CJUE, 3 sept. 2020,  C-84/19 – ProfiCredit  

Crédit à la consommation – Champ d’application matériel – Exigence de transparence – Remboursement du crédit 

EXTRAITS : 

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de crédit à la consommation qui mettent à charge du consommateur des frais autres que le remboursement du crédit en principal et en intérêts ne relèvent pas de l’exception prévue à cette disposition, lorsque ces clauses ne spécifient ni la nature de ces frais ni les services qu’elles visent à rémunérer et qu’elles sont formulées de manière à créer une confusion dans l’esprit du consommateur quant à ses obligations et aux conséquences économiques de ces clauses, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. » 

ANALYSE : 

La CJUE analyse les deux exclusions au champ d’application de la directive par l’article 4, paragraphe 2.  

D’une part, concernant l’exclusion relative aux clauses relevant de l’objet principal du contrat, y figurent les clauses claires et compréhensibles – exigence de transparence des articles 4 et 5. Ainsi, pour satisfaire à cette exigence, la Cour de justice précise que la clause doit satisfaire aux deux conditions suivantes :   

  • D’une part, il faut que la clause soit intelligible grammaticalement par le consommateur. En l’espèce, la Cour précise que le juge national devra déterminer si « un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé pouvait non seulement connaître les montant dus au titre du « paiement préalable », de la « commission » et du produit financier dénommé « Ton paquet – paquet spécial » » (point 74)  ;
  • D’autre part, il faut que le consommateur puisse évaluer les conséquences qui découlent de la clause pour lui sur la base de critères précis et intelligibles (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C-125/18, EU:C:2020:138, point 50). À cet égard, la Cour précise que « le professionnel n’est pas obligé de détailler la nature de chaque service fourni en contrepartie des frais mis à charge du consommateur par les clauses du contrat, telle que la « commission » ou le « paiement préalable » ». Cependant, elle explique qu’« il importe que la nature des services effectivement fournis puisse être raisonnablement comprise ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité » et rappelle que « le consommateur doit être en mesure de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement de ces différents frais ou des services que ces derniers rémunèrent » (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 43 (lien hypertexte vers le site de la CCA).

D’autre part, concernant l’exclusion relative au contrôle de l’« adéquation entre prix et rémunération, d’une part, et bien et prestation, d’autre part », la Cour rappelle que les clauses relatives à la contrepartie du prêteur due par le consommateur ne relèvent, en principe, pas de cette catégorie. Toutefois, par exception, cela peut être le cas en ce qui concerne « la question de savoir si le montant de la contrepartie […] tel que stipulé dans le contrat est en adéquation avec le service fourni en contrepartie par le prêteur » (arrêts du 26 février 2015, Matei, C-143/13, EU:C:2015:127, point 56, et du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 35) (point 80). 

En l’espèce, la transposition, dans le droit polonais, de l’exception concernant la vérification de l’adéquation du prix et de sa contrepartie, établie par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, ne visait que les clauses relatives à l’objet principal du contrat. Or, la Cour de justice n’y voit pas d’inconvénient dès lors que le droit communautaire permet aux États membres d’adopter des dispositions plus strictes compatibles avec le Traité fondamentale de l’Union européenne pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur, comme le prévoit l’article 8 de la directive 93/13 (points 83 et 84).

CJUE, 3 septembre 2020,  C-84/19 – ProfiCredit  

Bonne foi – Coût du crédit hors intérêts – Déséquilibre significatif – Frais disproportionnés – Plafond légal  

EXTRAIT : 

« L’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle relative à des coûts du crédit hors intérêts, qui fixe ce coût en-dessous d’un plafond légal et qui répercute, sur le consommateur, des coûts de l’activité économique du prêteur, est susceptible de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat au détriment du consommateur, lorsqu’elle met à la charge de ce dernier des frais disproportionnés par rapport aux prestations et au montant de prêt reçus, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. »  

ANALYSE : 

La Cour de justice s’intéresse aux critères de qualification de clause abusive.   

Ainsi, pour les clauses prévoyant à la charge du consommateur des frais autres que les intérêts, elle rappelle que l’examen du déséquilibre significatif ne saurait se limiter à une appréciation économique de nature quantitative. En effet, la Cour rappelle qu’un déséquilibre « peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle le consommateur […] est placé en vertu des dispositions nationales applicables », notamment, par le biais d’une mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales (voir, en ce sens, arrêt du 30 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C-621/17, EU:C:2019:820, point 51) (point 92). 

En ce qui concerne l’exigence de bonne foi, la Cour rappelle que le juge national doit vérifier si le consommateur aurait accepté une telle clause dans le cadre de négociations avec le professionnel (arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C 483/18, EU:C:2019:930, point 55 et jurisprudence citée). En l’espèce, la Cour relève que, en vertu du droit national, « dans les coûts liés à l’octroi du crédit, ceux liés à l’exercice de l’activité économique du professionnel sont déjà inclus » (point 94). Ainsi, « le coût du crédit hors intérêts pour le consommateur, qui est, en vertu de la législation nationale, plafonné, pourrait néanmoins donner lieu à un déséquilibre significatif au sens de la jurisprudence de la Cour, bien qu’il soit fixé en-dessous de ce plafond, si les services fournis en contrepartie ne relevaient pas raisonnablement des prestations effectuées dans le cadre de la conclusion ou de la gestion du contrat de crédit, ou que les montants mis à charge du consommateur au titre des frais d’octroi et de gestion de prêt apparaissent clairement disproportionnés par rapport au montant du prêt » (point 95). Elle en conclut alors que, « compte tenu de l’exigence de transparence qui découle de l’article 5 de la directive 93/13, il ne pourrait être considéré que le professionnel pouvait raisonnablement s’attendre, en traitant de façon transparente avec le consommateur, à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation » (point 96). 

CJUE, 3 octobre 2019, C-621/17 – Kiss  

Exigence de transparence – Rédaction claire et compréhensible 

EXTRAIT : 

« L’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible n’impose pas que des clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle contenues dans un contrat de prêt conclu avec des consommateurs, telles que celles en cause au principal, qui déterminent précisément le montant des frais de gestion et d’une commission de décaissement mis à la charge du consommateur, leur méthode de calcul et leur date d’exigibilité, doivent également détailler tous les services fournis en contrepartie des montants concernés. » 

ANALYSE : 

La Cour de justice rappelle l’exigence de transparence matérielle accrue qu’elle a instituée et qui s’entend comme « imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais que ce consommateur soit également mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui » (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Bucura, C-348/14, non publié, EU:C:2015:447, point 55 et jurisprudence citée) (point 37). 

Cependant, la Cour précise que cette exigence n’impose pas au prêteur « de détailler dans le contrat concerné la nature de tous les services fournis en contrepartie des frais prévus par une ou plusieurs clauses contractuelles. » Pour autant, elle ajoute qu’« il importe que la nature des services effectivement fournis puisse être raisonnablement comprise ou déduite à partir du contrat considéré dans sa globalité » et que « le consommateur doit être en mesure de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais ou entre les services que ces derniers rémunèrent » (point 43). La haute juridiction communautaire renvoie ainsi une telle appréciation à la juridiction nationale.  

Cass. Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 16-12.519

Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties – Clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une cause extérieure – Modification substantielle de l’économie du contrat de prêt

EXTRAIT :

«{…} prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une cause extérieure à ce contrat, afférente à l’exécution d’une convention distincte, une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification substantielle de l’économie du contrat de prêt {…} »

ANALYSE :

Dans le cadre d’un contrat de crédit à la consommation, est abusive la clause qui prévoit la faculté pour l’employeur de résilier le contrat de prêt de plein droit « pour une cause extérieure à ce contrat » en cas  de cessation des fonctions du salarié. En effet, une telle clause expose le consommateur « à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification substantielle de l’économie du contrat de prêt ».

La première chambre civile de la cour de cassation se fonde sur l’article L.132-1 du code de la consommation (nouvel article L.212-1 du code de la consommation issu de la recodification du code de la consommation par une ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016)  pour dire qu’il y a un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, qui voit les conditions de son remboursement aggravées et l’économie de son contrat de prêt substantiellement modifiée.

CA Versailles 20/12/18 – n°17-01955

Est abusive la clause qui permet au prêteur d’exiger le remboursement anticipé sans que l’emprunteur soit défaillant dans le remboursement de son crédit notamment dans l’hypothèse « de manœuvres dolosives ou frauduleuses notamment en cas de fausse déclaration ou déclaration ou omission intentionnelle sur la situation personnelle, professionnelle, patrimoniale ayant servi de base à l’octroi du présent financement à l’emprunteur ».

Cour d’appel de Colmar – 6/12/2018 – n°17-04892

Analyse 1

La clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme et l’exigibilité de l’intégralité des sommes dues, pour la seule raison que l’emprunteur n’a pas respecté un de ses engagements, comme par exemple le paiement à bonne date d’une seule échéance des 240 échéances prévues au contrat, quand bien même il serait en mesure de régulariser à bref délai un tel retard, et ce, sans avoir préalablement mis l’emprunteur en demeure de régulariser ledit retard dans un délai raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et est dès lors abusive.

Analyse 2

En ce qu’elle laisse croire que l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de ladite déchéance, cette clause crée également un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et est dès lors abusive

1ère chambre civile de la Cour de cassation – 28/11/2018 – n°17-21625

N’est pas abusive la clause qui prévoit le prononcé de la déchéance du terme seulement en cas de déclaration inexacte des emprunteurs sur des éléments essentiels ayant déterminé l’accord de la banque ou pouvant compromettre le remboursement du prêt, sans exclure le recours au juge, de sorte que cette stipulation, qui vise à prévenir un défaut d’exécution de leurs engagements par les emprunteurs ayant manqué à l’obligation de loyauté lors de la formation du contrat, n’a pas pour objet ni pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs.

 

1ère Chambre civile de la Cour de cassation – 10/10/2018 – 17-20.441

Il incombe au juge de rechercher d’office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur, en ce qu’elle est de nature à laisser croire que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration et que l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme.

 

CJUE – C-51/17 – 20/09/2018

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2 – Dispositions législatives ou réglementaires impératives – Article 3, paragraphe 1 – Notion de “clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle” – Clause intégrée dans le contrat après sa conclusion à la suite d’une intervention du législateur national – Article 4, paragraphe 2 – Rédaction claire et compréhensible d’une clause – Article 6, paragraphe 1 – Examen d’office, par le juge national, du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt libellé en devises étrangères conclu entre un professionnel et un consommateur »

  1.  La notion de « clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle », figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise notamment une clause contractuelle modifiée par une disposition législative nationale impérative, adoptée après la conclusion d’un contrat avec un consommateur, visant à suppléer une clause entachée de nullité contenue dans ledit contrat.
  2. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que le champ d’application de cette directive ne couvre pas des clauses reflétant des dispositions de droit national impératives, insérées postérieurement à la conclusion d’un contrat de prêt conclu avec un consommateur et visant à suppléer une clause de celui-ci entachée de nullité, en imposant un taux de change fixé par la Banque nationale. Néanmoins, une clause relative au risque de change, telle que celle en cause au principal, n’est pas exclue dudit champ d’application en vertu de cette disposition.
  3. L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause. À cet égard, cette exigence implique qu’une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
  4. L’article 4 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il impose que le caractère clair et compréhensible des clauses contractuelles soit apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entouraient celle-ci, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, nonobstant la circonstance que certaines de ces clauses ont été déclarées ou présumées abusives et, à ce titre, annulées, à un moment ultérieur, par le législateur national.
  5. L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’il appartient au juge national de relever d’office, en lieu et place du consommateur en sa qualité de partie requérante, le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.