ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 novembre 2001

Dans les affaires jointes C-541/99 et C-542/99,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l’article 234 CE, par le Giudice di pace di Viadana (Italie) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Cape S…

et

I… Srl (C-541/99),

et entre

I… MN RE Sas

et

O… Srl (C-542/99),

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme F. Macken (rapporteur), président de chambre, MM. C. Gulmann et J.-P. Puissochet, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

considérant les observations écrites présentées:

– pour le gouvernement italien, par MM. U. Leanza et G. Castellani Pastoris, en qualité d’agents, assistés de M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vamonde, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger et R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. França et P. Stancanelli, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales d’I… Srl, représentée par Me R. Chiericati, avvocatessa, du gouvernement italien, représenté par M. D. Del Gaizo, et de la Commission, représentée par MM. M. França et P. Stancanelli, à l’audience du 17 mai 2001,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juin 2001,

rend le présent

Arrêt

1. Par deux ordonnances du 12 novembre 1999, parvenues à la Cour le 31 décembre suivant, le Giudice di pace di Viadana a posé, en application de l’article 234 CE, trois questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement Cape S… à I… Srl et I… MN RE Sas à O… Srl à propos de l’exécution de contrats types contenant une clause attributive de compétence au Giudice di pace di Viadana, laquelle est contestée par C… et O… sur le fondement de la directive.

Le cadre juridique

3. La directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

4. Aux termes de l’article 2, sous b), de la directive:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

b) ‘consommateur: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle».

5. L’article 2, sous c), de la directive définit le terme «professionnel» comme visant «toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6. I… MN RE Sas et I… Srl (ci-après «I…») ont conclu avec O… et C…, respectivement les 14 septembre 1990 et 26 janvier 1996, deux contrats portant sur la fourniture à ces dernières de machines de distribution automatique de boissons, lesquelles ont été installées dans les locaux de ces deux sociétés et étaient destinées à l’usage exclusif de leur personnel.

7. Dans le cadre de l’exécution desdits contrats, C… et O… ont formé une opposition à injonction de payer, en soutenant que la clause attributive de compétence qu’ils contiennent est abusive au sens de l’article 1469 bis, point 19, du code civil italien et, par conséquent, inopposable aux parties aux contrats en vertu de l’article 1469 quinquies de ce même code.

8. La juridiction de renvoi constate que sa compétence pour connaître des deux litiges qui lui sont soumis dépend de l’interprétation desdites dispositions du code civil, lesquelles constituent une «transposition servile» de la directive. En particulier, les notions de «professionnel» et de «consommateur» visées à l’article 1469 bis du code civil seraient une transcription littérale des définitions figurant à l’article 2 de ladite directive.

9. Dans les deux affaires, I… soutient que C… et O… ne peuvent être considérées comme des consommateurs aux fins de l’application de la directive. En effet, outre qu’il s’agit de sociétés et non de personnes physiques, C… et O… auraient signé les contrats en cause devant la juridiction nationale dans l’exercice de leur activité d’entreprise.

10. Estimant que la solution des deux litiges portés devant lui dépend de l’interprétation de la directive, le Giudice di pace di Viadana a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont rédigées en des termes identiques dans les deux affaires:

«1) Peut-on considérer comme un consommateur un entrepreneur qui, concluant un contrat avec un autre entrepreneur sur le modèle prévu par ce dernier dans la mesure où ce contrat s’insère dans son activité professionnelle spécifique, achète un service ou un bien, à l’usage exclusif de ses propres salariés, totalement dissocié et étranger à son activité professionnelle et commerciale typique? Est-il possible de dire, dans ce cas, que cette personne a agi à des fins ne concernant pas l’entreprise?

2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, peut-on considérer comme un consommateur toute personne ou organisme quand il agit à des fins étrangères ou ne pouvant servir à l’activité commerciale ou professionnelle typique qu’il ou elle exerce, ou la notion de consommateur se réfère-t-elle exclusivement à la personne physique, à l’exclusion de toute autre personne?

3) Peut-on considérer une société comme un consommateur?»

11. Par ordonnance du président de la Cour du 17 janvier 2000, les affaires C-541/99 et C-542/99 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l’arrêt.

Sur les deuxième et troisième questions

12. Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

13. I…, les gouvernements italien et français, ainsi que la Commission, soutiennent que la notion de «consommateur» vise uniquement les personnes physiques.

14. En revanche, le gouvernement espagnol prétend que, si le droit communautaire considère que, en principe, les personnes morales ne sont pas des consommateurs au sens de la directive, il n’exclut pas une interprétation conférant une telle qualité à ces dernières. Avec le gouvernement français, il fait valoir que la définition du consommateur donnée par la directive n’exclut pas la possibilité pour les droits nationaux des États membres, lors de la transposition de celle-ci, de considérer une société comme un consommateur.

15. À cet égard, il convient de relever que l’article 2, sous b), de la directive définit le consommateur comme étant «toute personne physique» qui remplit les conditions énoncées par cette disposition, tandis que l’article 2, sous c), de la directive définit la notion de «professionnel» en se référant tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.

16. Il ressort donc clairement du libellé de l’article 2 de la directive qu’une personne autre qu’une personne physique, qui conclut un contrat avec un professionnel, ne saurait être regardée comme un consommateur au sens de ladite disposition.

17. Dès lors, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que la notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

Sur la première question

18. Eu égard à la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.

Sur les dépens

19. Les frais exposés par les gouvernements italien, espagnol et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Giudice di pace di Viadana, par ordonnances du 12 novembre 1999, dit pour droit:

La notion de «consommateur», telle que définie à l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clause abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques.

Macken Gulmann
Puissochet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2001.

Le greffier
Le président de la troisième chambre

R. Grass
F. Macken

Conseil d’État
statuant au contentieux
N° 221458
Publié au Recueil Lebon

M. Peylet, Rapporteur
Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement
M. Labetoulle, Président

Lecture du 11 juillet 2001

Vu l’ordonnance en date du 19 mai 2000, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 25 mai 2000, par laquelle, sur renvoi du président de la cour administrative d’appel de Nancy, le président de la cour administrative d’appel de Douai a transmis au Conseil d’État, en application de l’article R. 81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur, la requête présentée devant la cour administrative d’appel de Nancy par la SOCIETE *** ;

Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 1998 au greffe de la cour administrative d’appel de Nancy, présentée par la SOCIETE *** dont le siège est ***, représentée par son président directeur-général ; la SOCIETE *** demande au Conseil d’État :

1°) l’annulation du jugement du 2 juillet 1998 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par les sociétés C*** et D*** agissant en exécution d’un jugement du tribunal d’instance de Lille en date du 12 décembre 1997, a déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993 est entaché d’illégalité en ce qu’il stipule que la responsabilité du service des eaux, en cas de dommage résultant de l’existence et du fonctionnement de la partie de l’installation située en partie privative en amont du compteur, ne peut être engagée qu’en cas de faute de service ;

2°) qu’il soit déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille n’est pas entaché d’illégalité ;

3°) la condamnation des sociétés C***et D***à lui payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la consommation, notamment son article L. 132-1 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Peylet, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Vincent, Ohl, avocat de la communauté urbaine de Lille,
– les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un jugement du 12 décembre 1997, le tribunal d’instance de Lille, saisi par les sociétés D***et C***d’une demande de réparation des conséquences dommageables d’un dégât des eaux causé par la rupture du branchement particulier desservant l’immeuble où la première a son siège, a renvoyé les parties à saisir le tribunal administratif de la question de la légalité de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993 et a sursis à statuer jusqu’à la décision du tribunal administratif ; que la SOCIETE *** fait appel du jugement du 2 juillet 1998 par lequel le tribunal administratif de Lille a déclaré que le b) de l’article 12 de ce règlement est entaché d’illégalité en ce qu’il prévoit que le client abonné aurait à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de la partie du branchement située en dehors du domaine public et en amont du compteur, sauf s’il apparaissait une faute du service des eaux ;

Considérant que la question préjudicielle posée par le tribunal d’instance de Lille portait, de façon générale, sur la légalité des dispositions de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille ; qu’ainsi la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Lille aurait statué au-delà de la saisine, en ne limitant pas sa réponse à la légalité de la disposition contestée au regard de la seule législation sur les clauses abusives ;

Mais considérant qu’eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d’abonnement liant le distributeur d’eau et l’usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l’occasion de la fourniture de l’eau, exercer d’autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d’entretien ou de fonctionnement de l’ouvrage public qui assure ladite fourniture ; que, par suite, la SOCIETE *** est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille s’est fondé sur les règles applicables au régime de responsabilité du fait des dommages subis par les usagers d’ouvrages publics pour déclarer illégal le b) de l’article 12 du règlement de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’État, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par les sociétés D***et C***devant le tribunal administratif de Lille ;

Considérant qu’aux termes des trois premiers alinéas de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 modifiée sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services, dans sa rédaction en vigueur à la date d’édiction du règlement du service des eaux litigieux : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels, ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets en Conseil d’État pris après avis de la commission instituée par l’article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif. / De telles clauses abusives, stipulées en contradiction avec les dispositions qui précèdent, sont réputées non écrites. / Ces dispositions sont applicables aux contrats quels que soient leur forme ou leur support » ; que ces dispositions ont été ultérieurement codifiées à l’article L. 132-1 du code de la consommation, lequel dispose, dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ( …) / Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat ( …)/ Les clauses abusives sont réputées non écrites. / L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert. / Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses. / Les dispositions du présent article sont d’ordre public » ;
Considérant qu’aux termes de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la Communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993, annexé au contrat de concession conclu entre cette communauté et la SOCIETE *** le 27 septembre 1985 : « Les travaux d’entretien et de renouvellement des branchements sont exécutés exclusivement par le service des eaux, ou sous sa direction par une entreprise agréée par lui depuis la prise sur conduite jusqu’au robinet avant compteur, à l’exclusion du regard ou de la niche abritant le compteur ( …) L’entretien sera assuré dans les conditions suivantes : a) Pour la partie du branchement située entre la conduite de distribution publique et le point d’entrée dans la propriété du client abonné, le service des eaux prendra à sa charge les frais de réparation et les dommages pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de cette partie du branchement ; b) Pour toutes les autres parties du branchement, le service des eaux prendra à sa charge les seuls frais de réparation directe du branchement ; le client abonné aura à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de ces parties du branchement, sauf s’il apparaissait une faute du service des eaux ( …) Le client abonné devra prévenir immédiatement le service des eaux de toute fuite et anomalie de fonctionnement qu’il aurait constatée sur le branchement ( …) » ;

Considérant que le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ;

Considérant que les dispositions précitées du « b » de l’article 12 peuvent conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant ; qu’elles s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion ; qu’elles ne sont pas justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public ; qu’elles présentent ainsi le caractère d’une clause abusive au sens des dispositions précitées de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ; qu’elles étaient, dès lors, illégales dès leur adoption ; qu’elles ne sont pas davantage conformes aux dispositions précitées de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, d’ordre public ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE *** n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille est entaché d’illégalité ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la SOCIETE *** à payer aux sociétés D***et C***la somme qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que les sociétés D***et Commercial Union, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnées à payer à la SOCIETE *** et à la communauté urbaine de Lille les sommes qu’elles demandent au même titre ;
DECIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE *** est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE *** est condamnée à payer aux sociétés D***et C***la somme de 10 000 F en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la communauté urbaine de Lille devant le Conseil d’Etat et tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ***, à la SA D***, à la SA C***, à la communauté urbaine de Lille, au tribunal d’instance de Lille et au ministre de l’intérieur.

Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 11 juillet 2001
Rejet
N° de pourvoi : 99-20970
Inédit
Président : M. BEAUVOIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société civile immobilière (SCI) C., dont le siège est ***, 59200 Tourcoing, en cassation d’un arrêt rendu le 11 octobre 1999 par la cour d’appel de Douai (1ère chambre civile), au profit de la société Q., société anonyme, dont le siège est ***, 59050 Roubaix, défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l’audience publique du 12 juin 2001, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Villien, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Cachelot, Martin, Mme Lardet, conseillers, Mmes Masson-Daum, Fossaert-Sabatier, Boulanger, Nési, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Villien, conseiller, les observations de la SCP Baraduc et Duhamel, avocat de la SCI C., de Me Ricard, avocat de la société Q., les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 11 octobre 1999), qu’en 1993 la Société civile immobilière C. (SCI) a chargé la société Q. de la réalisation du lot “gros oeuvre” dans l’édification d’un clinique ; qu’après exécution l’entrepreneur a assigné le maître d’ouvrage en paiement du solde du prix des travaux tandis que, par voie reconventionnelle, ce dernier a sollicité le paiement de pénalités de retard ;

Attendu que la SCI fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande de la société Q. relative au paiement de solde du prix des travaux, alors, selon le moyen :

1 ) que l’article 17-6-2 et l’article 18-4-4 de la norme Afnor impartissant au maître de l’ouvrage de notifier le décompte définitif dans un certain délai et prévoyant une sanction en cas d’absence de notification de ce décompte supposent, pour leur application, que le maître de l’ouvrage ait effectivement reçu ce décompte définitif établi par le maître d’œuvre au vu du mémoire transmis par l’entrepreneur et ait ainsi été en mesure d’apprécier et de discuter le montant du solde des travaux restant dû ; qu’en estimant que même en l’absence de décompte définitif qu’il n’avait jamais reçu, le maître de l’ouvrage qui n’avait pas respecté les délais de notification de ce décompte devait cependant encourir la sanction prévue à l’article 18-4-4 précité et devait payer à l’entrepreneur l’intégralité de la somme réclamée sans pouvoir la discuter, la cour d’appel a dénaturé la portée des clauses susvisées et violé l’article 1134 du Code civil ;

2 ) qu’est abusive la clause qui a pour effet de créer au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu’en l’espèce, à supposer que les clauses de la norme Afnor relatives à l’établissement du décompte définitif et celles relatives au paiement du solde des travaux puissent être combinées et analysées comme l’a fait la cour d’appel, elles créeraient au profit de l’entrepreneur un avantage injustifié en lui permettant par la connivence ou la simple négligence du maître œuvres d’obtenir le paiement du solde des travaux sans discussion possible du maître de l’ouvrage ; qu’en refusant en l’espèce d’examiner le caractère abusif de ces clauses ainsi analysées au motif inopérant qu’elles appartiennent au contrat selon l’accord des parties, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article L. 132-1 du Code de la consommation ;

3 ) que dans le cas d’un groupement conjoint d’entreprises ayant comme représentant unique le mandataire commun, le mémoire définitif établi par ce dernier doit nécessairement regrouper les mémoires définitifs de tous les entrepreneurs qu’il représente afin de permettre au maître œuvres d’établir le décompte définitif général du solde du marché ; qu’en estimant en l’espèce que le mémoire adressé par la société Q. pour le seul lot par elle exécuté pouvait valablement faire courir les délais prévus par la norme Afnor pour l’établissement du décompte définitif et pour le paiement du solde du marché, la cour d’appel a dénaturé l’économie du contrat et violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d’une part, qu’ayant relevé que, par application de l’article 17-5.1 de la norme Afnor P. 3001 ayant valeur contractuelle l’entrepreneur avait remis au maître d’œuvre dans le délai prévu le mémoire définitif des sommes qu’il estimait lui être dues en application du marché relatif au lot “gros oeuvre” exécuté par lui, et que le maître de l’ouvrage n’avait, dans le délai de l’article 17-6-2 de la norme, notifié à l’entrepreneur aucun décompte définitif émanant du maître d’œuvre, la cour d’appel a souverainement retenu, par une interprétation exclusive de dénaturation des stipulations contractuelles unissant les parties, que leur ambiguïté rendait nécessaire, qu’aucun élément de la norme ne stipulait que le mémoire devait être relatif à l’intégralité des marchés, et que, le décompte définitif n’étant établi qu’en cas de désaccord avec le mémoire, et ce dernier s’imposant aux parties à défaut de contestation, l’article 18-4-4 de la norme était applicable, et que le maître de l’ouvrage était tenu de payer le solde du prix des travaux calculé d’après le montant du mémoire définitif ;

Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a exactement retenu que les clauses de la norme Afnor n’étaient pas abusives, dans la mesure où le maître de l’ouvrage ne pouvait ignorer les délais prévus au contrat et où il était assisté par un maître d’œuvre professionnel ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la SCI fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande relative au paiement de pénalités de retard, alors, selon le moyen, que ni le contrat passé entre les parties ni la norme AFNOR PO3 001 n’obligent le maître de l’ouvrage à réclamer dans un certain délai et sous certaines conditions de forme des pénalités de retard ; que l’article 17-6-1 de la norme AFNOR ne vise que les sommes dues en exécution des travaux réalisés ; qu’en estimant que les pénalités de retard devaient nécessairement être demandées dans les délais de contestation du mémoire définitif et dans la forme d’une décompte définitif, la cour d’appel a dénaturé le contrat et violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a souverainement retenu, par une interprétation exclusive de dénaturation des stipulations contractuelles unissant les parties, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que l’article 17-6-1 de la norme visait les sommes dues en exécution du marché, que les pénalités de retard résultant également du marché s’imputaient sur le prix des travaux, qu’elles devaient être demandées dans le cadre de la procédure établie par la norme, et que faute pour le maître de l’ouvrage d’avoir contesté le mémoire définitif et réclamé les pénalités dans les délais de contestation prévues, il s’avérait forclos à solliciter ces pénalités postérieurement devant la juridiction saisie ;

D’où il que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCI C. aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SCI C. à payer à la société Q. la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la SCI C. ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille un.

Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 19 juin 2001
Rejet
N° de pourvoi : 99-13395
Publié au bulletin
Président : M. Lemontey .
Rapporteur : M. Bouscharain.
Avocat général : M. Sainte-Rose.
Avocat : la SCP Bachellier et Potier de la Varde.

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société P., à laquelle Mme J. avait confié des pellicules en vue de leur développement et de leur tirage, n’a pas été en mesure de les restituer à celle-ci ; que cette dernière a recherché la responsabilité de sa cocontractante qui lui a opposé la clause limitant sa garantie, en pareil cas, à la remise d’une pellicule vierge et à son tirage gratuit, ou à leur contre-valeur, faute d’avoir déclaré que les travaux avaient une importance exceptionnelle “ afin de faciliter une négociation de gré à gré “ ; que le jugement attaqué (tribunal d’instance de Grenoble, 29 octobre 1998), considérant cette clause comme abusive, partant non écrite, a condamné la société P. à indemnisation ;

Attendu que le jugement, qui relève que la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation, a exactement considéré qu’en affranchissant dans ces conditions le prestataire de service des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :
– monsieur LORIFERNE, président,
– monsieur DURAND, conseiller,
– madame BIOT, conseiller,
assistés pendant les débats de madame KROLAK, greffier,

FAITS ET PROCEDURE :
Ayant souscrit au cours des années 1990 à 1992 auprès de la S.A. L’E… représentée par Monsieur GAUNOT, divers contrat d’assurances vie ou de capitalisation dénommés « I… », J-M R…, H. R…, D. C…, P. B…, J. D…, J-P G…, P. S…, C. D… épouse S., Madame M. V… épouse S…, Monsieur D. Z… ont saisi le Tribunal de Grande Instance de LYON le 5 mars 1997 d’une demande d’annulation des contrats pour dol.
Devant le Tribunal ils ont ultérieurement également demandé la résiliation des contrats pour non respect du Code des assurances et clauses abusives.
Par jugement du 15 novembre 1999, le Tribunal a :
– rejeté la demande d’annulation pour dol,
– prononcé la résiliation des contrats d’assurance vie « I… 6 » et « I… 10 » encore en cours,
– condamné la Société A… venant aux droits de la Société L’E… à payer à chacun des demandeurs dont le contrat est résilié la somme de 20.000 francs de dommages et intérêts et 2.000 francs au tire de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
La Société A… a régulièrement relevé appel et demande à la Cour de réformer le jugement déféré en rejetant les demandes formulées contre elle.
Elle sollicite la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire du jugement et la condamnation de chaque intimé à lui payer 2.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Elle expose que l’assureur a parfaitement rempli son devoir d’information, que le consentement des souscripteurs n’a pas été vicié et qu’ils ont souscrit leur contrats en toute connaissance de cause.
Elle fait valoir que la faculté pour l’assureur de consentir des « avances » est prévue par l’article L 132-21 du Code des assurances, que ceux des souscripteurs qui ont souhaité obtenir des avances ont approuvé les conditions dans lesquelles elles ont été consenties et que l’article 6 des conditions générales définissant le régime des avance ne saurait être qualifié de clause abusive.
Elle estime que l’absence d’indication dans le contrat du taux d’intérêt des avances éventuelles n’est pas contraire au décret du 24 mars 1978 puisque l’avance n’est pas l’objet du contrat d’assurance-vie et que ce taux est clairement exprimé dans la lettre de demande d’avance du client et la lettre de règlement de la compagnie.
Elle soutient également que la faculté d’obtenir des avances n’était pas déterminante du consentement et que sa suppression n’aurait aucun effet sur l’objet du contrat.
Elle conteste avoir manqué à son devoir de Conseil et de loyauté.
Les intimés concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne les contrats venus à expiration en cours de procédure pour lesquels les souscripteurs sollicitent également les mêmes sommes que celles allouées au autres demandeurs.
Chacun des intimés sollicite en outre 5.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Ils exposent que les contrats en cause étaient des contrats de capitalisation au porteur à versements réguliers à l’exception du « carnet F… 8 » à versements libres et que l’obligation contractuelle d’information n’a pas été respectée, les termes du contrat ne permettant pas de comprendre l’objet et l’étendue des obligations des parties.
Ils font valoir que les avances accordées constituaient un prêt d’argent dont le souscripteur ne pouvait connaître ni maîtriser le taux d’intérêt, et qu’il s’agissait de clauses léonines et abusives dépendant uniquement de la Société d’assurances en position dominante.
Ils soutiennent que si ces conditions avaient été connues et explicitées, ils n’auraient pas souscrit de tels contrats.
Ils invoquent également le non respect des dispositions des articles L 132-5 et L 132-21 du Code des assurances.

MOTIFS ET DECISION
Attendu que les intimés ne reprennent pas cause d’appel leur argumentation relative au dol ;
Attendu que chacun des dix intimés a souscrit un contrat « I… 6 » ou « I… 10 », Monsieur J-M R… et Madame M. S… ayant en outre souscrit un « carnet F… » ;
Attendu que l’article 6 des conditions générales valant note d’information tant des contrats « I… 6 » que des contrats « I… 10 » stipule sous le titre « Avances » que tout souscripteur d’un contrat à jour de ses versements peut obtenir des avances dans les conditions fixées au contrat et que « ces avances sont accordées à un taux d’intérêt fixé par la Société » ;
Attendu que l’avance, dont le principe est reconnu par l’article 132-21 du Code des assurances, constitue une mise à disposition des fonds investis moyennant le versement d’un intérêt et s’analyse comme un prêt à intérêt au sens de l’article 1905 du Code Civil, de telle sorte que le taux conventionnel de l’avance doit être fixé par écrit lors de la signature du contrat conformément aux exigences de l’article 1907 alinéa 2 du Code Civil, une telle fixation écrite étant une condition de validité de la stipulation d’intérêt ;
Qu’en l’espèce la Société L’E… s’est réservée le pouvoir de fixer seule et faire varier unilatéralement le taux d’intérêt des avances, lequel n’est ni déterminé ni déterminable lors de la souscription ;
Que la clause relative aux avances est donc nulle et abusive et doit être réputée non écrite ;
Attendu que les éléments du dossier démontrent que le représentant de la Société L’E… a incité les intimés à contracter en mettant en avant le caractère disponible des fonds investis grâce au mécanisme des avances et que la possibilité d’obtenir des avances a bien été pour les souscripteurs une condition déterminante de souscription des contrats ;
Que la suppression de cette clause déséquilibre la convention et que le jugement sera confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation des contrats « I… 6 » et « I… 10 » encore en cours ;
Attendu que les « carnets F… » qui ne contiennent pas la clause litigieuse ne sont pas concernés par cette résiliation ;
Attendu que tous les souscripteurs en cause des contrats « I… » ont subi un préjudice imputable à la Société L’E…, soit qu’ils aient été contraints d’accepter le taux imposé par la Compagnie lors de leurs demandes d’avance, soit qu’ils aient été dissuadés ou aient renoncé à demander des avances en raison de l’indétermination ou du montant imposé du taux d’intérêt ;
Que dans tous les cas ils ont immobilisé des sommes d’argent dans le cadre d’un contrat qui ne leur procurait pas les avantages escomptés ;
Que les dommages-intérêts doivent donc être alloués à chaque intimé sans distinction entre ceux dont le contrat est arrivé à échéance et ceux dont le contrat est judiciairement résilié ;
Que compte tenu du préjudice subi ces dommages et intérêts doivent être fixés à 10.000 francs ;
Que l’équité commande en outre d’allouer à chaque intimé une somme globale de 3.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel ;

PAR CES MOTIFS,
La Cour, déclare l’appel recevable en la forme, confirme au fond le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la résiliation des contrats « I… 6″ et I… 10 » encore en cours à la date du jugement et a ordonné le remboursement des sommes versées,
Réformant pour le surplus,

Condamne la Société A… à payer à chacun des dix intimés :
– DIX MILLE FRANCS (10.000 F) à titre de dommages-intérêts,
– TROIS MILLE FRANCS (3.000 F) au titre de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Condamne la Société A… aux dépens de première instance et d’appel, avec distraction des dépens d’appel au profit de Maître de FOURCROY, avoué, dans les conditions de l’article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 13 mars 2001
Rejet
N° de pourvoi : 98-21912
Inédit titré
Président : M. DUMAS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société G., société à responsabilité limitée, dont le siège est *** en cassation d’un arrêt rendu le 25 juin 1998 par la cour d’appel de Versailles (13e chambre civile), au profit :

1 / de la société L***, société anonyme, dont le siège est ***

2 / du Groupe A***, dont le siège est ***,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt :
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 30 janvier 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Garnier, conseiller rapporteur, M. Poullain, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Garnier, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de la société G., de la SCP Parmentier et Didier, avocat de la société Le Groupe A., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société L., les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 25 juin 1998), que par contrat de crédit-bail, la société G. (société GM) a loué un véhicule fourgonnette à la société L. ; que ce véhicule, dérobé au cours de l’été 1993, a été retrouvé le 10 septembre 1993 ; que le gérant de la société GM a déposé plainte pour vol le 13 septembre 1993, et a avisé la compagnie Groupe A. le 15 septembre 1993 ; que n’étant pas indemnisé de ce sinistre, la société L. a poursuivi judiciairement en paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation la société GM qui a appelé en garantie la compagnie A. ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société GM fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer une certaine somme à la société L., alors, selon le moyen, qu’en vertu de l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 – dont les dispositions ont été insérées sous l’article L. 132-1 ancien du Code de la consommation – applicable en la cause, constituent des clauses abusives devant être réputées non écrites notamment les conditions de résiliation d’un contrat traduisant un abus de puissance économique de l’organisme professionnel qui les a imposées à son cocontractant en vue d’en obtenir un avantage excessif ; qu’en l’espèce, la société L., professionnel rompu dans la pratique du crédit-bail portant notamment sur des véhicules pouvant être loués indistinctement à usage privé ou professionnel, lui avait imposé une clause manifestement abusive, puisque stipulant, en cas de résiliation de plein droit pour “sinistre total ou vol”, qu’”à défaut ou insuffisance” du prix de vente de l’épave du véhicule ou des indemnités de sinistre, “le locataire indemnise lui-même le bailleur à concurrence de la valeur vénale du bien avant sinistre” ; qu’il y avait donc là matière à avantage excessif dans la mesure où le preneur se voyait contraint à supporter la totalité des risques de perte ou de détérioration de la chose louée y compris par suite d’un événement imprévisible ; qu’il importait peu dans ces conditions que le véhicule loué fût à usage de l’activité de rénovation de l’immobilier de la société locataire, devant être considérée comme un non-professionnel par rapport à l’établissement de crédit-bail ; que l’arrêt a donc violé pour refus d’application le texte précité ;

Mais attendu que les dispositions de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978, devenu l’article L. 132-1 du Code de la consommation ne s’appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant ; qu’ayant relevé que la société GM avait conclu le contrat de crédit-bail pour les besoins de ses activités, et avait souscrit un contrat d’assurances la garantissant contre les risques de vol, ce dont il résultait qu’elle en avait prévu l’éventualité dès la conclusion de la convention, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société GM reproche à l’arrêt d’avoir rejeté la demande en garantie formée contre la compagnie A., alors, selon le moyen :

1 ) qu’il résulte du récépissé de la déclaration de vol du véhicule émanant des autorités locales de police, daté du 13 septembre 1993 et communiqué à l’assurance le 15 septembre 1993 dans le délai contractuel de deux jours, que son gérant qui était seul compétent pour le faire a déposé plainte pour vol, d’où il suit que, comme le rappelaient ses conclusions, cette société avait satisfait à ses obligations d’aviser le plus tôt possible les autorités de police et déposé plainte – ce qui ne pouvait être le fait du frère du gérant qui avait découvert le véhicule volé le 10 septembre 1993 ; que l’arrêt a donc violé les articles 1134 et 1315 du Code civil ;

2 ) que dans la mesure où la déclaration de vol était l’objet d’un récépissé émanant de la police locale avec mention que la plainte était transmise à M. le procureur de la République de Meaux, l’arrêt ne pouvait présumer que la matérialité du vol était incertaine à partir d’indices non significatifs à exclure de manière certaine l’existence de ce vol, en sorte qu’il ne pouvait non plus lui reprocher de n’avoir pas respecté ses obligations à l’égard de la compagnie d’assurances ; que l’arrêt a donc violé encore ces mêmes textes légaux ;

Mais attendu que, sous couvert de griefs de violation de la loi, le pourvoi ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de preuve dont ils étaient saisis ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société G. aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société G. à payer à la société L. et à la compagnie Le Groupe A. la somme globale de 14 000 francs ou 2 134,29 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille un.

Dans les affaires jointes C-240/98 à C-244/98, ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona (Espagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

O…  SA
et
R… (C-240/98)
et entre
S… SA
et
J. M. S. A. P. (C-241/98),
J.L. C. B. (C-242/98),
M. B. (C-243/98),
E. V. F. (C-244/98),

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, L. Sevón, président de chambre, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann (rapporteur), H. Ragnemalm, M. Wathelet, V. Skouris et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

– pour O… SA et S… SA, par Me A. Estany Segalas, avocat au barreau de Barcelone,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Ortiz Vaamonde, abogado del Estado, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et R. Loosli-Surrans, chargé de mission à la même direction, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. L. Iglesias Buhigues, conseiller juridique, et M. Desantes Real, membre du service juridique, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de O… SA, de S… SA, du gouvernement espagnol, du gouvernement français et de la Commission à l’audience du 26 octobre 1999, ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 1999, rend le présent Arrêt

1. Par ordonnances des 31 mars 1998 (C-240/98 et C-241/98) et 1er avril 1998 (C-242/98, C-243/98 et C-244/98), parvenues à la Cour le 8 juillet suivant, le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre de litiges opposant, d’une part, O… SA à Mme M. Q. et, d’autre part, S… SA à MM. S. A. P., C. B., B. et V. F. au sujet du paiement de sommes dues en exécution de contrats de vente à tempérament conclus entre lesdites sociétés et les défendeurs au principal.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. La directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, de «rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur».

4. Aux termes de l’article 2 de la directive:

«Aux fins de la présente directive, on entend par :

b) ‘consommateur: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle;

c) ‘professionnel: toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée».

5. L’article 3, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.»

6. L’article 3, paragraphe 3, de la directive fait référence à l’annexe de celle-ci qui contient une «liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives». Le point 1 de cette annexe vise les «Clauses ayant pour objet ou pour effet:

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur…».

7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive:

«Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.»

8. Aux termes de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive:

«1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.»

9. Selon l’article 10, paragraphe 1, de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 31 décembre 1994.

La réglementation nationale

10. En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives insérées dans les contrats par des professionnels a d’abord été assurée par la Ley General 26/1984, de 19 de julio, para la Defensa de los Consumidores y Usuarios (loi générale n° 26, du 19 juillet 1984, relative à la protection des consommateurs et des usagers, Boletín Oficial del Estado n° 176, du 24 juillet 1984, ci-après la «loi n° 26/1984»).

11. Selon l’article 10, paragraphe 1, sous c), de la loi n° 26/1984, les clauses, conditions ou stipulations qui s’appliquent de façon générale à l’offre ou à la promotion de produits ou de services, doivent être conformes à la bonne foi et assurer un juste équilibre entre les droits et les obligations des parties, ce qui, en tout état de cause, exclut l’utilisation de clauses abusives. En vertu de l’article 10, paragraphe 4, de ladite loi, ces dernières, définies comme étant des clauses qui portent préjudice de manière disproportionnée et inéquitable au consommateur ou qui induisent un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au détriment des consommateurs, sont nulles de plein droit.

12. La transposition intégrale de la directive a été réalisée par la Ley 7/1998, de 13 de abril, sobre Condiciones Generales de la Contratación (loi n° 7/1998, du 13 avril 1998, sur les conditions générales de contrats, Boletín Oficial del Estado n° 89, du 14 avril 1998, ci-après la «loi n° 7/1998»).

13. L’article 8 de la loi n° 7/1998 prévoit que sont nulles de plein droit les conditions générales qui, au préjudice de l’adhérent, contreviennent aux dispositions de la loi et, en particulier, les conditions générales abusives dans les contrats conclus avec un consommateur au sens de la loi n° 26/1984.

14. La loi n° 7/1998 complète en outre la loi n° 26/1984 en lui ajoutant, notamment, un article 10 bis, dont le paragraphe 1 reproduit en substance l’article 3, paragraphe 1, de la directive, ainsi qu’une disposition additionnelle qui reprend pour l’essentiel la liste des clauses qui peuvent être déclarées abusives annexée à la directive, en précisant qu’elle n’a qu’un caractère minimal. Selon le point 27 de cette disposition additionnelle, est considérée comme abusive l’inclusion dans le contrat d’une clause attribuant expressément compétence à un juge ou à un tribunal autre que celui qui correspond au domicile du consommateur ou au lieu d’exécution de l’obligation.

Les litiges au principal et la question préjudicielle

15. Les défendeurs au principal, tous domiciliés en Espagne, ont conclu, chacun en ce qui le concerne, entre le 4 mai 1995 et le 16 octobre 1996, un contrat portant sur l’achat à tempérament, à des fins personnelles, d’une encyclopédie. Les demanderesses au principal sont les vendeurs de ces encyclopédies.

16. Les contrats comportaient une clause attribuant compétence aux juridictions de Barcelone (Espagne), ville dans laquelle aucun des défendeurs au principal n’est domicilié mais où se trouve le siège des demanderesses au principal.

17. Les acquéreurs des encyclopédies n’ayant pas versé les sommes dues aux échéances convenues, les vendeurs ont, entre les 25 juillet et 19 décembre 1997, saisi le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, dans le cadre de la procédure de «juicio de cognición» (procédure sommaire réservée aux litiges portant sur des sommes limitées), aux fins d’obtenir la condamnation des défendeurs au principal au paiement des sommes dues.

18. Ces demandes n’ont pas été signifiées à ces derniers, la juridiction de renvoi doutant de sa compétence pour connaître des litiges. Elle relève en effet que, à plusieurs reprises, le Tribunal Supremo a déclaré abusives des clauses attributives de compétence telles que celles en cause dans les litiges dont elle est saisie. Toutefois, selon elle, les décisions des juridictions nationales sont contradictoires quant à la possibilité d’apprécier d’office la nullité de clauses abusives dans le cadre de procédures relatives à la protection des intérêts des consommateurs.

19. C’est dans ces conditions que le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, considérant qu’une interprétation de la directive est nécessaire pour statuer sur les litiges qui lui sont soumis, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui est formulée en termes identiques dans les cinq ordonnances de renvoi:

«La protection que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs assure à ceux-ci permet-elle au juge national d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat soumis à son appréciation lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions ordinaires?»

20. Par ordonnance du président de la Cour du 20 juillet 1998, les cinq affaires C-240/98 à C-244/98 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l’arrêt.

21. À titre liminaire, il convient de relever qu’une clause telle que celle en cause dans les litiges au principal, dès lors qu’elle a été insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel au sens de la directive, réunit tous les critères pour pouvoir être qualifiée d’abusive au regard de cette dernière.

22. Une telle clause, qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive.

23. En revanche, cette clause permet au professionnel de regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle au tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège de celle-ci, ce qui tout à la fois facilite l’organisation de sa comparution et rend celle-ci moins onéreuse.

24. Il s’ensuit qu’une clause attributive de juridiction, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, doit être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

25. Quant à la question de savoir si un tribunal, saisi d’un litige relatif à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, peut apprécier d’office le caractère abusif d’une clause de ce contrat, il convient de rappeler que le système de protection mis en oeuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci.

26. L’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. Dans des litiges dont la valeur est souvent limitée, les honoraires d’avocat peuvent être supérieurs à l’intérêt en jeu, ce qui peut dissuader le consommateur de se défendre contre l’application d’une clause abusive. S’il est vrai que, dans nombre d’États membres, les règles de procédure permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre eux-mêmes, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le consommateur n’invoque pas le caractère abusif de la clause qui lui est opposée. Il s’ensuit qu’une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office une telle clause.

27. Au demeurant, ainsi que l’a fait observer M. l’avocat général au point 24 de ses conclusions, le système de protection établi par la directive repose sur l’idée que la situation inégale entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat. C’est la raison pour laquelle l’article 7 de la directive, qui, en son paragraphe 1, requiert des États membres qu’ils mettent en oeuvre des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives, précise, en son paragraphe 2, que ces moyens comprennent la possibilité pour les associations agréées de consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d’obtenir, le cas échéant, leur interdiction, alors même qu’elles n’auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés.

28. Ainsi que l’a relevé le gouvernement français, il est difficilement concevable que, dans un système exigeant la mise en oeuvre à titre préventif d’actions collectives spécifiques destinées à mettre un terme aux abus préjudiciables aux intérêts des consommateurs, le juge saisi d’un litige concernant un contrat déterminé, dans lequel est stipulée une clause abusive, ne puisse écarter l’application de cette clause pour la seule raison que le consommateur n’en soulève pas le caractère abusif. Il y a lieu au contraire de considérer que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la protection que la directive assure aux consommateurs implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales.

30. S’agissant d’une situation dans laquelle une directive n’est pas transposée, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante (arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8; du 16 décembre 1993, Wagner Miret, C-334/92, Rec. p. I-6911, point 20, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, Rec. p. I-3325, point 26), en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE).

31. Il incombe ainsi au juge de renvoi, saisi d’un litige relevant du domaine d’application de la directive et trouvant son origine dans des faits postérieurs à l’expiration du délai de transposition de cette dernière, lorsqu’il applique les dispositions du droit national en vigueur à la date des faits, telles qu’elles ont été rappelées aux points 10 et 11 du présent arrêt, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, conformément à la directive, d’une manière telle qu’elles puissent recevoir une application d’office.

32. Il ressort des considérations qui précèdent que la juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à la dite directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive.

Sur les dépens

33. Les frais exposés par les gouvernements espagnol et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Juzgado de Primera Instancia n° 35 de Barcelona, par ordonnances des 31 mars et 1er avril 1998, dit pour droit:

1) La protection que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, assure à ceux-ci implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales.

2) La juridiction nationale est tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive.

Rodríguez Iglesias
Sevón
Kapteyn
Gulmann Puissochet
Hirsch
Jann
Ragnemalm
Wathelet Skouris Macken

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2000.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias

Audience publique du 14 mars 2000 Rejet

N° de pourvoi : 97-16299 Inédit titré

Président : M. DUMAS

Sur le pourvoi formé par M. Jean B…, Paris,

en cassation d’un arrêt rendu le 21 mars 1997 par la cour d’appel de Paris (25e chambre, section B), au profit :

1 / de la société A…, société à responsabilité limitée, dont le siège Paris,

2 / de la société S…, société anonyme, dont le siège est Gennevilliers,

défenderesses à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 1er février 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, M. de Monteynard, conseiller référendaire rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, M. Feuillard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. de Monteynard, conseiller référendaire, les observations de Me Bouthors, avocat de M. B…, de Me Foussard, avocat de la société A…, de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de la société S…, les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 mars 1997), que, pour les besoins de son activité d’expert-comptable, M. B… a acheté un progiciel de la société S… à la société A…, qui a procédé à son paramétrage ainsi qu’à la formation du personnel ; qu’il a, par ailleurs, souscrit auprès de la société S… un contrat d’abonnement lui permettant d’obtenir les informations nécessaires sur le fonctionnement et l’évolution du logiciel dans le cadre duquel il a signalé plusieurs disfonctionnements ; qu’ultérieurement, il a assigné les sociétés S… et A… en indemnisation du préjudice qu’il prétendait avoir subi en raison de ces disfonctionnements ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. B… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société A… au paiement d’une somme de 1 121 409 francs, alors, selon le pourvoi, que, selon les articles 1147 et 1604 du Code civil, tout vendeur doit s’enquérir des besoins de l’acheteur, qui n’a pas les compétences pour évaluer les performances du matériel vendu, et informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de ce matériel et de son aptitude à atteindre le but recherché ; que la société A… avait donc l’obligation de s’informer auprès de M. B…, qui n’était pas compétent pour apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du logiciel Etafi, afin d’évaluer si les performances de ce logiciel étaient adaptées à ses besoins ; que, pour décharger la société A… de son obligation d’information et de conseil à l’égard de M. B…, la cour d’appel a retenu que ce dernier était à même, en tant qu’utilisateur de programmes informatiques, d’évaluer si les performances du logiciel Etafi étaient adaptées à ses besoins ; qu’en se déterminant ainsi, lors même que la qualité d’utilisateur de programmes informatiques n’avait pu conférer aucune compétence à M. B… relativement aux performances du logiciel, la cour d appel a violé le texte précité ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’acquisition du progiciel avait été précédée d’une visite de la société A… au cabinet B… ainsi que d’une démonstration, en présence de plusieurs membres du personnel, l’arrêt retient que M. B…, utilisateur de longue date de programmes informatiques pour les besoins de sa profession, « était à même d’évaluer si les performances du logiciel qu’il avait choisi de commander étaient adaptées à ses besoins » ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. B… reproche encore à l’arrêt d’avoir limité la condamnation de la société S… à la somme de 24 906 francs et d’avoir en conséquence rejeté sa demande tendant à obtenir la condamnation solidaire de la société S… au paiement d’une somme de 1 121 409 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, que selon l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978, est abusive la clause limitative de responsabilité du vendeur insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ; que doit être regardé comme non professionnel celui, qui, même ayant contracté pour les besoins de son activité professionnelle, exerce une activité étrangère à l’objet du contrat ; qu’en retenant que M. B… ne pouvait se prévaloir de l’article 35 de la loi de 1978 dans la mesure où le contrat litigieux était en rapport direct avec son activité, lors même que l’acquisition et l’installation d un logiciel échappant à sa sphère de compétence d’expert comptable, M. B… devait être regardé comme un non professionnel, la cour d’appel violé le texte susvisé ;

Mais attendu que l’arrêt énonce, à bon droit, que l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ne s’applique pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le contractant ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que M. B… fait, enfin, le même reproche à l’arrêt, alors, selon le pourvoi, que, selon les articles 1131 et 1150 du Code civil, le débiteur qui a commis une faute lourde ne peut se prévaloir d une clause limitative de responsabilité ; que l’existence d’ une faute lourde se déduit notamment du manquement à une obligation essentielle ; qu’en refusant d’écarter la clause limitative de responsabilité insérée dans le contrat au préjudice de M. B… motif pris que l’existence d’une faute lourde n était pas établie, lors même que cette clause revenait à décharger la société S… de son obligation essentielle de fournir un logiciel exempt de défaut, la cour d’appel violé les textes précités ;

Mais attendu qu’il ne résulte ni des conclusions ni de l’arrêt que le moyen ait été soutenu devant les juges du fond ; que le moyen est donc nouveau et qu’étant mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. B… aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. B… à payer la somme globale de 12 000 francs à la société A… ainsi qu’à la société S… ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille.

Cour de Cassation

Chambre civile 1

Audience publique du 1 février 2000

Rejet

N° de pourvoi : 97-16707

Inédit

Président : M. LEMONTEY

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par V., ayant demeuré ***, décédé en cours d’instance, aux droits duquel viennent :

X et Y

en cassation de l’arrêt rendu le 18 septembre 1996 par la cour d’appel de Paris (7ème chambre), au profit de la société M., dont le siège est ***,

défenderesse à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 14 décembre 1999, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Bouscharain, conseiller rapporteur, M. Sargos, conseiller, M. Roehrich, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Bouscharain, conseiller, les observations de SCP Vincent et Ohl, avocat de des consorts G., de Me Le Prado, avocat de la société M., les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte aux ayants droits de V. de leur reprise d’instance ;

Sur le moyen unique :

Attendu que V., aux droits duquel interviennent ses héritiers, a été, le 23 décembre 1990, entre 3 heures 37 et 6 heures, victime d’un vol à son domicile les voleurs étant entrés par une fenêtre laissée entrouverte ; qu’il a demandé à son assureur, la M., l’exécution de la garantie ; que cet assureur s’est opposé à cette prétention en invoquant la clause imposant à l’assuré d’utiliser “tous les moyens de fermeture et de protection (volets, persiennes…) de nuit (entre 22 heures et 6 heures légales) ou en cas d’absence supérieure à 15 heures” ; que l’arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 1996) l’a débouté de sa prétention ;

Attendu que les consorts G. font grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué alors que cette clause serait abusive et réputée non écrite ;

qu’en l’espèce, il est constant que V. était présent dans son appartement au moment du vol réalisé à son insu ; qu’en lui refusant la garantie au motif que l’une des fenêtres de l’appartement n’était pas fermée, la cour d’appel aurait violé l’article L. 132-1 du Code de la consommation et méconnu le 35e considérant de la recommandation n° 85-04, en date du 20 septembre 1985, de la commission des clauses abusives ;

Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a considéré que la clause litigieuse imposait seulement à l’assuré de prendre des précautions élémentaires contre le vol et n’apportait pas de restriction excessive à sa liberté, ce dont il résultait qu’elle ne conférait pas à l’assureur un avantage excessif, a exactement retenu que cette clause n’était pas abusive ; que, d’autre part, les recommandations de la commission des clauses abusives ne sont pas génératrices de règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts G. aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des consorts G. ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille.

Décision attaquée :cour d’appel de Paris (7ème chambre) 1996-09-18