CJUE, 13 octobre 2022  aff. C-405/21  – NOVA KREDITNA BANKA MARIBOR d.d.  

  

Contrat de prêt libellé en devises étrangères – Déséquilibre significatif – Exigence de bonne foi – Critères d’appréciation – Degré d’harmonisation 

 

EXTRAIT 

  

« Larticle 3, paragraphe 1, et larticle 8 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que :  

ils ne sopposent pas à une réglementation nationale qui permet de constater le caractère abusif dune clause contractuelle lorsquelle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, sans toutefois procéder à lexamen, dans une telle hypothèse, de lexigence de « bonne foi », au sens de cet article 3, paragraphe 1. »  

  

ANALYSE   

  

La CJUE rappelle les trois critères pour apprécier le caractère abusif d’une clause : la bonne foi, l’équilibre et la transparence (pt 18) et elle saisit l’occasion pour rappeler le sens de chacun des  ces crtières (pts 20 à 28).  

S’agissant de la bonne foi, qui fait l’objet de la question préjudicielle, elle rappelle qu’il s’agit d’un « élément qui permet de vérifier si le professionnel a traité de façon loyale et équitable avec le consommateur » (pt 24) et que cette notion « est inhérente à l’examen de la nature abusive d’une clause contractuelle » (pt 25). 

Cependant, elle rappelle qu’à raison du degré d’harmonisation minimal de la directive, est laissée une marge de manœuvre aux Etats membres de protéger davantage les consommateurs. Aussi une législation nationale (en l’espèce la législation slovène) qui permet de constater le caractère abusif dune clause contractuelle lorsque son existence crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat sans procéder à lexamen de lexigence de « bonne foi » n’est pas contraire à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 

 

Le droit français qui ne se réfère pas à la bonne foi pour apprécier le caractère abusif d’une clause (C. consom., art. L. 212-1) n’est donc pas contraire au droit européen. 

Cass. 1ère civ., 7 septembre 2022, n° 20-20.826 

Contrat de prêt multidevises — objet du contrat — transparence – déséquilibre significatif – devoir d’information du banquier  

 

EXTRAITS : 

« Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : 

(…)

9.Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l’arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d’intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l’objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

10.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. 

 

Vu l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : 

(…)

13.Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d’information, l’arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l’emprunteur avait pris connaissance de l’article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d’augmentation du capital à rembourser au-delà d’un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l’emprunteur, avant la signature de l’offre, une lettre l’informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».

14.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

 

ANALYSE : 

Accueillant le premier moyen de cassation, la Cour rappelle que l’appréciation du caractère abusif d’une clause portant sur l’objet d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose que la clause soit dépourvue de clarté et de compréhensibilité. Appliquant la jurisprudence BNP Paribas (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), elle casse l’arrêt d’appel qui avait jugé la clause claire, au motif que les informations transmises par le banquier n’avaient pas permis à l’emprunteur de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier, et d’évaluer les risques inhérents à cet engagement, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie utilisée pour le remboursement par rapport à la monnaie de compte. Dès lors la clause peut être soumise au test du déséquilibre significatif.  

Accueillant le second moyen de cassation, elle fait valoir qu’une lettre informant le consommateur «  des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d’un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque » » ne lui permet pas de comprendre le mécanisme et d’en évaluer les conséquences financières concrètes. La Cour de cassation fait état de la nécessité d’alerter l’emprunteur sur le risque encouru en cas de dépréciation importante de la monnaie dans laquelle les revenus sont perçus par rapport à la monnaie de compte. 

La première chambre civile de la Cour de cassation procède donc de nouveau à une application de la jurisprudence européenne (CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance). Elle confirme le revirement de jurisprudence qu’elle avait opéré dans un arrêt du 30 mars 2022 (Cass. civ. 1ère, 30 mars n°19-20.717) en induisant du principe de transparence matérielle des clauses un devoir d’information du banquier sur le risque des conséquences économiques négatives des clauses « devises étrangères ». 

 

 

Voir aussi : CJUE 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), BNP Paribas Personal Finance / Cass. civ 1ère , 20 avril 2022, 20-16.316 / Cass. civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996 

Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21-15.199 

 

 

Contrat de prêt libellé en devise étrangère — écart de change — risque de dépréciation — franc suisse – défaut de clarté 

 

EXTRAITS :

11.Pour rejeter les demandes formées par les emprunteurs au titre du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt, l’arrêt retient que ces clauses définissent l’objet principal de ces contrats et sont claires et compréhensibles dès lors qu’elles précisent, en des termes intelligibles, les modalités de l’amortissement de ces deux prêts avec conversion de la somme due en euros selon un taux de change, que les emprunteurs ont reçu une information au moyen d’un document signé le 1er février 2008 dans lequel la banque appelait leur attention sur les points particuliers de cette convention et notamment sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse, et qu’ils étaient en capacité d’apprécier la nature et la portée de leurs engagements et de mesurer les risques encourus en cas de dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse ainsi que les conséquences induites sur leurs obligations financières.

12.En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne l’appréciation du caractère abusif des clauses du contrat de prêt libellé en devise étrangère. 

Pour apprécier le caractère abusif d’une clause portant sur l’objet principal du contrat, il faut préalablement s’assurer que la clause n’est pas claire et compréhensible. Or, l’arrêt d’appel avait jugé que lesdites clauses ne pouvaient être considérées comme abusives dès lors qu’elles étaient claires et compréhensibles. Les juges du fond avaient relevé la remise d’un document dans lequel la banque appelait l’attention des emprunteurs « sur les risques d’évolution d’un capital placé sur un support spéculatif et les risques de change liés au cours du franc suisse ». 

 

Cependant, dans cet important contentieux, la Cour de Justice de l’Union Européenne a tranché en considérant que la clause dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère suppose, pour répondre aux exigences de clarté, que le professionnel ait « fourni les informations suffisantes et exactes permettant au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal, C-776/19 à C-782/19). A défaut, la clause pourra faire l’objet d’une appréciation de son caractère abusif. 

La première chambre civile, cassant la décision rendue par les juges du fond, se rangeant derrière la solution de la Cour de Justice de l’Union Européenne, relève qu’ils n’ont pas vérifié que la banque avait fourni aux emprunteurs les informations suffisantes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme du contrat et le risque encouru « dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte ». Faute d’une information sur ce risque précis lié à la dépréciation, et pas simplement à l’évolution du cours, le principe de transparence matérielle posé par la CJUE n’est pas respecté, et la clause est susceptible d’être jugée abusive. 

 

Voir également : 

-  Site de la CCA :  

CJUE, 10 juin 2021 BNP Paribas Personnal  

 La clause de monnaie étrangère est susceptible de créer un déséquilibre significatif dès lors que le professionnel n’a pas satisfait à l’exigence de transparence en ne permettant pas au consommateur d’évaluer les conséquences économiques négatives de cette stipulation

Cass. civ.1ère. 15 juin 2022 n°20-16.070  

Contrat de prêt — Clause calcul montant des échéances — Déséquilibre significatif — Fixation unilatérale du montant des échéances 

EXTRAITS : 

« 10. Pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusive la clause du contrat prévoyant que le montant des échéances sera porté à leur connaissance à l’issue de la période d’anticipation, l’arrêt retient qu’une telle stipulation ne saurait caractériser une clause abusive, aucun déséquilibre n’existant au détriment des emprunteurs puisqu’un tel appareil dans son ensemble permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d’emprunteurs candidats à un prêt à l’accession sociale et qu’il résulte de la volonté commune des parties, alors qu’aucune disposition légale n’interdit de procéder autrement que par détermination d’une obligation constante, que la progressivité de l’amortissement est une des caractéristiques du prêt à l’accession sociale.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. » 

ANALYSE : 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation concerne la clause du contrat de prêt prévoyant que le montant des échéances sera porté à la connaissance d’un emprunteur candidat à un prêt à l’accession sociale à l’issue de la période d’anticipation. 

L’arrêt d’appel avait jugé que ladite clause ne pouvait être abusive au motif que cet « appareil » permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d’emprunteurs candidats à un prêt à l’accession sociale et qu’il résulte de la volonté commune des parties. Or, selon les juges du fond « aucune disposition légale n’interdit de procéder autrement que par détermination d’une obligation constante, que la progressivité de l’amortissement est une des caractéristiques du prêt à l’accession sociale ». 

La première chambre civile casse la décision rendue par les juges du fond en relevant que ces motifs étaient impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs », 

En effet, comme l’avait relevé le pourvoi, le montant des échéances n’étant porté à la connaissance de l’emprunteur qu’à l’issue de la période d’anticipation, laquelle précède un mécanisme d’amortissement par cinq paliers, l’emprunteur n’avait lors de l’acceptation de l’offre aucune idée du coût final de sa dette ni des modalités de son apurement. Cette fixation unilatérale du prix par le prêteur était de nature à créer un déséquilibre significatif.  

COUR D’APPEL D’AMIENS, 17 MAI 2017 RG 20/06095  

– contrat de prêt – prescription – action en nullité – action en constatation du caractère abusif d’une clause  

  

EXTRAITS   

« S’il a été jugé que la clause contraire aux dispositions de l’article L.212-1 du code de la consommation, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs est ‘réputée non-écrite’, cette expression signifie simplement que seule la clause est nulle, non le contrat entier, et non pas qu’il s’agirait d’une sanction spécifique, autre que la nullité́, échappant à la prescription. » 

  

ANALYSE    

  

Alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle dans une décision rendue en 2021 (cf. CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 BNP Paribas Personal Finance) que les articles 6 et 7 de la directive 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, disposent de l’imprescriptibilité des actions du consommateur tendant à la contestation par celui-ci du caractère abusif d’une clause ; que la Cour de cassation dans un arrêt du 8 avril 2021 (n°19-17997) affirme que la demande tendant à réputer non-écrite la clause litigieuse n’est pas non plus soumise à un délai de prescription ; il semblerait cependant que cet arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens ignore ces solutions.  

  

En effet, un couple contestait la régularité de deux clauses d’intérêts immobiliers issu de leur contrat de prêt et demandait le prononcé du caractère abusif de ces dernières ainsi que le versement par la banque de dommages et intérêts. La banque a dès lors opposé la prescription quinquennale issu de l’article 2224 du code civil à toutes les demandes des consommateurs.  

Le tribunal a accueilli cette opposition de la banque, déclarant les demandes du couple irrecevables car prescrites. La Cour d’appel d’Amiens confirme ce jugement et ajoute que, s’agissant de l’action en nullité, le point de départ quant à la prescription est le « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Or, en l’espèce, les emprunteurs auraient, selon la Cour d’appel, eu tous les éléments pour soutenir, dès la conclusion du contrat en 2010, que les clauses étaient abusives, de sorte que pour la Cour d’appel il n’y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription. 

 

VOIR EGALEMENT :

CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 BNP Paribas Personal Finance