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Numéro : cjue120426.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, clause relative à la modification unilatérale des frais liés au service à fournir, obligation de vérification incombant à la juridiction.

Résumé : Il appartient à la juridiction de renvoi statuant dans la procédure en cessation, initiée dans l’intérêt public, au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, le caractère abusif d’une clause figurant dans les conditions générales des contrats de consommation par laquelle un professionnel prévoit une modification unilatérale des frais liés au service à fournir, sans pour autant décrire clairement le mode de fixation desdits frais ni spécifier de raison valable de cette modification. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction devra vérifier notamment si, à la lumière de toutes les clauses figurant dans les conditions générales des contrats de consommation dont la clause litigieuse fait partie, ainsi que de la législation nationale prévoyant les droits et les obligations qui pourraient s’ajouter à ceux prévus par les conditions générales en cause, les raisons ou le mode de variation des frais liés au service à fournir sont spécifiés d’une manière claire et compréhensible et si, le cas échéant, les consommateurs disposent d’un droit de mettre fin au contrat.

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, effet du constat de non-écriture d’une clause sur les contrats conclus par des consommateurs non partie à la procédure en cessation.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie des conditions générales des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, intentée à l’encontre d’un professionnel dans l’intérêt public et au nom des consommateurs, par un organisme désigné par la législation nationale, produise, conformément à ladite législation, des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales, y compris à l’égard des consommateurs qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, constat de non-écriture d’une clause, pouvoir d’office du juge relativement aux consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive, doit être interprété en ce sens que lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une procédure en cessation, les juridictions nationales sont tenues, dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales.

Dans l’affaire C‑453/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresný súd Prešov (Slovaquie), par décision du 31 août 2010, parvenue à la Cour le 16 septembre 2010, dans la procédure

X…, Y…

contre

S…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 septembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Pereničová et M. Perenič, par Mes I. Šafranko et A. Motyka, advokáti,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Rozet, A. Tokár et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), et des dispositions de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») (JO L 149, p. 22), ainsi que sur l’incidence que l’application de la directive 2005/29 pourrait avoir sur la directive 93/13.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme X… et M. Y… à S…, établissement non bancaire accordant des crédits à la consommation, au sujet d’un contrat de crédit conclu entre les intéressés et cette société.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

La directive 93/13

3        Les septième, seizième, vingtième ainsi que vingt et unième considérants de la directive 93/13 prévoient respectivement:

«considérant que les vendeurs de biens et les prestataires de services seront, de cette façon, aidés dans leur activité de vente de biens et des prestations de services, à la fois dans leur propre pays et dans le marché intérieur; que la concurrence sera ainsi stimulée, contribuant de la sorte à accroître le choix des citoyens de la Communauté, en tant que consommateurs;

[…]

considérant […] que, dans l’appréciation de la bonne foi, il faut prêter une attention particulière à la force des positions respectives de négociation des parties, à la question de savoir si le consommateur a été encouragé par quelque moyen à donner son accord à la clause et si les biens ou services ont été vendus ou fournis sur commande spéciale du consommateur; que l’exigence de bonne foi peut être satisfaite par le professionnel en traitant de façon loyale et équitable avec l’autre partie dont il doit prendre en compte les intérêts légitimes;

[…]

considérant que les contrats doivent être rédigés en termes clairs et compréhensibles; que le consommateur doit avoir effectivement l’occasion de prendre connaissance de toutes les clauses […];

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives».

4        Aux termes de l’article 3 de la directive 93/13:

«1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[…]

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5        L’article 4 de cette directive prévoit:

«1.      […] [L]e caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.      L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

6        L’article 5 de ladite directive dispose:

«Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. […]»

7        Aux termes de l’article 6 de la même directive:

«1.      Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

[…]»

8        L’article 8 de la directive 93/13 énonce:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

9        L’annexe de la directive 93/13 énumère les clauses visées à l’article 3, paragraphe 3, de cette dernière:

«1.      Clauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

i)      [de] constater de manière irréfragable l’adhésion du consommateur à des clauses dont il n’a pas eu, effectivement, l’occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat;

[…]»

La directive 2005/29

10      L’article 2 de la directive 2005/29 est rédigé dans les termes suivants:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

c)      ‘produit’: tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations;

d)      ‘pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs’ (ci-après également dénommées ‘pratiques commerciales’): toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs;

e)      ‘altération substantielle du comportement économique des consommateurs’: l’utilisation d’une pratique commerciale compromettant sensiblement l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l’amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement;

[…]

k)      ‘décision commerciale’: toute décision prise par un consommateur concernant l’opportunité, les modalités et les conditions relatives au fait d’acheter, de faire un paiement intégral ou partiel pour un produit, de conserver ou de se défaire d’un produit ou d’exercer un droit contractuel en rapport avec le produit; une telle décision peut amener le consommateur, soit à agir, soit à s’abstenir d’agir;

[…]»

11      L’article 3 de cette directive énonce:

«1.      La présente directive s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l’article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit.

2.      La présente directive s’applique sans préjudice du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats.

[…]

4.      En cas de conflit entre les dispositions de la présente directive et d’autres règles communautaires régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s’appliquent à ces aspects spécifiques.

5.      Pendant une période de six ans à compter du 12 juin 2007, les États membres ont la faculté de continuer à appliquer des dispositions nationales dont la présente directive opère le rapprochement, plus restrictives ou plus rigoureuses que la présente directive et qui mettent en œuvre des directives incluant des clauses d’harmonisation minimale. Ces mesures doivent être essentielles pour garantir que les consommateurs soient protégés de manière adéquate contre les pratiques commerciales déloyales et doivent être proportionnées à cet objectif à atteindre. […]

[…]»

12      L’article 5 de ladite directive prévoit:

«1.      Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2.      Une pratique commerciale est déloyale si:

a)      elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b)      elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs.

3.      Les pratiques commerciales qui sont susceptibles d’altérer de manière substantielle le comportement économique d’un groupe clairement identifiable de consommateurs parce que ceux-ci sont particulièrement vulnérables à la pratique utilisée ou au produit qu’elle concerne en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité, alors que l’on pourrait raisonnablement attendre du professionnel qu’il prévoie cette conséquence, sont évaluées du point de vue du membre moyen de ce groupe. […]

4.      En particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont:

a)      trompeuses au sens des articles 6 et 7,

ou

b)      agressives au sens des articles 8 et 9.

[…]»

13      Aux termes de l’article 6 de la même directive:

«1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement:

[…]

d)      le prix ou le mode de calcul du prix, ou l’existence d’un avantage spécifique quant au prix;

[…]»

14      L’article 7 de la directive 2005/29 énonce:

«1.      Une pratique commerciale est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

2.      Une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu’un professionnel, compte tenu des aspects mentionnés au paragraphe 1, dissimule une information substantielle visée audit paragraphe ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu’il n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l’un ou l’autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d’être amené à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

[…]»

15      L’article 11 de cette directive dispose:

«1.      Les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs.

[…]»

16      Aux termes de l’article 13 de ladite directive:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.»

La réglementation nationale

17      L’article 52 du code civil slovaque énonce:

«1)      Il convient d’entendre par ‘contrat conclu avec un consommateur’ tout contrat, quelle qu’en soit la forme juridique, conclu entre un fournisseur et un consommateur.

2)      Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur ainsi que toute autre disposition régissant une relation juridique dans laquelle un consommateur s’est engagé s’appliquent toujours dans un sens favorable au consommateur partie au contrat. Les conventions ou accords contractuels distincts dont le contenu ou la finalité visent à tourner ces dispositions sont dénuées de validité.

[…]

4)      Il convient d’entendre par ‘consommateur’ toute personne physique qui, pour la conclusion et l’exécution d’un contrat de consommation, n’agit pas dans le cadre de son activité commerciale ou d’une autre activité économique.»

18      L’article 53 de ce code prévoit:

«1)      Un contrat conclu avec un consommateur ne doit pas contenir de dispositions créant, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties contractantes (clause abusive). N’est pas considérée comme abusive une clause contractuelle relative à l’objet principal de l’exécution et à l’adéquation du prix, si cette clause est formulée de façon précise, claire et compréhensible, ou si la clause abusive a fait l’objet d’une négociation individuelle.

[…]

4)      Sont considérées comme des clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur notamment les dispositions qui:

[…]

k)      imposent, à titre de pénalité, au consommateur qui n’a pas satisfait à ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé,

[…]

5)      Les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur sont dénuées de validité.»

19      L’article 4 de la loi n° 258/2001 relative aux crédits à la consommation dispose:

«1)      Le contrat de crédit à la consommation doit être établi par écrit, sous peine d’invalidité, et le consommateur en reçoit un exemplaire.

2)      Le contrat de crédit à la consommation doit contenir, outre des éléments généraux,

[…]

j)      le taux annuel effectif global [ci-après le ‘TAEG’] et le total des frais associés au crédit à la charge du consommateur, calculés sur la base de données valables au moment de la conclusion du contrat,

[…]

Si le contrat de crédit à la consommation ne contient pas les éléments indiqués au paragraphe 2, [sous] j), le crédit consenti est réputé exempt d’intérêts et de frais.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20      Par leur recours, les requérants au principal demandent à la juridiction de renvoi de constater la nullité du contrat de crédit qu’ils ont conclu avec S…, établissement non bancaire accordant des crédits de consommation sur la base de contrats standardisés. Il ressort de la décision de renvoi que le crédit en cause au principal a été accordé aux requérants au principal le 12 mars 2008.

21      En vertu de ce contrat, S… a accordé aux requérants au principal un crédit de 150 000 SKK (4 979 euros) devant être remboursé en 32 versements mensuels de 6 000 SKK (199 euros) auxquels s’ajoute un trente-troisième versement égal au montant du crédit octroyé. Les requérants au principal sont ainsi tenus de rembourser un montant de 342 000 SKK (11 352 euros).

22      Le TAEG a été fixé dans ledit contrat à 48,63 %, alors que, conformément au calcul effectué par la juridiction de renvoi, il est, en réalité, de 58,76 %, S… n’ayant pas inclus dans son calcul des frais afférents au crédit accordé.

23      En outre, il ressort de la décision de renvoi que le contrat en cause au principal contient plusieurs clauses défavorables aux requérants au principal.

24      La juridiction de renvoi relève qu’une déclaration de nullité de ce contrat de crédit à court terme dans son ensemble, prononcée en raison du caractère abusif de certaines de ses clauses, serait plus avantageuse pour les requérants au principal que le maintien de la validité des clauses non abusives dudit contrat. En effet, dans le premier cas, les consommateurs concernés seraient contraints de payer uniquement les intérêts de retard, au taux de 9 %, et non pas l’ensemble des frais afférents au crédit accordé, qui seraient beaucoup plus élevés que ces intérêts.

25      Estimant que la solution du litige dépend de l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union, l’Okresný súd Prešov (tribunal d’arrondissement de Prešov) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le cadre de protection des consommateurs instauré à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 […] autorise-t-il à décider, dans le cas où il existe des clauses abusives dans un contrat conclu avec un consommateur, que le contrat dans son ensemble ne lie pas le consommateur lorsque cela est plus avantageux pour celui-ci?

2)      Les éléments qui caractérisent la pratique commerciale déloyale selon la directive 2005/29 […] permettent-ils de décider que, lorsque l’entrepreneur indique dans le contrat un [TAEG] inférieur à la réalité, ce procédé de l’entrepreneur vis-à-vis du consommateur peut être considéré comme une pratique commerciale déloyale? La directive 2005/29 […] admet-elle, en présence d’une pratique commerciale déloyale constatée, une quelconque incidence sur la validité du contrat de crédit et sur la réalisation de l’objectif des articles 4, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, si l’invalidité du contrat est plus avantageuse pour le consommateur?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux juridictions nationales de décider, dans le cas où elles constatent l’existence de clauses abusives dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, que ledit contrat dans son ensemble ne lie pas le consommateur au motif que cela est plus avantageux pour ce dernier.

27      Afin de répondre à cette question, il importe à titre liminaire de rappeler que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25; du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, Rec. p. I‑4713, point 22, et du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 29).

28      Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 oblige les États membres à prévoir que les clauses abusives «ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux». Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts Mostaza Claro, précité, point 36; Asturcom Telecomunicaciones, précité, point 30, et du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, non encore publié au Recueil, point 47).

29      En ce qui concerne l’incidence d’une constatation du caractère abusif des clauses contractuelles sur la validité du contrat concerné, il importe de souligner que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, in fine, de la directive 93/13, ledit «contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives».

30      Dans ce contexte, les juridictions nationales qui constatent le caractère abusif des clauses contractuelles sont tenues, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’une part, de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national, afin que le consommateur ne soit pas lié par lesdites clauses (voir arrêt Asturcom Telecomunicaciones, précité, points 58 et 59, ainsi que ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovosť, C‑76/10, non encore publiée au Recueil, point 62), et, d’autre part, d’apprécier si le contrat concerné peut subsister sans ces clauses abusives (voir ordonnance Pohotovosť, précitée, point 61).

31      En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt et que l’a relevé Mme l’avocat général au point 63 de ses conclusions, l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union dans le cadre de la directive 93/13 consiste à rétablir l’équilibre entre les parties, tout en maintenant, en principe, la validité de l’ensemble d’un contrat, et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives.

32      S’agissant des critères qui permettent d’apprécier si un contrat peut effectivement subsister sans les clauses abusives, il y a lieu de relever que tant le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les exigences relatives à la sécurité juridique des activités économiques militent en faveur d’une approche objective lors de l’interprétation de cette disposition de sorte que, comme l’a relevé Mme l’avocat général au points 66 à 68 de ses conclusions, la situation de l’une des parties au contrat, en l’occurrence le consommateur, ne saurait être considérée comme le critère déterminant réglant le sort futur du contrat.

33      Par conséquent, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi puisse se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux, pour le consommateur, de l’annulation dudit contrat dans son ensemble.

34      Cela étant établi, il importe néanmoins de relever que la directive 93/13 n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, tout en reconnaissant aux États membres la possibilité d’assurer au consommateur un niveau de protection plus élevé que celui qu’elle prévoit. Ainsi, l’article 8 de ladite directive prévoit expressément la possibilité pour les États membres d’«adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur» (voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C‑484/08, Rec. p. I‑4785, points 28 et 29).

35      Par conséquent, la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, une réglementation nationale permettant de déclarer nul dans son ensemble un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur et contenant une ou plusieurs clauses abusives lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

36      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble. Ladite directive ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

Sur la seconde question

37      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’indication dans un contrat de crédit à la consommation d’un TAEG inférieur à la réalité est susceptible d’être considérée comme une pratique commerciale déloyale, au sens de la directive 2005/29. En cas de réponse positive à cette question, la Cour est interrogée sur les conséquences qu’il convient de tirer d’une telle constatation aux fins d’apprécier le caractère abusif des clauses de ce contrat, au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, ainsi que la validité dudit contrat dans son ensemble, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette dernière directive.

38      Afin de répondre à cette question, il convient, tout d’abord, de rappeler que l’article 2, sous d), de la directive 2005/29 définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de «pratique commerciale» comme «toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs» (arrêts du 14 janvier 2010, Plus Warenhandelsgesellschaft, C-304/08, Rec. p. I-217, point 36, et du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C‑540/08, non encore publié au Recueil, point 17).

39      Ensuite, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2005/29, lu en combinaison avec l’article 2, sous c), de celle-ci, cette directive s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs avant, pendant ou après une transaction commerciale portant sur tout bien ou service. Conformément à l’article 5, paragraphe 4, de ladite directive, sont déloyales, en particulier, les pratiques trompeuses.

40      Enfin, ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29, une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects énumérés à cet article 6, point 1, et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Parmi les aspects qui sont visés par cette disposition figure, notamment, le prix ou le mode de calcul du prix.

41      Or, une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un TAEG inférieur à la réalité constitue une information fausse quant au coût total du crédit et, partant, au prix visé à l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2005/29. Dès lors que l’indication d’un tel TAEG amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, cette information fausse doit être qualifiée de pratique commerciale «trompeuse», au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

42      S’agissant de l’incidence de cette constatation sur l’appréciation du caractère abusif des clauses dudit contrat, au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, il y a lieu de relever que cette disposition définit de façon particulièrement large les critères permettant d’effectuer une telle appréciation, en englobant expressément «toutes les circonstances» qui entourent la conclusion du contrat concerné.

43      Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocat général au point 125 de ses conclusions, la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13.

44      Cet élément n’est cependant pas de nature à établir automatiquement et à lui seul le caractère abusif des clauses litigieuses. En effet, il appartient à la juridiction de renvoi de se prononcer sur l’application des critères généraux énoncés aux articles 3 et 4 de la directive 93/13 à une clause particulière qui doit être examinée en fonction de toutes les circonstances propres au cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02, Rec. p. I-3403, points 19 à 22; Pannon GSM, précité, points 37 à 43; VB Pénzügyi Lízing, précité, points 42 et 43, ainsi que ordonnance Pohotovosť, précitée, points 56 à 60).

45      En ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation selon laquelle l’indication erronée du TAEG constitue une pratique commerciale déloyale aux fins de l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat concerné dans son ensemble, il suffit de relever que la directive 2005/29 s’applique sans préjudice, conformément à son article 3, paragraphe 2, du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats.

46      Par conséquent, la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale n’a pas d’incidences directes sur la question de savoir si le contrat est valide au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question qu’une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un TAEG inférieur à la réalité doit être qualifiée de «trompeuse», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29, pour autant qu’elle amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Il appartient au juge national de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal. La constatation du caractère déloyal d’une telle pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur. Une telle constatation n’a cependant pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu. Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble. Ladite directive ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

2)      Une pratique commerciale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à indiquer dans un contrat de crédit un taux annuel effectif global inférieur à la réalité doit être qualifiée de «trompeuse», au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales»), pour autant qu’elle amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Il appartient au juge national de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal. La constatation du caractère déloyal d’une telle pratique commerciale constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur. Une telle constatation n’a cependant pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue120315.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, subsistance du contrat sans les clauses qualifiées d’abusives, impossibilité de se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble.

Résumé : L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi ne saurait se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble.

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, subsistance du contrat sans les clauses qualifiées d’abusives, possibilité pour un Etat membre de prévoir qu’un contrat contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, ne s’oppose pas, cependant, à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, pratique commerciale déloyale, élément sur lequel le juge peut fonder son appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat.

Résumé : La constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale est un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur.

ANALYSE 4

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, pratique commerciale déloyale, absence d’incidence directe sur l’appréciation du caractére éventuellement abusif d’une clause.

Résumé : Le constat du caractère déloyal d’une pratique commerciale n’a pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu.

 

Dans l’affaire C‑137/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Budapesti II. és III. kerületi bíróság (Hongrie), par décision du 27 mars 2008, parvenue à la Cour le 7 avril 2008, dans la procédure

VB…

contre

F…

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts et J.-C. Bonichot, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. M. Ilešič, J. Malenovský, U. Lõhmus, E. Levits, A. Ó Caoimh, L. Bay Larsen et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour le gouvernement hongrois, par Mmes J. Fazekas, R. Somssich et K. Borvölgyi ainsi que M. M. Fehér, en qualité d’agents,

– pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. M. Collins, S C,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Báscones, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. M. Wissels, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. S. Ossowski et L. Seeboruth, en qualité d’agents, ainsi que par M. T. de la Mare, barrister,

– pour la Commission européenne, par MM. B. D. Simon et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2010,

rend le présent Arrêt

1/ La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VB…  à M. S… au sujet d’une demande d’injonction de payer.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3/ L’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est libellé comme suit:

«Dans les cas visés à l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour de justice est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale. Cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause, aux États membres et à la Commission ainsi qu’à l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée.

Dans un délai de deux mois à compter de cette dernière notification, les parties, les États membres, la Commission et, le cas échéant, l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou observations écrites.

[…]».

4/ La directive a pour objet, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, de «rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur».

5/ L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive dispose:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[…]»

6/ L’article 3, paragraphe 3, de la directive fait référence à l’annexe de celle-ci qui contient une «liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives». Le point 1 de cette annexe vise les «[c]lauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur […]».

7 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8/ L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive énonce:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.»

Le droit national

9/ À la date des faits au principal, étaient applicables le code civil, dans sa version résultant de la loi n° III de 2006, et le décret gouvernemental n° 18/1999 relatif aux clauses à considérer comme étant abusives dans les contrats conclus avec un consommateur.

10/ Conformément à l’article 209/A, paragraphe 2, du code civil, dans un contrat conclu avec un consommateur, une clause abusive qui est établie soit en tant que clause contractuelle générale, soit par avance et unilatéralement par le cocontractant du consommateur sans que cette clause ait été négociée individuellement, est nulle.

11/ Le décret gouvernemental n° 18/1999 classe les clauses contractuelles en deux catégories. Relèvent de la première catégorie les clauses contractuelles dont l’utilisation dans les contrats conclus avec les consommateurs est interdite et qui sont, en conséquence, nulles de plein droit. La seconde catégorie regroupe les clauses réputées abusives jusqu’à ce que la preuve contraire ait été apportée, l’auteur d’une telle clause pouvant renverser cette présomption.

12/ L’article 155/A, paragraphe 2, de la loi relative à la procédure civile dispose:

«Le tribunal décide de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle par ordonnance et sursoit simultanément à statuer. Le tribunal formule dans son ordonnance la question soumise à la Cour de justice en vue d’obtenir une décision à titre préjudiciel et communique les faits et la législation hongroise pertinents dans la mesure nécessaire pour permettre à la Cour de répondre à la question posée. Le tribunal notifie son ordonnance à la Cour de justice et l’envoie simultanément, pour information, au ministre ayant la Justice dans ses attributions.»

13/ Selon l’article 164, paragraphe 1, de ladite loi, la preuve des éléments de fait nécessaires pour trancher le litige incombe, en règle générale, à la partie qui a intérêt à ce que la juridiction les accepte comme avérés. Le paragraphe 2 du même article prévoit que la juridiction peut ordonner d’office des mesures d’instruction si la loi le permet.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Le 14 avril 2006, les parties au principal ont conclu un contrat de prêt destiné à financer l’achat d’une voiture.

15/ Lorsque M. S… n’a plus respecté ses obligations contractuelles, VB… a résilié ce contrat de prêt et a saisi la juridiction de renvoi afin d’obtenir le remboursement d’une créance s’élevant à 317 404 HUF ainsi que le paiement des intérêts échus sur le montant impayé et des frais.

16/ VB… n’a pas présenté sa demande d’injonction de payer devant la juridiction compétente dans le ressort de laquelle M. S… a sa résidence, mais s’est prévalue de la clause attributive de compétence juridictionnelle insérée dans ledit contrat de prêt qui soumet un éventuel litige entre les parties à la compétence de la juridiction de renvoi.

17/ L’injonction sollicitée a été prononcée dans le cadre d’une procédure dite «gracieuse», qui ne requiert pas que la juridiction concernée tienne une audience ou entende la partie adverse. Lors de l’adoption de cette injonction, la juridiction de renvoi ne s’est pas interrogée sur sa compétence territoriale non plus que sur la clause attributive de compétence juridictionnelle figurant dans le contrat de prêt.

18/ M. S… a formé une opposition contre cette injonction de payer devant la juridiction de renvoi, sans toutefois préciser les motifs de cette opposition. Cette dernière a eu pour conséquence juridique de rendre la procédure contradictoire, celle-ci se déroulant alors conformément aux dispositions du droit commun de la procédure civile.

19/ Ladite juridiction a constaté que M. S… n’avait pas sa résidence dans son ressort territorial, alors que les règles de procédure civile prévoient que la juridiction territorialement compétente pour connaître d’un litige tel que celui dont elle est saisie est celle dans le ressort de laquelle se trouve la résidence de la partie défenderesse.

20/ Dans ces conditions, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) La protection garantie aux consommateurs par la directive […] nécessite-t-elle de la part du juge national que celui-ci se prononce d’office, même en l’absence de demande à cette fin – et quel que soit le caractère, contentieux ou gracieux, de la procédure –, sur le caractère abusif d’une clause contractuelle invoquée devant lui, dans le cadre de l’examen de sa propre compétence territoriale?

2) Dans la mesure où la première question appelle une réponse affirmative, quels sont les critères que le juge national peut prendre en considération dans le cadre de cet examen, en particulier lorsqu’une clause contractuelle prévoit la compétence territoriale non pas des tribunaux dans le ressort desquels se trouve le siège du professionnel, mais de tribunaux d’un ressort différent, bien qu’ils se trouvent à proximité de ce siège?

3) L’article 23, premier alinéa, du [statut de la Cour], exclut-il la possibilité pour le juge national qui engage une procédure préjudicielle d’en informer aussi d’office, simultanément, le ministre ayant, dans son propre État membre, la Justice dans ses attributions?»

La procédure devant la Cour

21/ Par décision du président de la Cour du 13 février 2009, le traitement de l’affaire a été suspendu dans l’attente du prononcé de l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, Rec. p. I-4713).

22/ Par suite du prononcé dudit arrêt, la juridiction de renvoi a, le 2 juillet 2009, fait savoir à la Cour qu’elle considérait qu’il n’était plus nécessaire que la Cour réponde aux première et deuxième des questions posées dans sa décision du 27 mars 2008. En revanche, cette juridiction a indiqué qu’elle souhaitait toujours obtenir une réponse à la troisième question.

23/ En outre, ladite juridiction s’interroge sur le rôle de la Cour lorsqu’il s’agit de garantir l’application uniforme, dans tous les États membres, du niveau de protection des droits des consommateurs prescrit par la directive. À cet égard, elle déclare déduire des points 34 et 35 de l’arrêt Pannon GSM, précité, que les caractéristiques spécifiques de la procédure juridictionnelle qui se déroule dans le cadre du droit national entre le professionnel et le consommateur ne sauraient constituer un critère susceptible d’affecter la protection juridique dont doit bénéficier le consommateur en vertu des dispositions de la directive. Il résulterait notamment de ces points 34 et 35/ que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

24/ Or, de l’avis de la juridiction de renvoi, les indications données par la Cour dans les points pertinents de l’arrêt Pannon GSM, précité, ne permettraient pas de trancher la question de savoir si le juge national ne peut examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle que lorsqu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ou si, au contraire, l’examen d’office de ce caractère abusif implique également que, dans le cadre de celui-ci, le juge national est tenu d’établir d’office les éléments de fait et de droit nécessaires audit examen.

25/ Eu égard à ces considérations, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes à titre complémentaire:

«1) La compétence de la Cour prévue à l’article [267 TFUE] inclut-elle celle d’interpréter la notion de «clause abusive» visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive […], ainsi que les clauses énumérées dans l’annexe de cette directive?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la demande de décision préjudicielle sollicitant une telle interprétation peut-elle – dans l’intérêt d’une application uniforme pour tous les États membres du niveau de protection des droits des consommateurs garanti par la directive […] – porter sur la question de savoir de quels aspects le juge national peut ou doit tenir compte en cas d’application à une clause individuelle particulière des critères généraux fixés dans la directive?

3) Si le juge national, alors que les parties au litige n’ont formulé aucune demande à cet effet, remarque lui-même le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, peut-il procéder à une instruction d’office en vue de l’établissement des éléments de fait et de droit nécessaires à cette appréciation dans le cas où le droit procédural national n’autorise celle-ci que si les parties le demandent?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la troisième question posée initialement

26/ Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour s’oppose à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant la Justice dans ses attributions.

27/ À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour, qui prévoit que la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale et que cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour, entre autres et selon le cas, aux parties en cause, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’à d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ne comporte aucune indication relative à d’autres mesures d’information susceptibles d’être prises par la juridiction nationale dans le cadre de sa décision de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

28/ Afin de répondre à la question posée, il convient de souligner que le système instauré à l’article 267 TFUE en vue d’assurer l’unité de l’interprétation du droit de l’Union dans les États membres institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure étrangère à toute initiative des parties (voir arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 31; du 12 février 2008, Kempter, C‑2/06, Rec. p. I‑411, point 41, et du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 90).

29/ En effet, le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi (voir arrêts précités Kempter, point 42, et Cartesio, point 91).

30/ Compte tenu de ces principes qui sous-tendent le mécanisme préjudiciel et eu égard à la question posée, il importe de déterminer si l’obligation d’information dont il s’agit est susceptible d’avoir une incidence sur les facultés dont sont dotées les juridictions nationales en vertu de l’article 267 TFUE.

31/ À cet égard, il n’apparaît pas qu’une obligation telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme une ingérence dans le mécanisme de dialogue juridictionnel instauré à l’article 267 TFUE.

32/ En effet, l’obligation faite aux juridictions nationales de l’État membre concerné d’informer le ministre de la Justice au moment de la transmission de la décision de renvoi à la Cour ne constitue pas une condition d’un tel renvoi. Ainsi, elle ne saurait avoir d’incidence sur le droit desdites juridictions d’introduire une demande de décision préjudicielle ni porter atteinte aux prérogatives qui sont conférées à celles-ci en vertu de l’article 267 TFUE.

33/ Par ailleurs, il n’apparaît pas qu’une éventuelle violation de cette obligation d’information emporte des conséquences juridiques susceptibles d’empiéter sur la procédure prévue à l’article 267 TFUE.

34/ En outre, et ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 74 de ses conclusions, aucun indice n’a été avancé, dont il pourrait être inféré que, en raison de l’obligation d’information dont il s’agit, les juridictions nationales de l’État membre concerné pourraient être dissuadées de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

35/ Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la troisième question posée initialement que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

Sur les première et deuxième questions posées à titre complémentaire

36/ Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de cette dernière, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive.

37/ Afin de répondre auxdites questions, il convient de rappeler que la procédure instaurée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher, C‑231/89, Rec. p. I‑4003, point 18, et du 12 mars 1998, Djabali, C‑314/96, Rec. p. I‑1149, point 17).

38 En ce qui concerne les dispositions du droit de l’Union susceptibles de faire l’objet d’un arrêt de la Cour en vertu de l’article 267 TFUE, il convient de rappeler que cette dernière est compétente pour statuer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union sans exception aucune (voir arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, Rec. p. 4407, point 8, et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, Rec. p. I‑4285, points 35 et 36).

39/ Par conséquent, et s’agissant d’une réglementation relevant du droit de l’Union, la Cour peut être appelée par une juridiction nationale à interpréter les notions figurant dans un instrument de droit dérivé, telles que la notion de «clause abusive» visée par la directive et son annexe.

40/ À cet égard, la Cour a jugé que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles auxquelles les dispositions de la directive s’appliquent (voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C‑484/08, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).

41/ Par ailleurs, une question semblable a été soulevée dans le cadre du renvoi préjudiciel qui a donné lieu à l’arrêt Pannon GSM, précité, en ce sens que, dans l’affaire à l’origine de cet arrêt, la juridiction de renvoi demandait à la Cour de lui fournir des indications relatives aux éléments que le juge national doit considérer afin d’apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle.

42/ À cet égard, la Cour, aux points 37 à 39 dudit arrêt, a relevé que l’article 3 de la directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, que l’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives et que, selon l’article 4 de la directive, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion.

43/ Dans ces conditions, la Cour, dans la réponse qu’elle a apportée à ladite question, a précisé qu’il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle réunit les critères requis pour être qualifiée d’«abusive», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, et que, ce faisant, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive (voir arrêt Pannon GSM, précité, point 44).

44/ Il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions posées à titre complémentaire que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

Sur la troisième question posée à titre complémentaire

45/ Par cette question, qui est libellée dans des termes très généraux, la juridiction de renvoi cherche à déterminer les responsabilités qui lui incombent, en vertu des dispositions de la directive, à partir du moment où cette dernière s’interroge sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive. Ladite juridiction demande notamment si, dans une telle situation, le juge national a l’obligation de procéder à une instruction d’office afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires aux fins d’apprécier l’existence d’une telle clause, dans le cas où le droit national ne prévoit une telle instruction que si l’une des parties le demande.

46/ Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25, ainsi que du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 29).

47/ La Cour a également jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts précités Mostaza Claro, point 36, et Asturcom Telecomunicaciones, point 30).

48/ Afin d’assurer la protection voulue par la directive, la Cour a souligné que la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, Mostaza Claro; point 26, ainsi que Asturcom Telecomunicaciones, point 31).

49/ Ainsi, dans le cadre des fonctions qui lui incombent en vertu des dispositions de la directive, le juge national doit vérifier si une clause du contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi entre dans le champ d’application de cette directive. Dans l’affirmative, ledit juge est tenu d’apprécier, au besoin d’office, cette clause au regard des exigences de protection du consommateur prévues par ladite directive.

50/ En ce qui concerne le premier stade de l’examen devant être effectué par le juge national, il ressort des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la directive que cette dernière s’applique à toute clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

51/ Afin de garantir l’efficacité de la protection des consommateurs voulue par le législateur de l’Union, le juge national doit donc, dans tous les cas et quelles que soient les règles de droit interne, déterminer si la clause litigieuse a fait ou non l’objet d’une négociation individuelle entre un professionnel et un consommateur.

52/ S’agissant du second stade dudit examen, il y a lieu de constater que la clause du contrat qui fait l’objet du litige au principal prévoit, ainsi que l’a indiqué le juge de renvoi, la compétence territoriale exclusive d’une juridiction qui n’est pas la juridiction dans le ressort de laquelle la partie défenderesse a sa résidence ni celle dans le ressort de laquelle se trouve le siège de la partie requérante, mais celle qui est située à proximité du siège de cette dernière tant sur le plan géographique que du point de vue des possibilités de transport.

53/ En ce qui concerne une clause qui avait été insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel et qui conférait une compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel était situé le siège du professionnel, la Cour a jugé, au point 24 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, qu’une telle clause devait être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

54/ Il convient de relever que la clause au sujet de laquelle le juge national s’interroge dans l’affaire au principal, à l’instar d’une clause qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive (voir arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 22).

55/ En outre, une telle clause attributive de juridiction exclusive permet au professionnel de regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle devant une juridiction unique, qui n’est pas celle du ressort du consommateur, ce qui tout à la fois facilite l’organisation de la comparution dudit professionnel et rend cette dernière moins onéreuse (voir, en ce sens, arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 23).

56/ Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question posée à titre complémentaire que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

Sur les dépens

57/ La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

2) L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

3) Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue101109.htm

ANALYSE 1

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, renvoi préjudiciel, information par la juridiction du ministre ayant la Justice dans ses attributions, oui.

Résumé : L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions

ANALYSE 2

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, compétences réciproques de la CJUE et du juge national.

Résumé : L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de «clause abusive», visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

ANALYSE 3

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, clause attributive de compétence, mesures d’instruction prises par le juge national.

Résumé : Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

Dans l’affaire C‑484/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 20 octobre 2008, parvenue à la Cour le 10 novembre 2008, dans la procédure

C…

contre

A…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, faisant fonction de président de la première chambre, M. E. Levits, Mme C. Toader, MM. M. Ilešič et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2009,

considérant les observations présentées:

– pour C…, par Me M. Merola, avvocato, et Me J. Cadarso Palau, abogado,

– pour l’A…, par Mme M. J. Rodríguez Teijeiro, procuradora, ainsi que par Mes L. Pineda Salido et M. Mateos Ferres, abogados,

– pour le gouvernement espagnol, par MM. J. López-Medel Bascones et M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes H. Almeida et P. Contreiras, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Gippini Fournier et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant C… à l’A… au sujet de la légalité d’une clause introduite par C… dans les contrats de prêt à taux d’intérêt variable conclus avec ses clients et destinés à l’achat de logements.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3 Les douzième et dix-neuvième considérants de la directive énoncent:

«considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la […] directive; qu’il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité [CEE], d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la […] directive;

[…]

considérant que, pour les besoins de la […] directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation; que l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses […]»

4 L’article 3 de la directive prévoit:

«1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

5 L’article 4 de la directive est rédigé dans les termes suivants:

«1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

6 L’article 8 de la directive dispose:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.»

La réglementation nationale

7 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984).

8 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998), qui a transposé la directive en droit interne.

9 Toutefois, la loi 7/1998 n’a pas transposé l’article 4, paragraphe 2, de la directive en droit interne.

Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

10 Il ressort de la décision de renvoi que les contrats de prêt à taux d’intérêt variable destinés à l’achat de logements conclus entre C… et ses clients contiennent une clause écrite, introduite préalablement dans un contrat type, en vertu de laquelle le taux d’intérêt nominal prévu par le contrat, variable périodiquement conformément à l’indice de référence convenu, doit être arrondi, à partir de la première révision, au quart de point de pourcentage supérieur (ci-après la «clause d’arrondissement»).

11 Le 28 juillet 2000, l’A… a introduit un recours tendant, notamment, à obtenir de la part de C… la suppression de la clause d’arrondissement desdits contrats de prêt ainsi que la cessation de son utilisation pour l’avenir. Par jugement du 11 septembre 2001, le Juzgado de Primera Instancia de Madrid a accueilli le recours, estimant que la clause d’arrondissement était abusive et donc nulle, conformément à la législation nationale ayant transposé la directive.

12 C… a interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Madrid qui, le 10 octobre 2002, a rendu un arrêt confirmant le jugement de première instance.

13 Le 27 novembre 2002, C… s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo.

14 Selon le Tribunal Supremo, la clause d’arrondissement est susceptible de constituer un élément essentiel d’un contrat de prêt bancaire, tel que celui en cause au principal. Or, étant donné que l’article 4, paragraphe 2, de la directive exclurait que l’appréciation du caractère abusif porte sur une clause concernant, notamment, l’objet du contrat, une clause telle que celle en cause au principal ne pourrait, en principe, faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif.

15 Toutefois, le Tribunal Supremo relève également que, le Royaume d’Espagne n’ayant pas transposé dans son ordre juridique ledit article 4, paragraphe 2, la législation espagnole soumet le contrat tout entier à une telle appréciation.

16 C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 8 de la [directive] doit‑il être interprété en ce sens qu’un État membre peut prévoir dans sa législation, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses que l’article 4, paragraphe 2, de la [directive] exclut dudit contrôle?

2) En conséquence, les dispositions combinées des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la [directive] s’opposent‑elles à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses portant sur ‘la définition de l’objet principal du contrat’ ou sur ‘l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part’, même si lesdites clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible?

3) Une interprétation des articles 8 et 4, paragraphe 2, de la [directive] permettant à un État membre de procéder à un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses figurant dans les contrats conclus par les consommateurs et rédigées de façon claire et compréhensible, qui définissent l’objet principal du contrat ou l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, est‑elle compatible avec les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

17 L’A…, le gouvernement espagnol et la Commission des Communautés européennes contestent la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif qu’elle ne serait pas utile aux fins de la solution du litige dont la juridiction de renvoi est saisie. À cet égard, ils font valoir que la clause d’arrondissement en cause au principal ne porterait pas sur l’objet principal du contrat en question, mais constituerait un élément accessoire de celui-ci, de sorte que l’article 4, paragraphe 2, de la directive ne serait pas applicable au litige au principal.

18 À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêts du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 33; du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 43, ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, points 27 et 32).

19 Ainsi, bien que la Cour ait également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21, et du 19 novembre 2009, Filipiak, C‑314/08, non encore publié au Recueil, point 41), le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible, notamment, que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (voir arrêts du 5 décembre 1996, Reisdorf, C‑85/95, Rec. p. I‑6257, point 16, et du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C‑567/07, non encore publié au Recueil, point 43).

20 Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

21 En effet, dans sa décision de renvoi, le Tribunal Supremo s’interroge sur la portée des obligations qui incombent aux États membres en vertu de la directive, en ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel du caractère abusif de certaines clauses contractuelles qui, de l’avis du même Tribunal Supremo, relèveraient de l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

22 Bien que cette appréciation du Tribunal Supremo ne soit pas partagée par toutes les parties, il n’apparaît pas, à tout le moins de manière manifeste, que ladite disposition de la directive ne puisse pas trouver à s’appliquer dans l’affaire au principal.

23 Dans ces conditions, force est de constater que la Cour est compétente pour se prononcer sur les questions préjudicielles qui lui sont soumises par la juridiction de renvoi, et que, dès lors, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.

Sur le fond

Sur les première et deuxième questions

24 Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive s’opposent à ce qu’un État membre prévoie dans son ordre juridique, au bénéfice des consommateurs, un contrôle du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

25 C… soutient que l’article 8 de la directive ne permet pas aux États membres d’introduire, par le biais de mesures de transposition, ou de maintenir, en cas d’absence de telles mesures, une réglementation nationale contraire à l’article 4, paragraphe 2, de la directive. En effet, cette disposition délimiterait de manière contraignante le champ d’application du système de protection prévu par la directive, en excluant ainsi toute possibilité pour les États membres d’y déroger, même afin de prévoir une réglementation nationale plus favorable aux consommateurs.

26 En revanche, les autres intéressés ayant présenté des observations font valoir que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive ne s’opposent pas à une telle possibilité. En effet, ils estiment que l’adoption ou le maintien d’une pareille réglementation nationale relèverait de la faculté des États membres d’instituer, dans le domaine régi par la directive, des mécanismes plus stricts de protection des consommateurs.

27 Afin de répondre aux questions posées, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).

28 Néanmoins, comme l’indique expressément le douzième considérant de la directive, cette dernière n’a procédé qu’à une harmonisation partielle et minimale des législations nationales relatives aux clauses abusives, tout en reconnaissant aux États membres la possibilité d’assurer au consommateur un niveau de protection plus élevé que celui qu’elle prévoit.

29 Ainsi, l’article 8 de la directive prévoit formellement la possibilité pour les États membres d’«adopter ou [de] maintenir, dans le domaine régi par la […] directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur».

30 Il s’agit dès lors de vérifier si la portée de l’article 8 de la directive s’étend à l’ensemble du domaine régi par cette dernière et, par conséquent, à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, ou bien si, comme le soutient C…, cette dernière disposition est exclue du champ d’application dudit article 8.

31 Or, à cet égard, il y a lieu de constater que l’article 4, paragraphe 2, de la directive prévoit uniquement que «l’appréciation du caractère abusif» ne porte pas sur les clauses visées à cette disposition, pour autant que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

32 Il découle donc des termes mêmes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive que cette disposition, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 74 de ses conclusions, ne saurait être considérée comme fixant le champ d’application matériel de la directive. Au contraire, les clauses visées audit article 4, paragraphe 2, tout en relevant du domaine régi par la directive, échappent seulement à l’appréciation de leur caractère abusif, dans la mesure où la juridiction nationale compétente devait estimer, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’elles ont été rédigées par le professionnel de façon claire et compréhensible.

33 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles soumises aux dispositions de la directive (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 2002, Commission/Suède, C‑478/99, Rec. p. I‑4147, points 11 et 17, ainsi que du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C‑237/02, Rec. p. I‑3403, points 18, 19 et 21).

34 Dans cette même perspective, l’article 4, paragraphe 2, de la directive vise pour sa part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 75 de ses conclusions, uniquement à établir les modalités et l’étendue du contrôle de fond des clauses contractuelles, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui décrivent les prestations essentielles des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

35 Il s’ensuit que les clauses visées à cet article 4, paragraphe 2, relèvent bien du domaine régi par la directive et que, partant, l’article 8 de celle‑ci s’applique également audit article 4, paragraphe 2.

36 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de C… selon lesquels, ainsi qu’il ressortirait notamment de l’arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas (C‑144/99, Rec. p. I‑3541), l’article 4, paragraphe 2, de la directive aurait un caractère impératif et contraignant pour les États membres, de sorte que ceux-ci ne pourraient pas invoquer l’article 8 de la directive pour adopter ou maintenir dans leurs ordres juridiques internes des dispositions susceptibles d’en modifier la portée.

37 À cet égard, il suffit de relever que ces arguments découlent d’une lecture erronée dudit arrêt. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le Royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive non pas pour ne pas avoir transposé l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, mais uniquement pour en avoir assuré une transposition incomplète, de sorte que la réglementation nationale en cause n’était pas en mesure d’atteindre les résultats voulus par cette disposition.

38 En effet, ladite réglementation excluait toute possibilité de contrôle juridictionnel des clauses décrivant les prestations essentielles dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, même lorsque la rédaction de ces clauses était obscure et ambiguë, de sorte que le consommateur était empêché de manière absolue de faire valoir le caractère abusif d’une clause portant sur la définition de l’objet principal du contrat et sur l’adéquation entre le prix et les services ou les biens à fournir.

39 Il ne peut, par conséquent, être aucunement déduit de l’arrêt Commission/Pays-Bas, précité, que la Cour aurait considéré que l’article 4, paragraphe 2, de la directive constituait une disposition impérative et contraignante, devant être obligatoirement transposée en tant que telle par les États membres. Au contraire, la Cour s’est limitée à juger que, afin de garantir concrètement les objectifs de protection des consommateurs poursuivis par la directive, toute transposition dudit article 4, paragraphe 2, devait être complète, de sorte que l’interdiction d’apprécier le caractère abusif des clauses porte uniquement sur celles qui sont rédigées de façon claire et compréhensible.

40 Il découle de tout ce qui précède que les États membres ne sauraient être empêchés de maintenir ou d’adopter, dans l’ensemble du domaine régi par la directive, y compris l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, des règles plus strictes que celles prévues par la directive elle-même, pourvu qu’elles visent à assurer un niveau de protection plus élevé des consommateurs.

41 Or, s’agissant de la réglementation espagnole en cause au principal, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, la loi 7/1998 n’a pas transposé en droit interne l’article 4, paragraphe 2, de la directive.

42 Il s’ensuit que, dans l’ordre juridique espagnol, ainsi que le relève le Tribunal Supremo, une juridiction nationale peut en toutes circonstances apprécier, dans le cadre d’un litige concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, le caractère abusif d’une clause n’ayant pas été individuellement négociée, qui porte notamment sur l’objet principal dudit contrat, même dans les hypothèses où cette clause a été rédigée préalablement par le professionnel de façon claire et compréhensible.

43 Dans ces conditions, force est de constater que, en autorisant la possibilité d’un contrôle juridictionnel complet du caractère abusif des clauses, telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, prévues par un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, la réglementation espagnole en cause au principal permet d’assurer au consommateur, conformément à l’article 8 de la directive, un niveau de protection effective plus élevé que celui établi par celle-ci.

44 À la lumière de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions que les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Sur la troisième question

45 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE s’opposent à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

46 Or, s’agissant des articles 2 CE et 4, paragraphe 1, CE, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante, ces dispositions énoncent des objectifs et des principes généraux qui sont appliqués nécessairement en combinaison avec les chapitres respectifs du traité CE destinés à mettre en œuvre ces principes et objectifs. Elles ne sauraient donc à elles seules avoir pour effet de créer à la charge des États membres des obligations juridiques claires et inconditionnelles (voir, en ce sens, en ce qui concerne l’article 2 CE, arrêt du 24 janvier 1991, Alsthom Atlantique, C‑339/89, Rec. p. I‑107, point 9, et, s’agissant de l’article 4, paragraphe 1, CE, arrêt du 3 octobre 2000, Échirolles Distribution, C‑9/99, Rec. p. I‑8207, point 25).

47 De même, l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE ne saurait non plus produire à lui seul des obligations juridiques à la charge des États membres. En effet, cette disposition se borne à indiquer, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le clarifier, un objectif qui doit cependant être précisé dans d’autres dispositions du traité, notamment dans celles relatives aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 29, et Alsthom Atlantique, précité, point 10).

48 En outre, force est de constater que les indications figurant dans la décision de renvoi ne permettent pas à la Cour de délimiter clairement les dispositions du traité relatives aux règles de concurrence dont l’interprétation serait utile à la solution du litige au principal.

49 À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la troisième question que les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1) Les articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

2) Les articles 2 CE, 3, paragraphe 1, sous g), CE et 4, paragraphe 1, CE ne s’opposent pas à une interprétation des articles 4, paragraphe 2, et 8 de la directive 93/13 selon laquelle les États membres peuvent adopter une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjue100603.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, réglementation nationale autorisant un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, oui.

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 (art. 4, paragraphe 2, et 8) ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui autorise un contrôle juridictionnel du caractère abusif des clauses contractuelles portant sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, même si ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible.

Dans l’affaire C‑40/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao (Espagne), par décision du 29 janvier 2008, parvenue à la Cour le 5 février 2008, dans la procédure

A…

contre

N…,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano (rapporteur), E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour A…, par Mes P. Calderón Plaza et P. García Ibaceta, abogados,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hongrois, par Mmes K. Veres et R. Somssich ainsi que par M. M. Fehér, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 mai 2009,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive opposant A… à Mme N… au sujet du paiement de sommes dues en exécution d’un contrat d’abonnement de téléphonie mobile que ladite société avait conclu avec cette dernière.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

4 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

5 L’annexe de la même directive comporte une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives. Au nombre de celles-ci figurent, au point 1, sous q), de cette annexe, les clauses qui ont pour objet ou pour effet «de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat».

La législation nationale

6 En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a d’abord été assurée par la loi générale 26/1984 relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi 26/1984»).

7 La loi 26/1984 a été modifiée par la loi 7/1998 relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre Condiciones Generales de la Contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi 7/1998»), qui a transposé la directive 93/13 dans le droit interne.

8 La loi 7/1998 a notamment ajouté à la loi 26/1984 un article 10 bis, lequel prévoit, à son paragraphe 1, que «[s]ont considérées comme clauses abusives toutes les dispositions n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. En tout état de cause, sont considérées comme clauses abusives les dispositions énoncées dans la première disposition additionnelle de la présente loi. […]».

9 L’article 8 de la loi 7/1998 dispose:

«1. Sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi ou de toute autre règle impérative ou prohibitive, à moins que celles-ci ne sanctionnent différemment leur violation.

2. En particulier, sont nulles les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur, telles qu’elles sont définies, en tout état de cause, par l’article 10 bis et la première disposition additionnelle de la loi générale 26/1984 […]»

10 À la date des faits au principal, la procédure d’arbitrage était régie par la loi 60/2003 relative à l’arbitrage (Ley 60/2003 de Arbitraje), du 23 décembre 2003 (BOE n° 309, du 26 décembre 2003, ci-après la «loi 60/2003»).

11 L’article 8, paragraphes 4 et 5, de la loi 60/2003 disposait:

«4. Le tribunal de première instance du lieu où la sentence a été rendue est compétent pour statuer sur l’exécution forcée de celle-ci, conformément à l’article 545, paragraphe 2, du code de procédure civile […]

5. Le recours en annulation de la sentence arbitrale est formé devant l’Audiencia Provincial du lieu où celle-ci a été prononcée.»

12 L’article 22, paragraphes 1 et 2, de ladite loi prévoyait:

«1. Les arbitres sont compétents pour statuer sur leur propre compétence, y compris sur les exceptions relatives à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage ou toute autre exception dont l’admission empêche l’examen au fond du litige. À cet effet, une convention d’arbitrage faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La décision des arbitres constatant la nullité du contrat n’emporte pas de plein droit la nullité de la convention d’arbitrage.

2. Les exceptions visées au paragraphe précédent doivent être soulevées au plus tard lors du dépôt des conclusions en défense, le fait pour une partie d’avoir désigné ou participé à la désignation des arbitres ne la privant pas du droit de soulever ces exceptions. L’exception prise de ce que la question litigieuse excéderait les pouvoirs des arbitres doit être soulevée dès que la question alléguée comme excédant leurs pouvoirs est soulevée pendant la procédure arbitrale.

Les arbitres ne peuvent admettre les exceptions soulevées ultérieurement que si le retard est justifié.»

13 L’article 40 de la même loi était libellé comme suit:

«Une sentence définitive peut faire l’objet d’une action en annulation, conformément aux dispositions du présent titre.»

14 L’article 41, paragraphe 1, de la loi 60/2003 énonçait:

«La sentence ne peut être annulée que lorsque la partie qui demande l’annulation allègue et prouve:

[…]

f) que la sentence est contraire à l’ordre public.

[…]»

15 Aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de ladite loi, le recours en annulation devait être formé dans les deux mois suivant la notification de la sentence arbitrale.

16 L’article 43 de la loi 60/2003 disposait:

«La sentence définitive produit les effets de l’autorité de la chose jugée et ne peut faire l’objet que d’un recours en révision, conformément aux dispositions du code de procédure civile applicables aux décisions définitives.»

17 L’article 44 de la même loi précisait:

«L’exécution forcée des sentences est régie par les dispositions du code de procédure civile et du présent titre.»

18 L’article 517, paragraphe 2, point 2, de la loi 1/2000 sur la procédure civile (Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, ci-après la «loi 1/2000»), dispose que sont susceptibles d’exécution forcée les sentences ou décisions arbitrales.

19 L’article 559, paragraphe 1, de la loi 1/2000 est libellé comme suit:

«La défenderesse à l’exécution peut également s’opposer à l’exécution pour les défauts de procédure suivants:

1. la défenderesse à l’exécution n’a pas le caractère ou la représentation visés dans la demande;

2. la requérante à l’exécution n’a pas la capacité ou la représentation ou n’a pas justifié avoir le caractère ou la représentation visés dans la demande;

3. nullité totale de l’ordonnance d’exécution parce que celle-ci ne contient pas la décision ou la sentence arbitrale prononçant la condamnation, le document présenté ne remplit pas les conditions légales requises pour être exécutoire, ou pour infraction, lors du traitement de l’exécution, aux dispositions de l’article 520 de la présente loi;

4. si le titre à exécuter est une sentence arbitrale non formalisée par notaire, le défaut d’authenticité de celle-ci.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

20 Le 24 mai 2004, un contrat d’abonnement de téléphonie mobile a été conclu entre A… et Mme N…. Ce contrat comportait une clause arbitrale soumettant tout litige afférent à l’exécution de ce contrat à l’arbitrage de l’Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d’arbitrage et d’amiable composition, ci-après l’«AEADE»). Le siège de cette instance arbitrale, qui n’était pas indiqué dans le contrat, se trouve à Bilbao.

21 Mme N… n’ayant pas acquitté certaines factures et ayant résilié le contrat avant le terme de la durée minimale d’abonnement convenue, A… a engagé à son encontre une procédure arbitrale devant l’AEADE.

22 La sentence arbitrale, rendue le 14 avril 2005, a condamné Mme N… au paiement de la somme de 669,60 euros.

23 Mme N… n’ayant introduit aucune action en annulation contre cette sentence arbitrale, celle-ci est devenue définitive.

24 Le 29 octobre 2007, A…  a saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao d’un recours en exécution forcée de ladite sentence arbitrale.

25 Dans sa décision de renvoi, cette juridiction constate que la clause d’arbitrage contenue dans le contrat d’abonnement présente un caractère abusif, eu égard, notamment, au motif que, tout d’abord, les frais que le consommateur devait exposer pour se déplacer au siège de l’instance arbitrale étaient supérieurs au montant de la somme faisant l’objet du litige au principal. Ensuite, selon la même juridiction, ce siège est situé à une distance importante du domicile du consommateur et n’est pas indiqué dans le contrat. Enfin, cette instance élabore elle-même les contrats qui sont ensuite utilisés par les entreprises de télécommunication.

26 Toutefois, la juridiction de renvoi relève également que, d’une part, la loi 60/2003 ne permet pas aux arbitres de soulever d’office la nullité des clauses d’arbitrage abusives et que, d’autre part, la loi 1/2000 ne prévoit aucune disposition concernant l’appréciation du caractère abusif des clauses d’arbitrage par le juge compétent pour statuer sur un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale devenue définitive.

27 Dans ces circonstances, nourrissant des doutes quant à la compatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire, notamment en ce qui concerne les règles procédurales internes, le Juzgado de Primera Instancia n° 4 de Bilbao a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La protection des consommateurs qu’assure la [directive 93/13] implique-t-elle que la juridiction saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive, rendue sans comparution du consommateur, apprécie d’office la nullité de la convention d’arbitrage et, par conséquent, annule la sentence au motif que ladite convention d’arbitrage comporte une clause d’arbitrage abusive au détriment du consommateur?»

Sur la question préjudicielle

28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue de relever d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ainsi que d’annuler ladite sentence.

29 Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler d’emblée que le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25, ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, Rec. p. I‑10421, point 25).

30 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêts Mostaza Claro, précité, point 36, et du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, non encore publié au Recueil, point 25).

31 Afin d’assurer la protection voulue par la directive 93/13, la Cour a également souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, ainsi que Mostaza Claro, point 26).

32 C’est à la lumière de ces principes que la Cour a ainsi jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle (arrêt Mostaza Claro, précité, point 38).

33 La présente affaire se distingue toutefois de celle ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, en ce que Mme N… est demeurée totalement passive au cours des différentes procédures afférentes au litige qui l’oppose à A…  et, en particulier, elle n’a pas introduit d’action tendant à obtenir l’annulation de la sentence arbitrale rendue par l’AEADE afin de contester le caractère abusif de la clause d’arbitrage, de sorte que cette sentence a désormais acquis la force de chose jugée.

34 Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si la nécessité de substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers oblige le juge de l’exécution à assurer une protection absolue au consommateur, et ce même en l’absence de toute action juridictionnelle introduite par ce dernier afin de faire valoir ses droits et nonobstant les règles procédurales nationales mettant en œuvre le principe de l’autorité de la chose jugée.

35 À cet égard, il importe de rappeler d’emblée l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée.

36 En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I‑10239, point 38; du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec. p. I‑2585, point 20, et du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub, C‑2/08, non encore publié au Recueil, point 22).

37 Par conséquent, selon la jurisprudence de la Cour, le droit communautaire n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même si cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, du droit communautaire par la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I‑3055, points 47 et 48; Kapferer, précité, point 21, ainsi que Fallimento Olimpiclub, précité, point 23).

38 En l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts précités Kapferer, point 22, et Fallimento Olimpiclub, point 24).

39 En ce qui concerne, en premier lieu, le principe d’effectivité, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14, et Fallimento Olimpiclub, précité, point 27).

40 En l’occurrence, la sentence arbitrale en cause au principal est devenue définitive en raison du fait que le consommateur concerné n’a pas introduit de recours en annulation contre cette sentence dans le délai prévu à cet effet.

41 À cet égard, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, Rec. p. 1989, point 5; du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 28, ainsi que du 12 février 2008, Kempter, C-2/06, Rec. p. I-411, point 58). En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 34).

42 Il convient dès lors de vérifier le caractère raisonnable d’un délai de deux mois, tel que celui prévu à l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, à l’expiration duquel, en l’absence de recours en annulation, une sentence arbitrale devient définitive et acquiert ainsi l’autorité de la chose jugée.

43 En l’occurrence, il y a lieu de constater, d’une part, que, comme la Cour l’a déjà jugé, un délai de recours de 60 jours n’est pas en soi critiquable (voir, en ce sens, arrêt Peterbroeck, précité, point 16).

44 En effet, un tel délai de forclusion présente un caractère raisonnable en ce sens qu’il permet tant d’évaluer s’il existe des motifs de contester une sentence arbitrale que, le cas échéant, de préparer le recours en annulation contre cette dernière. À cet égard, il importe de relever que, dans la présente affaire, il n’a nullement été soutenu que les règles de procédure nationales régissant l’introduction du recours en annulation d’une sentence arbitrale, et notamment le délai de deux mois imparti à cet effet, étaient déraisonnables.

45 D’autre part, il importe de préciser que, aux termes de l’article 41, paragraphe 4, de la loi 60/2003, le délai commence à courir à compter de la notification de la sentence arbitrale. Ainsi, dans l’affaire au principal, le consommateur ne saurait se trouver dans une situation où le délai de prescription commence à courir, voire est écoulé, sans même qu’il ait eu connaissance des effets de la clause d’arbitrage abusive à son égard.

46 Dans ces conditions, un tel délai de recours apparaît conforme au principe d’effectivité, dans la mesure où il n’est pas par lui-même de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2003, Santex, C‑327/00, Rec. p. I‑1877, point 55).

47 En tout état de cause, le respect du principe d’effectivité ne saurait aller, dans des circonstances telles que celles au principal, jusqu’à exiger qu’une juridiction nationale doive non seulement compenser une omission procédurale d’un consommateur ignorant ses droits, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Mostaza Claro, précité, mais également suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné qui, tel que la défenderesse au principal, n’a ni participé à la procédure arbitrale ni introduit une action en annulation contre la sentence arbitrale devenue de ce fait définitive.

48 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que les règles procédurales fixées par le système espagnol de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par la directive 93/13.

49 En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’équivalence, celui-ci requiert que les conditions imposées par le droit national pour soulever d’office une règle de droit communautaire ne soient pas moins favorables que celles régissant l’application d’office de règles du même rang de droit interne (voir en ce sens, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen, C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I‑ 4705, points 13 et 17 ainsi que jurisprudence citée).

50 Afin de vérifier si ledit principe est respecté dans l’affaire dont est saisie la juridiction nationale, il appartient à cette dernière, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit interne, d’examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (voir, notamment, arrêt du 16 mai 2000, Preston e.a., C‑78/98, Rec. p. I‑3201, points 49 et 56). Toutefois, en vue de l’appréciation à laquelle ladite juridiction devra procéder, la Cour peut lui fournir certains éléments tenant à l’interprétation du droit communautaire (voir arrêt Preston e.a., précité, point 50).

51 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, il convient de préciser que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 constitue une disposition de caractère impératif. Il importe en outre de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, cette directive, dans son intégralité, constitue, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous t), CE, une mesure indispensable à l’accomplissement des missions confiées à la Communauté européenne et, en particulier, au relèvement du niveau et de la qualité de vie dans l’ensemble de cette dernière (arrêt Mostaza Claro, précité, point 37).

52 Ainsi, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, il y a lieu de constater que l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public.

53 Il en découle que, dans la mesure où le juge national saisi d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale définitive doit, selon les règles de procédure internes, apprécier d’office la contrariété entre une clause arbitrale et les règles nationales d’ordre public, il est également tenu d’apprécier d’office le caractère abusif de cette clause au regard de l’article 6 de ladite directive, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêt Pannon GSM, précité, point 32).

54 Une telle obligation incombe également au juge national lorsqu’il dispose, dans le cadre du système juridictionnel interne, d’une simple faculté d’apprécier d’office la contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public (voir, en ce sens, arrêts précités van Schijndel et van Veen, points 13, 14 et 22, ainsi que Kempter, point 45).

55 Or, s’agissant de l’affaire au principal, selon le gouvernement espagnol, le juge de l’exécution d’une sentence arbitrale devenue définitive est compétent pour apprécier d’office la nullité d’une clause arbitrale, contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, en raison du fait que cette clause est contraire aux règles nationales d’ordre public. Une telle compétence aurait par ailleurs été admise dans plusieurs arrêts récents de l’Audiencia Provincial de Madrid ainsi que de l’Audiencia Nacional.

56 Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans le litige dont elle est saisie.

57 Enfin, s’agissant des conséquences de la constatation par le juge de l’exécution de l’existence d’une clause d’arbitrage abusive dans un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, «dans les conditions fixées par leurs droits nationaux».

58 Dès lors, ainsi que l’a suggéré le gouvernement hongrois dans ses observations écrites, il appartient à la juridiction de renvoi de tirer, conformément au droit national, toutes les conséquences que l’existence d’une clause d’arbitrage abusive implique au regard de la sentence arbitrale, pour autant que cette clause n’est pas en mesure de lier le consommateur.

59 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.

Sur les dépens

60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.

Consulter l’arrêt de la Cour

Numéro : cjce091006.htm

Titre : Protection du consommateur, clauses abusives, directive n° 93/13, protection, appréciation d’office par le juge du caractère abusif d’une clause, clause d’arbitrage

Résumé : La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours en exécution forcée d’une sentence arbitrale ayant acquis la force de chose jugée, rendue sans comparution du consommateur, est tenue, dès qu’elle dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’apprécier d’office le caractère abusif de la clause d’arbitrage contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans la mesure où, selon les règles de procédure nationales, elle peut procéder à une telle appréciation dans le cadre de recours similaires de nature interne. Si tel est le cas, il incombe à cette juridiction de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s’assurer que ce consommateur n’est pas lié par ladite clause.