COUR D’APPEL DE GRENOBLE, 27 AVRIL 2023, RG 21/03683 

Contrat de prêt – TEG (Taux Effectif Global) – déséquilibre significatif   

 

EXTRAITS  

 

« Il en résulte que l’exclusion du calcul du TEG des effets de la période d’anticipation n’a pas créé, au préjudice des appelants, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, ne permettant pas à ces consommateurs (il s’agit d’un prêt immobilier destiné à l’acquisition de l’habitation des époux [C], éligibles en outre à un prêt à taux 0) d’apprécier le taux réel du TEG, ainsi que le montant réel du coût de leur acquisition, puisque ces montants dépendaient de l’engagement des travaux, obligation leur incombant». 

  

 

ANALYSE :  

 

La Cour d’appel de Grenoble a été saisie par deux consommateurs ayant contracté un prêt immobilier avec Crédit Immobilier de France Développement. La Cour était saisie d’une contestation sur le coût de l’assurance (CA Grenoble, 27 avril 2023, RG 21/03683). En outre, l’offre initiale comprenait un taux fixe suivi d’un taux variable, mais les époux ont constaté des anomalies dans les calculs d’intérêts et l’absence d’un TEG intégrant la période d’anticipation. Le tribunal de commerce a rejeté leur action comme prescrite, mais en appel, les époux demandent la recevabilité de leur action, l’annulation de la clause d’intérêts, la substitution du taux légal, la réévaluation des tableaux d’amortissement, la restitution des trop-perçus, la déchéance des intérêts conventionnels, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté, et une indemnité de 6000 euros. 

 

La Cour d’appel de Grenoble n’a pas considéré l’exclusion du taux effectif global comme étant abusive. La Cour justifie l’exclusion de la période d’anticipation du calcul du TEG en raison de la spécificité du prêt concernant l’acquisition d’un bien avec des travaux. La Cour a souligné que les modalités de l’amortissement de la créance ne pouvaient être calculées à l’offre de prêt, car le coût de la période d’anticipation dépendait de l’action des emprunteurs.  

 

Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble a estimé que cela n’a pas empêché les consommateurs d’apprécier le taux réel du TEG et le coût réel de leur acquisition, étant donné que ces montants dépendaient de l’engagement des travaux, une obligation incombant aux emprunteurs. 

COUR D’APPEL DE GRENOBLE, 27 AVRIL 2023, RG 21/03683 

 

Assurance – contrat de prêt – obligation de loyauté – clause abusive 

 

EXTRAITS  

 

Il résulte de ces éléments d’une part qu’aucune clause abusive n’a été stipulée dans l’offre de prêt, alors que d’autre part, l’intimée n’a pas manqué à son obligation de loyauté dans la formation et l’exécution du contrat. La cour note que selon le tableau d’amortissement édité en 2019, le montant du taux d’intérêt a toujours varié à la baisse, au profit des appelants.  

 

ANALYSE : 

 

En l’espèce, la cour d’appel de Grenoble a été saisie par deux consommateurs qui ont contracté un contrat de prêt avec la société Crédit Immobilier de France Développement (CIFD). La Cour était saisie d’une contestation sur le calcul du TEG (CA Grenoble, 27 avril 2023, RG 21/03683) rendue sur la même décision). Elle était également saisie d’une contestation sur une assurance couvrant le bien financé prévue dans ce contrat, pour laquelle les consommateurs avaient assigné la société CIFD devant le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle. 

 

La cour d’appel de Grenoble a considéré qu’une telle clause ne pouvait être considéré comme abusive. En effet, selon la cour d’appel le coût d’une assurance couvrant un bien financé n’est pas une condition subordonnant la conclusion du prêt, notamment lorsque le montant des primes d’assurances n’est pas inclus dans le calcul du taux effectif global au sens de l’article L313-1 (ancien) du Code de la consommation. Ainsi, aucune clause abusive n’a été stipulée dans l’offre de prêt.  

D’autre part, l’intimée n’a pas manqué à son obligation de loyauté dans la formation et l’exécution du contrat. La cour note que selon le tableau d’amortissement édité en 2019, le montant du taux d’intérêt a toujours varié à la baisse, au profit des appelants. En conséquence, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a débouté les appelants de l’ensemble de leurs demandes, en ce qu’il les a condamnés au paiement des frais irrépétibles et des dépens. 

 

Voir également : Recommandation relative à une assurance complémentaire à un crédit

Cass. civ. 2ème , 13 avril 2023, n° 21-14.540 

Acte de prêt notarié – prêt libellé en francs suisses – clause abusive – office du juge – autorité de la chose jugée -juge de l’exécution 

 

EXTRAITS : 

« Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation. 

[…] 

Il résulte de ce qui précède que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen, et pour autant qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d’examiner d’office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif. » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision, promise au Rapport annuel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation étend l’obligation de relever d’office des clauses abusives qui pèse sur le juge national aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée. 

 

Un prêt libellé en devises étrangères a été effectué le 25 juin 2008 par acte notarié. Le 11 octobre 2013 a été délivré, par le prêteur, un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.  

Le 10 juillet 2014, le juge de l’exécution a fixé le montant de la créance et ordonné la vente forcée du bien. A la suite de la vente en 2015, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie attribution sur les comptes de l’emprunteur afin d’obtenir le paiement du solde du prêt. Une contestation de la part de l’emprunteur a alors été formée devant le juge de l’exécution. Les demandes de l’emprunteur ayant été refusées, il forme un pourvoi en cassation en invoquant notamment l’obligation de relever d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat. La banque conteste la recevabilité du moyen, les poursuites n’étant pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l’autorité de la chose jugée, s’étant substitué au contrat. 

La Cour de cassation écarte cependant le grief au motif que le moyen, en ce qu’il invoque l’obligation pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle, est né de la décision attaquée. 

Sur le fond, la 2ème chambre civile vient faire application du droit de l’Union Européenne en rappelant, premièrement, que la législation européenne enjoint aux Etats membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et que, deuxièmement, le juge a l’obligation de relever d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans les contrats opposant un consommateur à un professionnel (CJCE, 4 Juin 2009, C-243/08, Pannon).  

Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE quant à la portée du relevé d’office en présence d’un jugement doté de l’autorité de la chose jugée. A cet égard, la Cour de justice considère que la directive 93/13 ne s’oppose pas à une législation nationale qui écarte l’obligation de relever d’office le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles lorsqu’une procédure hypothécaire a complètement été réalisée. Cependant, l’interdiction du relevé d’office suppose que le consommateur a pu tout de même faire valoir ses droits dans une procédure subséquente (CJUE, 17 mai 2022,C-600/19, Ibercaja Banco). 

Elle en déduit que lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d’un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une précédente décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen. 

 

Or, en l’espèce la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée n’avait pas procédé à l’examen des clauses abusives. Certes, comme le rappelle la Cour de cassation, l’examen d’office du caractère abusif des clauses suppose que le juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). Cependant, les éléments étaient ici réunis. Ils résultent de la jurisprudence de la CJUE caractérisant le déséquilibre significatif dans les contrats de prêts libellés en devise étrangère (CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas, aff. C-776/19 à C-782/19).  

La deuxième chambre civile prend soin à cet égard d’observer que sur le fondement de cet arrêt de la CJUE, « la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600) ».  

Elle en déduit donc que dans la présente affaire, la cour d’appel de Versailles disposait « des éléments de droit et de fait nécessaires » pour examiner d’office « si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif ». Elle casse donc l’arrêt qui a retenu que le quantum de la saisie attribution est justifié, sans avoir recherché si les clauses du contrat de prêt libellé en devises étrangères contenaient des clauses abusives.  

Voir également :  

 

Cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n° 21-16.044 

Contrat de prêt immobilier — Clause de déchéance du terme — Directive 93/13— Aggravation des conditions de remboursement —  

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :  

  1. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 
  2. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt. 
  3. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle. 
  4. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l’arrêt retient que la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l’obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire. 
  5. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

ANALYSE : 

Un couple de consommateurs avait eu recours à un prêt immobilier contenant notamment une clause de déchéance du terme. Cette clause prévoyait un délai de 8 jours pour contester la mesure à compter de la mise en demeure. A la suite d’un impayé, la société prêteuse invoquait alors la déchéance du terme et avait donc engagé une procédure d’exécution forcée sur des biens des consommateurs. Les consommateurs contestent l’application de cette clause en affirmant que cette dernière est abusive. Les juges du fond rejettent le caractère abusif de la clause de déchéance de terme au motif que celle-ci avait été invoquée après une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dans lequel les consommateurs pouvaient y faire obstacle.  

La Première Chambre Civile, se fondant sur les critères d’appréciation de la déchéance du terme posés par la décision Banco Primus, puis précisés par la décision Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest (rendue sur question préjudicielle de la Cour de cassation)  casse la décision des juges du fond. Selon la Première Chambre Civile, ladite clause ne contenait pas un préavis d’une durée raisonnable, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment des consommateurs qui se voyaient ainsi exposés à une aggravation soudaine de leurs conditions de remboursement. C’est donc le caractère insuffisant du délai qui est ici sanctionné par la Cour de cassation. De façon plus générale, l’article R.212-4° du code de la consommation présume abusive de façon simple la clause qui reconnaît au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable. 

 

Voir également : 

-  CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14 

CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21 

Cass. Com., 8 février 2023, N°21-17.763 

Contrat de prêt — Clause abusive — saisie immobilière –– autorité de la chose jugée – pouvoir du juge commissaire – relevé d’office 

 

EXTRAITS : 

« Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée d’une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d’une procédure collective, résultant de l’article 1355 du code civil et de l’article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l’obligation incombant au juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles. 

Il en découle que le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge s’est livré à cet examen » 

 

ANALYSE : 

Dans une très importante décision rendue après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile, promise au Rapport annuel et accompagnée d’une notice , la chambre commerciale de la Cour de cassation étend  à son tour l’obligation pour le juge de relever d’office les clauses abusives aux frontières des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée.  

L’affaire concernait un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel avait été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur.  

A l’occasion de la procédure de saisie immobilière du bien l’emprunteur avait soulevé à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié. L’arrêt avait retenu que les décisions d’admission des créances avaient autorité de la chose jugée à l’égard du consommateur relativement aux créances qu’elles fixent. L’arrêt avait observé que le consommateur, convoqué à l’audience du juge-commissaire pour qu’il soit statué sur ses contestations, s’était présenté en la même qualité devant le juge de l’exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et avait relevé que, devant ce juge, le débiteur n’avait formulé aucune observation concernant la première créance et qu’il n’avait pas davantage contesté la seconde.  

 La décision est cassée sous le visa des articles 7, § 1, de la directive 93/13 et de l’article  L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation.  

La Cour de cassation confirme que la décision du juge commissaire ayant admis des créances au passif d’une procédure collective dispose en effet de l’autorité de la chose jugée. Cependant, elle énonce que ce principe ne doit en aucun cas vider de sa substance l’obligation reposant sur le juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause. Elle en déduit que « le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites. Pour appuyer sa décision, la Chambre commerciale se fonde sur une série de décisions de la CJUE imposant au juge national un contrôle juridictionnel effectif des clauses abusives pour assurer l’effet utile de la directive, de telle sorte qu’une règle procédurale interne relative à l’autorité de la chose jugée ne puisse y faire obstacle (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, Banco Primus ; CJUE 4 juin 2020, aff. C-495/19, Kancelaria Médius ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-600/19, Ibercaja Banco ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-693/19, SPV « Project 503 Srl » aff. C-831/19, Banco di Desio e della Brianza). Autrement dit, en vertu du principe d’effectivité, un mécanisme national ne peut pas faire obstacle au droit européen. 

Elle apporte cependant une exception au principe posé dans l’hypothèse où « il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée » que le juge s’est livré à l’ examen du caractère éventuellement abusif des clauses. 

Voir également : 

Civ. 1, 1er février 2023, n° 21-20.168 

Contrat de crédit immobilier – prêt libellé en francs suisses –  clarté et intelligibilité – déséquilibre significatif – clause de remboursement. 

 

EXTRAITS : 

« la cour d’appel a retenu que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement du prêt, que le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières 

[…] 

Faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni aux emprunteurs, en leur qualité de consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de la clause litigieuse sur leurs obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations, la cour d’appel, (…), en a exactement déduit que cette « clause de remboursement », qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait être réputée non écrite. » 

 

ANALYSE : 

Un contrat de prêt immobilier in fine souscrit en francs suisses remboursable en une échéance exigible le 31 janvier 2015 a été conclu le 14 mars 2000. Ce prêt a été conclu avec intérêts indexés suivant l’index LIBOR 3 mois. Les emprunteurs n’ayant pas remboursé l’intégralité du capital, la banque met en oeuvre différentes mesures d’exécution mais elle est assignée par les emprunteurs en annulation d’une « clause de remboursement du crédit » . 

Ladite clause était ainsi stipulée : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d’assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débités sur un compte en devise ouvert au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur et que la monnaie de paiement est le franc français ou l’euro, l’emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom au nom de l’un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l’échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l’échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l’emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré. » 

 

En premier lieu, les magistrats de la Cour de cassation considèrent que la cour d’appel a exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, ne respectait pas les exigences de clarté et d’intelligibilité. En effet, d’une part la cour d’appel a constaté que la stipulation litigieuse comportait des informations contradictoires concernant la devise de remboursement. D’autre part, la Cour d’appel a relevé que « le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en oeuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses et de conversion, alors que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient ni de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital ni de connaître les modalités de conversion, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée aux emprunteurs sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de leur engagement et qu’ils n’avaient pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur leurs obligations financières et prendre conscience des difficultés auxquelles ils seraient confrontés en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus ». Ce faisant les juges du fond ont mis en œuvre la jurisprudence de la CJUE selon laquelle, l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, doit être entendue de manière extensive CJUE, 10 juin 2021, C-776/19, BNP Paribas Personal Finance 

Effectivement, elle doit être comprise comme imposant deux exigences pour le professionnel, à savoir :  

  • que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical,   
  • mais également qu’un consommateur moyen, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières . 

Cette jurisprudence est désormais régulièrement rappelée par les juges dans les affaires de prêts en devise étrangère depuis le revirement de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 20 avril 2022, n° 20-16.942 

En second lieu, les magistrats de la Cour de cassation approuvent les juges du fond d’avoir jugé que la clause créait bien un déséquilibre significatif. Ici, la Cour de cassation, appliquant la jurisprudence de la CJUE, rendue à l’occasion de l’affaire BNP Paribas, énonce que « la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard des emprunteurs, à ce que ces derniers acceptent, à la suite d’une négociation individuelle, les risques susceptibles de résulter de la clause litigieuse sur leurs obligations ». En d’autres termes, le déséquilibre significatif s’induit ici du défaut de transparence et de bonne foi de la banque.  

 

CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 – Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest 

  

Contrat entre professionnel et consommateur – Contrat de prêt – Déchéance du terme – Mise en demeure – Clause non négociée  

  

EXTRAIT  

  

« L’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que : sous réserve de l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, ils s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat. »  

 

 

  

ANALYSE   

  

Saisie de questions préjudicielles par la Cour de cassation, la CJUE vient préciser que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause contractuelle qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai. 

 

En effet, la seule circonstance qu’une clause comporte une obligation expresse et non équivoque ne saurait la soustraire au contrôle de son caractère abusif à l’aune de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, sous réserve de l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive. 

 

En effet, étant donné que cette clause ne relève pas de la notion « d’objet principal du contrat », la juridiction nationale doit examiner la clause litigieuse au regard de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat y compris si cette faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques. C’est à travers une telle analyse comparative que le juge national pourra évaluer si et, le cas échéant, dans quelle mesure le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur (arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C421/14, EU:C:2017:60, point 59).  

CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 – Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest 

  

Contrat de prêt – Déchéance du terme – Critères d’appréciation de l’abus  

  

EXTRAIT  

  

« L’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14, EU:C:2017:60), doit être interprété en ce sens que les critères qu’il dégage pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause crée au détriment du consommateur, ne peuvent être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national doit examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. »  

 

 

  

ANALYSE   

  

Saisie de questions préjudicielles par la Cour de cassation, la CJUE vient préciser les critères d’appréciation du caractère abusif, posés par l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) 

Dans la décision Banco Primus, la CJUE avait constaté qu’afin de déterminer si une clause produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, la juridiction nationale doit examiner notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national confère au consommateur des moyens adéquats et efficaces lui permettant, lorsque celui-ci est soumis à l’application d’une telle clause, de remédier aux effets de l’exigibilité du prêt (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pt 66). 

 

La Cour de cassation s’interrogeait en effet sur le point de savoir si ces critères posés pour l’appréciation du caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont cumulatifs ou alternatifs.  

 

Selon la CJUE ces critères ne sont ni cumulatifs ni alternatifs et la liste fournie au point 66 de l’arrêt n’est pas exhaustive. Elle considère en effet que considérer qu’ils sont cumulatifs ou alternatifs «reviendrait à restreindre cet examen du juge national ». Rappelant que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 définit de façon particulièrement large les critères permettant d’effectuer ledit examen en englobant expressément « toutes les circonstances » qui entourent la conclusion du contrat concerné  (arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C-453/10, EU:C:2012:144, point 42), elle en déduit que les critères posés par la décision Banco Primus « doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné », 

    

Cass. civ. 1, 9 novembre 2022, n° 21-16.476 

Prêt immobilier en francs suisses — Clause abusive — question préjudicielle – clause de déchéance du terme 

 

EXTRAITS : 

« 9. En l’espèce, pour caractériser l’exigibilité de la créance de la banque et ordonner la vente forcée, la cour d’appel a fait application de la clause du contrat dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme consécutive au défaut de paiement d’une seule échéance à la date prévue.  

  1. Au regard des griefs formulés par le moyen et des questions préjudicielles précitées (Cass. civ. 1ère, 16 juin 2021, pourvoi n° 20-12.154), la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi, de sorte qu’il y a lieu de surseoir à statuer jusqu’au prononcé de celle-ci »

 

ANALYSE : 

A la suite d’un défaut de paiement des échéances du prêt immobilier en francs suisses, la banque a délivré un commandement aux fins de vente forcée, vente ordonnée ensuite par le tribunal de l’exécution forcée. Pour caractériser l’exigibilité de la créance de la banque et ordonner la vente forcée, la cour d’appel a fait application de la clause du contrat dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme consécutive au défaut de paiement d’une seule échéance à la date prévue. 

L’emprunteur a alors formé un pourvoi considérant que le juge devait écarter les clauses présentant un caractère abusif.  

La Cour de cassation a commencé par rappeler l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017 (CJUE, 26 janvier 2017, C-421/14), aux termes duquel le juge, saisi du caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, doit vérifier si « la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt ». 

Or, la première chambre civile relève que par un arrêt du 16 juin 2021 (Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n°20-12-154), la Cour de cassation a posé cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur ces interrogations : 

1°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2°) L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14, doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?

3°) Les articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?

4°) Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5°) Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ? 

Observant que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à intervenir sur ces questions est de nature à influer sur la solution ayant trait au caractère abusif de la dispensant l’organisme prêteur de toute mise en demeure ou sommation préalable au prononcé de la déchéance du terme, les magistrats de la Cour de cassation ont décidé de surseoir à statuer jusqu’à à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. 

 

Voir également : 

-  CJUE 26 janvier 2017, C-421/14 

Cass. civ. 1, 16 juin 2021, n°20-12-154