La Commission des clauses abusives,
Vu le chapitre IV de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services;
Vu le code civil;
Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit dite loi bancaire;
Les représentants des professionnels concernés entendus;
Considérant que durant les dix dernières années les transferts électroniques de fonds et les paiements par carte ont connu un développement considérable ; que ces nouveaux moyens de paiement tendent à se substituer au paiement par chèque;
Considérant que les paiements par carte ont pour cadre et support juridique deux contrats : l’un conclu entre l’émetteur de la carte et le consommateur, l’autre entre ledit émetteur et les commerçants et prestataires de services acceptant ce moyen de paiement;
Considérant que les seules dispositions législatives nationales applicables aux cartes bancaires ont pour objet:
- d’octroyer aux personnes relevant de la loi bancaire le monopole de l’émission des cartes de paiement;
- de rendre irrévocable l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte de paiement (loi du 11 juillet 1985, art. 22 : » L’ordre de paiement donné au moyen d’une carte est irrévocable. Il ne peut être fait opposition au paiement que dans le cas de perte ou vol de la carte, de redressement ou de liquidation judiciaire du bénéficiaire « );
Considérant que la Commission des communautés européennes a adopté à la date du 17 novembre 1988 (n° 88/590/C.E.E.) une recommandation concernant les systèmes de paiement, et en particulier les relations entre titulaires et émetteurs de cartes ; que cette recommandation n’a aucune valeur contraignante mais seulement un caractère incitatif;
Considérant que les pays membres de la C.E.E. n’ont pas adopté de législation nationale, à l’exception du Danemark ; que les émetteurs de cartes font partie de grands réseaux internationaux qui jouent un rôle prépondérant dams l’élaboration des contrats;
Considérant que le contrat est le cadre juridique le plus répandu pour régir les rapports entre émetteurs de cartes et consommateurs ; que, cependant, deux pays ont adopté des législations contraignantes dans le domaine du transfert électronique de fonds : le Danemark précité et les États-Unis ; que l’Electronic Fund Transfert Act a été complété par le règlement E en vigueur depuis le 10 mai 1980, lequel:
- impose la divulgation complète des droits et obligations des parties;
- réglemente l’émission et l’usage de la carte, la documentation à fournir par l’établissement émetteur, les responsabilités des parties au contrat pour les opérations non autorisées, les modalités de preuve et de » régulation » des conflits ; que les deux tiers des États ont adopté leur propre loi sur le transfert électronique de fonds qui viennent en concurrence avec la loi fédérale;
Considérant qu’en France les règles de droit régissant les relations entre émetteurs de carte, porteurs des cartes et commerçants ont pour source les contrats et l’interprétation des clauses qu’ils contiennent par la jurisprudence;
Considérant que la présente recommandation s’applique aux contrats qui ont pour objet de mettre à la disposition du consommateur une carte permettant à son utilisateur d’effectuer des paiements électroniques, des retraits de billets et opérations connexes auprès d’appareils électroniques, de donner des ordres de paiements non électroniques au moyen de la carte;
Considérant que certains contrats de crédit donnent lieu à l’émission de cartes de paiement ; que la mise à disposition d’une carte de paiement n’est alors que l’accessoire d’un contrat de crédit à la consommation ; que la présente recommandation ne s’applique à ces conventions de crédit que dans la mesure où sont incluses ou devraient être incluses des clauses relatives à l’émission et à l’utilisation d’une carte, à l’exclusion des clauses relatives à l’opération principale de crédit;
Considérant qu’un nombre important des clauses insérées dans les contrats porteurs des cartes émises par les établissements bancaires ou financiers, ayant organisé entre eux un réseau assurant l’interbancarité des opérations de retrait de billets, est établi par une personne morale de droit privé;
Considérant que le contrats proposés par les émetteurs de carte sont élaborés par les seuls professionnels et imposés par eux à l’adhésion des consommateurs qui ne peuvent en négocier les termes lors de la formation du contrat;
Considérant que les clauses insérées dans ces contrats entrent dans le champ d’application de la loi du 10 janvier 1978;
Considérant que de nombreux contrats prévoient l’apposition de la signature du consommateur au recto du document contractuel alors que des clauses figurent à son verso ; que de tels documents ne garantissent pas que le consommateur ait pu prendre effectivement connaissance des clauses insérées au verso du document et qu’il y ait valablement souscrit;
Considérant que certains des contrats prévoient leur établissement en un seul exemplaire conservé après signature par l’émetteur de la carte, et ce au mépris des dispositions de l’article 1325 du code civil qui prescrit que chaque partie ayant un intérêt distinct doit recevoir l’un des originaux de la convention ; que la jurisprudence admet le dépôt de l’unique original entre les mains d’un tiers mandataire commun des parties ; que le dépôt de l’unique original entre les mains d’une des parties est contraire à la loi;
Considérant que certains contrats sont imprimés avec des caractères dont la hauteur est inférieure au corps 8 ; que, de ce fait, ces contrats manquent de lisibilité;
Considérant que les contrats de crédit assortis d’une carte de paiement sont particulièrement laconiques sur les conditions de la délivrance et de l’utilisation de la carte ainsi que sur les responsabilités encourues par les parties contractantes;
Considérant que les émetteurs de carte omettent parfois de porter à la connaissance des porteurs les limites financières au-delà desquelles ils refusent d’exécuter les ordres de paiement donnés au moyen de la carte, qu’il s’agisse du montant maximum des sommes susceptibles d’être retirées des distributeurs de billets ou des dépenses que le porteur peut faire au moyen de sa carte durant une période déterminée;
Considérant qu’un certain nombre de clauses habituellement insérées dans les contrats par les professionnels sont manifestement abusives au sens de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978;
Considérant que certains émetteurs de carte se réservent la faculté de retirer la carte délivrée au consommateur à tout moment, à leur seule discrétion et sans avoir à fournir de motif ; qu’une telle clause confère à l’émetteur le pouvoir discrétionnaire de ne pas garantir l’exécution de sa principale obligation qui consiste en la mise à disposition d’un moyen de paiement ; qu’une telle condition potestative est abusive;
Considérant que de nombreux contrats interdisent au consommateur de contester tout ordre de paiement donné au moyen de la carte avec usage du numéro d’identification personnelle (code confidentiel) ; que les établissements émetteurs justifient ces clauses en arguant de l’infaillibilité du système qui ne permettrait pas à un détenteur illégitime de la carte d’en découvrir le numéro d’identification personnelle ; qu’ils en déduisent soit que le porteur est un porteur indélicat, soit un porteur imprudent qui a manqué à son obligation de préserver la confidentialité de son numéro d’identification personnelle;
Considérant que l’évolution des techniques tendant à conférer au système une très grande sécurité n’exclut pas que des délinquants habiles parviennent à les tenir en échec ; qu’il est donc abusif de priver le porteur légitime de la carte de la possibilité d’apporter la preuve qu’il n’est pas le donneur d’ordre du paiement contesté et qu’il n’a commis aucune négligence;
Considérant que de nombreux contrats confèrent aux enregistrements magnétiques détenus par les établissements financiers et bancaires une valeur probante qui les dispense d’avoir à prouver que l’opération contestée a été correctement enregistrée et que le système informatique fonctionnait normalement ; que ces clauses sont abusives dans la mesure où le dysfonctionnement d’un système informatique ne relève pas d’une impossibilité absolue, au point d’ailleurs que de très nombreux contrats prévoient que les établissements émetteurs ne sauraient être tenus pour responsables du mauvais fonctionnement des appareils automatiques mis à la disposition du public;
Considérant que le porteur de la carte est de plus en plus souvent invité à utiliser sa carte selon des modalités qui n’impliquent ni signature ni utilisation de son code confidentiel ; qu’il en est ainsi pour certains appareils automatiques, pour des achats par correspondance, téléphone, Minitel, etc. ; que les contrats stipulent que l’émetteur de la carte est autorisé à débiter le compte du porteur de ordres de paiement ainsi donnés ; que certains contrats ajoutent que de tels ordres sont irrévocables interdisant au porteur de contester l’ordre donné par un tiers illégitime ; que de telles dispositions contractuelles sont d’autant plus abusives que les contrats ‘commerçants’ prévoient généralement à la charge de ces derniers l’obligation de rembourser le consommateur en cas de contestation;
Considérant que la plupart des contrats prévoient que les sommes qui n’auraient pu être débitées du compte du porteur sont productives d’un intérêt à un certain pourcentage mensuel auquel s’ajoutent fréquemment des indemnités forfaitaires exprimées en pourcentage des sommes dues ; que le cumul des sommes ainsi mises à la charge du consommateur défaillant correspond à un taux d’intérêt supérieur au taux de l’usure ; qu’un tel dispositif contractuel est abusif;
Considérant que la plupart des contrats prévoient à la charge du consommateur une indemnité forfaitaire en cas de défaillance du porteur lorsque celui-ci ne paie pas les sommes portées au débit de son compte ; que lorsque la délivrance de la carte de paiement est assortie d’un crédit, les dispositions législatives et réglementaires en matière de crédit à la consommation reçoivent application et l’indemnité est plafonnée à ce jour à 8 p. 100 soit du capital restant dû, soit des échéances échues impayées ; que, dans les contrats qui ne sont pas soumis à ces dispositions, les établissements émetteurs de cartes de paiement prévoient très souvent une indemnité supérieure à 8 p. 100 ; qu’une telle indemnité, quand bien même serait-elle, en tant que clause pénale, réductible par le juge en application des dispositions de l’article 1152 du code civil, est abusive;
Considérant que la plupart des contrats prévoient que l’établissement émetteur se réserve la faculté à tout moment de modifier unilatéralement les dispositions du contrat ; que les moins défavorables au consommateur prévoient un mécanisme consistant à adresser au porteur de la carte une information sur les modifications que la banque ou l’établissement financier entend imposer au consommateur ; qu’il est contractuellement prévu que si le consommateur continue à utiliser sa carte après qu’il a été informé des modifications contractuelles voulues par l’émetteur, il est réputé y avoir tacitement consenti ; qu’une telle clause est abusive (La commission a, dans une précédente recommandation –n°94-1-, recommandé l’élimination de ce type de clause comme étant abusive);
Considérant que la plupart des contrats prévoient leur renouvellement par tacite reconduction sauf dénonciation par le consommateur dans un délai de deux à trois mois avant la date de renouvellement ; que, cependant, les nouvelles conditions financières du contrat sont portées à la connaissance du consommateur dans un délai inférieur, le plus souvent par le débit de son compte du montant de la cotisation ; qu’il est abusif de dénier, alors, au consommateur, le droit de ne pas renouveler son contrat,
Recommande:
I. Que la présentation matérielle des contrats proposés par les émetteurs de cartes de paiement obéisse aux règles suivantes:
1° Que l’ensemble des clauses contractuelles précède les signatures des parties;
2° Que soit remis au consommateur, au moment de son adhésion au contrat proposé, un document personnalisé, signé par les deux parties constatant le contrat et décrivant leurs obligations respectives;
3° Que les documents contractuels soient imprimés avec des caractères dont la hauteur ne saurait être inférieure au corps 8;
4° Que le consommateur soit informé sur ses droits et obligations contractuels et sur ceux de son cocontractant, information à laquelle il ne saurait être suppléé par un recours implicite à des usages bancaires ou autres dont le consommateur n’a généralement pas connaissance;
5° Que le contrat informe le porteur de la carte des limites financières effectives fixées par l’émetteur à l’utilisation de la carte;
II. – Que soient éliminées des contrats » porteur » proposés par les émetteurs de cartes de paiement assorties ou non d’un crédit, les clauses suivantes ayant pour objet ou pour effet:
1° De reconnaître au professionnel un droit de résilier le contrat sans motif prévu par celui-ci;
2° De conférer à l’usage de la carte avec le numéro d’identification personnelle (code confidentiel) une valeur probante que le titulaire de la carte ne peut combattre;
3° De conférer aux enregistrements magnétiques détenus par les établissements financiers ou bancaires une valeur probante en dispensant ces derniers de l’obligation de prouver que l’opération contestée a été correctement enregistrée et que le système fonctionnait normalement;
4° De conférer un caractère irrévocable à un ordre de paiement donné sans signature manuscrite du titulaire de la carte et sans usage du numéro d’identification personnelle;
5° De fixer, en cas de non-paiement des sommes dues par le consommateur aux échéances convenues, un taux d’intérêt et des indemnités à titre de clause pénale qui, cumulés et exprimés en pourcentage, dépasseraient le taux de l’usure, que la carte soit ou non assortie d’un crédit;
6° De mettre à la charge du consommateur défaillant une indemnité supérieure à celle prévue par les dispositions législatives et réglementaires en matière de crédit à la consommation alors même que ces dispositions ne s’appliquent pas;
7° De permettre à l’émetteur de la carte de modifier unilatéralement la portée et le contenu de ses obligations, sans recueillir le consentement explicite du consommateur à ces modifications soit par la signature d’un nouveau contrat, soit par celle d’un avenant;
8° D’imposer au porteur de la carte un délai de préavis pour s’opposer au renouvellement de son contrat, au cas ou l’établissement émetteur soumet le contrat renouvelé à des conditions nouvelles, notamment financières.
(Adoptée le 17 décembre 1991 sur le rapport de M. Didier Berges.)
Avis aux lecteurs
» Il convient de noter que la préparation de la recommandation sur les cartes de paiement s’étant déroulée dans les années 1990 et 1991 et son adoption datant de 1991, elle n’a pu prendre en compte les évolutions résultant soit de la jurisprudence, soit de la pratique contractuelle, notamment l’évolution des contrats ‘porteur’ utilisés par les membres du groupement des cartes bancaires (CB).
» La recommandation relative au consentement implicite du consommateur qui concerne les modalités de recueil du consentement du consommateur s’applique au domaine financier, mais elle ne vise pas le cas où une modification des conditions initiales du contrat résulte de la mise en œuvre d’une clause de révision dont les modalités ont recueilli l’accord des parties au moment de la signature du contrat et qui dépendent d’éléments objectifs. Conformément à l’article L. 122-4 du code de la consommation, cette recommandation ne fait pas non plus obstacle aux pratiques de découverts bancaires dont la publicité des prix est correctement assurée.
» On notera que les adhérents du groupement des cartes bancaires appliquent la recommandation européenne n° 88/590/C.E.E. du 17 novembre 1988, qui est moins stricte sur le point du consentement implicite que celle de la Commission des clauses abusives. »
Voir également :
Jurisprudence relative aux clauses abusives dans le secteur financier