Cour d’appel de Douai, 3è Chambre, 19 octobre 2023, RG 22/01024 

 

réparation du préjudice – clause abusive – contrat de prêt  

  

EXTRAITS  

« La banque ayant manqué à son obligation d’information, elle sera tenue de réparer le préjudice ainsi causé, lequel ne peut s’analyser qu’en une perte de chance d’éviter la réalisation du risque de change qu’il convient d’évaluer à 70 % en tenant compte, notamment, du contexte de stabilité dans lequel l’emprunteur a contracté, et de l’avantage qu’il espérait pouvoir tirer d’un prêt en devises en termes de niveau du taux d’intérêt.  » 

  

ANALYSE :  

 

En l’espèce, en 1998, le Crédit mutuel consent un prêt en francs suisses à un emprunteur. Ce dernier assigne en justice la banque en faisant valoir que le prêt prévoit une clause de remboursement abusive et que la banque a manqué à son devoir d’information. 

 

La Cour dappel de Douai (CA ci-après) considère que la clause de remboursement ne donnait pas les informations nécessaires à l’emprunteur sur le mécanisme de change. De ce fait, la CA juge abusive la clause de remboursement qui crée un déséquilibre significatif dû au manquement du banquier à son obligation d’information (CA Douai ; 19-10-23). 

 

Par cet arrêt, la CA de Douai rappelle que l’obligation d’information mise à la charge de la banque repose sur les dispositions de l’article 1147 du Code civil et qu’en cas de manquement à cette obligation, la banque sera tenue de réparer le préjudice causé. 

 

La CA précise que la banque devra indemniser le préjudice résultant de son défaut d’information et que ce préjudice correspond à l’opportunité manquée pour l’emprunteur d’éviter les fluctuations du taux de change, évaluée à 70%. Cette évaluation doit prendre en considération le contexte de stabilité au moment de l’emprunt par le client et les avantages escomptés liés à un prêt en devises, notamment en termes de taux d’intérêt. 

 

En l’espèce, le préjudice résulte de la différence entre la contre-valeur en euros du capital au moment de la souscription du prêt et le montant de la somme effectivement payée en exécution du contrat de prêt, soit 30 257 euros. La banque a donc été condamnée à payer 70% de cette somme. 

 

 

La CA de Douai se prononce également sur les restitutions : (CA Douai ; 19-10-23). 

COUR D’APPEL DE RENNES, 13 octobre 2023, RG n° 21/00297 

– contrat de prêt – demande en remboursement du prêt – clause abusive – déchéance du terme – délai de mise en demeure –  

 

EXTRAITS  

«Il est de principe que, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit de celui-ci en cas d’échéance impayée sans mise en demeure laissant à l’emprunteur un préavis d’une durée raisonnable pour régulariser la situation, une telle clause étant abusive au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation.  

Or, en l’occurrence, il est stipulé aux conditions générales du contrat de prêt que ‘en cas de défaillance de la part de l’emprunteur dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés’. 

Une telle clause laisse ainsi croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l’obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation, et que le prêteur peut se prévaloir sans délai de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée, sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt, consenti en l’espèce pour un montant de 25 500 euros pendant douze ans. » 

 

ANALYSE   

 

Des époux, ont contracté un prêt auprès d’un établissement de Crédit – le Crédit agricole- le 4 novembre 2015. En septembre 2018, les époux ont cessé de payer leurs échéances. Le 6 février 2019, l’établissement de crédit leur a adressé une mise en demeure afin de régulariser leur situation, sans réponse de ces derniers. L’établissement de crédit a alors assigné les époux en paiement et demandé de prononcer la déchéance du terme.  

Faisant application de la jurisprudence européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation s’y conformant sanctionnant les clauses de déchéance du terme sans préavis d’une durée raisonnable (cf : CJUE 26-1-2017 aff. 421/14  Cass. 1e civ. 22-3-2023 n° 21-16.044 FS-B) , la Cour d’appel de Rennes a rejeté la demande de l’établissement de crédit de prononcer la déchéance du terme du contrat de prêt conclu avec les époux. Elle a déclaré la clause de déchéance abusive et l’a écartée d’office. Les juges de la CA de Rennes ont considéré que la clause de déchéance du terme était abusive, car elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs. 

En effet, cette clause ne prévoit pas de délai de mise en demeure préalable. Or, un délai de mise en demeure permet à l’emprunteur de régulariser sa situation avant que le prêteur ne puisse se prévaloir de la déchéance du terme. Utilisant une expression de la Commission des clauses abusives, la Cour d’appel a également considéré que la clause « laissait croire » à l’emprunteur qu’il ne dispose d’aucun délai pour régulariser l’arriéré ou saisir le juge des référés en suspension de l’obligation de remboursement du prêt sur le fondement de l’article L. 314-20 du code de la consommation, qui prévoit un délai de grâce. Ce faisant, ladite faculté « déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques » (Banco Primus, pt 66). En outre, la clause laisse croire que le prêteur pouvait se prévaloir sans délai de la déchéance du terme pour une seule échéance impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt, consenti. Cette décision se conforme là encore à l’arrêt Banco Primus.  

CA RENNES, 29 SEPTEMBRE 2023, N°21/00700 

– contrat de prêt – clause de déchéance de terme – clause abusive  

 

EXTRAITS  

 

« crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la clause d’un contrat de prêt qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d’échéance impayée sans mise en demeure laissant à l’emprunteur un préavis d’une durée raisonnable pour régulariser la situation, une telle clause étant abusive au sens de l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation. En l’occurrence, la clause de déchéance du terme des conditions générales de l’offre de prêt acceptée le 24 novembre 2005 reproduite ci-dessus laisse croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré, et que le prêteur peut se prévaloir de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt consenti pour un montant de 50 000 euros pendant 18 ans. Ainsi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à l’obligation de rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû, et doit être déclarée non écrite. » 

 

 

ANALYSE   

 

La Cour d’appel de Rennes (CA ci-après) a été saisi par la Banque populaire Grand-Ouest (BPGO) au sujet différents contrat de prêt conclu entre la banque et un couple. A la suite de manquements dans le paiement des mensualités d’un prêt, la banque assigne les emprunteurs devant le tribunal judiciaire de Lorient. Le 15 juin 2020, le tribunal a débouté la BGPO de l’intégralité de ses demandes et a condamné la BPGO à payer aux époux la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civil. La BGPO a interjeté appel de ce jugement.  

 

La CA de Rennes considère comme abusive la clause des conditions générales du contrat de prêt, aux termes de laquelle ‘toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seront exigibles (…) si bon semble (à la banque, notamment en cas de) défaut de paiement d’une échéance de prêt’, 

 

Pour considérer qu’elle était abusive, la cour se fonde sur l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur du 3 juillet 2010 au 1er juillet 2016 et rappelle notamment que : la clause de déchéance du terme des conditions générales de l’offre de prêt acceptée le 24 novembre 2005 reproduite ci-dessus laisse croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré, et que le prêteur peut se prévaloir de la déchéance du terme pour une seule échéances impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt consenti pour un montant de 50 000 euros pendant 18 ans 

 

Ainsi, elle en déduit que la clause des conditions générales du contrat de prêt présente un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation en ce qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des emprunteurs, exposés à l’obligation de rembourser immédiatement la totalité du capital restant dû, et doit être déclarée non écrite 

 

Voir également : Cass. civ 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044

CJUE, 21 septembre 2023  aff. C-139/22– mBank S.A

Contrat entre professionnel et consommateur – Prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause de conversion – Registre national des clauses de conditions générales jugées illicites 

  

EXTRAIT  

« {…} l’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 8 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle soit considérée comme abusive par les autorités nationales concernées en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites. »  

  

ANALYSE   

La CJUE était saisie du point de savoir si la simple constatation du fait qu’un contrat contient une clause dont le contenu correspond à une clause inscrite dans un registre polonais des clauses illicites suffit pour constater que cette clause constitue une clause contractuelle illicite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner et d’établir les circonstances de la conclusion de ce contrat. 

La CJUE rappelle que l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs impose aux États membres l’obligation de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel dont la possibilité pour des personnes ou des organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, l’interdiction de celles-ci (pt 36).. 

 

Elle observe que le mécanisme de registre national des clauses illicites consistant à établir une liste de clauses devant être considérées comme étant abusives, relève des dispositions plus strictes que les États membres peuvent adopter ou maintenir en vertu de l’article 8 de la directive 93/13(pt 40). Elle indique cependant que d’une part ce registre national des clauses illicites doit être géré de manière transparente, dans l’intérêt non seulement des consommateurs, mais également des professionnels, et tenu à jour. D’autre part, le professionnel concerné doit avoir la possibilité de contester l’équivalence de la clause litigieuse avec la clause illicite devant une juridiction nationale, afin de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas d’espèce, cette clause contractuelle est matériellement identique, eu égard, notamment, aux effets que celle-ci produit, à celle inscrite dans un tel registre (pt 44).  

 

Dans ces conditions, la Cour précise qu’une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle peut être abusive en raison du seul fait que le contenu de celle-ci est équivalent à celui d’une clause d’un contrat type inscrite au registre national des clauses illicites. 

 

Cette décision intéresse le droit français qui comporte une liste noire de clauses présumées abusives de manière irréfragable. 

 

Voir également : C. consom., art. R. 212-1 

Cour d’appel de Montpellier, 2è Chambre, 14 septembre 2023, RG n° 23/00812 

 

clause abusive – contrat de prêt – clause d’indexation – déséquilibre significatif – prêt libellé en devise étrangère 

  

EXTRAITS  

« Dès lors en considérant que, par une description technique d’un mécanisme complexe, par des informations diverses éclatées dans le contrat, sans que les risques ne fassent l’objet d’un réel avertissement, la SA BNP n’avait pas satisfait à l’exigence de transparence qui lui est imposée, en considérant en outre que la clause implicite d’indexation du prêt HELVET IMMO n’était ni claire ni intelligible sans le respect de cette exigence de transparence, et en jugeant même que ladite clause était volontairement inintelligible, le premier juge a fait une exacte analyse des éléments de la cause. » 

  

ANALYSE :  

 

En l’espèce, la BNP Paribas Personal finance consent un prêt libellé en devise étrangère ‘Helvet Immo’ à deux emprunteurs.  

La banque a ensuite fait délivrer à ses co-contractants un commandement de payer puis les a assigné en justice. 

Le juge de l’exécution a prorogé la validité des effets du commandement de payer dans un premier jugement. Puis, dans un second jugement, a jugé abusives certaines clauses du contrat de prêt. 

 

Se fondant sur les articles 3 $1, 4 et 5 de la directive européenne 93/13/CEE du 5 avril 1993, la Cour dappel (CA ci-après) de Montpellier qualifie la clause litigieuse de clause d’indexation déguisée abusive car elle impose au consommateur une lecture croisée de notions trop complexe. 

 

La CA considère que, n’ayant pas averti les emprunteurs des risques liés au contrat de prêt libellé en devise étrangère et qu’en ayant fait une description technique d’un mécanisme complexe, la banque a manqué à son obligation de transparence. 

 

C’est pourquoi la CA déduit qu’une telle clause était volontairement inintelligible et crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment des emprunteurs. 

La clause doit donc être réputée non-écrite car abusive. 

 

Par cet arrêt, la CA de Montpellier rappelle que l’appréciation du caractère abusif d’une clause dans un prêt libellé en devise étrangère s’effectue au regard de l’exigence de transparence du professionnel envers le consommateur, ainsi que l’avait jugé la CJUE dans la décision BNP Paribas du 10 juin 2021, jurisprudence désormais appliquée par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, 20-16.316) et par les juges du fond. 

Cette exigence comprend, d’une part, l’obligation pour la banque de décrire les mécanismes contractuels de telle sorte à ce que l’emprunteur puisse les comprendre facilement et, d’autre part, l’obligation d’avertir l’emprunteur des risques liés au contrat de prêt conclu. 

 

Voir également :   

CJUE, 6 Juillet 2023, aff. C593/22– First Bank SA  

 

Contrat entre professionnel et consommateur –  Contrat de prêt avec risque de change – interprétation de l’article 1re, paragraphe 2 de la directive 93/13 – Clauses contractuelles  « qui reflètent » des dispositions législatives ou réglementaires impératives  

  

EXTRAIT  

 

« L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de relever de l’exclusion du champ d’application de cette directive prévue par cette disposition, il n’est pas nécessaire que la clause insérée dans un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un professionnel cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle-ci, mais il suffit qu’elle soit matériellement équivalente à cette disposition impérative, à savoir qu’elle ait le même contenu normatif.  

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de déterminer si une clause insérée dans un contrat de prêt conclu entre un consommateur et un professionnel relève de l’exclusion du champ d’application de cette directive prévue par cette disposition, n’est pas pertinente la circonstance que ce consommateur n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national ».  

 

ANALYSE   

À titre liminaire, la Cour souligne que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses « qui reflètent », notamment, des dispositions législatives ou réglementaires impératives. Elle indique que cette exception doit faire l’objet d’une interprétation stricte, en raison de l’objectif de protection des consommateurs, comme énoncé dans l’arrêt Trapeza Peiraios (C-243/20, EU:C:2021:1045, point 37). 

L’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives » englobe, selon une jurisprudence constante, les dispositions de droit national applicables entre les parties indépendamment de leur choix, ainsi que celles de nature supplétive (arrêt Trapeza Peiraios, point 30). 

En l’espèce, la question de la juridiction concerne la possibilité d’exclure du champ d’application de la directive 93/13, une clause qui « reflète » une disposition législative ou réglementaire impérative au regard de l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive.  

La Cour rappelle que l’exclusion prévue par cette disposition de la directive 93/13 est justifiée par la présomption légitime selon laquelle le législateur national a établi un équilibre entre les droits et obligations des parties, préservation que le législateur de l’Union a expressément souhaité maintenir (arrêt Trapeza Peiraios, point 35). 

La Cour précise que pour qu’une clause contractuelle soit exclue du champ d’application de la directive, il est nécessaire que cette clause reproduise le contenu normatif d’une disposition impérative applicable au contrat en question. Cette reproduction peut se faire de manière littérale ou par un renvoi exprès, mais elle peut également être matériellement équivalente, même si formulée en des termes différents (arrêts RWE Vertrieb, C-92/11, EU:C:2013:180, point 30, et Aqua Med, C-266/18, EU:C:2019:282, points 35 à 38). Il n’est pas nécessaire que la clause cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle.  

La Cour conclue en soulignant que la juridiction de renvoi doit évaluer si la clause contractuelle en question reflète, au sens de l’article 1re, paragraphe 2 de la directive 93/13, l’intégralité du contenu normatif d’une disposition  impérative applicable au contrat concerné. Pour cela, elle va devoir prendre en compte la nature du contrat, son économie générale, ainsi que le contexte juridique et factuel dans lequel il s’inscrit (arrêt du 6 juillet 2023, affaire C-593/22, First Bank, EU:C:2023:555). 

 

En outre, l’exclusion s’applique même si le consommateur n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national .

 COUR D’APPEL DE VERSAILLES, 29 juin 2023 nº 23/00740 

– déséquilibre significatif – déchéance du terme – exigibilité – contrat de prêt –  

 

 

EXTRAITS 

 

Il est de droit ( 1ère Civ., 22 mars 2023, pourvoi nº 21-16.044) que crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d’un contrat de prêt immobilier qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable. Une telle clause est abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi nº 2008-776 du 4 août 2008. » 

 

ANALYSE 

 

La Cour d’appel de Versailles (CA) a été saisi à la suite d’un litige opposant la banque la Société générale et des époux emprunteurs dans le cadre d’un contrat de prêt immobilier.  

L’offre de contrat de crédit affecté prévoyait une clause de déchéance du terme permettant au professionnel d’exiger un remboursement anticipé et immédiat en cas de non-paiement à l’échéance sans possibilité de régularisation de l’impayé.  

 

Le Fonds Commun de Titrisation Castanea venant aux droits de la Société générale, qui poursuit le recouvrement d’une créance contenant prêt des deux sommes par la saisie immobilière du bien de ses débiteurs, a saisi le juge de l’exécution.  

Un jugement a été rendu le 6 janvier 2023 par le juge de l’exécution statuant en matière de saisie immobilière du tribunal judiciaire de Versailles qui a constaté la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière délivré à l’encontre des emprunteurs.  

Le Fonds Commun de Titrisation Castanea a interjeté appel de ce jugement.  

 

Les époux emprunteurs soutiennent que le créancier ne dispose pas d’une créance exigible mais surtout que la clause d’exigibilité anticipée contenue dans le prêt constitue une clause abusive. La Cour d’appel fait droit à leur demande. 

La clause d’exigibilité anticipée revêt en effet selon la Cour de toutes les caractéristiques d’une clause abusive, tant au regard du droit communautaire que du droit national, le déséquilibre significatif résultant d’une part du caractère discrétionnaire et unilatéral en faveur de la Société Générale, renforcé par les termes vagues employés, et d’autre part, de la sévérité de la clause, qui peut être mise en oeuvre à partir d’une seule mensualité, pour un prêt de 300 mensualités, et sans possibilité de régularisation de l’impayé. 

 

Conformément à la jurisprudence européenne (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21) également mise en œuvre par la Cour de cassation dans la décision sur laquelle elle se fonde (Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.476), la Cour d’appel déboute le Fonds Commun de Titrisation Castanea de ses demandes au motif que la clause de déchéance du terme dont la Société Générale a fait application constitue une clause abusive, qui doit pour ce motif être écartée. 

 

 

Voir également : Cour d’appel de Colmar, 11 décembre 2023, SA Eurotitrisation, RG n° 23/00903 

CJUE, 8 juin 2023, aff. C-570/21 – I.S and KS c. YYY 

 

Contrat entre professionnel et consommateur – Contrat à double finalité – Notion de “consommateur” – Critères – Protection des consommateurs   

  

EXTRAIT  

L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,  

doit être interprété en ce sens que :  

relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat.  

 

L’article 2, sous b), de la directive 93/13  

doit être interprété en ce sens que :  

afin de déterminer si une personne relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, et, plus particulièrement, si la finalité professionnelle d’un contrat de crédit conclu par cette personne est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat, la juridiction de renvoi est tenue de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes entourant ce contrat, tant quantitatives que qualitatives, telles que, notamment, la répartition du capital emprunté entre une activité professionnelle et une activité extraprofessionnelle ainsi que, en cas de pluralité d’emprunteurs, le fait qu’un seul d’entre eux poursuit une finalité professionnelle ou que le prêteur a subordonné l’octroi d’un crédit destiné à des fins de consommation à une affectation partielle du montant emprunté au remboursement de dettes liées à une activité professionnelle.  

»  

  

ANALYSE   

 La CJUE était saisie du point de savoir su peut être qualifiée de « consommateur » une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque le lien existant entre ce contrat et l’activité professionnelle de cette personne est non pas marginal au point d’avoir un rôle négligeable dans le contexte global dudit contrat, mais est à ce point limité qu’il n’est pas prédominant dans ce contexte. 

 

La CJUE commence par rappeler qu’elle a eu à traiter de cette question dans le cadre de l’interprétation des règles de compétence en matière de contrats conclus avec les consommateurs prévues par la convention de Bruxelles. Elle rappelle qu’elle avait jugé que qu’une personne qui a conclu un contrat pour un usage se rapportant en partie à son activité professionnelle, et n’étant donc qu’en partie seulement étranger à celle-ci, n’est pas en droit de se prévaloir du bénéfice des règles de compétence spécifiques en matière de contrats conclus avec les consommateurs prévues par la convention de Bruxelles, sauf si l’usage professionnel est marginal au point d’avoir un rôle négligeable dans le contexte global de l’opération en cause (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2005, Gruber, C464/01, EU:C:2005:32, points 39 et 54). 

 

Cependant, la présente affaire est l’occasion pour la CJUE d’indique que l’article 2, sous b), de la directive 93/13 n’est pas une disposition devant faire l’objet d’une interprétation stricte et que compte tenu de la ratio legis de cette directive visant à protéger les consommateurs en cas de clauses contractuelles abusives, l’interprétation stricte de la notion de « consommateur » retenue dans l’arrêt Gruber, aux fins de la détermination de la portée des règles de compétence dérogatoires prévues aux articles 13 à 15 de la convention de Bruxelles en cas de contrat à double finalité, ne saurait être étendue, par analogie, à la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13. 

 

Elle en déduit que relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat. 

 

En d’autres termes, il suffit que la finalité professionnelle ne soit pas prédominante pour que la personne puisse être qualifiée de consommateur. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit marginale.  

 

La CJUE précise ensuite les critères pour déterminer, dans un contrat de prêt « mixte » (lorsque les fonds alloués sont partiellement affectés à une activité professionnelle et une autre partie à des fins de consommation étrangères à une activité professionnelle), si la finalité professionnelle n’est pas prédominante.  

 

Elle indique que le juge est tenu de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes entourant ce contrat, tant quantitatives que qualitatives. La Cour précise que c’est le cas de la répartition du capital emprunté entre une activité professionnelle et une activité extraprofessionnelle ainsi que, en cas de pluralité d’emprunteurs, le fait qu’un seul d’entre eux poursuit une finalité professionnelle ou que le prêteur a subordonné l’octroi d’un crédit destiné à des fins de consommation à une affectation partielle du montant emprunté au remboursement de dettes liées à une activité professionnelle (pt 57). 

 

Elle ajoute que ces critères ne sont ni exhaustifs ni exclusifs, de sorte qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner l’ensemble des circonstances entourant le contrat en cause au principal et d’apprécier, sur la base des éléments de preuve objectifs dont il dispose, dans quelle mesure la finalité professionnelle ou non professionnelle de ce contrat est prédominante dans le contexte global de ce dernier (pt 58). 

COUR D’APPEL DE VERSAILLES, 4 MAI 2023, RG n°22-03023
– déséquilibre significatif – clause abusive – contrat de prêt – nullité – prescription  

 

EXTRAITS  

 

le fait qu’une personne morale n’ait, par principe, aucun but lucratif, n’est pas exclusif de l’exercice d’une activité professionnelle et l’application du droit de la consommation à une opération de crédit dépend non point de la personnalité de la personne physique ou morale qui s’engage mais de la destination contractuelle du prêt, fût-elle accessoire, comme cela résulte de la doctrine de la Cour de cassation (Cass com, 04 novembre 2021, pourvoi n° 20-11099, Cass civ 1ère, 20 mai 2020, pourvoi n° 19-13461, publiés au bulletin). 

Au cas particulier, c’est à juste titre que la société Dexia se prévaut du fait que le contrat de prêt  destiné à financer des investissements de l’emprunteur est intervenu dans le cadre des activités professionnelles d’Arc en ciel et étaye son affirmation en évoquant le procès-verbal du Conseil d’administration d’Arc en ciel du 20 décembre 2007 selon lequel le prêt a pour objet de financer l’acquisition de l’immeuble de l’établissement construit par Nouveau Logis Provençal sur un terrain propriété de l’association, de financer les immobilisations immobilières de l’établissement Grande Linche, de consolider la trésorerie globale de l’association’ 

Par suite, la destination professionnelle de ce contrat de financement exclut l’application au litige du droit de la consommation. » 

 

ANALYSE  

 La Cour d’appel de Versailles (CA) a été saisie à la suite d’un litige opposant la société Dexia Crédit Local, ayant consenti à l’association de Parents et Amis d’Enfants Handicapés Chrysalide Arc en ciel un prêt au montant de 3.000.000 euros destiné à financer des investissements liés à ses activités de personnes en situation de handicap. Ce prêt était consenti pour une durée de 19 ans et 11 mois avec différents taux. Ce contrat relatif au remboursement anticipé du prêt possédait un article 9 dans lequel il est indiqué les méthodes de remboursement et stipulait qu’en cas de réponse négative ou à défaut de réponse dans un certain délai, le remboursement anticipé n’aurait pas lieu.

En raison de difficultés financières, l’association Arc en Ciel a procédé à un transfert partiel d’actif à l’Association Régionale pour l’Intégration qui comprenait le contrat de prêt litigieux avec l’accord de la société Dexia. La société. Le 13 février 2013, la société Dexia a été assignée devant le tribunal de grande instance de Nanterre par l’association ARI au motif que le prêt entrait dans la catégorie des emprunts qualifiés de “toxiques” et de ce fait il devait y avoir une annulation du contrat pour manquement de la banque à ses obligations. L’appelante soutenait également que la clause créait un déséquilibre significatif caractérisé par l’avantage disproportionné qu’elle procure à la société Dexia en regard du coût du manque à gagner enregistré à la date de réalisation. Par ordonnance rendue le 30 août 2019, le juge de la mise en état déboute l’association ARI de sa demande de calcul de l’indemnité de remboursement anticipé au motif que la procédure de l’article 9 du contrat de prêt n’a pas été respectée en ce que l’association n’a présenté aucune demande de remboursement.

Par ordonnance du 21 octobre 2020, le juge déboute l’association ARI de sa nouvelle demande de communication des pièces au motif que la demande de remboursement anticipé n’a pas été maintenue au jour de la fixation et condamne l’association ARI au versement d’une indemnité de procédure. Par un jugement contradictoire rendu le 04 février 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré irrecevable car prescrite l’action engagée par l’Association Régional pour l’Intégration. La société ARI fait appel et soutient l’annulation de ce contrat au motif que cette clause doit être qualifiée d’abusive du fait du déséquilibre significatif et que la qualité de non professionnel de l’association Arc en ciel lui permet de bénéficier des dispositions de l’article L132-1 du code de la consommation.

La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 4 mai 2023, confirme les ordonnances rendues en 2019 et en 2020 et rejette la demande de nullité du contrat de prêt fondé sur l’existence d’une clause abusive et déclare donc irrecevable la demande formée par l’association Association Régionale d’Insertion à l’encontre de la société Dexia Crédit Local. Elle considère que l’association ne peut être qualifiée de non-professionnelle. A cet égard, l’article liminaire du code de la consommation définit le non-professionnel comme « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ». 

Se fondant sur la circonstance que le contrat de prêt était destiné à financer des investissements de l’association dans le cadre de ses activités professionnelles, la Cour d’appel en déduit la finalité professionnelle de l’emprunt et écarte par conséquent la qualité de non professionnel. L’association ne peut donc pas bénéficier, sur le fondement du code de la consommation, de la caractérisation du déséquilibre significatif affectant le prêt.