CJUE, 25 avril 2024,aff. C-561/21–– GP,BG contre Banco Santander SA

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat de prêt hypothécaire – Clause prévoyant le paiement des frais liés au contrat à charge du consommateur – Décision judiciaire définitive constatant le caractère abusif de cette clause et annulant celle-ci – Action en restitution des sommes acquittées au titre de la clause abusive – Point de départ du délai de prescription de l’action en restitution » 

  

EXTRAIT  

 

« (…) l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que le principe de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que le délai de prescription d’une action en restitution de frais qui ont été acquittés par le consommateur au titre d’une clause contractuelle dont le caractère abusif a été constaté par une décision judiciaire définitive rendue postérieurement au paiement de ces frais commence à courir à la date à laquelle cette décision est devenue définitive»  

ANALYSE   

 

La Cour de Justice de l’Union Européenne était saisie d’une première question concernant la compatibilité du principe de sécurité juridique avec un délai de prescription qui commence à courir à la date de la décision judiciaire définitive constatant le caractère abusif d’une clause contractuelle dans le cadre d’une action en restitution des frais acquittés par le consommateur au regard de  l’article 6 paragraphe 1  , et de l’article 7, paragraphe 1 de la [directive 93/13  

 

En l’espèce, des consommateurs avaient souscrit, le 29 juin 1999, un prêt hypothécaire auprès de la Banco Santander, comportant une clause leur imposant la prise en charge de l’intégralité des frais liés au contrat. En 2017, ils sollicitent l’annulation de cette clause et le remboursement des sommes versées. La banque fait appel, et la cour d’appel accueille partiellement sa demande, estimant que le délai de prescription avait commencé à courir dès la conclusion du contrat en 1999. Les consommateurs se pourvoient en cassation devant l’Audiencia Provincial de Barcelone, soutenant que le point de départ du délai de prescription ne devrait pas être fixé à la date de conclusion du contrat. 

La Cour rappelle d’abord qu’en l’absence de réglementation spécifique de l’Union européenne, les États membres disposent d’une certaine liberté pour définir les modalités procédurales, à condition de respecter les principes d’équivalence et d’effectivité (arrêt Profit Crédit Slovzkia, C-485/19)   Elle précise que les délais de prescription doivent être suffisamment flexibles pour permettre aux consommateurs d’exercer leurs droits, sans que leur application ne rende cet exercice excessivement difficile. (arrêt BNP Paribas Personal Finance)   

La jurisprudence antérieure indique que des délais de prescription de trois à quinze ans peuvent être considérés comme compatibles avec le principe d’effectivité, à condition qu’ils soient préalablement connus des parties et suffisants pour permettre au consommateur concerné de préparer et de former un recours effectif. 

De plus, la Cour souligne qu’un consommateur doit être informé du caractère abusif d’une clause pour que le délai de prescription soit applicable, tenant compte de la situation d’infériorité du consommateur par rapport au professionnel. (arrêt Caixabank c-224/19 ) 

Enfin, la Cour conclut que la charge de la preuve incombe au professionnel, qui doit démontrer que le consommateur avait ou pouvait raisonnablement avoir connaissance de la clause abusive avant la décision judiciaire. Ainsi, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive ne s’opposent pas à l’application d’un délai de prescription .

CJUE 2023-12-14 C-28-22 TL WE 

 

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère contenant des clauses abusives concernant le taux de change – Nullité de ce contrat – Actions en restitution – Délai de prescription  

 

EXTRAIT  

 

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, 

 

doivent être interprétés en ce sens que : 

 

ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un professionnel, en raison de clauses abusives contenues dans ce contrat, le délai de prescription des créances de ce professionnel découlant de la nullité dudit contrat commence à courir uniquement à partir de la date à laquelle ce dernier devient définitivement inopposable, alors que le délai de prescription des créances de ce consommateur découlant de la nullité du même contrat commence à courir à partir de la date à laquelle celui-ci a pris connaissance, ou aurait dû raisonnablement prendre connaissance, de la nature abusive de la clause entraînant cette nullité. 

 

 

 

ANALYSE   

Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la Directive 93/13, à la lumière du principe d’effectivité. Ces articles traitent respectivement du caractère non contraignant des clauses abusives dans les contrats de consommation et des moyens mis en œuvre par les Etats membre pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. La question centrale est de savoir si l’interprétation jurisprudentielle du droit national, qui fixe des délais de prescription différents pour les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives, est conforme au droit de l’Union. 

La Cour rappelle que les États membres sont responsables de la mise en œuvre de la Directive 93/13 dans leurs ordres juridiques respectifs. Cependant, cette mise en œuvre doit respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. L’équivalence exige que les modalités de protection des consommateurs ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne. L’effectivité signifie que ces modalités ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. 

La Cour souligne que toute asymétrie des voies de droit, notamment dans les délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs, peut porter atteinte à l’effectivité de la protection des consommateurs prévue par la Directive 93/13. Elle met en avant le risque que cette asymétrie incite les professionnels à retarder ou prolonger les procédures, privant ainsi les consommateurs de leur droit à une réparation et portant atteinte à l’effet dissuasif de la directive. Dans le cas présent, la Cour européenne de justice émet des réserves quant à l’asymétrie des voies de droit en Pologne, où le délai de prescription des créances du consommateur commence à courir avant celui du professionnel, créant ainsi une inégalité de traitement. 

Ainsi, la Cour conclut que les articles 6 et 7 de la Directive 93/13, interprétés à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national qui crée une asymétrie des délais de prescription entre les professionnels et les consommateurs dans le cas de contrats annulés pour clauses abusives. Pour remédier à cette situation, la Cour recommande que les délais de prescription pour les créances des professionnels et des consommateurs devraient commencer à courir au même moment, à savoir à partir de la date à laquelle la nullité du contrat est constatée de manière définitive par une juridiction compétente.  

Cette réponse de la Cour assure un principe d’égalité de traitement entre les professionnels et les consommateurs en matière de délais de prescription.