel a conclu avec lui et de faire écarter l’application de celle-ci (CJUE 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, EU:C:2020:578, point 98 ).
La Cour précise que si l’obligation des États membres de prévoir des modalités procédurales permettant d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent de la directive 93/13 contre l’utilisation de clauses abusives implique une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la Charte, la protection du consommateur n’est toutefois pas absolue. Ainsi, le fait qu’une procédure particulière comporte certaines exigences procédurales que le consommateur doit respecter afin de faire valoir ses droits ne signifie pas pour autant qu’il ne bénéficie pas d’une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, CJUE 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, points 49 et 50).
La Cour relève à cet égard que l’existence d’un intérêt à agir constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (CJUE 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C-596/15 P et C-597/15 P, point 83), poursuivant un intérêt général de bonne administration de la justice et pouvant prévaloir sur les intérêts particuliers (voir, par analogie, CJUE du 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, EU:C:2018:367, point 51 et jurisprudence citée), et étant ce faisant, en principe, légitime.
Pour que ces règles procédurales soient contraires au principe d’effectivité posé par la directive 93/12, il faudrait qu’elles soient complexes et comportent des exigences lourdes allant au delà des objectifs qu’elles souhaitent atteindre (voir, en ce sens, CJUE 31 mai 2018, Sziber, C-483/16, point 52).
En l’espèce, les consommateurs avaient déjà exécuté partiellement les obligations contenues dans les clauses litigieuses avant d’introduire leur action. De ce fait, la juridiction de renvoi en suivant la position du droit national ainsi que de la jurisprudence nationale pense qu’il faudrait rejeter les actions dont elle a été saisie en raison de défaut d’intérêt à agir et que les consommateurs devraient être condamnés aux dépens pour leurs actions, pour deux motifs.
Le premier motif étant que si l’obligation a déjà été exécutée, au moins partiellement, le défaut d’intérêt à agir en constatation de l’inexistence de cette obligation trouve son fondement dans le fait qu’il semblerait plus pertinent et plus protecteur d’exercer une action en répétition de l’indu.
Selon le deuxième motif, lorsque l’obligation n’a pas été exécutée, la personne qui conteste l’existence de cette obligation perd son intérêt à agir dès lors que le cocontractant introduit une action visant à obtenir l’exécution de cette obligation, sous forme d’action reconventionnelle.
La CJUE précise que dans le cas du premier motif, rejeter l’action du consommateur en constatation du caractère abusif des clauses en raison d’un défaut d’intérêt à agir adéquat, mais non de tout intérêt à agir, le condamner aux dépens et le renvoyer à mieux se pourvoir introduit une complexité procédurale, de lourdeur, de frais et d’insécurité juridique inutiles, méconnaissant le principe d’effectivité de la directive 93/13. En effet, au regard de ces difficultés, le consommateur pourrait être dissuadé de faire valoir les droits qu’il tire de ladite directive.
Dans la situation évoquée dans le deuxième motif, raisonner comme la juridiction de renvoi l’a fait reviendrait à faire peser sur le consommateur un risque financier d’autant plus injustifié que la réalisation du risque évoqué dépendrait exclusivement d’une initiative procédurale du professionnel. Cela serait également de nature à dissuader le consommateur de faire valoir ses droits tirés de la directive 93/13 et donc contraire au principe d’effectivité posé par cette même directive (voir, en ce sens, CJUE 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-224/19 et C-259/19, EU:C:2020:578, point 98, ainsi que jurisprudence citée).
La Cour conclut donc que l’article 7 paragraphe 1 de la directive 93/13 lu à la lumière du principe d’effectivité s’interprète en ce sens qu’il “s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée dans la jurisprudence, exigeant, pour qu’il puisse être fait droit à l’action en justice d’un consommateur visant à faire constater l’inopposabilité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu avec un professionnel, la preuve d’un intérêt à agir, dès lors qu’il est considéré qu’un tel intérêt fait défaut lorsque ce consommateur dispose d’une action en répétition de l’indu ou lorsqu’il peut faire valoir cette inopposabilité dans le cadre de sa défense à une action reconventionnelle en exécution intentée contre lui par ce professionnel sur le fondement de cette clause.”